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Full text of "Œuvres complètes de François Arago"

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i 


tJKl  VRKS   COMPLKTKS 


HK 


FRANÇOIS    ARAGO 


TOME  GINQriÈME 


1  a  propriété  littéraire  des  divers  ouvrages  de  François  A&agi*,  étant  siouinisf 
à  des  délais  légaux  différents,  i^don  qifils  sont  ou  non  des  œnvres  posthumes, 
les  éditeurs  ont  publié  chaque  ouvrage  séparément.  Ce  titre  collectif  nVbt 
donné  ici  que  pour  indiquer  au  relieur  le  meilleur  clafiwment  à  adopter. 

Far  la  mômo  raison,  la  réserve  du  droit  de  traduction  est  faite  au  titn>  (t 
an  verso  dn  faux  titre  de  cbaipie  ouvrage  séparé. 


r»r.j5.  —  iflPRivrtir  nr  j.  riAtr,  Rcr  xaim-imoIt,  7, 


ŒUVRES  COMPLÈTES 


1)K 


FRANÇOIS  ARAGO 


>E(:KKTVinF.      l'kHrÈTl.  Kl. 

Itt    L'ACADÉMIE    DKS   SCIENCES 

PI.BLIÉES 

D'APRÈS   SON    (»H1)RE  SOCS   LA   DIRECTION 

ri: 

M.   J.-A.   HAHUAL 

Ancien  ÉIAto  «!«>  rÊi^olo  Polyttcbnlqac ,  ancien  R^i>^titrur 
•lans  cpt  BtaM{sM>nirnt. 


TOME    CINQUIÈME 


PARIS  LEIPZIG 

GIDE  ET  J.  BAUDRY,  ÉDITEURS         T.  0.  WEIGEL,  ÉDITEUR 


!>  Uuo  Boiiaparl* 


Knni^'s- Strass'* 


1  »*  'Ir«.iit  <li'  tr.vliii ti--ii  c>t  r«'«:t'rTi''  .m  iiti-i-  ilij  •^haqu''  «uvraiK'  ^t'-par"-. 

18  55 


,'3^.    e.   5ô 


j 
f 


i  I 


NOTICES    SCIENTIFIQUES 


TOMK   DEl'XIÈMK 


■»    • 


-    \ 


•     •     ••    , 


N 


Le»  deiu  fils  de  François  Arago,  seuls  héritiers  de  ses  droits,  ainsi  qne  les 
éditeiin>propriétaires  de  ses  œuvres,  se  réserrent  le  droit  de  faire  traduire 
rAsnoHoiiiE  popcLAUB  daos  tootes  les  langnes.  Ih  poorsuivront,  en  vérin 
des  lois,  des  décrets  et  des  traités  internationaux ,  tonte  conlnfa^n  on  toute 
traduction,  ni£me  partielle,  faite  an  mépris  de  leurs  droits. 

Le  dépôt  légal  de  ce  volume  a  été  fait  à  Paris,  au  Ministère  de  l'Intérieur, 
dans  le  courant  de  décembre  1855,  et  simultanément  à  la  Direction  royale  du 
Cercle  de  Leipsig.  Les  éditeurs  ont  rempli  dans  les  autres  pays  tontes  les 
formalités  prescrites  par  les  lois  nationales  de  chaque  État,  on  par  les 
traités  internationaux. 

L^iniqne  traduction  en  langue  allemande,  autorisée  par  les  deux  fils  dt* 
François  Arago  et  les  éditeurs,  a  été  publiée  simultanément  à  Leipzig,  par 
Otto  '^''itiANn,  libraire-éditeur,  et  le  dépAi  légal  eu  a  été  fait  partout  où  les 
lois  IViigent. 


i>A«IS.    —    lUPlilllESIE    DR   J     ri.ATE  RCI  tAIXT-tMOll,  7. 


ŒUVRES 


1>K 


FRANÇOIS  ARAGO 


SECRETAIRE    PERPÉtTIKL 

DK  i/.\(:ai)K.mie  des  sciences 

D'.^PRKS   SON    ORIiRE   SOIS    LA    DIRECTION 

h  F. 

M,  J.-A.   BAKUAL 


KOTICES    SCIENTIFIQUES 


TOME    DEUXIEME 


TA  lus 
ii\b\i  KT  J.  R  AU  DRY,  ÉDITEURS 

s  Rue  Riiiiaiiartc 


LE{V7Ai\ 
T.  0    WKIGKL,    ÉOITI'UR 

K<•lli^^-Slra^M' 


l.^-  )>r<>)trii''t«ii-fi>  ♦•■  rr-i-rrriit  h-  iln-it  ■!♦■  Tiiri*  traduin   ••»•  tuliinir. 


1855 


^ 


NOTICES  SCIENTIFIQUES 


NOTICE  HISTORIQUE 


SUR  LES  MACHINES  A  VAPEUR 


CHAPITRE  PREMIER 

IXTnODLCTIOX 

Je  donne  ici  la  quatrième  édition  de  cette  Notice  his- 
torique sur  les  machines  à  vapeur. 

La  bienveillance  avec  laquelle  le  public  voulut  bien 
ric(  ueillir  mon  travail  lorsque  je  l'insérai  dans  Y  Annuaire 
(hi  ïivrvnn  des  Longitudes  de  1820,  m'engagea  à  le  repro- 
duire d'abord  dans  Y  Annuaire  de  1830  et  ensuite  dans 
celui  de.  1837.  Je  le  réimprime  ici  tel  qu'il  a  déjà  paru. 
Je  lo  fais  suivre  de  ma  réponse  aux  critiques  dont  il  a  été 
l'objet  en  Angleterre.  On  verra  que  je  n'ai  pas  une  seule 
îiSs-ertion  à  modifier  dans  ce  que  j'ai  d'abord  publié 
coîicernrmt  l'origine  de  la  machhie  à  feu  et  les  améliora- 
lions  successives  qu'elle  a  éprouvées. 

La  machine  à  vapeur  a  déjà  rendu  de  trop  grands  ser- 
vices à  l'industrie  et  à  la  navigation,  pour  qu'il  faille 
sïtoiinor  de  l'empressement  qu'on  a  mis  à  rechercher  la 

V.  — II.  1 


1  MACHINES  A  VAPEUR. 

part  que  diverses  nations  peuvent  s'attribuer  dans  cette 
invention  admirable.  Toutefois,  on  n'apprendra  pas  sans 
surprise  que,  dans  la  seule  Angleterre,  les  libraires  ont 
vendu,  en  un  très-petit  nombre  d'années,  plus  de  cent 
mille  exemplaires  des  nombreux  ouvrages  où  cette  ques- 
tion historique  est  débattue.  Un  aussi  éclatant  succès  est 
dû  principalement,  je  n'en  doute  point,  au  vif  intérêt 
que  la  machine  à  vapeur  devait  naturellement  exciter  dans 
un  pays  où  on  la  retrouve  à  chaque  pas;  mais  peut-être 
sera-t-il  permis  de  supposer  que  l'amour-propre  natio- 
nal y  est  entré  aussi  pour  quelque  chose.  Consultez ,  en 
effet,  le  membre  de  la  Chambre  des  lords  et  un  simple 
artisan  ;  le  négociant  de  la  cité  que  ses  brillantes  spécu- 
lations ont  conduit  dans  toutes  les  régions  du  monde ,  et 
le  fermier  qui  n'a  jamais  dépassé  les  limites  de  son  comté; 
parcourez  les  immenses  manufactures  de  Birmingham , 
de  Manchester,  de  Glasgow  et  le  plus  humble  atelier  d'un 
cottage  ;  partout  on  vous  dira  que  le  marquis  de  Worcester 
est  le  premier  inventeur  de  la  machine  à  vapeur  ;  partout 
on  citera  à  la  suite  de  ce  nom  les  noms,  tous  anglais,  de 
Savery,  de  Newcomen,  de  Beighton,  de  Watt,  d'IIorn- 
blower,  de  Woolf,  etc.  En  général ,  les  gens  de  lettres  et 
ceux  qui  font  de  la  culture  des  sciences  leur  occupation 
spéciale,  n'ont  pas  à  ce  sujet  des  opinions  moins  arrêtées. 
Si  vous  ouvrez  V Encyclopédie  récente  du  docteur  Rccs, 
vous  y  trouverez  ces  lignes  :  «  La  machine  à  vapeur  vient 
immédiatement  après  le  vaisseau,  dans  l'échelle  dos 
inventions;  mais  dans  une  Encyclopédie  anglaise  elle  doit 
occuper  le  premier  rang,  à  cause  qu'elle  a  été  entière- 
ment {wholly)  inventée  et  mise  en  pratique  par  nos  com- 


MACHINES  A  VAPEUR.  3 

patriotes  (article  steam  Engine^  2*  col.);  et  onze  lignes 
plus  bas,  comme  si  le  premier  passage  n'était  pas  assez 
clair  :  <  La  machine  à  feu  a  été  inventée  par  un  petit 
nombre  d'individus,  tous  anglais  {ail  of  them  English- 
men).  >  Le  célèbre  professeur  John  Robison  d'Édinburgh 
est  tout  aussi  positif.  < La  machine  à  feu,  dit-il,  fut  sans 
aucun  doute  inventée  pour  la  première  fois  par  le  mar- 
quis de  Worcester,  sous  le  règne  de  Charles  IL  »  (Voyez 
A  System  of  mechanical  Philosophy^  U  il,  p.  Û6.)  Après 
avoir  réfuté  ensuite,  par  des  arguments  que  j'examinerai, 
les  prétentions  des  auteurs  français  qui  affectent  (affect) 
de  mêler  le  nom  de  Papin  à  l'histoire  de  la  machine  à 
vapeur,  Robison  déclare  t  qu'il  n'hésite  en  aucune  ma- 
nière à  donner  l'honneur  de  la  première  et  complète  inven- 
tion au  marquis  de  Worcester.  »  (Voyez  A  System ^  etc., 
p.  50.  )  Un  savant  non  moins  illustre  par  la  profondeur  de 
ses  connaissances  que  par  sa  vaste  érudition ,  le  docteur 
Thomas  Young,  a  joint  son  imposant  témoignage  à  ceux 
je  viens  de  produire.  Suivant  lui ,  le  marquis  de  Worcester 
est  le  premier  inventeur  de  la  machine  à  feu ,  le  premier 
qui  se  soit  servi  de  la  pression  de  la  vapeur  comme  mo- 
teur. Dans  l'aperçu  rapide  qu'il  donne  des  améliorations 
que  cette  machine  a  successivement  reçues,  on  ne  voit 
aussi  figurer  que  des  mécaniciens  anglais.  {Leclures  on 
nainral  Philosophy,  t.  i",  p.  Sft6  et  356.  )  Je  pourrais 
encore  citer  l'habile  professeur  de  mécanique  à  l'Institu- 
tion royale,  M.  MiUington;  un  membre  distingué  de  la 
nouvelle  Université  de  Londres,  M.  Lardner;  l'auteur 
d'un  traité  de  Mécanique  pratique  estimé,  M.  Nichol- 
son,  etc.,  etc. 


4  MACHINES  A  VAPEUR. 

Des  décisions  si  nombreuses,  si  positives,  la  juste  répu- 
tation des  ouvrages  dans  lesquels  je  les  ai  puisées,  ne  me 
semblaient  pas  même  permettre  l'ombre  d'un  doute.  Aussi 
lorsque,  d'après  le  désir  des  élèves  de  l'École  polytech- 
nique, j'essayai  vers  1823  de  tracer  la  série  chronologique 
des  perfectionnements  que  la  machine  à  vapeur  a  éprou- 
vés depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours,  je  m'attendais, 
je  le  dis  franchement,  à  n'avoir  que  des  mécaniciens 
anglais  à  citer.  C'était  cependant  une  erreur  :  nos  voisins 
de  l'autre  côté  du  détroit  ne  sont  ni  les  seuls  ni  même 
les  premiers  inventeurs  de  la  machine  à  vapeur.  C'est  du 
moins  ce  qui  me  paraît  résulter  d'un  certain  nombre  de 
documents  que  je  vais  rapporter.  Je  suis  certain  d'avoir 
examiné  sans  prévention  ce  point  curieux  de  l'histoire 
des  sciences.  Mes  citations,  mes  analyses  seront  exactes, 
on  peut  y  compter.  Si  les  conséquences  que  j'en  ai  dé- 
duites ne  l'étaient  pas,  chacun  les  rectifierait  lui-même, 
puisqu'il  aura  sous  ses  yeux  tous  les  éléments  de  la 
question.  Au  reste,  je  dois  dire,  avant  de  terminer  ce 
préambule,  quMI  a  paru  récemment,  en  Angleterre  même, 
un  ouvrage  remarquable  intitulé  Histoire  descriptive  de  la 
Machine  à  feu^  par  M.  Robert  Stuart,  et  dans  lequel  tous 
les  essais  qu'on  a  faits  pour  se  servir  de  la  vapeur  d'eau 
comme  agent  mécanique,  se  trouvent  appréciés  avec 
beaucoup  de  discernement,  et,  ce  qui  est  plus  rare  en- 
core ,  avec  une  abnégation  complète  de  tout  préjugé 
national  ;  sauf  un  petit  nombre  d'exceptions,  les  opinions 
de  M.  Stuart  sur  le  mérite  relatif  des  ingénieurs  qui  ont 
concouru  à  la  création  de  cette  merveilleuse  machine , 
sont  parfaitement  conformes  à  celles  que  j'avais  puisées 


MACHINES  A  VAPEUR.  5 

dans  la  lecture  des  titres  originaux.  Cet  accord  m'a  trop 
flatté  pour  que  je  ne  doive  pas  m'en  prévaloir  avec  em- 
pressement J'ajouterai  même  que  si  ma  Notice  n'avait 
pas  été  rédigée  en  très- grande  partie  lorsque  j'eus  con- 
naissance de  l'histoire  de  M.  Robert  Stuart,  je  me  serais 
probablement  contenté  de  publier  une  simple  analyse  de 
ce  livre  :  le  but  que  je  me  proposais  aurait  été  également 
atteint* 

J'espère  que  les  lecteurs  apprécieront  les  motifs  qui 
m'ont  déterminé  à  ne  pas  suivre  strictement  l'ordre  chro- 
nologique dans  toutes  les  parties  de  cette  Notice.  J'ai 
pensé  qu'il  y  aurait  plus  de  clarté  à  grouper  ensemble  les 
paragraphes  relatifs  aux  modes  divers  et  plus  ou  moins 
avantageux  qui  ont  été  successivement  imaginés  pour  faire 
agir  la  vapeur.  Les  détails  du  mécanisme,  quoique  fort 
importants,  ne  me  paraissent  devoir  marcher  qu'en  se- 
conde ligne. 

CHAPITRE  II 

UACHIIIES    ATMOSPHÉRIQUES    OU    A    BASSE    PRESSION 

§1- 

120  ans  avant  J.-C,     Héron  d'Alexandrie  '. 

Lorsque  les  liquides ,  les  gaz  ou  les  vapeurs  s'écoulent 
des  vases  qui  les  renferment  sous  certaines  conditions  que 

1.  Héron  d'Alexandrie,  dit  TAncien,  vivait  environ  120  ans  avant 
notre  ère.  La  plupart  des  nombreux  ouvrages  qu'il  composa  sont 
perdus  :  il  n'en  reste  plus  que  trois.  La  machine  à  réaction  dont  il 
doit  être  ici  question  se  trouve  décrite  et  représentée  dans  le  traité 
intitulé  Spiritalia  seu  pneumatica.  On  a  prétendu  qu'Héron  fut  le 
premier  inventeur  des  roues  dentées,  mais  cet  honneur  appartient» 


6  MACHINES  A  VAPEUR. 

je  vais  décrire,  ils  deviennent  une  cause  de  mouvement 
qu'il  est  nécessaire  de  bien  apprécier  si  Ton  veut  com- 
prendre le  jeu  d'un  petit  appareil  imaginé  par  Héron 
d'Alexandrie,  et  qui  offre,  je  pense,  le  premier  exemple 
de  l'emploi  de  la  vapeur  comme  force  motrice. 
Concevons  (fig.  i)  un  tube  coudé  ABC  dont  les  deux 


Fig.  1.  —  Principe  des  machines  à  réaction. 

branches  AB  et  BC  se  rencontrent  rectangulaireraent. 
Supposons  que  la  branche  BA  soit  verticale,  qu'elle  passe 
librement  dans  un  anneau  fixe  mn  et  qu'elle  repose  par 
le  bas  sur  une  pointe  aiguë  T,  de  manière  à  pouvoir 
tourner  sur  elle-même  sans  obstacle.  Si  dans  cet  état  on 
verse  de  l'eau  par  l'entonnoir  supérieur,  nous  aurons  deux 
cas  bien  distincts  à  considérer.  Quand  l'écoulement  du 
liquide  s'opérera  par  l'extrémité  C,  dans  la  direction  BC, 
tout  l'appareil  demeurera  immobile.  Quand,  au  contraire, 


je  crois ,  à  son  maître  Ctésibias.  Ses  clepsydres  et  surtout  ses  auto- 
mates excitèrent  l'admiration  de  l'antiquité.  La  fontaine  qui  porte 
le  nom  d'Héron  a  reçu  diverses  applications  importantes,  même  de 
nos  jours  :  elle  sert,  par  exemple,  dans  les  mines  de  Schemnitz,  en 
Hongrie,  comme  machine  d'épuisement 


MACHINES  A  VAPEUR.  7 

le  tube  BG  sera  bouché  à  son  extrémité  G  et  que  le  liquide 
sortira  seulement  par  une  ouverture  latérale  S,  dans  une 
direction  horizontale,  la  machine  prendra  d'elle-même 
du  mouvement.  Elle  tournera  autour  de  AB ,  tant  que 
l'écoulement  durera ,  mais  en  sens  contraire  de  la  direo* 
tion  suivant  laquelle  se  formera  le  jet.  Si  Teau,  par 
exemple ,  s'élance  d'arrière  en  avant ,  le  tube  horizontal 
BC  se  transportera,  en  tournant,  d'avant  en  arrière» 
comme  par  une  espèce  de  recul. 

Toutes  les  machines  dans  lesquelles  l'eau  a  été  em- 
ployée de  cette  manière ,  portent  le  nom  de  machines  à 
réaction. 

Un  gaz  qui  parcourrait  rapidement  le  tube  coudé  ABC, 
produirait  les  mêmes  effets  que  l'eau  :  le  tube  resterait 
immobile  quand  le  gaz  s'échapperait  dans  la  direction 
BC  ;  il  tournerait  au  contraire  si  l'écoulement  avait  lieu 
latéralement. 

Ces  considérations  préliminaires  suffisent  pour  que  l'on 
comprenne  le  mode  d'action  de  la  vapeur  dans  la  ma- 
chine d'Héron. 

Imaginons  qu'une  sphère  métallique  creuse  (fig.  2, 
page  8),  susceptible  de  tourner  entre  deux  tourillons  A 
et  B,  soit  remplie  d'une  vapeur  très-élastique  ;  que  cette 
vapeur  puisse  sortir  de  la  sphère  par  un  tuyau  saillant  DC 
perpendiculaire  à  AB  et  placé  sur  le  prolongement  d'un 
des  rayons.  On  devine  déjà  que  si  le  tuyau  DC  est  ouvert 
à  son  extrémité,  il  ne  tendra  pas  à  tourner,  et  que  la 
sphère  restera  en  repos;  que  si,  au  contraire,  l'écoule- 
ment s'opère  par  une  ouverture  latérale  S,  d'arrière  en 
avant,  par  exemple,  le  tuyau  reculera  et  tendra  à  faire 


8 


MACHINES  A  VAPEUR. 


tourner  d'avant  en  arrière  la  sphère  à  laquelle  il  est  lié. 
Pour  rendre  ce  mouvement  de  rotation  continu ,  il  suffira 
d'ajouter  aux  suppositions  précédentes ,  celles  qu'un  des 
deux  tourillons  (A  si  Ton  veut)  est  creux,  qu'il  se  trouve, 
par  un  bout ,  en  communication  avec  l'intérieur  de  la 
sphère ,  et  par  l'autre ,  avec  une  chaudière  :  la  vapeur 
déposée  en  S  sera  ainsi  continuellement  remplacée  au  fur 
et  à  mesure  de  son  écoulement. 


Fig.  2.  —  Mode  d^actioa  de  la  Tapeur  dans  la  macliiue  d'Héron. 

Sur  la  figure  qu'Héron  a  donnée  de  son  petit  appareil, 
on  aperçoit  deux  tuyaux  semblables  à  celui  que  je  viens 
de  décrire.  Ils  forment  les  prolongements  opposés  d'un 
môme  diamètre  et  leurs  ouvertures  latérales  sont  dispo- 
sées de  manière  qu'ils  tendent  à  faire  tourner  la  sphère 
dans  le  môme  sens. 

11  y  a  aussi  dans  les  Spirttalia  la  description  d'une 
machine  toute  semblable  à  la  précédente,  avec  cette  dif- 
férence seulement  qu'un  courant  d'air  échauffé  y  rem- 
place le  courant  de  vapeur. 

En  résumé ,  on  trouve  un  certain  emploi  de  la  vapeur 


MACHINES  A  VAPEUR.  9 

aqueuse  dans  un  des  appareils  décrits  par  Héron ,  mais 
cette  vapeur  y  agit  tout  autrement  que  dans  les  machines 
modernes.  Watt,  à  qui  les  essais  du  mécanicien  grec 
n'étaient  pas  inconnus,  croyait  qu'on  ne  pourrait  jamais 
en  tirer  rien  d'utile.  D'autres  personnes,  si  je  suis  bien 
informé ,  augurent  au  contraire  assez  favorablement  des 
effets  qu'il  serait  possible  d'obtenir  avec  le  mécanisme 
d'Héron  perfectionné,  pour  avoir  cherché,  par  un  brevet, 
à  s'en  assurer  la  jouissance  exclusive  :  le  temps  et  l'expé- 
rience prononceront.  On  voit  seulement  que  si,  par  des 
modifications  dont  nous  n'avons  aucune  idée,  des  ma- 
chines à  vapeur  et  à  réaction  réussissaient  un  jour  et  qu'on 
jugeât  à  propos  d'en  écrire  l'histoire,  il  faudrait  s'em- 
presser de  signaler  Héron  comme  leur  premier  inventeur. 
Quant  à  moi,  j'aurais  pu  me  dispenser  d'en  parler, 
puisque  je  ne  dois  m' occuper  actuellement  que  des  ma- 
chines connues,  que  des  machines  employées  dans  les 
usines,  et  que  celles-ci  n'ont  aucune  ressemblance  avec 
la  sphère  tournante  du  savant  d'Alexandrie.  Peut-être 
même  eût- il  été  convenable  de  citer  ici  de  préférence  les 
auteurs  qui,  tels  qu'Aristote  et  Sénèque,  attribuent  les 
tremblements  de  terre  à  la  transformation  subite  de  l'eau 
en  vapeur.  Cette  transformation,  suivant  eux,  s'opère 
dans  les  entrailles  du  globe  par  la  chaleur  souterraine  ;  or, 
les  grands  effets  qu'ils  veulent  expliquer  montrent  bien 
de  quelle  énorme  puissance  mécanique  la  vapeur  leur 
semblait  douée.  J'espère,  en  tous  cas,  qu'on  me  pardon- 
nera ce  paragraphe,  quand  on  verra  qu'il  donne  une  solu- 
tion naturelle  de  la  question  importante  qu'a  fait  naître 
naguère  la  pièce  dont  je  vais  maintenant  m'occuper. 


40  MACHINES  A  VAPEUR. 


§2. 

15&3.  Blasco  de  Garay. 

M.  de  Navarrete  a  publié  en  1826,  dans  la  Correspon- 
dance astronomique  de  M.  le  baron  de  Zach,  la  Note 
ci-après,  qui  lui  avait  été  communiquée  par  M.  Thomas 
Gonzalez,  directeur  des  archives  royales  de  Simancas. 

c  Blasco  de  Garay,  capitaine  de  mer,  proposa ,  Pan 
15ilt3,  à  l'empereur  et  roi  Charles- Quint,  une  machine 
pour  faire  aller  les  bâtiments  et  les  grandes  embarcations, 
même  en  temps  de  calme,  sans  rames  et  sans  voiles. 

«  Malgré  les  obstacles  et  les  contrariétés  que  ce  projet 
essuya,  Tempereur  ordonna  que  Ton  en  fît  l'expérience 
dans  le  port  de  Barcelone,  ce  qui  effectivement  eut  lieu 
le  jour  17  du  mois  de  juin  de  ladite  année  15/i3. 

a  Garay  ne  voulut  pas  faire  connaître  entièrement  sa 
découverte.  Cependant  on  vit,  au  moment  de  l'épreuve, 
qu'elle  consistait  dans  une  grande  chaudière  d'eau  bouil- 
lante et  dans  des  roues  de  mouvement  attachées  à  l'un  et 
à  l'autre  bord  du  bâtiment. 

t  On  fit  l'expérience  sur  un  navire  de  200  tonneaux , 
appelé  la  Trinité,  arrivé  de  Colibre  pour  décharger  du 
blé  à  Barcelone ,  capitaine  Pierre  de  Scarza. 

a  Par  ordre  de  Charles- Quint,  assistèrent  à  cette  expé- 
rience don  Henri  de  Tolède,  le  gouverneur  don  Pierre 
de  Cardona,  le  trésorier  Ravage,  le  vice -chancelier  et 
l'intendant  de  la  Catalogne... 

t  Dans  les  rapports  que  l'on  fit  à  l'empereur  et  au 
prince ,  tous  approuvèrent  généralement  cette  ingénieuse 


MACHINES  A  VAPEUR.  41 

invention ,  particulièrement  à  cause  de  la  promptitude  et 
de  la  facilité  avec  laquelle  on  faisait  virer  de  bord  le 
navire. 

«  Le  trésorier  Ravage,  ennemi  du  projet,  dit  qu'il  irait 
deux  lieues  en  trois  heures,  que  la  machine  était  trop 
compliquée  et  trop  coûteuse,  et  que  l'on  serait  exposé  au 
péril  que  la  chaudière  éclatât.  Les  autres  commissaires 
assurèrent  que  le  navire  virait  de  bord  avec  autant  de 
vitesse  qu'une  galère  manœuvrée  suivant  la  méthode  ordi- 
naire, et  faisait  une  lieue  par  heure,  pour  le  moins. 

«  Lorsque  l'essai  fut  fait,  Garay  emporta  toute  la  ma- 
chine dont  il  avait  armé  le  navire  ;  il  ne  déposa  que  les 
bois  dans  les  arsenaux  de  Barcelone,  et  garda  tout  le 
reste  pour  lui. 

«  Malgré  les  oppositions  et  les  contradictions  faites  par 
Ravago,  l'invention  de  Garay  fut  approuvée,  et  si  l'expé- 
dition dans  laquelle  Charles-Quint  était  alors  engagé  n'y 
eût  mis  obstacle,  il  l'aurait  sans  doute  favorisée. 

«  Avec  tout  cela,  l'empereur  avança  l'auteur  d'un  grade, 
lui  fit  un  cadeau  de  200,000  maravédis,  ordonna  à  la 
Trésorerie  de  lui  payer  tous  les  frais  et  dépenses ,  et  lui 
accorda  en  outre  plusieurs  autres  grâces. 

«  Cela  résulte  des  documents  et  des  registres  originaux 
que  l'on  garde  dans  les  archives  royales  de  Simancas, 
parmi  les  papiers  de  l'état  du  conunerce  de  Catalogne  et 
ceux  des  secrétariats  de  guerre,  de  terre  et  de  mer  dudit 
an  1543. 

cTuOMAS  GOZALEZ. 

«  Simancas,  27  août  1825.  n 

Suivant  M.  de  Navarrete,  il  résulte  de  la  Note  qu'on 


42  MACHINES  A  VAPEUR. 

vient  de  lire,  «  que  les  vaisseaux  à  vapeur  sont  une  inven- 
tion espagnole ,  et  que  de  nos  jours  on  Fa  seulement  fait 
revivre.  »  De  là  découlerait  aussi  la  conséquence  que 
Blasco  de  Garay  doit  être  considéré  comme  le  véritable 
inventeur  des  machines  à  feu  ! 

Ces  prétentions  me  paraissent  de  nature  à  être  repous- 
sées Tune  et  l'autre.  En  thèse  générale,  l'histoire  des 
sciences  doit  se  faire  exclusivement  sur  des  pièces  impri- 
mées. Des  documents  manuscrits  ne  sauraient  avoir  aucune 
valeur  pour  le  public,  car  le  plus  souvent  il  est  dépourvu 
de  tout  moyen  de  constater  l'exactitude  de  la  date  qu'on 
leur  assigne.  Des  extraits  de  manuscrits  sont  moins  admis- 
sibles encore.  Quelquefois  Tauteur  d'une  analyse  n'a  pas 
bien  compris  l'ouvrage  dont  il  veut  rendre  compte ,  et  il 
substitue ,  même  sans  le  vouloir,  les  idées  de  son  temps , 
ses  propres  idées,  aux  idées  de  l'écrivain  qu'il  abrège. 
J'accorderai,  toutefois,  qu'aucune  de  ces  difficultés  n'est 
applicable  dans  la  circonstance  actuelle ,  que  le  document 
cité  par  M.  de  Navarrete  est  bien  de  1543,  et  que  l'extrait 
de  M,  Gonzalez  est  fidèle;  mais  qu'en  résultera -t-il? 
qu'on  a  essayé,  en  1543,  de  faire  marcher  les  bateaux 
avec  un  certain  mécanisme,  et  rien  de  plus.  La  machine 
dit-on,  renfermait  une  chaudière ,  donc  c'était  une  ma- 
chine à  vapeur.  Ce  raisonnement  n'est  point  concluant. 
11  existe,  en  effet,  dans  divers  ouvrages,  des  projets  de 
machines  où  l'on  voit  du  feu  sous  une  chaudière  remplie 
d'eau,  sans  que  la  vapeur  y  joue  aucun  rôle  :  telle  est, 
par  exemple,  la  machine  d' Amenions.  Enfin,  lors  môme 
qu'on  admettrait  que  la  vapeur  engendrait  le  mouvement 
dans  la  machine  de  Garay,  il  ne  s'ensuivrait  pas  néces- 


MACHINES  A  VAPEUR.  43 

saîrement  que  cette  machine  était  nouvelle  et  qu'elle  avait 
quelque  ressemblance  avec  celle  d'aujourd'hui,  car  Héron, 
comme  on  Ta  déjà  vu,  décrivait,  1600  ans  auparavant, 
le  moyen  de  produire  un  mouvement  de  rotation  par  l'ac- 
tion de  la  vapeur.  J'ajouterai  même  que  si  rexpériencc 
de  Garay  a  été  faite ,  que  si  sa  machine  était  à  vapeur, 
tout  doit  porter  à  croire  qu'il  employait  l'éolipyle  d'Héron. 
Cet  appareil,  en  effet,  n'est  pas  d'une  exécution  très- 
dilTicile ,  tandis  que  (on  peut  l'assurer  hardiment)  la  plus 
simple  des  machines  à  vapeur  d'aujourd'hui,  exige  dans 
sa  construction  une  précision  de  main-d'œuvre  fort  supé- 
rieure à  tout  ce  qu'on  aurait  pu  obtenir  au  xvr  siècle. 
Au  reste ,  Garay  n'ayant  voulu  montrer  sa  machine  à 
personne,  pas  même  aux  commissaires  que  l'empereur 
Charles- Quint  avait  nommés,  toutes  les  tentatives  qu'on 
pourrait  faire ,  après  trois  siècles ,  pour  établir  en  quoi 
elle  consistait,  n'amèneraient  évidemment  aucun  résultat 
certain. 

En  résumé ,  le  nouveau  document  exhumé  par  M.  de 
Navarrete  doit  être  écarté,  1*  parce  qu'il  n'a  été  imprimé 
ni  en  1543  ni  plus  tard;  2*  parce  qu'il  ne  prouve  pas  que 
le  moteur  de  la  barque  de  Barcelone  était  une  véritable 
machine  à  vapeur  ;  S*  parce  qu'enfin  si  une  machine  à 
vapeur  de  Garay  a  jamais  existé  c'était,  suivant  toute 
apparence,  l'éolipyle  à  réaction  décrite  dans  les  Œuvres 
d'Héron  d'Alexandrie. 


44  MACHINES  A  VAPEUR, 


§3. 

1615.     Salomon  de  Caus  *. 

Salomon  de  Caus  est  l'auteur  d'un  ouvrage  intitulé  : 
Les  Raisons  des  forces  mouvantes,  avec  diverses  machines 
tant  utiles  que  plaisantes,  etc.  Cet  ouvrage  parut  à  Franc- 
fort en  1615.  On  y  trouve,  entre  autres  choses  ingénieuses 
que  plusieurs  mécaniciens  ont  présentées  de  nos  jours 
comme  nouvelles,  un  théorème  ainsi  conçu,  sous  le  n**  5  : 
Veau  montera  par  aide  du  feu  plus  haut  que  san  niveau. 
Voici  en  quels  termes  Caus  justifie  cet  énoncé  : 

L  Par  une  bizarrerie  bien  digne  de  remarque,  un  homme  que  la 
postérité  regardera  peut-être  comme  le  premier  inveuteur  de  la 
machine  à  feu ,  n'est  cité  dans  Thistoire  des  mathématiques  de  Mon- 
tucla  qu'à  Toccasion  de  son  Traité  de  perspective^  et  encore  la 
citation  n'est-elle  que  de  cinq  mots.  A  peine  a-t-11  aussi  obtenu  les 
honneurs  d'un  article  de  quelques  lignes  dans  les  volumineux  dic- 
tionnaires biographiques  publiés  de  nos  jours.  La  Biographie  uni- 
ver  selle  le  fait  naître  et  mourir  en  Normandie.  Elle  dit  qu'il  habita 
quelque  temps  l'Angleterre,  où  il  fut  attaché  au  prince  de  Galles. 
Dans  les  Raisons  des  Forces  mouvantes^  Salomon  de  Caus  prend  lui- 
même  le  titre  d'ingénieur  et  d'architecte  de  Son  Altesse  palatine 
électorale.  Cet  ouvrage  fut  composé,  je  crois,  à  Ueidelberg  ;  il  a  été 
imprimé  à  Francfort  ;  ces  trois  circonstances  ont  fait  supposer  à 
quelques  personnes  que  Caus  était  Allemand.  Mais  remarquons 
d'abord  combien  il  serait  peu  probable  qu'un  AUemand  eût  écrit  en 
français  dans  son  propre  pays.  Ajoutons  que  dans  la  dédicace  au 
roi  très-chrétien  (Louis  XIII),  la  formule  suivante  précède  la  signa- 
ture :  de  Votre  Majesté,  le  très-obéissant  subject;  qu'enfin  on  lit 
dans  le  privilège,  et  ceci  tranche  tous  les  doutes  :  «  Nostre  bien 
aimé  Salomon  de  Caus,  maistre  ingénieur,  estant  de  présent  au 
service  de  nostre  cher  et  bien  aimé  cousin  le  prince  Électeur  Pala- 
tin, nous  a  fait  dire,  etc ,  désirant  gratifier  ledict  de  Caus, 

comme  estant  nostre  subject,  etc.  »  Ainsi  Salomon  de  Caus  était 
Français, 


MACHINES  A  VAPEUR. 


45 


€  Le  troisième  moyen  de  faire  monter  l'eau  est  par 
l'aide  du  feu,  dont  il  se  peut  faire  diverses  machines. 
J'en  donnerai  ici  la  démonstration  d'une. 

c  Soit  (Qg.  â)  une  balle  de  cuivre  marquée  A,  bien 


F!g.  3.  <—  EiplicAtion  de  Tascension  de  l*eau  dans  la  machino 

de  SalomoD  de  Gaos. 


soudée  tout  à  Tentour,  à  laquelle  il  y  aura  un  soupirail 
marqué  D  par  où  l'on  mettra  l'eau,  et  aussi  un  tuyau 
marqué  BC  qui  sera  soudé  en  haut  de  la  balle  ;  et  le  bout 
C  approchera  près  du  fond ,  sans  y  toucher  ;  après  faut 
emplir  ladite  balle  d'eau  par  le  soupirail ,  puis  le  bien 
reboucher  et  la  mettre  sur  le  feu  ;  alors  la  chaleur  don- 
nant contre  ladite  balle ,  fera  monter  toute  l'eau  par  le 
tuyau  BC.  » 

L'appareil  dont  je  viens  de  transcrire  la  description  est 
une  véritable  machine  à  vapeur  propre  à  opérer  des  épui- 
sements. Mais  peut-être  supposerait- on,  si  je  me  bornais 
au  passage  précédent ,  que  Salomon  de  Caus  ignorait  la 
cause  de  l'ascension  du  liquide  par  le  tuyau  BC,  Cette 


46  MACHINES  A  VAPEUR. 

cause  lui  était  parfaitement  connue,  et  j'en  trouve  la 
preuve  dans  son  théorème  1*%  p.  2  et  3,  où,  à  l'occasion 
d'une  expérience  toute  semblable,  il  dit  que  «  la  violence 
de  la  vapeur  (produite  par  l'action  du  feu)  qui  cause  l'eau 
de  monter,  est  provenue  de  ladite  eau,  laquelle  vapeur 
sortira  après  que  l'eau  sera  sortie  par  le  robinet  avec 
grande  violence.  » 

§*• 

1629.     Branca, 

Branca  est  l'auteur  d'une  compilation  intitulée  :  Le 
macchine  del  sig.  G.  Branca;  Roma  1629.  Cet  ouvrage 
renferme  la  description  de  toutes  les  machines  dont  l'au- 
teur avait  eu  connaissance.  Dans  ce  nombre,  on  remarque 
un  éolipyle  placé  sur  un  brasier,  et  disposé  de  manière 
que  le  courant  de  vapeur,  sortant  par  un  tuyau,  allait 
frapper  les  ailes  ou  les  augets  d'une  petite  roue  horizon- 
tale et  la  faisait  tourner.  Le  vent  de  la  tuyère  d'un  souf- 
flet ordinaire  aurait  évidemment  produit  le  même  effet. 

Je  n'ai  pas  encore  deviné  d'après  quelles  analogies  on 
a  pu  voir  dans  cet  éolipyle  le  premier  germe  des  ma- 
chines à  vapeur  employées  de  nos  jours.  En  tout  cas,  et 
je  me  bornerai  à  cette  remarque,  le  recueil  de  Branca  est 
postérieur,  de  beaucoup ,  aux  deux  premières  éditions  do 
l'ouvrage  de  Salomon  de  Caus. 


MACHINES  A  VAPEUR.  f7 


§  5. 

1663.    Le  uarquis  de  Worcester  *. 

The  Scantling  ofone  kundred  Inventions  ^  par  le  mar- 
quis de  Worcester,  parut  en  1663  pendant  le  règne  de 
Charles  IL  Ce  livre  est  plus  généralement  connu  sous  le 
titre  de  Ceniury  àf  Inventions.  L'appareil  que  les  auteurs 
anglais  regardent  comme  la  première  machine  à  feu,  est 
décrit  dans  ces  termes  (c'est  la  68*  invention)  : 

«  J'ai  inventé  un  moyen  admirable  et  très-puissant 
d'élever  l'eau  à  l'aide  du  feu,  non  par  aspiration,  car 
alors  on  serait  renfermé ,  comme  disent  les  philosophes , 
inlra  sphœram  activitatis^  l'aspiration  ne  s'opérant  que 
pour  certaines  distances;  mais  mon  moyen  n'a  pas  de 
limite,  si  le  vase  a  une  force  sufDsante.  Je  pris  en  effet  un 
canon  entier  dont  la  bouche  avait  éclaté,  et  l'ayant  rem- 

i.  Edward  Somerset,  marquis  de  Worcester,  que  les  Anglais  re- 
gardent comme  le  véritable  inventeur  de  la  machine  à  feu ,  vivait 
sous  le  r^gne  des  derniers  Stuarts.  Jeté  dans  toutes  les  intrigues  de 
cette  époque,  H  éprouva  bien  des  traverses.  Worcester  perdit  d'abord 
son  immense  fortune;  il  ne  passa  en  Irlande  que  pour  y  être  em- 
prisonné ;  il  s^évada,  atteignit  la  France,  retourna  à  Londres  par  les 
ordres  de  Charles  II,  fut  découvert  et  enfermé  dans  la  Tour,  d'oi\ 
il  ne  sortit  qu'à  la  restauration.  La  tradition  rapporte  que  les  idées 
•le  Worcester  sur  l'emploi  qu'il  serait  possible  de  faire  de  la  force 
dont  la  vapeur  aqueuse  est  douée,  furent  éveillées  pendant  sa  der- 
nière détention,  par  le  souh^vemcnt  subit  du  couvercle  de  la  mar- 
mite dans  laquelle  ses  aliments  cuisaient.  Si  l'anecdote  était  vraie, 
elle  ferait  beaucoup  d'honneur  à  l'esprit  inventif  du  prisonnier, 
mais  elle  montrerait  en  même  temps  son  peu  d'érudition  ;  car  il 
faudrait  admettre  qu'il  ne  connaissait  pas  l'ouvrage  de  Salomon  de 
Caus  ;  or,  on  sait  qu'une  seconde  édition  de  ce  livre  avait  paru  en 
France  pendant  que  Worcester  y  résidait, 

V.— II.  2 


48  MACHINES  A  TAPEUR. 

pli  d'eau  aux  trois  quarts,  je  fermai  par  des  vis  l'extré- 
mité rompue  et  la  lumière  ;  j'entretins  ensuite  dessous  un 
feu  constant,  et  au  bout  de  vingt-quatre  heures  le  canon 
se  brisa  en  faisant  un  grand  bruit.  Ayant  alors  trouvé  le 
moyen  de  former  des  vases  de  telles  manières  qu'ils  sont 
consolidés  par  la  force  intérieure  *,  et  qui  se  remplissent 
l'un  après  l'autre,  j'ai  vu  l'eau  couler  d'une  manière  conti- 
nue comme  celle  d'une  fontaine,  à  la  hauteur  de  quarante 
pieds.  Un  vase  d'eau  raréfiée  par  l'action  du  feu,  élevait 
quarante  vases  d'eau  froide.  L'ouvrier  qui  surveille  la 
manœuvre  n'a  que  deux  robinets  à  ouvrir,  de  telle  sorte 
qu'au  moment  où  l'un  des  deux  vases  est  épuisé,  il  se 
remplit  d'eau  froide  pendant  que  l'autre  commence  à 
agir,  et  ainsi  successivement.  Le  feu  est  entretenu  dans 
un  degré  constant  d'activité  par  les  soins  du  même  ou- 
vrier; il  a  pour  cela  tout  le  temps  nécessaire  durant 

1.  Ce  passage  a  été  traduit  presque  toujours  d'une  autre  manière  : 
«  Ayant  découvert,  fait-on  dire  à  Worcester,  le  moyen  de  fortifier 
les  vaisseaux  intérieurement,  etc.,  etc.  »  La  plirase,  je  dois  l'avouer, 
est  beaucoup  plus  raisonnable  que  celle  de  ma  version ,  mais  c'est 
presque  un  argument  contre  sa  fidélité,  tant  en  général  les  projets 
de  W^orcester  sont  chimériques  et  extravagants.  Au  reste,  voici  le 
texte  original  :  «  Having  a  way  to  make  my  vessels  so  that  they  are 
strengthened  hy  the  force  within  them,  etc.,  etc.  »  Il  m'a  semblé 
que  force  within  them  ne  peut  pas  désigner  des  moyens  de  conso- 
lidation intérieurs.  Si  j'ai  bien  compris  ces  paroles,  Worcester,  pour 
répondre  à  une  objection  qu'il  prévoyait,  a  jugé  convenable  d'as- 
surer que  ses  nouveUes  chaudières  n'éclateraient  jamais;  et  en  effet, 
il  aurait  atteint  ce  but  si ,  comme  U  le  dit,  elles  devenaient  d'autant 
plus  fortes  que  la  vapeur  les  presserait  avec  plus  d'intensité  de 
dedans  en  dehors.  Cette  circonstance  donnera  un  nouveau  poids  à 
l'opinion  de  ceux  qui  pensent  que  Worcester  n'a  jamais  fait  l'essai 
de  sa  machine,  mais  je  m'empresse  de  faire  remarquer  que  tout  cela 
est  sans  importance  quant  à  la  question  de  priorité  qu'il  faut  dis- 
cuter ici. 


MACHINES  A  VAPEUR.  19 

les  intervalles  que  lui  laisse  la  manœuvre  des  robinets.  » 

Le  lecteur  connaît  maintenant  tout  ce  que  le  marquis 
de  Worcester  a  jamais  écrit  sur  la  machine  à  feu.  C'est 
Tunique  titre  sur  lequel  se  fonde  M.  Partington,  de  T  In- 
stitution de  Londres,  dans  sa  nouvelle  édition  (1825)  de 
la  Century  of  Inventions,  pour  décider  avec  tous  ses  com- 
patriotes que  t  Worcester  est  le  premier  homme  qui  ait 
découvert  un  moyen  d'appliquer  la  vapeur  comme  agent 
mécanique;  invention  qui  seule,  ajoute -t- il,  suffirait 
pour  immortaliser  Tâge  dans  lequel  cet  homme  vivait.  » 

Examinons  à  notre  tour  ce  paragraphe  tant  de  fois  cité, 
et  voyons,  sans  partialité,  ce  qu'au  fond  on  y  trouve. 

J'y  vois  d'abord  une  expérience  propre  à  montrer  que 
l'eau  réduite  en  vapeur  peut ,  à  la  longue ,  rompre  les 
parois  des  vases  qui  la  renferment.  Cette  expérience  était 
déjà  connue  en  1605,  car  Flurence  Rivault  dit  expressé- 
ment que  les  éolipyles  crèvent  avec  fracas  quand  on  em- 
pêche la  vapeur  de  s'échapper.  Il  ajoute  même  :  «  L'effet 
de  la  raréfaction  de  l'eau  a  de  quoi  épouvanter  les  plus 
assurés  des  hommes^.  »  {Éléments  cT artillerie ,  p.  128. 
Paris,  1605.) 

J'y  vois  encore  l'idée  d'élever  de  l'eau  à  l'aide  de  la 
force  élastique  de  la  vapeur.   Cette  idée  appartient  à 


L  J^empruDte  cette  citation  à  Tun  des  curieux  articles  histori- 
ques, si  riches  d'érudition,  que  M.  de  Montgéry  a  publiés  sur  les 
machines  dans  lesquelles  le  feu  est  employé  d'une  manière  quel- 
conque, et  je  la  substitue  au  passage  suivant  de  Salomon  de  Caus 
que  j'avais  d'abord  inséré  dans  le  texte.  Ce  passage  n'a  paru  que  dix 
ans  plus  tard,  c'est-à-dire  en  1615,  mais  près  de  cinquante  ans  toute- 
fois avant  la  Century  of  inventions  :  «  La  violence  sera  grande 
quand  l'eau  s'exhale  en  ah*  par  le  moyen  du  feu  et  que  ledit  air  est 


20  MACHINES  A  VAPEUR. 

Salomon  de  Caus,  qui  l'avait  publiée  quarante-huit  ans 
avant  l'auteur  anglais. 

J'y  trouve  enfin  la  description  d'un  appareil  propre  à 
opérer  cet  effet  ;  mais  qui  n'a  pas  reconnu  que  la  boule 
métallique  de  Salomon  de  Caus  élèverait  aussi  de  l'eau  à 
une  hauteur  quelconque ,  si  l'on  supposait  ses  parois  suf- 
fisamment fortes  et  la  chaleur  assez  intense  ?  Peut-être 
dira-t-on  que  la  machine  du  marquis  de  Worcester  est 
préférable?  Je  pouri'ais  l'accorder  sans  que  cela  tirât  à 
conséquence,  car  il  n'est  pas  question ,  dans  ce  moment, 
de  rechercher  quel  ingénieur  a  imaginé  la  meilleure  ma- 
chine à  feu,  mais  seulement  qui  a  pensé  le  premier  à  tirer 
parti  de  la  force  élastique  de  la  vapeur  pour  soulever  un 
poids  ou  pour  produire  du  mouvement.  Au  reste,  avant  de 
comparer  le  projet  du  marquis  de  Worcester  à  tout  autre 
projet,  il  faudrait  savoir  bien  exactement  en  quoi  le  pre- 
mier consistait.  Ce  problème  n'a  pas  encore  été  résolu , 
par  la  raison  toute  simple  que  la  description  de  la  soixante- 
huitième  invention  du  lord  anglais  manque  totalement  de 
clarté.  Personne,  aujourd'hui ,  ne  serait  embarrassé  s'il 
fallait  construire  une  machine  d'épuisement  dans  laquelle 
l'eau  serait  soulevée  par  l'action  de  la  vapeur  ;  mais  quand 
il  est  question  de  reproduire  celle  du  marquis  de  Wor- 


enclos  ;  comme  par  exemple ,  soit  une  balle  de  cuivre  d'un  pied  ou 
deux  en  diamètre  et  épaisse  d'un  pouce ,  laquelle  sera  remplie  d'eau 
par  un  petit  trou ,  lequel  sera  bouché  bien  fort  avec  un  clou ,  en 
sorte  que  Teau  n'en  puisse  sortir;  il  est  certain  que  si  l'on  met 
ladite  balle  sur  un  grand  feu,  en  sorte  qu'elle  devienne  fort  chaude, 
qu'il  se  fera  une  compression  si  violente  que  la  balle  crèvera  en 
pièces,  avec  bruit  semblable  à  un  pétard,  n  {Les  Raisons  des  Forces 
mouvantes^  livre  premier,  feuillet  premier,  verso.) 


MACHINES  A  VAPEUR.  21 

cester,  on  doit  s'astreindre  à  faire  ce  que  dit  Fauteur,  et 
pas  davantage. 

En  s'imposant  ces  deux  conditions ,  M.  Stuart  a  trouvé 
qu'on  approcherait,  autant  que  possible,  de  la  description 
de  son  compatriote,  si  Ton  groupait  deux  appareils  de 
Salomon  de  Causde  manière  à  produire  par  leur  jeu  alter- 
natif un  écoulement  continu.  Les  autres  solutions  qu'on 
a  données  jusqu'ici  de  la  même  question,  celle  de  Mil- 
lington ,  par  exemple ,  sont  évidemment  inadmissibles. 

Lorsque  MM.  Thomas  Young,  Robison,  Partington, 
Tredgold,  Millington ,  Nîcholson,  Lardner,  etc. ,  présen- 
taient le  marquis  de  Worcester  comme  l'inventeur  de  la 
machine  à  feu ,  l'ouvrage  de  Salomon  de  Caus  leur  était 
sans  doute  inconnu.  Puisqu'il  demeure  maintenant  établi, 
sans  réplique,  que  la  première  idée  de  soulever  des  poids 
à  l'aide  de  la  force  élastique  de  la  vapeur  appartient  à 
l'auteur  français  ;  que  si  même  la  machine  de  son  compé- 
titeur a  jamais  existé,  elle  était,  suivant  toute  apparence, 
l'appareil  décrit  près  d'un  demi -siècle  auparavant  dans 
l'ouvrage  intitulé  Raisons  des  forces  mouvantes^  il  faut 
supposer  qu'on  ne  manquera  pas  à  l'avenir  d'inscrire  le 
nom  modeste  de  Salomon  de  Caus  partout  où  jusqu'ici 
avait  figuré  en  première  ligne  celui  du  marquis  de  Wor- 
cester. 


22  MACHINES  A  VAPEUR. 

§6. 

1683.    Sir  Samuel  Morcland  K 

Si  je  ne  voulais  parler  dans  cette  Notice  que  des  per- 
sonnes dont  les  travaux  ont  réellement  contribué,  soit  b 
créer,  soit  à  améliorer  les  machines  à  vapeur,  le  nom  du 
chevalier  Moreland  n'y  figurerait  pas;  mais  ce  nom  étant 
cité  en  Angleterre  par  la  presque  totalité  des  auteurs  qui 
se  sont  occupés  des  machines  à  feu ,  je  n'ai  pas  pu  me 
dispenser  d'en  faire  moi-même  mention,  ne  fût-ce  qu'afin 
de  justifier  l'opinion  que  je  viens  d'émettre. 

Il  y  a  au  Musée  britannique  un  très-beau  manuscrit  du 
chevalier  Moreland,  intitulé  :  Élévation  des  eaux  par 
toutes  sortes  de  machines  j  réduites  à  la  mesure^  au  poids 
et  à  la  balance j  présenté  à  Sa  Majesté  Très- Chrétienne 
par  le  chevalier  Moreland,  gentilhoumie  ordinaire  de  la 
chambre  privée  et  maître  des  mécaniques  du  roi  de  la 
Grande-Bretagne  2,  Dans  ce  manuscrit  de  38  pages, 

1.  Sir  Samuel  Moreland  prit,  comme  Worcester,  une  part  active 
aux  événements  de  la  guerre  civile.  Gromwell  remploya  daas  plu- 
sieurs missions  diplomatiques.  Ses  compatriotes  assurent  jijuMl  fut 
simultanément  secrétaire  de  Thurloê  et  espion  en  titre  du  roi.  A  la 
restauration,  Charles  II  le  nomma  baronnet  Moreland  s'était  occupé 
de  diverses  questions  d'acoustique,  entre  autres  de  la  meilleure 
forme  à  donner  aux  porte-voix.  Il  mourut  à  Hammersmith  dans  le 
mois  de  janvier  1696,  après  avoir  eu  l'idée  bizarre  de  faire  enterrer 
à  la  profondeur  de  six  pieds,  en  signe  de  repentir  pour  sa  vie  passée, 
une  grande  collection  d'ouvrages  de  musique  qu'il  possédait 

2.  Il  existe  un  ouvrage  de  Moreland,  imprimé  à  Paris  en  1685» 
et  qui  a  presque  exactement  le  même  titre  que  le  manuscrit  du 
British  muséum.  Le  chapitre  relatif  à  la  vapeur  ne  s'y  trouve  pas. 
L'auteur  seulement,  en  énumérant  dans  sa  préface  toutes  les  espèces 


MACHINES  A  VAPEUR.  23 

rartlcle  relatif  à  la  machine  à  vapeur  occupe  /i  pages  seu- 
lement ,  et  se  trouve  distingué  du  reste  par  un  titre  par- 
ticulier. Voici  le  paragraphe  sur  lequel  on  se  fonde  en 
Angleterre  pour  attribuer  à  Moreland  une  certaine  part 
dans  la  création  du  Sleam  Engine. 

«  L'eau  étant  évaporée  par  la  force  du  feu,  ses  vapeurs 
demandent  incontinent  un  plus  grand  espace  (environ 
2,000  fois)  que  Teau  n'occupait  auparavant,  et  plutôt 
que  d'être  toujours  emprisonnées,  feraient  crever  une 
pièce  de  canon.  Mais  étant  bien  gouvernées  selon  les 
règles  de  la  statique,  et  par  science  réduites  à  la  mesure, 
au  poids  et  à  la  balance,  alors  elles  portent  paisiblement 
leurs  fardeaux  (comme  de  bons  chevaux)  ;  et  ainsi  se- 
raient-elles d'un  grand  usage  au  genre  humain ,  particu- 
lièrement pour  l'élévation  des  eaux,  selon  la  table  suivante 
qui  marque  le  nombre  de  livres  qui  pourront  être  levées 
1800  fois  par  heure,  à  6  pouces  de  levée,  par  des  cylin- 
dres à  moitié  remplis  d'eau,  aussi  bien  que  les  divers 
diamètres  et  profondeurs  desdits  cylindres.  » 

Si  l'ouvrage  de  Moreland  avait  précédé  ceux  de  Salo- 
mon  de  Gaus  ou  de  Worcester,  le  passage  qu'on  vient  de 
Kre  serait  un  titre  réel.  En  1683,  c'est-à-dire  soixante-huit 
ans  après  la  publication  des  Raisons  des  Farces  mouvantes ^ 
et  vingt  ans  après  la  date  de  la  patente  de  Worcester,  le 
projet  de  Moreland  ne  pouvait  plus  être  considéré  que 
comme  un  plagiat.  Disons  toutefois,  à  l'honneur  de  ce 

de  moteurs  que  le  mécanicien  met  en  jeu ,  cite  la  force  de  la  poudre 
et  celle  de  la  vapeur  d'eau,  sans  faire  à  ce  sujet  aucune  remarque 
d'où  Ton  puisse  induire  s'il  se  donne  pour  inventeur  ou  s'il  parle 
d'une  chose  déjà  proposée  par  d'autres. 


24  MACHINES  A  VAPEUR. 

mécanicien,  que  les  nombres  qu'il  donne  pour  exprimer 
les  volumes  relatifs  de  l'eau  et  d'un  poids  égal  de  vapeur, 
sont  moins  éloignés  de  la  vérité  qu'on  n'aurait  dû  l'at- 
tendre d'expériences  faites  en  1682. 


§7- 

1690  et  1695.     Denis  Papin  *• 

Concevons  un  large  cylindre  vertical  ABCD  (fig.  4), 


Fig.  4.  —  Explication  de  VéléTiUon  da  pivtoa  dans  la  macUine  de  Papin. 

entièrement  ouvert  à  la  partie  supérieure,  et  reposant  sur 
une  base  métallique  armée  d'une  soupape  S  susceptible  de 
s'ouvrir  de  bas  en  haut  à  volonté.  Plaçons  dans  le  milieu 


i.  Denis  Papin  est  né  à  Blois.  U  s'adonna  dans  sa  jeunesse  à  la 
n)édecine  et  prit  ses  grades  à  Paris  ;  ensuite  il  passa  en  Angleterre 
où  Boyle,  qui  l'avait  associé  à  quelques-unes  de  ses  expériences ,  le 
fit  nommer  membre  de  la  Société  royale  en  1681.  Forcé  de  s'expa- 
trier par  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  Papin  se  réfugia  en  Alle- 
magne auprès  du  landgrave  de  liesse,  et  remplit  avec  distinction, 
pendant  plusieurs  années,  les  fonctions  de  professeur  de  mathéma- 
tiques à  rcniversité  de  Marbourg;  il  mourut  en  1710.  On  peut 


MACHINES  A  VAPEUR.  25 

de  ce  cylindre  un  piston  mobile  P  qui  en  ferme  bien  exac- 
tement Touverture.  L'atmosphère  pèsera  de  tout  son  poids 
sur  la  face  supérieure  de  ce  piston  ;  elle  le  poussera  de 
haut  en  bas.  Si  la  soupape  S  est  ouverte,  la  portion  d'at- 
mosphère dont  la  capacité  DCEF  se  remplira,  tendra  au 
contraire  par  sa  réaction,  à  faire  remonter  le  piston.  Cette 
seconde  force  sera  égale  à  la  première,  parce  que,  dans 
un  gaz  comme  dans  un  fluide,  la  pression  en  chaque  point 
est  la  même  dans  tous  les  sens.  Le  piston ,  sollicité  ainsi 
par  deux  forces  opposées  qui  se  font  équilibre,  descendra 
toutefois,  mais  seulement  en  vertu  de  son  propre  poids.  Il 
suffira  donc  d'un  effort  un  tant  soit  peu  supérieur  à  ce 
même  poids,  pour  faire  monter  le  piston  jusqu'au  haut  du 
cylindre  et  pour  l'y  maintenir. 

Supposons  qu'en  effet  le  piston  soit  amené  ainsi  à  l'extré- 
mité supérieure  de  sa  course,  comme  la  figure  5  (  page  26  ) 
le  représente,  et  cherchons  à  le  faire  descendre  avec  force. 
Un  moyen  bien  efficace  consisterait  à  fermer  la  soupape  S, 
et  ensuite,  si  cela  était  possible,  à  anéantir  tout  à  coup  et 
complètement  dans  le  corps  de  pompe  la  portion  d'atmo- 
sphère qui  remplit  la  capacité  ABCD.  Alors  le  piston  ne 
recevrait  plus  d'action  que  de  l'atmosphère  extérieure 
dont  il  est  chargé.  Cette  action  s'exercerait  sur  sa  surface 


regarder  comme  une  singularité  que  l'Académie  des  Sciences  de 
Paris  n^ait  point  nommé  Papin  l'un  de  ses  associés,  quand  on  songe 
que  dès  1690  il  avait  publié  un  Mémoire  dans  lequel  se  trouve, 
comme  on  le  verra  tout  à  l'heure,  la  description  la  plus  méthodique 
et  la  plus  claire  de  la  machine  à  feu  connue  aujourd'hui  sous  le 
nom  de  machine  atmosphérique,  et  même  celle  des  bateaux  à 
vapeur.  L'homme  de  génie  est  toujours  méconnu  quand  il  devance 
trop  son  siècle,  dans  quelque  genre  que  ce  soit. 


26  MACHINES  A  VAPEUR. 

supérieure,  de  haut  en  bas,  et  aurait  pour  mesure  le  poids 
d'un  cylindre  d'eau  de  10  mètres  (32  pieds)  de  hauteur, 
et  dont  la  base  serait  égale  à  celle  du  corps  de  pompe , 
ou,  ce  qui  revient  au  même,  le  poids  d'un  cylindre  de 
mercure  d'une  base  pareille  et  de  76  centimètres  (28 
pouces  1  ligne)  de  hauteur  seulement  ;  car  tel  est  le 
poids  de  l'atmosphère.  Le  piston  descendrait  alors  néces- 
sairement ,  et  pourrait  même  entraîner  dans  sa  course  un 
poids  égal  à  celui  du  cylindre  d'eau  ou  de  mercure  dont 
je  viens  de  païler. 


Fig.  5.  —  Descente  du  pUton  anîTé  à  l'extrémité  de  sa  coiuse 
dans  la  machine  de  Fapin. 


En  suivant  toujours  la  même  hypothèse,  admettons  qu'à 
l'instant  où  le  mouvement  descendant  s'est  complètement 
opéré ,  on  ouvre  la  soupape  S.  L'atmosphère  viendra  agir 
par-dessous  et  contre-balancer  Taclion  de  l'atmosphère 
supérieure.  Il  suffira  dès  lors  d'un  petit  effort  pour  faire 
rétrograder  le  piston  jusqu'au  sommet  du  corps  de  pompe 
et  ramener  toutes  les  parties  de  l'appareil  à  leur  position 
initiale.  Un  second  anéantissement,  de  l'atmosphère  inté- 


MACHINES  A  VAPEUR.  27 

ricure  fera  descendre  de  nouveau  le  piston,  et  ainsi  de 
suite. 

En  résumé,  dans  cet  appareil,  il  suffit  d'une  petite  dé- 
pense de  force  pour  soulever  le  piston ,  tandis  que  son 
mouvement  descendant  peut  produire  les  plus  grands 
effets.  Si  une  corde  est  attachée  par  un  bout  au  centre  du 
piston  et  s'enroule  par  son  autre  extrémité  sur  la  gorge 
d'une  poulie,  on  poun*a,  à  chaque  mouvement  descen- 
dant, soulever  un  très-grand  poids  d'une  quantité  égale  à. 
la  hauteur  du  corps  de  pompe.  Avec  un  cylindre  de 
2  mètres  de  diamètre,  le  poids  soulevé  à  chaque  oscilla- 
tion descendante  du  piston,  serait  de  âlOOO  kilogrammes. 

L'idée  de  la  machine  dont  je  viens  de  parler  appartient 
à  Papin.  Elle  est  expliquée  fort  nettement  dans  les  Actes 
de  Leipzig  pour  l'année  1688,  p.  644,  et  ensuite  avec 
quelques  nouveaux  développements  dans  une  lettre  au 
comte  Guillaume  Maurice.  (Voyez  l'ouvrage  imprimé  à 
Cassel  en  1695,  et  intitulé  :  Recueil  de  diverses  pièces 
touchant  quelques  nouvelles  machines^  p.  â8  et  suiv.)  Il 
nous  reste  maintenant  à  faire  connaître  les  moyens  que 
Papin  avait  proposés  pour  anéantir,  aux  moments  conve- 
nables, la  couche  d'air  atmosphérique  qui,  placée  sous 
le  piston,  aurait  empêché  son  mouvement  descendant, 
ou,  ce  qui  revient  au  même,  il  nous  reste  à  dire  comment 
il  faisait  à  volonté  le  vide  dans  la  partie  inférieure  du 
corps  de  pompe. 

Ce  physicien  eut  quelque  temps  la  pensée  de  se  servir 
pour  cela  d'une  roue  hydraulique  qui  aurait  fait  mouvoir 
les  pistons  d'une  pompe  aspirante  ordinaire.  Lorsque  le 
cours  d'eau  chargé  de  mettre  cette  roue  en  mouvement 


28  MACHINES  A  VAPEUR. 

se  serait  trouvé  très-éloigné  de  la  machine ,  Papin  aurait 
lié  celle-ci  à  la  pompe  par  l'intermédiaire  d'un  tuyau 
métallique  continu ,  semblable  aux  tuyaux  des  usines  à 
gaz  de  nos  jours  :  t  c'était ,  disait-il ,  un  moyen  de  trans- 
porter fort  loin  la  force  des  rivières.  » 

Dans  cet  état,  en  1687,  la  machine  fut  présentée  à  la 
Société  royale  de  Londres,  où  elle  donna  lieu  à  des  diffi- 
cultés dont  Papin  fait  mention ,  sans  dire  cependant  en 
quoi  elles  consistaient,  {\oyez  Recueil,  p.  W.)  Aupara- 
vant il  avait  essayé  de  faire  le  vide  sous  le  piston  au 
moyen  de  la  poudre  ;  mais  t  nonobstant  toutes  les  précau- 
tions qu'on  y  a  observées ,  dit-il ,  il  est  toujours  demeuré 
dans  le  tuyau  environ  la  cinquième  partie  de  Tair  qu'il 
contient  d'ordinaire,  ce  qui  cause  deux  différents  incon- 
vénients :  l'un  est  que  l'on  perd  environ  la  moitié  de  la 
force  qu'on  devrait  avoir,  en  sorte  que  Ton  ne  pouvait 
élever  que  150  livres  à  un  pied  de  haut,  au  lieu  de  âOO 
livres  qu'on  aurait  dû  élever  si  le  tuyau  avait  été  parfai- 
tement vide  ;  l'autre  inconvénient  est  qu'à  mesure  que  le 
piston  descend,  la  force  qui  le  pousse  en  bas  diminue  de 
plus  en  plus,  etc.  {Recueil,  etc.,  p.  52.) 

«  J'ai  donc  tâché,  ajoute-t-il ,  d'en  venir  à  bout  d'une 
autre  manière;  et  comme  l'eau  a  la  propriété,  étant  par 
le  feu  changée  en  vapeurs,  de  faire  ressort  comme  l'air, 
et  ensuite  de  se  recondenser  si  bien  par  le  froid ,  qu'il  ne 
lui  reste  plus  aucune  apparence  de  cette  force  de  ressort, 
j'ai  cru  qu'il  ne  serait  pas  difficile  de  faire  des  machines 
dans  lesquelles,  par  le  moyen  d'une  chaleur  médiocre  et 
à  peu  de  frais,  l'eau  ferait  ce  vide  parfait  qu'on  a  inuti- 
lement cherché  par  le  moyen  de  la  poudre  à  canon.  » 


MACHINES  A  VAPEUR.  29 

Cet  important  paragraphe  se  trouve  à  la  page. 53  du 
Recueil  imprimé  à  Cassei  en  1695,  comme  extrait  des 
Actes  de  Leipzig  du  mois  d'août  1690.  Il  est  suivi  de  la 
description  du  petit  appareil  dont  Papin  se  servit  pour 
essayer  son  invention.  Le  corps  de  pompe  n'avait  que 
2  pouces  1/2  de  diamètre  et  ne  pesait  pas  5  onces.  A 
chaque  oscillation,  il  élevait  cependant  60  livres  d'une 
quantité  égale  à  celle  qui  mesurait  l'étendue  de  la  course 
descendante  du  piston.  La  vapeur  disparaissait  si  com- 
plètement quand  on  ôtait  le  feu,  que  le  piston  dont  cette 
vapeur  avait  amené  le  mouvement  ascensionnel ,  «  redes- 
cendait jusque  tout  au  fond ,  en  sorte  qu'on  ne  saurait 
soupçonner  qu'il  y  eût  aucun  air  pour  le  presser  du-des- 
sous  et  résister  à  sa  descente.  »  {Recueil^  p.  55.)  L'eau 
qui  fournissait  la  vapeur,  dans  ces  premiers  essais,  n'était 
pas  contenue  dans  une  chaudière  séparée  ;  elle  avait  été 
déposée  dans  le  corps  de  pompe  même,  sur  la  plaque 
métallique  qui  le  bouchait  par  le  bas.  C'était  cette  plaque 
que  Papin  échauffait  directement  pour  transformer  l'eau 
en  vapeur;  c'était  la  même  plaque  qu'il  refroidissait  en 
éloignant  le  feu,  quand  il  voulait  opérer  la  condensation. 
il  rapporte  qu'avec  un  feu  médiocre,  une  minute  lui  suf- 
fisait, dans  les  expériences  de  1690,  «pour  chasser  ainsi 
le  piston  jusqu'au  haut  de  son  tuyau.  »  {Recueil^  p.  55.) 
Mais  dans  des  essais  postérieurs,  «  il  vidait  les  tuyaux  en 
un  quart  de  minute.  »  {Recueil^  p.  61.  ) 

Au  reste,  il  déclare  lui-même  qu'en  partant  toujours  du 
principe  de  la  condensation  de  la  vapeur  par  le  froid ,  on 
peut  arriver  au  but  qu'il  se  propose  «  par  différentes  con- 
structions faciles  à  imaginer.  »  (Voyez  le  Recueil  y  p.  53.) 


30  MACHINES  A  VAPEUR. 

La  machine  de  Salomon  de  Caus,  celle  du  marquis  de 
Worcester,  étaient  de  simples  appareils  d'épuisement. 
Leurs  auteurs  ne  les  avaient  présentées  que  comme  des 
moyens  d'élever  de  l'eau.  Tel  était  aussi  le  parti  principal 
que  Papin  voulait  tirer  de  sa  machine  à  pression  atmo- 
sphérique; mais  en  même  temps  il  avait  parfaitement 
bien  vu  que  le  mouvement  de  va-et-vient  du  piston  dans 
le  corps  de  pompe  pouvait  recevoir  d'autres  applications 
et  devenir  un  moteur  universel.  On  trouvera,  en  effet, 
aux  pages  58  et  59  du  Recueil ^  et  même  déjà  dans  les 
Actes  de  Leipzig  de  1690,  une  méthode  propre  à  trans- 
former ce  mouvement  alternatif  en  mouvement  de  rota- 
tion. Je  n'insisterai  pas  davantage  ici  sur  cet  objet,  parce 
que  nous  aurons  à  nous  en  occuper  plus  loin,  à  l'occasion 
des  bateaux  à  vapeur,  et  je  terminerai  ce  paragraphe 
relatif  à  Papin  en  présentant  au  lecteur  les  conséquence 
diverses  qui  me  paraissent  découler  des  extraits  qu'il  vient 
de  lire  : 

Papin  a  imaginé  la  première  machine  à  vapeur  à 
piston  ; 

Papin  a  vu,  le  premier,  que  la  vapeur  aqueuse  fournit 
un  moyen  simple  de  faire  rapidement  le  vide  dans  la  capa- 
cité du  corps  de  pompe  ; 

Papin  est  le  premier  qui  ait  songé  à  combiner  dans  une 
même  machine  à  feu,  l'action  de  la  force  élastique  de  la 
vapeur,  avec  la  propriété  dont  cette  vapeur  jouit  et  qu'il 
a  signalée,  de  se  condenser  par  refroidissement  K 

1.  MAî.  Stuart  et  Partington  ont  explicitement  reconnu  tous  ces 
titres  de  Papin  à  la  reconnaissance  des  mécaniciens;  mais  par  com- 
pensation les  personnes  qui  liront  V Histoire  des  Machines  à  vapeur 


MACHINES  A -VAPEUR.  31 

§«. 
1698.    Le  capitaine  Savert. 

Nous  n'avons  aucune  preuve  que  Salomon  de  Caus  ait 
jamais  fait  construire  sa  machine  à  feu.  J'en  pourrais  dire 

du  doctenr  Robison  (  voyez  la  dernière  édition  commentée  par  V^att), 
y  trouveront,  p.  li%  que  le  premier  mémoire  de  Papin  {First  publi- 
cation) sur  les  Machines  à  feu  est  de  1707  ;  que  ce  mécanicien  n'a 
point  proposé  d'employer  un  véritable  piston,  mais  un  simple  flot- 
teur; que  jamais,  et  c'était  là  l'important,  il  n'avait  songé  à  pro* 
duire  le  mouvement  descendant  d'un  piston  par  la  condensation  de 
la  vapeur.  Ces  arrêts  sont  consignés  aussi  dans  l'Encyclopédie  du 
docteur  Rees,  feuille  F2,  article  Steam  engine.  L'auteur  de  cet  ar- 
ticle a  lu,  dans  les  Actes  de  Leipzig,  la  description  d&s  machines 
dans  lesquelles  Papin  essayait  de  faire  le  vide  à  l'aide  de  la  poudre, 
car  il  les  cite;  mais,  par  une  fatalité  inexplicable,  le  Mémoire  inséré 
dans  les  mêmes  Actes  où  Papin  substitue  la  vapeur  d'eau  à  la  poudre 
n'a  pas  attiré  ses  regards,  puisqu'il  déclare  que  jamais  les  appareils 
du  mécanicien  français  ne  furent  intented  to  be  tvorked  by  s  team. 
M.  Mîllington  n'est  guère  plus  favorable  à  notre  compatriote,  dont 
les  idées,  dit-il,  sur  les  moyens  de  produire  une  puissance  motrice 
à  l'aide  de  la  vapeur,  sont  toutes  postérieures  à  la  patente  de  Savery 
(p.  255);  (la  patente  de  Savery  est  de  1698).  M.  Lardner  assure 
également,  dans  les  leçons  qu'il  a  publiées  récemment,  que  les 
Français  appuient  leurs  prétentions  à  l'invention  de  la  machine  à 
vapeur,  sur  un  ouvrage  de  Papin  qui  n'a  paru  qu'en  1707,  neuf  ans 
après  la  date  du  brevet  de  Savery.  Cette  remarque,  ajoute-til, 
tranche  tout  à  fait  la  question  :  Papin  n'a  droit  k  aucun  partage 
dans  l'invention  de  la  machine  à  vapeur  (Voyez  Leçons  sur  la 
Machine  à  vapeur^  p.  96,  97  et  101  de  l'édition  française). 

N'est^il  pas  vraiment  bizarre  que  la  plupart  des  auteurs  anglais 
s'obstinent  ainsi  à  ne  citer  qu'un  seul  ouvrage  de  Papin,  celui  de 
1707  ;  qu'ils  ne  veuillent  tenir  aucun  compte  de  l'ouvrage  beaucoup 
plus  volumineux  auquel  j'ai  emprunté  textuellement  divers  passages 
et  dont  il  a  paru  deux  éditions  dans  la  même  année  1695 ,  l'une  à 
Cassel  en  français,  l'autre  à  Marbourg  en  latin;  que  tous  les  Mé- 
moires de  cet  auteur,  insérés  dans  les  Actes  de  Leipzig,  leur  parais- 


32  MACHINES  A  VAPEUR. 

autant  du  marquis  de  Worcester  ^.  CeUe  des  machines  de 
Papin  dans  laquelle  Faction  de  la  vapeur  et  sa  condensa- 
tion sont  successivement  en  jeu,  n'a  été  exécutée  qu'en 
petit,  et  seulement  dans  la  vue  de  constater  expérimen- 

sent  comme  non  avenus!  J'accorderaî,  si  Ton  veut,  qu'il  n'existe 
pas  de  piston  proprement  dit  dans  la  machine  d'épuisement  de  1707; 
que  la  condensation  de  la  vapeur  n'y  joue  absolument  aucun  rôle  ; 
qu'en  tout  cas  cette  machine  est  postérieure  à  la  patente  du  capi- 
taine Savery,  sans  qu'on  en  puisse  rien  conclure,  puisque  ce  n'est 
pas  l'ouvrage  de  1707  que  nous  citons,  mais  bien  un  recueil  de  1695, 
mais  bien  les  Actes  de  Leipzig  de  l'année  1690.  Bossut  s'autorise, 
dans  son  Hydrcdynamiqve ,  de  l'ouvrage  de  1695  pour  attribuer  à 
Papin  une  part  importante  dans  l'invention  de  la  machine  à  vapeur; 
Robison  répond  que  cet  ouvrage  n'existe  pas!  (rAe/orf  is  that  Papin's 
first  publication  was  in  1707.  )  Je  concevrais  qu'il  eût  déclaré  ne 
l'avoir  point  vu;  mais  cette  dénégation  tranchante,  opposée  à  l'as- 
sertion positive  de  Bossut  était  d'autant  plus  singulière,  que  le  livre 
de  Papin  n'est  pas  très-rare  en  Angleterre,  qu'en  tous  cas  les  Actes 
de  Leipzig  qui  en  renferment  la  substance  se  trouvent  dans  les 
principales  bibliothèques,  et  qu'enfin  cet  ouvrage,  dont  le  célèbre 
professeur  d'Édinburgh  nie  l'existence,  a  été  annoncé  et  analyste 
en  mars  1697,  dans  les  Pilosophical  transactions^  un  an  avant  qu'il 
fût  question  de  la  machine  de  Savery.  L'analyse  des  Transactions 
philosophiques  y  cette  remarque  ne  doit  pas  être  oubliée,  donne 
d'ailleurs  textuellement  le  passage  de  l'ouvrage  de  Papin  qui  est 
relatif  à  l'emploi  de  la  vapeur,  d'abord  comme  moyen  de  pousser  le 
piston,  ensuite  comme  moyen  de  faire  le  vide  dans  le  corps  de 
pompe.  (Voyez  Trans.,  t  XIX,  p.  /i83.) 

1.  Le  privilège  sollicité  par  le  marquis  de  Worcester,  lui  fut 
accordé,  au  dire  de  Walpole,  d'après  la  simple  assurance  qu'il  donna 
aux  commissaires  nommés  à  cet  effet ,  qu'il  avait  inventé  une  ma- 
chine marchant  par  l'action  de  la  vapeur.  Si  la  machine  avait  été 
réellement  construite,  la  remarque  relative  à  la  déclaration,  comme 
l'observe  M.  Stuart ,  n'eût  pas  été  nécessaire.  Je  n'ignore  pas  qu'en 
dernier  lieu  on  a  prétendu ,  au  contraire ,  que  le  bill  sollicité  par 
Worcester  fut  l'objet  d'un  examen  long  et  minutieux  ;  mais  pour 
annuler  le  témoignage  de  Walpole,  il  aurait  fallu  prouver  que  les 
commissaires  du  parlement  avaient  vu  une  machine  fonctionnant 
ou  du  moins  un  modèle,  et  personne  jusqu'ici  ne  l'a  prétendu. 


Machines  a  vapeur.  33 

talement  rexactitude  du  principe  sur  lequel  elle  se  fonde*. 
Aussi  quoique,  à  proprement  parler,  il  n'y  ait  rien  de 
bien  neuf  dans  les  machines  à  feu  de  Savery,  on  ne  pour- 
rait, sans  une  grande  injustice,  se  dispenser  de  les  citer, 
puisqu'elles  sont  véritablement  les  premières  qui  aient  été 
appliquées.  Je  ne  pense, pas,  au  reste,  devoir  en  donner 
ici  le  dessin  :  le  lecteur  pourra,  sans  ce  secours,  s'en 
faire  une  idée  exacte ,  s'il  veut  bien  se  rappeler  celle  de 
Salomon  de  Caus  et  prêter  quelque  attention  aux  considé- 
rations suivantes  : 

D'après  le  projet  de  Caus,  la  vapeur  motrice  serait 
engendrée  dans  le  vase  où  se  trouve  l'eau  à  élever,  et  aux 
dépens  de  cette  même  eau.  Dans  la  machine  de  Savery, 
il  y  a  deux  vases  séparés;  l'un  renferme  l'eau;  l'autre, 
qu'on  peut  appeler  la  chaudih^e^  contient  la  vapeur.  Cette 
vapeur,  quand  on  la  juge  assez  abondante,  se  rend  à  la 
partie  supérieure  du  vase  d'eau  par  un  tube  de  communi- 
cation qui  s'ouvre  à  volonté  à  l'aide  d'un  robinet.  Elle 
agit  de  haut  en  bas  sur  la  surface  du  liquide  et  le  refoule 
dans  un  tube  d'ascension  vertical  dont  l'ouverture  infé- 
rieure doit  toujours  être  située  au-dessous  de  cette  sur- 
face, car  sans  cela  la  vapeur  s'échapperait  elle-même. 

1.  Le  comte  de  Sintzendorff,  propriétaire  en  Bohême  de  plusieurs 
mines  inondées,  avait  invité  Papin  à  aller  les  dessécher  avec  sa 
machine  ;  mais  les  circonstances  malheureuses  dans  lesquelles  se 
trouvait  alors  l'Allemagne  ne  lui  permirent  pas  de  se  déplacer.  «  Je 
souhaiterois  extrêmement ,  disait-il,  de  rendre  à  Votre  Excellence 
mes  très-humbles  services,  n'estoit  que  les  pays  que  nous  voyons 
ruinés  dans  notre  voisinage  et  l'incertitude  des  événements  de  la 
guerre  m'avertissent  que  je  ne  doibs  pas  abandonner  ma  famille  de 
si  loing,  dans  un  temps  comme  celui-cy.  »  {Recueil  de  diverses 
pièces,  etc.,  p.  69.) 

V.  —  II.  ^ 


34  MACHINES  A  VAPEUR. 

Jusqu'ici  la  différence  entre  les  deux  machines  est  insigni- 
fiante :  continuons  la  comparaison. 

Dans  la  machine  de  Salomon  de  Caus,  dès  que  la  pres- 
sion de  la  vapeur  a  produit  son  effet,  un  ouvrier  ren^place 
Teau  expulsée,  à  l'aide  d'un  orifice  situé  à  la  partie  supé- 
rieure de  la  sphère  métallique  et  qui  s'ouvre  ou  se  ferme 
à  volonté.  11  ne  reste  plus  alors  qu'à  aviver  le  feu.  Dans  la 
machine  de  Savery,  ce  n'est  pas  un  ouvrier,  c'est  la  presr 
sion  atmosphérique  qui  amène  l'eau  dans  le  vase  à  liquide. 
La  vapeur,  en  poussant  devant  elle,  pendant  ia  première 
période  de  son  action ,  l'eau  que  ce  vase  contenait ,  s'est 
substituée  à  celle-ci;  or,  la  vapeur,  quelle  que  soit  sa 
force  élastique  primitive ,  se  précipitera  en  grande  partie 
«i  l'on  abaisse  beaucoup  sa  température.  11  suffira  pour 
cela ,  et  tel  est  en  effet  le  procédé  adopté  par  Savery,  de 
jeter  de  l'eau  froide  sur  les  parois  du  vase  dont  elle  rem- 
plit la  capacité.  Après  cette  opération ,  la  presaon  atnK)- 
sphérique  pourra  sunnonter  aisément  le  ressort  à  peine 
sensible  de  la  vapeur  que  le  refroidissement  n'aura  pas 
anéantie,  et  si  le  vase  est  en  communication  par  un  tube 
avec  une  nappe  d'eau  dont  le  niveau  ne  soit  pas  de  plus 
de  8  à  10  mètres  au-dessous,  il  se  remplira  par  aspira- 
tion. En  ajoutant  que,  pour  éviter  les  intennittences 
d'écoulement,  Savery  avait  employé  un  troisième  vase 
qui  se  remplissait  de  liquide  quand  le  second  se  vidait,  et 
réciproquement  ;  que  le  second  et  le  troisième  vase  étaient 
l'un  après  l'autre  en  communication  avec  la  chaudière  à 
l'aide  d'un  système  convenable  de  tubes  et  de  robinets, 
j'aurai  signalé  tout  ce  qu'il  y  avait  d'essentiel  dans  la 
machine  de  cet  ingénieur. 


Machines  a  vapeur.  35 

On  a  reproché  à  rappareil  de  Salomon  de  Caus  de 
n'élever  Teau  que  chaude.  Ce  reproche,  il  faut  l'avouer, 
a  quelque  gravité  sous  les  rapports  économiques ,  mais  il 
s^applique  aussi,  jusqu'à  un  certain  point,  à  la  machine 
deSavery.  Dans  cette  machine,  en  effet,  la  vapeur  pro- 
venant de  la  chaudière  devant  agir  sur  ta  surface  de  Teau 
du  second  ou  du  troisième  vase,  sans  intermédiaire ,  s'y 
condense  en  grande  quantité.  Son  ressort  ne  devient  effi- 
cace qu'après  que  l'eau  a  déjà  acquis  une  température 
élevée  :  quand  l'eau  commence  à  monter,  elle  est  donc 
chaude.  Robison  dit  avoir  reconnu  expérimentalement 
qu'en  employant  la  vapeur  comme  le  faisait  Savery,  il  y  en 
a  au  moins  les  11/12"  de  condensés,  soit  par  les  parois 
du  deuxième  ou  du  troisième  vase,  soit  par  l'eau  qu'ils 
renferment,  lors  même  que  cette  eau  cède  à  la  plus  pe- 
tite pression.  Dans  une  machine  analogue,  pour  éviter 
l'énorme  déperdition  de  vapeur  dont  je  viens  de  parler, 
Papin  imagina,  en  4707,  de  recouvrir  l'eau  d'un  flotteur  K 
Cet  artifice  ne  fut  pas  adopté,  moins  encore,  je  pense,  à 
cause  de  quelques  difficultés  d'exécution  qu'à  raison  de 
défauts  très-graves  qui  sont  inséparables  de  ce  genre  de 
machines.  Pour  élever  l'eau  à  la  petite  hauteur  de  G5 
mètres  (200  pieds),  par  exemple,  Savery  était  forcé  de 

i.  M.  Robert  Stuart  croit  qu'en  introduisant  un  flotteur  dans  le 
corps  de  pompe,  Papin  n'avait  pas  pour  objet  d'empêcber  la  conden- 
sation de  la  vapeur.  (Voyez  a  Descriptive  history,  2*  édit,  p.  52.) 
Papin  s'explique  cependant  à  ce  sujet  très-clairement,  et  Ton  verra 
même  par  le  passage  que  je  troirve  à  la  page  26  de  l'ouvrage  de 
1707,  combien  ce  défaut  l'avait  frappé  : 

«  Je  remarque  que  les  vapeurs  chaudes  qui  passent  dans  la  pompe 
pour  en  chasser  l'eau ,  rencontrent  dans  la  machine  (  celle  de  Savery) 
de  l'eau  froide  qui  les  condense  et  leur  fait  perdre  la  plus  grande 


36  MACHINES  A  VAPEUR. 

porter  la  vapeur  de  sa  chaudière  à  six  atmosphères  ;  de 
là  des  dérangements  continuels  dans  les  joints  ;  de  là 
également  la  fonte  des  mastics  et  même  de  dangereuses 
explosions.  Aussi,  malgré  le  titre  de  son  ouvrage,  les 
machines  de  cet  ingénieur  ne  servirent  point  utilement 
dans  les  mines.  Elles  ne  furent  employées  que  pour  dis- 
tribuer Teau  dans  les  diverses  parties  des  palais  ou  des 
maisons  de  plaisance,  dans  des  parcs  ou  dans  des  jardins, 
partout,  en  un  mot,  où  la  différence  de  niveau  à  franchir 
ne  surpassait  pas  une  quarantaine  de  pieds.  A  Taide  de 
la  machine  proposée  par  Papin ,  il  n'est  pas  de  hauteur, 
au  contraire,  où  Teau  ne  puisse  être  portée,  même  en 
n'employant  que  de  la  vapeur  à  une  très-faible  tension  : 
tout  se  réduit  pour  cela  à  donner  au  corps  de  pompe  un 
assez  grand  diamètre. 

En  résumé,  Savery  a  essayé  de  se  servir  de  la  force 
élastique  de  la  vapeur  pour  pousser  Teau  dans  un  tube 
vertical;  mais  Salomon  de  Caus  Tavait  fait,  précisément 
de  la  même  manière ,  quatre-vingt-trois  ans  auparavant. 
Savery  remplissait  par  aspiration  les  vases  dans  lesquels 
la  vapeur  devait  agir  ensuite  ;  mais  en  1698  Taspiration 
n'était  pas  un  principe  nouveau,  puisqu'on  avait  très- 
anciennement  inventé  Vhorreur  du  vide  pour  l'expliquer. 


partie  de  leur  force...  Ce  n'est  qu'après  que  Teau  est  échauffée  qu'on 
la  peut  pousser...;  pour  chauffer  ainsi  l'eau ,  il  faut  consumer  beau- 
coup de  vapeur  ;  il  faut  donc  remettre  souvent  de  nouvelle  eau  dans 
la  cornue  (la  chaudière)  et  il  faut  bien  du  temps  et  du  bois  pour 
la  réchauffer.  Mais  par  le  moyen  de  notre  piston  (un  flotteur  à  deux 
fonds),  les  vapeurs  ne  rencontrent  toujours  que  la  même  surface 
de  ce  métal ,  qui  acquiert  bientôt  une  si  grande  chaleur  que  les 
vapeurs  ne  perdent  rien  ou  très-peu  de  leur  force  en  s'appliquant 
dessus.  » 


MACHINES  A  VAPEUR.  37 

et  qu'on  en  trouve  d'ailleurs  des  applications  toutes  pa- 
reilles à  celle  faite  par  le  mécanicien  anglais  dans  les  Rai- 
sons des  Forces  mouvantes,  feuillet  19,  verso;  Taspiration, 
au  surplus,  ajoutait  très-peu  à  la  valeur  de  la  machine, 
car  elle  accroissait  d'une  trentaine  de  pieds  seulement  la 
hauteur  à  laquelle  le  liquide  aurait  été  soulevé  sans  cela. 
Savery,  enfin,  opérait  le  vide  qui  déterminait  l'aspiration, 
par  le  refroidissement  de  la  vapeur  ;  ici  la  méthode  est 
importante,  mais  Papin  l'avait  dès  longtemps  publiée.  La 
ptitente  concédée  à  Savery  est  du  25  juillet  1698  ;  les 
essais  de  sa  machine  devant  la  Société  royale  sont  du  mois 
de  juin  1699  ;  la  première  édition  de  l'Ami  du  Mineur 
{Miners'  Friend)  porte  la  date  de  1702  ;  ainsi ,  l'antério- 
rité des  titres  de  Papin  serait  de  trois  ans,  alors  même 
que  mettant  de  côté  les  Actes  de  Leipzig ,  on  ne  voudrait 
remonter  qu'au  Recueil  dans  lequel  se  trouvent  réunis 
divers  mémoires  de  ce  mécanicien,  car  cet  ouvrage  a  été 
publié  en  1695.  Que  reste-t-il  donc  à  Savery?  L'honneur 
d'avoir,  le  premier,  exécuté  un  peu  en  grand  une  machine 
d'épuisement  à  feu,  et,  si  l'on  veut,  celui  d'avoir  opéré 
la  condensation  de  la  vapeur  par  le  refroidissement  que 
des  aspersions  d'eau  froide  occasionnaient  dans  les  parois 
extérieures  du  vase  métallique  qui  la  renfermait.  En  dé- 
crivant pour  la  première  fois  cet  ingénieux  moyen  de  faire 
le  vide,  Papin,  en  effet,  ne  s'était  pas  expliqué  sur  les 
différentes  constructions  faciles  à  imaginer  (  ce  sont  ses 
expressions),  qu'on  peut  employer  pour  atteindre  ce  but. 
Pendant  ses  expériences  avec  un  petit  cylindre,  il  se  con- 
tentait, comme  on  l'a  vu,  d'enlever  le  feu. 


38  MACHINES  A  VAPEUR. 


1705.     Newcomen,  Cawlet  et  Sàvert  *. 

La  machine  d'épuisement  connue  des  artistes  sous  le 
nom  de  machine  de  Newcomen  ou  de  machine  aimosphé-^ 
rique,  est  la  première  qui  ait  rendu  de  véritables  services 
à  r  industrie.  Je  dirai  même  que  dans  un  grand  nombre 
de  lieux  qù  le  charbon  ne  coûte  pas  cher,  elle  est  encore 
en  usage ,  et  qu'on  n'a  point  trouvé  de  profit  à  la  rem- 
placer^  Cette  machine,  au  reste,  sauf  quelques  détails  de 
construction  fort  essentiels  et  que  je  signalerai  plus  loin , 
n'est  autre  chose  que  la  machine  proposée  en  1690  et 
1695  par  Papin,  et  qu'il  avait  essayée  en  petit. 

Dans  l'une  comme  dans  l'autre  on  remarque,  en  effet, 
un  cylindre  ou  corps  de  pompe  métallique  vertical  fermé 
par  le  bas,  ouvert  par  le  haut,  et  un  piston  bien  ajusté 
destiné  à  le  parcourir  sur  toute  sa  longueur.  Dans  l'une 
comme  dans  l'autre,  le  mouvement  ascensionnel  du  piston 
s'opère  par  l'effet  d'un  contre -poids,  quand  la  vapeur 
d'eau  peut  arriver  librement  à  la  partie  inférieure  du 
corps  de  pompe  et  la  remplir.  Dans  la  machine  anglaise 

1.  Thomas  Newcomen  et  John  Cawley  vivaient  l'un  et  l'autre  dans 
la  ville  de  Darmouth,  en  Devonshire.  Le  premier  était  quincaillier 
ou  forgeron ,  car  il  est  désigné,  dans  ies  Biographies  anglaises,  tan- 
tôt comme  ironmonger  et  tantôt  comme  blacksmith;  l'autre  exerçait 
l'état  de  vitrier  (a  glazier).  Newcomen  possédait  quelque  instruc- 
tion et  était  en  commerce  de  lettres  avec  Hooke,  secrétaire  de  la 
Société  royale,  l'un  des  savants  les  plus  ingénieux  dont  l'Angleterre 
puisse  se  glorifier.  On  ignore  si  les  deux  associés  ont  pris  une  part 
égale  aux  essais  de  divers  genres  qui  amenèrent  la  construction  de 
la  première  grande  machine  à  vapeur  atmosphérique. 


MACHINES  A  TAPEUR.  39 

cx>inme  dans  celle  de  Papin ,  dès  que  le  piston  est  parvenu 
à  Textrémité  de  sa  course  ascendante ,  on  condense  la 
vapeur  qui  Ty  avait  poussé  ;  on  fait  ainsi  le  vide  dans  toute 
la  capacité  qu'il  vient  de  parcourir,  et  l'atmosphère  le 
force  alors  à  descendre.  Papin  avait  annoncé  qu'il  fallait 
opérer  la  condensation  par  le  froid  ;  c'est  par  le  froid  que 
Newconnen,  Cawley  et  Savery  se  débarrassent  aussi  de  la 
vapeur  qui  contre-balancerait  la  pression  atmosphérique. 
Ëitre  plusieurs  différentes  constructions  qu'on  peut  ima- 
giner pour  cela  (  ce  sont  les  expressions  contenues  dans 
le  Recueil  de  pièces  y  p.  53),  les  mécaniciens  anglais 
en  adoptèrent  une,  préférable  de  beaucoup  dans  une 
machine  en  grand,  à  celle  que  Papin  avait  lui-même 
employée  dans  les  expériences  faites  avec  son  petit  mo- 
lièle.  Au  lieu  d'enlever  le  feu,  comme  le  pratiquait  celui-ci, 
Newconnen,  Cawley  et  Savery  faisaient  couler  une  abon- 
iante  quantité  d'eau  froide  dans  l'espace  annulaire  con^ 
pris  entre  les  parois  extérieures  du  corps  de  pompe  et  un 
second  cylindre  un  peu  plus  grand  qui  lui  servait  d'en- 
yeioppe.  Le  refroidissement  se  communiquait  ainsi  peu  à 
[>eu  à  toute  l'épaisseur  du  métal ,  et  atteignait  bientôt  la 
rapeur  elle-même. 

La  machine  de  Papin,  ainsi  modifiée  quant  à  la  manière 
Je  refroidir  la  vapeur  aqueuse,  excita  au  plus  haut  point 
['attention  des  propriétaires  de  mines,  et  sembla,  dès  le 
lébut ,  fournir  une  solution  inespérée  d'un  problème  dont 
les  tentatives  infructueuses  de  Savery  avaient  partrcUliè- 
reroent  montré  la  difficulté.  Newcoraen  et  Cawley  sollici- 
taient une  patente.  Savery  objecta  qu'il  était  déjà  en 
possession  d'un  privilège  exclusif  concernant  le  moyen  de 


40  MACHINES  A  VAPEUR. 

produire  le  vide  par  le  refroidissement  de  la  vapeur.  Pour 
éviter  toute  contestation ,  la  patente  fut  prise  au  nom  et 
au  profit  des  trois  compétiteurs,  qui  s'attribuèrent  ainsi, 
dans  le  projet  emprunté  à  Papin,  les  deux  premiers, 
ridée  de  la  machine  à  vapeur  à  piston  ;  le  troisième,  celle 
de  la  condensation  *. 

Au  commencement  du  xviir  siècle,  Fart  de  construire 
de  grands  corps  de  pompe  parfaitement  cylindriques, 
Tart  d'ajuster  dans  leur  intérieur  des  pistons  mobiles  qui 
les  fermassent  hermétiquement,  étaient  très-peu  avancés. 
Aussi,  dans  la  machine  de  1705,  pour  empêcher  la  va- 
peur de  s'échapper  par  les  interstices  compris  entre  la 
surface  du  cylindre  et  les  bords  du  piston,  ce  piston 
était- il  constamment  couvert  à  sa  surface  supérieure 
d'une  couche  d'eau  qui  pénétrait  dans  tous  les  vides  et 
les  remplissait.  Un  jour  qu'une  machine  de  cette  espèce 
marchait  sous  les  yeux  des  constructeurs,  ils  virent,  avec 
une  extrême  surprise,  le  piston  descendre,  plusieurs  fois 


L  Dans  les  arts,  comme  dans  les  sciences,  le  dernier  venu  est 
censé  avoir  eu  connaissance  des  travaux  de  ses  devanciers  ;  toute 
déclaration  négative  à  cet  égard  est  sans  valeur.  La  publication  des 
Mémoires  que  Papin  a  écrits  sur  la  machine  atmosphérique,  étant 
de  beaucoup  antérieure  aux  patentes  de  Savery  et  de  Newcomen,  je 
n'aurais  aucun  motif  de  rechercher  si  la  machine  anglaise  est  ou 
n'est  pas  une  copie  :  dans  la  règle,  elle  est  une  copie,  puisqu'elle 
ressemble  à  la  machine  de  Papin  et  qu'elle  est  venue  après.  Mais  on 
sait  de  plus,  dans  ce  cas  particulier,  que  Newcomen  avait  connais- 
naissance  des  projets  de  notre  compatriote.  Il  résulte,  en  effet,  de 
diverses  notes  trouvées  dans  les  papiers  de  llooke ,  que  l'artiste  de 
Darmouth  avait  consulté  ce  savant  célèbre  avant  de  se  livrer  à  ses 
essais,  et  alors,  dans  les  confidences  de  l'intimité,  c'était  bien  la 
machine  française  qu'il  voulait  exécuter.  (Voyez  Robison,  a  Sfjs- 
tcm,  etc.,  tome  II,  p.  58.) 


ilÂGIlINES  A  VAPEUR.  il 

de  suite,  beaucoup  plus  rapidement  que  de  coutume. 
Cette  vitesse  leur  parut  d'autant  plus  étrange,  que  le 
refroidissement  produit  par  le  courant  d'eau  froide  qui 
descendait  extérieurement  le  long  de  la  surface  du  corps 
de  pompe,  n'avait  amené  jusque-là  la  condensation  de 
la  vapeur  intérieure  qu'assez  lentement.  Après  vérification 
il  fut  constaté  que  ce  jour-15,  c'était  d'une  tout  autre 
manière  que  le  phénomène  s'opérait  :  le  piston  se  trou- 
vant accidentellement  percé  d'un  petit  trou,  l'eau  froide 
qui  le  recouvrait ,  tombait  dans  l'intérieur  même  du  cy- 
lindre, par  gouttelettes,  à  travers  la  vapeur,  la  refroidis- 
sait et  dès  lors  la  condensait  plus  rapidement. 

Depuis  cette  époque,  on  a  muni  les  machines  atmo- 
sphériques d'une  ouverture  en  pomme  d'arrosoir  ;  c'est 
de  là  que  part  la  pluie  d'eau  froide  qui  se  répand  dans  la 
capacité  du  cylindre  et  y  condense  la  vapeur  au  moment 
où  le  piston  doit  descendre.  Le  refroidissement  extérieur 
se  trouve  ainsi  supprimé,  et  les  va-et-vient  sont  beaucoup 
plus  prompts.  Cette  importante  amélioration,  comme  tant 
d'autres  qu'on  pourrait  citer,  fut  le  résultat  d'un  heureux 
hasard.  Je  regrette  beaucoup  de  ne  pouvoir  point  dési- 
gner ici  celui  des  trois  associés  dont  l'esprit  inventif  vit 
sur-le-champ,  dans  l'événement  imprévu  dont  j'ai  rendu 
compte,  le  principe  d'un  perfectionnement  qu'on  retrouve 
encore  dans  les  machines  d'aujourd'hui  ;  mais  la  tradition 
ne  nous  a  rien  appris  à  cet  égard. 


42  MACHINES  A  VAPEUR. 

§  10. 
1769.    James  Watt  *. 

Avant  de  commencer  l'analyse  des  inventions  de  Watt, 
je  devrais  peut-être  transcrire  ici  les  titres  des  divers 

1.  James  Watt  naquit  à  Greenock,  en  Ecosse,  dans  l'année  1736, 
de  parents  estimés,  mais  pauvres.  L'extrême  faiblesse  de  sa  consti- 
tution semblait  ne  pas  lui  promettre  un  long  avenir.  Cette  fâcheuse 
circonstance  développa  du  moins  en  lui  de  très-bonne  heure  des 
habitudes  de  retraite  et  d'application  sans  lesquelles  il  est  rare 
qu'on  fasse  de  grandes  choses.  Le  jeune  Watt  fréquenta  jusqu'à  seise 
ans  une  de  ces  écoles  publiques  et  gratuites  nommées  en  Ecosse 
grammar  schooL  Ensuite  ses  parents  le  placèrent  en  apprentissage 
dans  un  petit  atelier  où  l'on  exécutait  des  compas,  des  balances, 
quelques  appareils  de  physique ,  des  cadrans  solaires  et  les  divers 
ustensiles  nécessaires  pour  la  pêche  ;  il  y  resta  quatre  ans.  Hus  tard 
enfin,  Watt  se  rendit  à  Londres  chez  un  fabricant  d'instruments  de 
mathématiques.  Là,  un  travail  particulier  l'ayant  retenu  toute  une 
journée  d'hiver  près  de  la  porte  de  l'atelier,  il  fut  pris  d'un  violent 
rhume  dont  les  médecins  ne  purent  pas  le  guérir  complètement 
Il  résolut  alors  d'essayer  les  effets  de  l'air  natal ,  retourna  en  Ecosse 
et  y  forma  un  modeste  établissement  pour  son  propre  compte.  Dans 
l'année  1757,  l'Université  de  Glasgow  accorda  à  Watt,  alors  âgé  de 
vingt  et  un  ans,  la  charge  de  conservateur  de  sa  collection  de  modèles. 
A  ce  titre  on  lui  donna  un  logement  dans  le  collège  avec  la  permis- 
sion d'y  continuer  son  petit  commerce.  Uobison  était  au  nombre 
des  étudiants  de  l'Université.  Il  se  lia  avec  Watt,  lui  confia  le  projet 
qu'il  avait  conçu  d'appliquer  les  machines  à  vapeur  au  mouvement 
des  voitures,  et  l'engagea  à  s'occuper  lui-même  de  leur  perfectionne- 
ment Quelques  essais  faits  par  l'artiste  en  1759,  en  1761  et  en  1762, 
n'amenèrent  point  de  résultat  ;  mais  en  1764  de  nouvelles  tentatives 
prirent  beaucoup  de  consistance.  Cliargé,  à  titre  de  simple  ouvrier, 
de  réparer  une  machine  de  Newcomen  qui  faisait  partie  du  cabinet 
de  physique.  Watt  y  trouva  des  défauts  que  la  petitesse  des  dimen- 
sions de  ce  modèle  rendait  plus  apparents,  mais  qui  n'en  devaient 
pas  moins  exister  dans  les  grandes  machines,  quoiqu'on  ne  les  y  eût 
pas  signalés.  Telle  est  la  date  et  l'origine  des  perfectionnements 
expliqués  dans  le  paragraphe  que  je  consacre  à  Watt  dans  l'histoire 


UÂCHINES  A  VAPEUR.  48 

brevets  quMl  obtint  pendant  sa  longue  et  glorieuse  car- 
rière. La  lecture  de  ces  titres  montrerait  nettement  T  objet 
des  améliorations  importantes  que  cet  illustre  mécanicien 
introduisit  successivement  dans  les  machines  de  ses  pré- 
décesseurs; elle  détromperait,  d'autre  part,  ceux  qui 
croient,  sans  aucun  fondement,  que  la  machine  à  feu 

de  la  machine  à  vapeur.  Plusieurs  années  s'écoulèrent  cependant 
avant  que  Watt  pût  les  soumettre  à  une  épreuve  décisive.  En  176^ 
il  quitta  l*CJniverslté  après  s'être  marié,  et  exerça  quelque  temps 
rétat  de  géomètre-arpenteur.  Sa  première  machine  améHorée  ne 
fut  exécutée  qu^en  i7G8,  mais  sur  d'assez  grandes  dimensions,  car 
le  corps  de  pompe  avait  18  pouces  anglais  (0"./i6)  de  diamètre.  Le 
docteur  Roêbudc  qoi,  par  ses  avances  pécuniaires,  avait  fourni  & 
Watt  les  moyens  d'achever  ce  travaU ,  fit  établir  la  nouvelle  machine 
à  Kinnel,  sur  le  puits  d'une  mine  de  charbon  de  terre  appartenant 
au  doc  d'BaftriltOD;  tons  ces  noms  m'ont  paru  devoir  être  conservés  : 
ils  sont  devenus  historiques.  Dans  cette  même  année  1768,  Watt 
demanda  sa  première  patente;  il  ne  l'obtint  toutefois  qu'en  1769. 
Enfin,  Mathew  Boulton  de  Birmingham  devint  son  associé  en  1773, 
après  la  retraite  volontaire  du  docteur  Roêbucic.  La  fortune  de  ce 
fabricant,  l'étendue  et  l'activité  de  son  esprit,  les  relations  person- 
nelles qu'il  avait  contractées  avec  une  multitude  d'individus  appar- 
tenant à  toutes  les  classes  de  la  société ,  donnèrent  à  l'entreprise  la 
plus  vive  impulsion.  Le  privilège  concédé  par  la  patente  allait  ce- 
pendant expirer  avant  que  la  nouvelle  fabrique  de  Soho  eût  donné 
des  profits  assurés.  Boulton  s'adresse  à  l'autorité,  sollicite  la  coopé- 
ration de  ses  nombreux  amis,  intéresse  à  ses  projets  la  cour  et  la 
viUe,  et  obtient  du  parlement,  par  ses  nombreuses  et  judicieuses 
démarches,  la  prolongation  du  privilège  primitif  jusqu'à  l'année 
1800.  A  partir  de  cette  époque  (1775),  l'association  de  Watt  et 
Boulton  prospéra  au  plus  haut  degré.  La  colline  stérile  de  Soho,  près 
de  Birmingham ,  où  l'œil  du  voyageur  apercevait  à  peine  la  hutte 
d'un  garde-chasse,  se  couvrit  de  beaux  jardins,  de  somptueuses 
habitations  et  d'ateliers  qui ,  soit  par  leur  étendue,  soit  par  llmpor» 
tance  et  la  perfection  des  ouvrages  qu'on  y  exécutait ,  devinrent  en 
peu  de  temps  les  premiers  de  l'Europe.  Les  découvertes  de  Watt 
étaient  d'une  application  trop  immédiate,  trop  populaire,  pour  que 
des  titres  académiques  pussent  rien  ajouter  à  la  renommée  de  ce 
grand  mécanicien.  lisons  toutefois  que  les  principales  sociétés 


44  MACHINES  À  VAPEUR. 

employée  de  nos  jours  a  été  créée  par  un  seul  homme  et 
d'un  seul  jet;  mais  le  besoin  d'abréger  cette  Notice  me 
force  d'entrer  de  suite  en  matière. 

a.  —  Du  condenseur. 

Pour  que  la  machine  à  feu  atmosphérique ,  dite  ma- 
chine de  Newcomen,  produise  de  bons  effets,  il  faut, 
!•  qu'à  rinstant  où  le  mouvement  descendant  du  piston 
commence,  il  y  ait  dans  toute  la  capacité  inférieure  du 
corps  de  pompe ,  le  vide  le  plus  parfait  possible  ;  2'  que 
pendant  le  mouvement  ascendant ,  la  vapem*  qui  se  rend 
de  la  chaudière  dans  la  même  capacité,  ne  perde  rien  de 
la  force  élastique  qu'elle  avait  acquise  au  prix  de  beau- 
coup de  charbon. 

savantes,  celles  d*Édinburgh  et  de  Londres,  par  exemple,  s^empres- 
sèrent  de  Tadmettre  parmi  leurs  membres.  L'Institut  de  France,  de 
son  côté,  le  choisit  dès  1808  pour  un  de  ses  correspondants  et  lui 
accorda  en  1814  la  plus  belle  récompense  qu'il  puisse  décerner,  en 
le  nommant  un  de  ses  huit  associés  étrangers.  Parvenu  à  un  âge 
avancé,  possesseur  d'une  brillante  fortune,  fruit  de  ses  nobles  et 
laborieux  travaux,  entouré  de  l'estime  et  du  respect  du  monde 
entier.  Watt  quitta  les  affaires  commerciales  et  se  retira  dans  sa 
maison  de  Heatfield,  près  de  Birmingham.  Là,  le  patriarche  de 
l'industrie  britannique ,  toujours  bienveillant ,  modeste  et  résené , 
comme  au  temps  où,  dans  sa  jeunesse,  il  nettoyait  les  appareils  de 
runiversité  de  Glasgow,  coulait  des  jours  paisibles  dans  la  société 
d'un  petit  nombre  d'amis.  En  1817,  Watt  fit  un  voyage  en  Ecosse. 
A  son  retour,  sa  santé  s'affaiblit  beaucoup.  Enfin,  il  mourut  le 
25  août  1819,  à  la  suite  d'une  courte  maladie,  et  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-quatre  ans.  Plusieurs  statues  lui  ont  été  élevées  aux  frais  du 
public.  Tout  ce  que  l'Angleterre  renferme  do  distingué,  a  mis 
l'empressement  le  plus  honorable  à  se  faire  comprendre  au  nombre 
des  souscripteurs.  (Voir  la  Notice  biographique  détaillée  consacrée 
à  Watt,  t  I  des  OEuvres  et  des  Notices  biographiques^  p.  371  à  510,  ) 


MACHINES  A  VAPEUR.  45 

La  première  condition  exige  impérieusement  qu'au 
moment  de  la  condensation,  Teau  d'injection  aille  refroi- 
dir les  parois  du  corps  de  pompe.  Sans  cela,  la  vapeur 
qu'on  veut  anéantir  conserverait  un  ressort  considérable, 
et  elle  opposerait  un  grand  obstacle  au  mouvement  des- 
cendant du  piston,  mouvement  que  la  pression  atmosphé- 
rique doit  déterminer.  La  seconde  condition  nécessite,  au 
contraire,  que  les  mêmes  parois  soient  très- chaudes.  En 
effet,  la  vapeur  d'eau  à  100*  de  température,  ne  conserve 
en  arrivant  dans  un  vase  toute  la  force  élastique  qui  lui 
est  propre ,  qu'autant  que  les  parois  de  ce  vase  sont  elles- 
mêmes  à  lOO*.  Si  la  température  des  parois  est  moindre, 
la  vapeur  afiluente  perd  aussitôt  de  sa  chaleur  primitive 
et  une  portion  plus  ou  moins  considérable  de  la  densité 
ou  de  la  force  élastique  qu'elle  possédait.  Ainsi,  durant 
le  mouvement  descendant  du  piston,  les  parois  du  cylindre 
métallique  qu'il  parcourt,  doivent  être  aussi  froides  que 
possible,  si  c'est  dans  ce  cylindre  que  la  condensation  a 
lieu  ;  pendant  le  mouvement  ascendant  il  serait  très-utile, 
au  contraire,  que  ces  mêmes  parois  fussent  à  100*. 

Le  refroidissement  s'opère,  assez  simplement,  en  pro- 
jetant l'eau  d'injection  non -seulement  au  milieu  de  la 
vapeur,  mais  encore  sur  les  parois  du  cylindre.  Quant  à 
réchauffement  de  ces  parois  qui  doit  suivre,  comment 
r obtenir  de  manière  qu'il  soit  considérable  et  prompt?  La 
vapeur  affluente  elle-même  produira  bien  h  la  longue 
réchauffement  désiré  ;  mais  ce  sera  à  la  longue  seulement, 
et  des  lors  les  excursions  ascendantes  du  piston  étant  fort 
lentes,  la  machine  ne  fera  pas  dans  les  vingt -quatre 
heures  tout  l'ouvrage  sur  lequel ,  sans  ce  genre  d'obstacle, 


46  JIACHINES  A  VAPEUR. 

on  aurait  pu  compter.  Remarquons  d'ailleurs  que  la  va- 
peur venant  de  la  chaudière  n'échauffe  le  corps  de  pompe 
qu'aux  dépens  de  sa  propre  chaleur,  ou  qu'en  se  conden- 
sant en  partie  ;  or,  la  vapeur  a  un  prix  élevé ,  lors  même 
que  l'eau  d'où  elle  provient  ne  coûte  rien ,  car  le  com- 
bustible à  l'aide  duquel  s'opère  la  transformation  est  tou- 
jours assez  cher.  Afin  qu'on  ne  doute  pas  de  la  grande 
attention  qu'il  importe  d'accorder  à  cette  considération 
financière,  je  dirai  que  la  quantité  de  vapeur  employée 
ainsi  pour  échauffer  les  parois  du  corps  de  pompe ,  rem- 
plirait plusieurs  fois  la  capacité  qu'elles  enceignent,  en 
sorte  que  la  dépense  de  vapeur,  ou ,  ce  qui  revient  au 
même,  la  dépense  de  combustible,  ou,  si  on  l'aime  mieux 
encore ,  la  dépense  en  argent  nécessaire  pour  mettre  la 
machine  en  jeu,  serait  plusieurs  fois  moindre,  si  l'on 
parvenait  à  faire  disparaître  la  nécessité  des  échauffe- 
ments  et  refroidissements  successifs  dont  nous  venons  de 
parler.  Tel  est  précisément  le  problème  que  Watt  a  résolu 
par  une  méthode  qui  permet  de  laisser  toujours  au  corps 
de  pompe  sa  température  de  100^  Il  lui  a  sulfi  pour  cela  : 

«D'opérer  la  condensation  de  la  vapeur  dans  un  vase 
séparé,  totalement  distinct  du  corps  de  pompe,  et  ne 
communiquant  avec  lui  qu'à  l'aide  d'un  tube  étroit.  » 

•  Expliquons  cet  ingénieux  procédé,  qui  formera  toujours 
le  principal  titre  de  Watt  à  la  reconnaissance  de  la  pos- 
térité. 

S'il  existe  une  libre  communication  entre  un  corps  de 
pompe  rempli  de  vapeur  et  un  vase  vide  de  vapeur  et 
d'air,  la  vapeur  du  corps  de  pompe  passera  en  partie  et 
très -rapidement  dans  le  vase",  l'écoulement  ne  cessera 


MACHINES  A  VAPBDR.  47 

qu'au  moment  où  l'élasticité  sera  la  même  partout.  Sup- 
posons que  le  vase  soit  maintenu  constamment  froid  dan^ 
toute  sa  capacité  et  dans  son  enveloppe,  à  Taide  d'une 
injection  d'eau  abondante  et  continuelle;  alors  toute  la 
vapeur  dont  le  corps  de  pompe  était  primitivement  rem- 
pli viendra  s'y  anéantir  successivement;  ce  corps  de 
pompe  se  trouvera  ainsi  purgé  de  vapeur,  sans  que  ses 
parois  aient  été  le  moins  du  monde  refroidies,  et  la  vapeur 
nouvelle,  dont  il  pourra  devenir  nécessaire  de  le  remplir 
on  moment  après,  n'y  perdra  rien  de  son  ressort. 

Un  vase,  séparé  ainsi  d'un  corps  de  pompe  et  dans 
lequel  la  vapeur  de  celui-ci  vient  de  temps  en  temps  se 
précipiter,  s'appelle  un  condenseur.  C'est  la  partie  la  plus 
précieuse  des  machines  de  Watt. 

Le  vase  ou  condenseur  que  nous  venons  de  mettre  en 
jeu ,  n'a  entièrement  absorbé  la  vapeur  dont  le  corps  de 
pompe  était  rempli,  qu'à  cause  qu'il  contenait  de  l'eau 
froide  et  que  le  reste  de  sa  capacité  se  trouvait  vide  de 
fluides  élastiques*.  Après  que  la  condensation  de  la  vapeur 
s'y  est  opérée ,  ces  deux  conditions  de  réussite  ont  dis- 
paru :  l'eau  condensante  s'est  échauffée  en  absorbant  tout 
le  calorique  de  la  vapeur  ;  une  quantité  notable  de  vapeur 
s'est  formée  aux  dépens  de  cette  eau  chaude  ;  l'eau  froide 
enfin  contenait  de  l'air  atmosphérique  qui  a  dû  se  dégager 
pendant  son  échauffement.  Si  l'on  n'enlevait  pas ,  après 

1.  A  la  rigueur,  un  vase  n'est  jamais  entièrement  purgé  de  fluides 
élastiques  tant  qu'il  contient  de  Teau,  car  l'eau  la  plus  froide  dégage 
des  vapeurs  ;  mais,  lorsque  le  liquide  d'injection  n'a  pas  une  tem- 
pérature supérieure  aux  températures  habituelles  de  l'atmosphère, 
on  peut,  dans  la  pratique,  ne  pas  tenir  compte  de  la  vapeur  qui  en 
émane. 


48  MACHINES  A  VAPEUR, 

chaque  opération,  cette  eau,  cette  vapeur,  cet  air  que  le 
condenseur  renferme,  il  finirait  par  ne  plus  produire 
d'effet.  Watt  opère  cette  triple  évacuation  à  l'aide  d'une 
pompe  ordinaire  qu'on  appelle  la  pompe  à  air^  et  dont  le 
piston  porte  une  tige  convenablement  attachée  au  balan- 
cier que  la  machine  met  en  jeu.  Quand  on  calcule  les 
effets  d'une  machine  à  feu  de  Watt,  il  est  donc  nécessaire 
d'avoir  égard  à  la  portion  de  force  qui  est  destinée  à 
maintenir  la  pompe  à  air  en  mouvement.  Cette  déduction, 
au  reste,  n'est  qu'une  petite  partie  de  la  perte  qu'amenait, 
dans  l'ancienne  méthode,  la  condensation  de  la  vapeur 
sur  les  parois  refroidies  du  corps  de  pompe  K 

1.  On  se  fera  une  idée  exacte  de  Timportance  commerciale  que 
rinvention  du  condenseur  a  eue,  si  Ton  veut  bien  jeter  les  yeux  sur 
le  petit  nombre  de  lignes  qui  suivent 

Pour  accorder  la  permission  de  substituer  leurs  machines  à  celles 
dites  de  Newcomen^  Watt  et  Boulton  exigeaient  la  valeur  «  du  tiers 
de  la  quantité  de  charbon  dont  chaque  nouvelle  machine,  à  égalité 
d'effet,  procurait  Téconomie.  »  Une  expérience  préliminaire  faite 
sur  deux  machines  de  Tune  et  de  l'autre  espèce,  ayant  précisément 
les  mêmes  dimensions,  montra  à  combien  Téconomie  s'élevait, 
pour  miUe  oscillations  du  piston,  par  exemple.  Une  simple  pro- 
portion donnait  ensuite  les  droits  à  percevoir  dès  qu'on  connais- 
sait le  nombre  d'oscillations  que  la  machine  employée  avait  fait 
chaque  mois.  Watt  et  Boulton  déterminaient  ce  nombre  d'oscilla- 
tions à  Taide  d'une  pièce  d'horlogerie  attachée  au  balancier  et  dis- 
posée de  manière  que  chacun  de  ses  mouvements  avançait  l'aiguille 
d'une  division.  Ce  mécanisme  ou  counter  était  renfermé  dans  une 
botte  à  deux  clefs  qu'on  ouvrait  à  l'époque  du  règlement  de  comptes, 
en  présence  d'un  agent  des  inventeurs  et  du  directeur  de  la  mine. 
Dans  la  mine  de  €hacewater,  en  Cornouailles,  où  trois  machines 
étaient  en  jeu,  les  propriétaires  rachettîrent  le  droit  des  inventeurs 
pour  une  somme  annuelle  de  60,000  fr.,  ce  qui  prouve  que  la  substi- 
tution du  condenseur,  à  l'injection  qu'on  opérait  précédemment 
dans  le  corps  de  pompe,  y  avait  procuré  une  économie  de  com- 
bustible de  plus  de  180,000  fr.  par  an. 


I 


MACHINES  A  VAPEUR.  i9 


b.  —  Machine  à  double  effet. 

La  machine  atmosphérique,  soit  que  Tinjection  d'eau 
froide  s'opère  au  milieu  du  corps  de  pompe  ou  dans  un 
condenseur  séparé,  n'a  de  force  réelle  que  pendant  le 
mouvement  descendant  du  piston.  C'est  alors,  et  seulement 
alors,  que  le  poids  de  l'atmosphère  produit  tout  son  effet. 
Durant  l'oscillation  ascendante,  ce  poids  est  contre-balancé 
par  la  pression  de  la  vapeur  qui  pousse  le  piston  de  bas 
en  haut.  Le  mouvement  est  alors  uniquement  déterminé 
par  un  contre -poids  qui  surpasse  à  peine  le  poids  du  pis^ 
ton,  de  la  valeur  du  frottement  qu'éprouve  celui-ci  sur 
les  parois  du  corps  de  pompe.  Cela  n'est  pas  un  incon- 
vénient quand  la  machine  à  feu  est  employée  à  extraire 
l'eau  qui  inonde  les  mines.  Le  mouvement  descendant  du 
piston  détermine,  en  effet,  un  mouvement  de  môme  sens 
dans  l'extrémité  du  balancier  auquel  sa  tige  est  attachée, 
et  dès  lors  un  mouvement  ascendant  à  l'autre  extrémité. 
Or,  c'est  pendant  ce  dernier  mouvement  que  l'eau  située 
verticalement  sous  cette  seconde  extrémité  du  balancier, 
est  soulevée  d'une  quantité  égale  à  l'excursion  du  piston 
du  grand  corps  de  pompe.  Quand  le  piston  de  la  pompe 
d'épuisement  descend,  quand  il  va  se  charger  de  nouveau 
de  liquide,  il  est  parfaitement  inutile  qu'il  soit  poussé 
vivement.  La  force  qui  servirait  à  cela  serait  de  la  force 
perdue.  Qui  n'a  remarqué ,  l'analogie  en  effet  est  com- 
plète, que  partout  où  l'on  tire  l'eau  d'un  puits,  on  laisse 
le  seau  descendre  par  son  propre  poids  ;  que  nulle  part 
on  n'a  imaginé  de  produire  ce  mouvement  descendant 
v.— II.  A 


50  MACHINES  A  VAPEUR. 

par  Taction  du  moteur?  Ainsi,  comme  moyen  d'épuise- 
ment, la  machine  atmosphérique  est  parfaite;  ses  inter- 
mittences d'action  ne  sont  pas  alors  un  défaut.  Il  n'en  est 
pas  de  même  du  cas  où  cette  machme  est  employée 
comme  moteur.  Les  appareils,  les  outils  qu'elle  conduit, 
ont  des  mouvements  très-rapides  durant  la  course  descen- 
dante du  piston  ;  mais,  pendant  le  mouvement  ascendant, 
ils  s'arrêtent  ou  ne  continuent  à  agir  qu'en  vertu  de  la 
vitesse  acquise.  Une  machine  à  feu  qui  aurait  de  la  puis- 
sance pendant  que  s'exécutent  les  deux  excursions  oppo- 
sées du  piston,  présenterait  donc  des  avantages  réels. 
Tel  est  l'objet  de  la  machine  inventée  par  Watt,  et  qu'on 
appelle  machine  à  double  effeL 

Dans  cette  machine,  l'atmosphère  n'a  plus  d'action. 
Le  corps  de  pompe  est  fermé  dans  le  haut  par  un  cou- 
vercle métallique,  percé  seulement  à  son  centre  d'une 
ouverture  garnie  d'étoupe  grasse  et  bien  serrée ,  à  tra- 
vers laquelle  la  tige  cylindrique  du  piston  se  meut  libre- 
ment, sans  pourtant  donner  passage  à  l'air  ou  à  la  vapeur. 
Le  piston  partage  ainsi  le  corps  de  pompe  en  deux  capa- 
cités fermées  et  distinctes.  Quand  il  doit  descendre ,  la 
vapeur  de  la  chaudière  arrive  librement  à  la  capacité 
supérieure  par  un  tube  convenablement  disposé  à  cet 
effet ,  et  pousse  le  piston  de  haut  en  bas  comme  le  faisait 
Fatmosphère  dans  la  machine  atmosphérique.  Ce  mouve- 
ment n'éprouve  pas  d'obstacle,  attendu  que,  pendant 
qu'il  s'opère,  le  dessous  du  corps  de  pompe,  mais  ce  des- 
sous tout  seul ,  est  en  communication  avec  le  condenseur. 
Dès  que  le  piston  est  entièrement  descendu,  les  choses  se 
ti'ouvent  complètement  renversées  par  le  simple  mouve- 


MACHINES  Â  VAPEUR.  51 

ment  de  deux  robinets.  Alors  la  vapeur  que  fournit  la 
chaudière  ne  peut  aller  qu'au-dessous  du  piston  qu'elle 
doit  soulever,  et  la  vapeur  supérieure  qui,  l'instant 
d'avant,  produisait  le  mouvement  descendant,  va  se  liqué- 
fier dans  le  condenseur  avec  lequel  elle  est,  à  son  tour, 
en  libre  communication.  Le  mouvement  contraire  des 
mêmes  robinets  replace  toutes  les  pièces  dans  l'état  pri- 
mitif, dès  que  le  piston  est  au  haut  de  sa  course.  La 
machine  marche  ainsi  indéfiniment,  avec  une  puissance 
à  peu  près  égale,  soit  que  le  piston  monte,  soit  qu'il 
descende  ;  mais,  il  importe  de  le  remarquer,  la  dépense 
de  vapeur  est  précisément  double  de  celle  qu'une  machine 
atmosphérique  ou  à  simple  effet  aurait  occasionnée  *. 

i.  Papln,  comme  je  Pai  dit  plas  haat ,  avait  bien  prévu  en  1695, 
que  les  machines  à  feu  ne  seraient  pas  toujours  exclusivement 
employées  aux  épuisements  des  mines.  A  cette  époque,  il  avait 
déjà  indiqué  comment  on  pourrait  lier  la  tige  du  piston  à  Taxe 
d'une  roue  tournante  et  transformer  le  mouvement  rectiligne  de 
va-et-vient  de  la  tige  en  mouvement  de  rotation  de  la  roue.  Le 
défaut  de  continuité  dans  Taction  de  la  machine  atmosphérique 
attira  aussi  son  attention.  Pour  empêcher  que  sa  roue  ne  marchât 
par  secousses  trop  brusques,  il  proposa  d'agir  sur  l'axe  à  l'aide  des 
tiges  de  deux  ou  même  d'un  plus  grand  nombre  de  pistons  appar- 
tenant à  des  corps  de  pompe  distincts  et  disposés  de  manière  que, 
dans  le  cas  de  deux,  par  exemple,  la  tige  du  premier  descendît  pen- 
dant que  celle  de  l'autre  monterait,  et  réciproquement  Deux  corps 
de  pompes  de  machines  atmosphériques  ainsi  combinées,  produi- 
raient exactement  l'effet  de  la  machine  de  Watt.  La  dépense  de 
vapeur  serait  aussi  précisément  la  même.  L'idée  de  faire  une  ma« 
chine  à  double  effet  à  l'aide  de  deux  corps  de  pompe  distincts,  fut 
présentée  comme  nouvelle,  en  1779,  par  le  docteur  Falck. 


52  MACHINES  A  VAPEUR. 

c.  —  Machine  à  détente. 

Dans  la  machine  à  double  effet  dont  je  viens  de  parler*, 
le  piston  est  alternativement  poussé  par  la  vapeur,  de 
haut  en  bas  et  de  bas  en  haut  Si  la  chaudière  est  en  libre 
communication  avec  le  corps  de  pompe  pendant  tout  le 
temps  que  chacune  de  ces  oscillations  nécessite,  le  piston 
se  trouvera  soumis  à  Faction  d'une  force  accélératrice 
constante  ;  il  arrivera  donc  à  Tune  et  à  Tautre  extrémité 
du  cylindre  vertical  qu'il  parcourt ,  avec  une  vitesse  très- 
grande  et  qui,  sans  produire  aucun  effet  utile,  contri- 
buera à  ébranler  Tensemble  de  TappareiU  Si,  au  con- 
traire, les  robinets  adaptés  aux  deux  tubes  qui  établissent 
la  communication  entre  la  chaudière  et  le  corps  de  pompe 
ne  demeurent  pas  ouverts  pendant  toute  la  durée  des 
excursions  du  piston;  s'ils  se  ferment,  par  exemple, 
chacun  à  leur  tour,  quand  le  piston  est  parvenu  aux  deux 

!•  D'après  Partington,  la  machine  à  double  effet  construite  par 
Watt  pour  les  mines  de  Cornouailles  {Union  mine)  est  de  la  force 
de  250  chevaux;  le  diamètre  du  cylindre  est  de  i".6;  le  poids  de 
Teau  soulevé  dans  les  pompes  est  de  37,000  kilogrammes  ;  sous  cette 
charge,  le  piston  fait  par  minute  6  1/2  doubles  excursions;  chaque 
excursion  est  de  2".  28,  d'où  il  résulte  que  le  poids  de  37,000  kilo- 
grammes fait,  dans  une  minute,  un  mouvement  de  30  mètres.  Le 
charbon  de  terre  consumé  est,  par  minute,  d'environ  l/i  kilo- 
grammes. 

Dans  la  machine  à  double  effet,  il  faut  que  les  excursions  verti- 
cales de  la  tige  du  piston  puissent  s'effectuer  librement  au  travers 
du  couvercle  supérieur  du  corps  de  pompe,  sans  que  pour  cela  l'air 
extérieur  y  pénètre  au  moment  de  la  condensation ,  et  sans  qu'en- 
suite la  vapeur  s'échappe,  quand  elle  vient  agir  de  haut  en  bas. 
Dans  ce  but  on  se  sert  avec  beaucoup  de  succès  d'une  boîte  à  étoupc 
bien  graissée,  dont  l'invention  appartient  à  Watt. 


MACHINES  A  VAPEUR.  53 

tiers  de  sa  course ,  le  tiers  restant  sera  parcouru  en  vertu 
de  la  vitesse  acquise,  et  surtout  par  l'action  que  la  vapeur 
déjà  introduite  alors  continuera  à  exercer*  Cette  action 
deviendra  de  moins  en  moins  forte  pendant  ce  dernier 
tiers  du  mouvement  du  piston ,  attendu  que  la  vapeur  se 
dilatera  graduellement,  et  qu'à  mesure  qu'elle  occupera 
des  espaces  de  plus  en  plus  grands,  son  élasticité,  comme 
celle  de  tout  autre  gaz ,  diminuera.  Dès  lors  il  n'y  aura 
plus  de  vitesse  nuisTBle  vers  les  deux  limites  des  excur- 
sions du  piston ,  et ,  ce  qui  est  encore  plus  important,  une 
moindre  quantité  de  vapeur  sera  employée  pour  produire 
les  mouvements  désirés.  Qui  ne  voit,  en  eflfet,  que  si  le 
robinet  était  ouvert  pendant  toute  la  course  du  piston , 
l'injection  détruirait  chaque  fois  un  volume  de  vapeur  égal 
à  celui  du  corps  de  pompe  et  d'une  densité  pareille  à  celle 
de  la  vapeur  de  la  chaudière ,  tandis  que  si  le  robinet  se 
ferme  quand  le  piston  est  aux  deux  tiers  de  sa  course,  il 
entrera  et  il  se  détruira  un  tiers  de  vapeur  de  moins.  Les 
mécaniciens  ont  cité  des  expériences  d'après  lesquelles  il 
semblerait  qu'en  employant  ainsi  la  détente  de  la  vapeur, 
on  peut  économiser,  à  égalité  d'effet ,  une  quantité  consi- 
dérable de  combustible;  aussi  rangent -ils  la  proposition 
que  Watt  a  insérée  à  ce  sujet  dans  sa  première  patente, 
au  nombre  des  plus  lumineuses  dont  l'industrie  lui  soit 
redevable.  Il  ne  paraît  pas  cependant  que,  dans  la  plu- 
part des  machines  sorties  des  ateliers  de  Soho,  la  détente 
ait  été  employée  sur  une  grande  échelle  :  on  n'y  a  eu 
recours  que  pour  rendre  le  mouvement  du  piston  à  peu 
près  uniforme» 


Si  MACHIXES  A  TAPETB» 


d.  —  Emrtloppe  om  ckemUe  dm  corps  de  pompe. 

Le  condenseur  isolé,  la  plos  bdie  des  ûnrentkms  de 
Watt,  a  pour  objet,  comme  on  Ta  vo  plos  haut,  de  laisser 
ccmstanmient  le  corps  de  pompe  à  la  température  de  la 
vapeur,  afin  cpi^elle  ne  s*y  ccMMloise  pas  en  partie  quand 
die  arrive  de  la  chaudière.  Hais  ce  corps  de  pompe  est 
en  contact  avec  Tatmo^bère  sur  toute  retendue  de  ses 
parois  extérieures^  Il  y  aura  donc  sur  ces  parois,  et,  par 
suite,  dans  toute  Pépaisseur  du  cylindre,  un  refiroîdisse- 
ment  OHitinoel  auquel  la  vapeur  motrice  devra  pourvoir 
aux  dqp^as  de  sa  propre  élasticité.  Watt  a  proposé  d'atté- 
nuer cet  efiet  en  enveloppant  le  corps  de  pompe  dans  un 
second  cylindre.  Une  telle  enveloppe,  à  efle  est  fermée 
en  haut  et  en  bas,  empédi^^  qu^il  ne  se  forme  des  courants 
d'air  refroidissants,  et  ce  sara  déjà  beaucoup  de  gagné. 
Mais  on  pourra  de  plus  introduire  de  la  vapeur  dans  Tes- 
pacc  annulaire  compris  entre  les  deux  c>'lîndres,  et  dès 
lors  la  température  du  corps  de  pompe  prt^)rement  dit 
sera  si  peu  différente  de  celle  de  la  vapeur  fournie  par  la 
cbaudière,  que,  dans  la  pratique,  on  pourra  les  considérer 
comme  étant  parfaitement  égales. 


MACHINES  A  VAPEUR.  55 


CHAPITRE  III 

MACH18ES    A    HAUTE    PRESSION 

§  1.  —  Machines  à  baale  pression  sans  condensation. 
—  Macliines  locomotives. 

Les  machines  dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici  n'exigent 
pas  que  la  vapeur  qui  les  fait  mouvoir  exerce  une  pression 
supérieure  à  celle  de  l'atmosphère.  Pour  se  débarrasser 
de  la  vapeur  quand  elle  a  agi ,  il  suffit  de  la  condenser. 
Cette  opération  nécessite  l'emploi  d'une  abondante  quan- 
tité d'eau  froide;. dans  beaucoup  de  localités ,  c'est  un 
inconvénient  majeur.  Quant  aux  machines  bcomoiives 
propres  à  faire  marcher  des  chariots  sur  des  chemins  de 
fer,  on  ne  peut  pas  songer  à  les  construire  sur  ce  système. 
Elles  devraient,  en  effet,  porter  avec  elles  non-seulement 
le  charbon  nécessaire  à  l'alimentation  du  foyer,  non-seu- 
lement l'eau  qui  doit  remplacer  incessamment  dans  la 
chaudière  celle  qui  est  graduellement  transformée  en 
vapeur,  mais  encore  une  énorme  quantité  d'eau  froide 
destinée  à  opérer  la  condensation.  Une  telle  machine  ne 
produirait  pas  de  grands  effets  :  elle  pourrait  à  peine  se 
traîner  elle-même.  Le  besoin  de  se  soustraire  à  la  néces- 
sité de  la  condensation  de  la  vapeur,  donne  beaucoup  de 
prix  aux  machines  à  haute  pression. 

Dans  ces  machines,  quand  la  vapeur  a  poussé,  par 
exemple,  le  piston  de  bas  en  haut,  l'ouverture  d'un 
robinet  lui  permet  de  s'échapper  dans  l'air.  C'est  la  diffé- 
rence d'élasticité  qui  détermine  cet  écoulement;  il  cesse 


56  MACHINES  À  VAPEUR. 

donc  dès  que  la  pression  de  la  vapeur  intérieure  ne  sur- 
passe plus  celle  de  F  atmosphère.  Ainsi  le  corps  de  pompe 
n'est  pas  entièrement  vidé,  comme  dans  le  cas  de  l'injec- 
tion. La  vapeur  qui  après  Toscillation  ascendante  devra 
pousser  le  piston  de  haut  en  bas ,  aura  donc  à  surmonter 
une  résistance  égale  à  la  pression  atmosphérique,  avant 
de  produire  aucun  effet  utile.  La  même  remarque  s'ap- 
plique à  Toscillation  ascendante,  car  au  moment  où  elle 
s'opère,  le  haut  du  corps  de  pompe  renferme  de  la  vapeur 
et  ainsi  de  suite. 

Papin  est  le  premier  qui  ait  construit  une  machine  dans 
laquelle  la  vapeur  à  haute  pression  s'échappait  dans  l'at- 
mosphère après  avoir  produit  son  effet.  Cette  machine 
était  exclusivement  destinée  à  élever  de  l'eau.  Leupold, 
qui  l'a  fait  connaître ,  en  a  décrit  une  du  même  genre  en 
1724,  dans  son  Theatrum  Machin,  hydraul.  Celle-ci  était 
à  piston  et  à  balancier,  mais  à  simple  effet.  Enfin ,  en 
1802,  MM.  Trevithick  et  Vivian  obtinrent,  en  Angleterre, 
une  patente  pour  une  machine  à  haute  pression  et  à  double 
effet,  qui  a  été  appliquée,  soit  par  eux,  soit  par  d'autres 
constructeurs,  au  mouvement  des  voitures  sur  des  ornières 
en  fer.  Dans  sa  première  patente  de  1769,  Watt  s'était 
déjà  réservé  le  droit,  «pour  le  cas  où  l'eau  froide  serait 
rare ,  de  faire  marcher  les  machines  à  l'aide  de  la  seule 
vapeur,  laquelle  pourrait  s'échapper  dans  l'ah*  après 
qu'elle  aurait  produit  son  effet  ;  »  mais  il  ne  paraît  pas 
qu'on  ait  jamais  construit  dans  ses  ateliers  une  seule  ma- 
chine sur  ce  principe. 


MACHINES  A  VAPEUR.  57 

§  2.  —  Machines  à  hante  pression  et  à  condensation. 

Il  existe  des  machines  à  haute  pression  dans  lesquelles 
on  condense  la  vapeur  après  qu'elle  a  agi ,  comme  dans 
les  machines  à  pression  simple.  Les  machines  ^de  cette 
espèce,  les  plus  estimées,  sont  celles  que  M.  Arthur  Woolf 
a  proposées  en  1804;  mais  elles  ne  pourraient  pas  être 
appliquées  aux  appareils  locômotifs.  Dans  les  machines 
de  cet  ingénieur,  la  vapeur  à  haute  élasticité  venant  direc- 
tement de  la  chaudière,  pénètre  d'abord  dans  un  premier 
corps  de  pompe,  tantôt  par-dessus  et  tantôt  par- des- 
sous ,  comme  dans  une  machine  à  double  effet.  Seulement 
cette  vapeur  n'est  pas  condensée  aussitôt  qu'elle  a  amené 
le  piston  à  l'une  des  deux  extrémités  de  sa  course; 
M.  Woolf  en  tire  encore  un  certain  parti  avant  de  l'anéan- 
tir ;  voici  de  quelle  manière. 

A  côté  du  premier  corps  de  pompe,  il  en  existe  un 
second  de  même  hauteur  environ,  mais  d'un  plus  grand 
diamètre.  La  partie  supérieure  du  premier  communique 
par  un  tuyau  avec  la  partie  inférieure  du  second,  et  réci- 
proquement. Quand  la  vapeur  a  poussé  le  piston  du 
premier  cylindre  jusqu'au  bas  de  sa  course,  au  moment 
précis  où  ce  même  piston  commence  à  monter  par  l'action 
de  la  nouvelle  vapeur,  venant  directement  de  la  chau- 
dière, qui  le  pousse  de  bas  en  haut,  toute  la  vapeur  dont 
le  cylindre  qu'il  parcourt  est  rempli ,  et  qui  a  déjà  amené 
le  premier  mouvement  descendant,  se  répand  dans  le 
second  cylindre  au-dessous  de  son  piston  et  le  pousse 
aussi  de  bas  en  haut.  Ainsi ,  les  deux  pistons  marchent 
dans  le  même  sens.  Dès  que  ce  mouvement  est  achevé , 


58  MACHINES  A  VAPEUR. 

la  vapeur  dilatée  qui  occupe  toute  la  capacité  du  grand 
cylindre ,  va  se  liquéfier  dans  un  condenseur  isolé.  Une 
nouvelle  quantité  de  vapeur  venant  de  la  chaudière  se 
rend  alors  au-dessus  du  premier  cylindre  et  pousse  son 
piston  de  haut  en  bas.  L'ancienne  vapeur,  dont  tout  le 
bas  de  ce  cylindre  était  rempli  à  la  suite  du  premier 
mouvement,  passe  en  se  dilatant  au-dessus  du  piston  du 
second  cylindre  et  le  force  à  descendre,  en  sorte. que  les 
deux  pistons ,  encore  cette  fois ,  marchent  dans  le  mêioe 
sens.  Si  chaque  piston  porte  une  tige  verticale ,  et  si  les 
deux  tiges  sont  attachées  à  deux  points  du  balancier  situés 
du  même  côté  de  son  centre  de  rotation ,  les  oscillations 
que  ce  balancier  éprouvera,  s'opéreront  en  vertu  des 
impulsions  réunies  des  deux  pistons;  la  même  vapeur 
aura  donc  produit  deux  effets  avant  d'être  condensée  K 

1.  D'après  Partington,  dans  la  machine  à  double  cylindre  établie 
il  la  mine  de  Whealvor  en  1815,  le  diamètre  du  grand  cylindre  est 
de  i".3/i  ;  la  capacité  du  petit  cylindre  est  le  cinquième  environ  de 
celle  du  grand;  retendue  des  excursions  du  piston  est  2". 75.  La 
machine  conduit  six  pompes,  et  son  effet  moyen  peut  être  évalué  & 
6,300,000  kilogrammes  élevés  à  un  mètre  par  boisseau  de  charbon 
(36  litres).  Un  laboureur  qui  travaille  dix  heures  fait,  terme  moyen, 
par  minute  un  travail  correspondant  à  Télévation  de  516  kilo- 
grammes à  un  mètre,  ce  qui  correspond  à  309,600  kilogrammes 
élevés  à  un  mètre  par  jour.  D'après  ces  données ,.  avec  la  machine 
de  Woolf,  on  ferait  la  journée  de  vingt  hommes  en  brûlant  un  bois- 
seau de  charbon.  En  1822,  quand  il  publiait  son  ouvrage,  Partington 
affirmait  qu'il  y  avait  en  Angleterre  10,000  machines  à  feu  an 
moins,  exécutant  un  travail  qui  aurait  exigé  200,000  chevaux. 

On  trouve  dans  une  enquête  dirigée  par  une  commission  de  la 
ehambre  des  communes  que  les  machines  à  haute  pression  de  Woolf 
peuvent  moudre,  terme  moyen,  6  hectoUtres  1/2  de  blé  par  boisseau 
(36  litres)  de  charbon,  et  que  les  machines  à  basse  pression  de 
Watt  ne  donnent  p&s  plus  de  U  hectolitres  1/3  pour  la  môme  quan- 
tité de  combustible. 


MACHINES  X  VAPEUR.  59 

Cette  machine  de  Woolf  est  une  véritable  machine  à 
détente^  assez  semblable  à  celle  que  M.  Hornblower  a 
décrite  dans  sa  patente  de  1781.  On  ne  voit  point  à  priori 
pourquoi  la  détente  de  la  vapeur  ne  produirait  pas  y  en 
Topérant  comme  Watt  T  avait  proposé,  dans  un  seul  corps 
de  pompe,  autant  d'effet  qu'en  suivant  le  système  de 
WoolL  Des  eiq;>ériences  publiées  dans  les  Rapports  men- 
suels des  Mines  de  Comouailles,  semblent,  il  est  vrai, 
très -favorables  à  ce  système  ;  mais  elles  n'obtiendront 
Tassentiment  général  qu'après  qu'on  les  aura  faites  en 
rendant  tout  égal  de  part  et  d'autre,  à  l'exception  du 
mode  de  dilatation  de  la  vapeur. 


CHAPITRE  IV 

BATIAUX    A    TAPE  UR 

Uapplication  des  machines  à  vapeur  à  la  navigation 
est,  de  toutes  les  inventions  des  mécaniciens  modernes, 
celle  qui,  dans  certaines  contrées,  en  Amérique,  par 
exemple ,  semble  devoir  donner  les  plus  importants  résul- 
tats. Aussi  la  question  de  priorité  a-t-elle  été  l'objet 
d'une  controverse  fort  animée.  Dès  l'origine,  on  a  mis  la 
France  hors  de  cause  :  le  débat  a  paru  ne  devoii*  s'établir 
qu'entre  les  Anglais  et  les  Américains  du  Nord.  Ceux-ci 
attribuent  l'application  à  Fulton.  Les  Anglais  produisent 
les  écrits ,  fort  antérieurs,  de  Jonathan  HuU  et  de  Patrick 
Millei'.  L'argument  est  sans  réplique  contre  Fulton  ;  mais 
n'existe-t-il  pas  des  ouvrages  encore  plus  anciens  que 
celui  de  Jonathan  Uull ,  et  dans  lequel  les  idées  de  ce 


60  MACHINES  À  VAPEUR. 

mécanicien  se  trouveraient  déjà  consignées?  Le  lecteur 
va  juger  si  mes  recherches  à  cet  égard  ont  été  infruc- 
tueuses. 

L'ouvrage  de  Jonathan  Hull  est  de  1737.  Voici  la 
traduction  du  titre  :  «  Description  et  Figure  d'une  machine 
nouvellement  inventée  pour  amener  les  navires  et  les  vais- 
seaux dans  les  rades,  les  ports  et  les  rivières,  ou  pour 
les  en  faire  sortir  contre  le  vent  et  la  marée ,  ou  par  un 
temps  calme  ;  à  l'occasion  de  laquelle  S.  M.  Georges  II 
a  accordé  des  lettres-patentes  au  profit  de  l'auteur,  qui 
en  jouira  l'espace  de  quatorze  ans;  par  Jonathan  Hull.  t 

Cet  ouvrage  renferme,  1*  la  figure  et  la  description  de 
deux  roues  à  palettes  placées  sur  l'arrière  du  bâtiment  : 
l'auteur  voulait  substituer  ces  roues  aux  rames  ordinaires; 
2*  la  proposition  de  faire  tourner  les  axes  des  roues  à 
l'aide  de  la  machine  de  Newcomen,  alors  bien  connue, 
mais  employée  seulement,  d'après  les  propres  expressions 
de  Hull,  pour  élever  de  l'eau  à  l'aide  du  feu.  {With  fjoich^ 
he  (Newcomen)  raises  waler  by  fire.) 

L'ouvrage  de  Patrick  Miller  parut  à  Edinburgh  en 
1787.  On  y  trouve  aussi  la  description  des  roues  à  pa- 
lettes, considérées  comme  moyen  de  faire  avancer  les 
bateaux  dans  les  canaux ,  et  l'indication  des  essais  aux- 
quels l'auteur  s'était  livré  pour  faire  tourner  ces  roues 
convenablement.  Ce  dernier  article  se  termine  par  la 
remarque  suivante  :  «  J'ai  quelque  raison  de  croire  que  la 
force  de  la  machine  à  vapeur  peut  être  employée  pour 
faire  tourner  les  roues,  de  manière  à  leur  donner  un 
mouvement  plus  prompt  et  à  augmenter  conséquemmcnt 
la  vitesse  du  bateau.  » 


MACHINES  A  VAPEUR.  61 

Voilà  tout  ce  que  les  critiques  anglais  ont  rapporté  de 
plus  précis  et  de  plus  ancien,  dans  les  discussions  qu'ils 
ont  eues  avec  leurs  antagonistes  d'Amérique*.  Je  vais 
maintenant  fournir  aussi  mon  contingent. 

L'ouvrage  de  Papin,  que  j'ai  tant  de  fois  cité,  le 
Recueil  de  1695,  renferme  textuellement  ce  qui  suit,  aux 
pages  57,  58,  59  et  60, 

•  Il  serait  trop  long  de  rapporter  ici  de  quelle  manière 
cette  invention  (celle  de  la  machine  à  vapeur  atmosphé- 
rique) se  pourrait  appliquer  à  tirer  l'eau  des  mines ,  à 
jeter  des  bombes,  à  ramer  contre  le  vent...  Je  ne  puis 
pourtant  m'empêcher  de  remarquer  combien  cette  force 
serait  préférable  à  celle  des  galériens  pour  aller  vite  en 
mer.  »  Suit  la  critique  des  moteurs  animés,  qui  occupent, 
dit  l'auteur,  un  grand  espace  et  consomment  beaucoup , 
lors  même  qu'ils  ne  travaillent  pas.  Il  remarque  que  ses 
tuyaux  (ses  corps  de  pompe)  seraient  moins  embarras- 
sants; «mais,  comme  ils  ne  pourraient  pas,  dit-il,  com- 
modément faire  jouer  des  rames  ordinaires,  il  faudrait 
employer  des  rames  tournantes.  »  Papin  rapporte  qu'il  a 
vu  de  semblables  rames  attachées  à  un  essieu  sur  une 
barque  du  prince  Robert ,  et  que  des  chevaux  les  faisaient 
tourner.  Quant  à  lui ,  comme  c'est  le  mouvement  de  va- 
et-vient  de  son  piston  qu'il  veut  transformer  en  mouve- 
ment de  rotation,  voici  comment  il  s'y  prendrait  :  «  Il 
faudrait  que  les  manches  des  pistons  fussent  dentés  pour 
tourner  de  petites  roues  dentées,  affermies  sur  les  essieux 
des  rames.  »  Mais  comme  un  piston  ne  fait  aucun  effort 

1.  Yoyez  le  Quarlerly  Revîew  pour  1818,  t.  XIX ,  p.  353  et  355. 


62  MACHINES  À  VAPEUR. 

utile  dans  le  bas  de  sa  course ,  pour  que  le  mouvement 
de  rotation  soit  continu ,  il  imagine  d'employer  plusieurs 
corps  de  pompe  dont  les  pistons  marcheraient  en  sens 
contraires;  l'un  commencerait  à  descendre  quand  un 
autre  serait  arrivé  au  bas  de  sa  course,  etc.  rMais  on 
m'objectera  peut-être,  ajoute  Papin,  que  les  dents  des 
manches  des  pistons  (des  crémaillères)  étant  engagées 
dans  les  dents  des  roues ,  devraient ,  en  montant  et  en 
descendant,  donner  à  l'essieu  des  mouvements  opposés, 
et  qu'ainsi  les  pistons  montants  empêcheraient  le  mouve- 
ment de  ceux  qui  descendraient,  ou  ceux  qui  descen- 
draient empêcheraient  le  mouvement  de  ceux  qui  devraient 
monter.  Mais  cette  objection  est  facile  à  résoudre  ;  car 
c'est  une  chose  fort  ordinaire  aux  horlogers  d'affermir 
des  roues  dentées  sur  des  arbres  ou  essieux,  en  telle  sorte 
qu'étant  poussées  vers  un  côté,  elles  font  nécessairement 
tourner  l'essieu  avec  elles  ;  mais  vers  le  côté  opposé,  elles 
peuvent  tourner  librement  sans  donner  aucun  mouvement 
à  l'essieu,  qui  peut  ainsi  avoir  un  mouvement  tout  opposé 
à  celui  desdites  roues.  Toute  la  plus  grande  difficulté  ne 
consiste  donc  qu'à  ériger  une  manufacture  pour  faire 
avec  facilité  des  tuyaux  légers,  gros  et  égaux  d'un  bout 
à  l'autre,  etc.  » 

Papin  a  donc  proposé,  dans  un  ouvrage  imprimé,  de 
faire  marcher  les  navires  à  l'aide  de  la  machine  à  vapeur, 
42  ans  avant  Jonathan  Hull ,  qui  est  regardé  en  Angle- 
terre comme  l'inventeur.  > 

Le  procédé  que  Papin  indique  pour  transformer  le 
mouvement  rectiligne  du  piston  en  un  mouvement  de 
rotation  continu,  n'e^t  pas  inférieur,  je  crois,  à  celui  du 


MACHINES  À  VAPEUR.  63 

mécaniciefi  anglais  ;  car,  dans  ce  dernier,  les  roues  atta- 
chées à  Taxe  principal  et  les  roues  à  palettes,  ne  conunu- 
niquent  entre  elles  que  par  des  cordes. 

Les  deux  corps  de  pompe,  agissant  alternativement, 
dont  Papin  songea  à  se  servir  pour  régulariser  le  mou- 
vement des  roues,  ne  sont  pas  tant  à  dédaigner  qu'on 
pourrait  le  croire  :  M.  Maudsley,  l'un  des  plus  habiles 
constructeurs  qu'il  y  ait  en  Angleterre,  les  a  employés 
récemment  pour  suppléer,  sur  plusieurs  de  ses  grands 
bateaux ,  au  volant,  qui  ne  s'installe  pas  sans  de  grandes 
difBciiItés  dans  un  espace  resserré. 

La  substitution  d'une  roue  à  palettes  aux  rames  ordi- 
paires,  n'appartient  ni  à  Papin  ni  à  Hull  ;  sans  parler  de 
la  chaloupe  du  prince  Robert ,  citée  par  le  premier,  nous 
trouverions  dans  des  auteurs  fort  anciens  des  preuves 
évidentes  de  l'emploi  des  roues.  Quant  aux  premières 
expériences  exactes  qui  aient  permis  de  juger  des  avan- 
tages relatifs  de  ces  deux  modes  d'impulsion ,  elles  ne 
remontent  guère  qu'à  l'année  1699,  et  c'est  à  M.  du  Quel 
qu'on  les  doit  *.  ( Voy.  Machines  approuvées  par  C Aca- 
démie ^  t.  r'.  ) 

i.  L'ouvrage  de  M.  Robert  Stuart  (voyez  page  83,  3*  édition) 
renferme  le  passage  suivant  :  a  Jonathan  Hull  doit  être  cité  hono- 
rablement pour  avoir  indiqué  des  roues  à  palettes  mues  par  une 
machine  à  vapeur,  comme  un  moyen  de  faire  marcher  les  navires 
sans  vent  et  sans  voiles.  Ce  projet  exigeait  la  transformation  du 
mouvement  rectiligne  et  alternatif  de  la  tige  du  piston ,  en  un  mou- 
vement de  rotation.  UuU  montra  qu*une  manivelle  coudée  donnait 
une  solution  ingénieuse  du  problème.  On  voit  aujourd'hui,  avec 
raison ,  dans  cette  invention ,  Toriglne  de  l'introduction  des  ma- 
chines à  vapeur  dans  les  usines,  comme  moteurs  de  toutes  les 
variétés  possibles  de  mécanique.»  Ainsi,  dans  Topinion  de  M.  Stuart, 
Jonathan  Hull  aurait  le  double  mérite  d'avoir  inventé  les  bateaux  à 


64  MACHINES  A  VAPEUR. 

En  parlant  des  machines  à  vapeur  en  général,  j'ai 
essayé  de  faire  la  part  des  inventeurs  proprement  dits 
et  celle  des  ingénieurs  qui ,  les  premiers ,  les  ont  exécu- 
tées. Si  nous  suivons  ici  la  même  marche,  nous  trouve- 
rons: 

Que  M.  Perier  est  le  premier  qui ,  en  1775,  ait  con- 

vapeur  et  d^avoir  montré  que  la  machine  à  feu  pouvait  être  substi- 
tuée aux  agents  mécaniques  employés  jusque-là  dans  les  manufac- 
tures de  toute  espèce.  Je  n'ai  qu'une  seule  difficulté  à  opposer  à  ces 
conclusions  :  c'est  que  l'ouvrage  de  Papin ,  où  se  trouve  l'idée  des 
bateaux  et  celle  d'un  mouvement  de  rotation  continu  communiqué 
à  une  roue  par  une  pompe  à  feu ,  a  précédé  de  /Ii2  ans  celui  de 
l'ingénieur  llull. 

Un  savant  anglais  de  mes  amis  à  qui  je  faisais  part  verbalement 
des  résultats  contenus  dans  cette  Notice,  me  dit  que  si  je  les  publiais 
jamais,  il  combattrait  toutes  mes  assertiOBs  par  des  passages  em- 
pruntés à  des  auteurs  français.  Ce  serait,  ajoutait-il  en  riant,  une 
guerre  de  guillemets.  En  le  priaut  de  s'expliquer  davantage,  je 
découvris  que  les  arguments  qu'il  doit  m'opposer  seront  puisés,  soit 
dans  un  article  biographique  sur  Newcomen  dû  à  un  des  plus  illus- 
tres physiciens  de  notre  époque ,  soit  dans  un  rapport  concernant 
les  bateaux  à  vapeur,  rédigé  par  le  célèbre  professeur  de  mécanique 
du  Conservatoire  et  approuvé  par  l'Académie  des  sciences.  Dans 
ces  deux  articles,  je  suis  forcé  de  le  reconnaître,  les  opinions  des 
auteurs  anglais  sur  les  inventeurs  de  la  machine  à  feu  ont  été  adop- 
tées sans  réserve.  L'objection  a  donc  quelque  gravité,  mais  elle  ne 
me  semble  pas  insoluble.  En  ce  qui  concerne  la  Notice  sur  Newco- 
men, je  remarquerai  d'abord  qu'elle  est  évidemment  calquée  sur 
l'histoire  de  Robison  ;  que  l'écrivain  distingué  à  qui  on  la  doit, 
n'annonce  nulle  part  qu'il  ait  fait  à  cette  occasion  des  recherches 
particulières,  qu'il  ait  consulté  les  sources  originales.  S'il  avait  cité 
Salomon  de  Caus,  j'aurais  sans  doute  des  scrupules  au  sujet  de 
l'importance  qu'il  m'a  semblé  juste  d'accorder  aux  recherches  de 
ce  mécanicien  français  ;  mais  son  nom  ne  se  trouve  pas  une  seule 
fois  dans  l'article  biographique,  quoiqu'on  y  lise,  en  toutes  lettres, 
ceux  de  Worcester  et  de  Savqry.  De  là  je  crois  pouvoir  conclure 
avec  certitude,  que  les  œuvres  de  Salomon  de  Caus,  et  je  suppose 
même  celles  de  Papin,  étaient  inconnues  à  mon  savant  confrère; 
son  opinion  ne  saurait  donc  m'étre  opposée,  car  j'aurais  le  droit. 


MACHINES  A  VAPEUR.  '      65 

struit  un  bateau  à  vapeur  (un  ouvrage  de  M.  Ducrest, 
imprimé  en  1777,  renferme  la  discussion  des  expériences 
auxquelles  cet  ingénieur  avait  assisté  ;  leur  date  est  ainsi 
constatée  authentiquement)  ; 

Que  des  essais  sur  une  plus  grande  échelle  furent  faits 
en  1778,  à  Baume- les- Dames,  par  M.  le  marquis  de 
Jouffroy ; 

comme  un  ancien  philosophe  grec ,  d'en  appeler  de  Philippe  à  Phi- 
lippe mieux  informé.  Si  je  dois  aborder  ensuite  la  seconde  objection, 
j'écarterai  aisément  l'autorité  de  l'Académie  des  sciences,  en  faisant 
remarquer  que  sa  règle  constante  est  de  ne  se  prononcer  que  sur 
les  conclusions  des  rapports  qu'on  lui  préseote.  Les  développements 
plus  ou  moins  étendus  qui  ont  accompagné  ces  conclusions,  ne 
donnent  lieu,  de  sa  part,  à  aucune  délibération  :  le  rapporteur  en 
est  seul  responsable.  Or,  le  rapport  très-détaillé  concernant  les 
bateaux  a  vapeur  dont  l'Académie  entendit  la  lecture  le  27  janvier 
1823,  se  termine  par  des  conclusions  dans  lesquelles  je  ne  vois  pas 
un  seul  mot  qui  ait  trait  aux  inventeurs  des  machines  à  feu.  L'Aca- 
démie n'a  donc  rien  décidé  qu*on  puisse  m'opposer.  Quant  au  texte 
même  du  rapport,  j'y  trouve,  il  est  vrai,  que  les  Anglais  ont  les 
premiers  employé  la  force  de  la  vapeur  pour  élever  les  eaux  ;  que 
Worcester  est  l'inventeur  dont  Savery  développa  les  idées  ;  que  c'est 
Jonathan  Hull  qui  a  songé  à  faire  marcher  les  navires  à  Taide  de  la 
machine  à  feu  ;  mais  comme  je  n'y  vois  ni  le  nom  de  Salomon  de 
Caus  ni  celui  de  Papin ,  quoique,  bien  ou  mal ,  ils  se  fussent  occupés 
de  ces  mêmes  questions  avant  les  mécaniciens  anglais ,  j'aurais  le 
droit  de  reproduire  ici  les  réflexions  que  l'article  de  la  Biographie 
universelle  m'avait  tout  à  l'heure  suggérés.  Au  reste,  des  autorités, 
quelque  respectables  qu'elles  puissent  être,  n'ont  ici  aucune  impor- 
tance. La  question  se  réduit  à  savoir  si  les  ouvrages  dont  je  me  suis 
étayé  ont  bien  la  date  que  je  leur  assigne  et  si  mes  extraits  sont 
fidèles.  Toutes  les  académies  du  monde  auraient  décidé ,  d'un  com- 
mun accord,  que  Worcester  a  imaginé  le  premier  de  pousser  l'eau 
par  la  force  élastique  de  la  vapeur,  qu'il  n'en  resterait  pas  moins 
établi  que  l'idée  appartient  à  Salomon  de  Caus,  car  1615  a  précédé 
1663.  Tant  qu'on  n'aura  pas  prouvé  de  môme  que  l'année  1695  a 
a  suivi  1736,  Papin ,  malgré  l'autorité  de  tous  les  rapports  présents, 
passés  et  futurs,  aura  le  mérite  d'avoir  proposé  les  bateaux  à  vapeur 
&2  ans  avant  Jonathan  Hull,  son  compétiteur. 

V.—  II.  5 


66  MACHINES  A  VAPEUR. 

Qu'en  1781,  M.  de  Jouffroy,  passant  de  Fexpérience 
à  l'exécution ,  établit  réellement  sur  la  Saône  un  grand 
bateau  du  même  genre  qui  n'avait  pas  moins  de  46  mètres 
de  long  avec  û  à  5  mètres  de  large  ; 

Que  le  ministère  d'alors  adressa  à  TAcadémie  des 
sciences,  en  1783,  le  procès-verbal  des  résultats  favo- 
rables donnés  par  ce  bateau,  dans  la  vue  de  décider  si 
M.  de  Jouffroy  avait  droit  au  privilège  exclusif  qu'il 
réclangait  *  (  MM.  Borda  et  Perier  furent  nommés  com- 
missaires) ; 

Que  les  essais  faits  en  Angleterre  par  M.  Miller,  lord 
Stanhope  et  M.  Symington  sont  d'une  date  bien  posté- 
rieure (les  premiers  doivent  être  rapportés  à  l'année  1791, 
ceux  de  lord  Stanhope  à  1795,  et  l'expérience  faîte  par 
Symington,  dans  un  canal  d'Ecosse,  à  l'année  1801)  ; 

Qu'enfin  les  tentatives  de  MM.  Livingston  et  Futton ,  à 
Paris,  n'étant  que  de  1803,  elles  pourraient  d'autant 
moins  donner  des  titres  à  l'invention,  que  Fulton  avait 
eu ,  en  Angleterre ,  une  connaissance  détaillée  des  essais 
de  MM.  Miller  et  Symington,  et  que  plusieurs  de  ses 
compatriotes,  M.  Fitch ,  entre  autres,  s'étaient  livrés  sur 
cet  objet  à  des  expériences  publiques  dès  l'année  1786. 
Disons  toutefois  que  le  premier  bateau  à  vapeur  auquel 
on  n'ait  pas  renoncé  après  l'avoir  essayé  ;  que  le  premier 
qui  ait  été  appliqué  au  transport  des  hommes  et  des  mar- 
chandises, est  celui  que  Fulton  construisit  à  New- York 


1.  Le  bateau  essayé  à  Lyon  renfermait  deux  machines  à  vapeur 
distinctes.  Les  événements  de  la  Révolution  ft'ançaise  forcèrent 
M.  de  Jouffroy  d'^igrer,  et  toutes  ses  tentatives  ne  purent  avoir 

aucune  suite. 


MACHINES  A  VAPEUR.  07 

en  1807,  et  qui  fit  le  voyage  de  cette  ville  à  Albany.  En 
Angleterre,  le  premier  bateau  à  vapeur  qu'on  y  ait  vu  en 
activité  pour  les  beâoins  du  commerce  et  des  voyageurs, 
date  de  1812  seulement;  il  naviguait  sur  la  Glyde  et  s'ap- 
pelait la  Comète.  Le  second  date  de  1813;  il  faisait  la 
traversée  de  Yarmooth  à  Norwich. 


CHAPITRE  V 

UVEHTIOS  DBS  PAI1IC1FA0X  0R6A9E9  DES  MACaiHCS 

A  VAPEVR 

§  t.  —  Artifices  qvà  donnent  à  la  machine  à  Tapeur  la  propriété 
de  marcher  d'elle-même  et  sans  le  secours  d'aucun  ouvrier. 

Les  premières  machines  de  Newcomen  exigeaient  la 
présence  constante  d'une  personne  qui  ouvrit  ou  fermât  à 
propos  alternativement  divers  robinets ,  tantôt  pour  intro- 
duire la  vapeur  aqueuse  dans  le  corps  de  pompe ,  tantôt 
pour  y  amener  l'eau  destinée  à  la  condenser.  La  tradition 
attribue  à  un  enfant,  nommé  Humphry  Potter,  la  pre- 
mière invention  du  mécanisme  à  l'aide  duquel  la  machine 
elle-même  tourne  les  robinets  à  l'instant  convenable.  On 
raconte  que  Potter,  contrarié  un  jour  de  ne  pouvoir  pas 
aller  jouer  avec  ses  camarades,  imagina  d'attacher  les 
extrémités  de  quelques  ficelles  aux  manivelles  des  deux 
robinets  qu'il  devait  ouvrir  et  fermer  ;  les  autres  extré- 
mités ayant  été  liées  au  balancier,  les  tractions  que 
celui-ci  occasionnait  en  montant  ou  en  descendant,  rem- 
plaçaient les  efforts  de  la  main.  L'ingénieur  Beighton 
perfectionna  beaucoup  cette  première  idée,  en  fixant 
verticalement  au  balancier  une  tringle  de  bois ,  nommée 


68  MACHINES  À  VAPEUR. 

en  anglais  plug-frame.  Cette  tringle  était  année  de  diffé- 
rentes chevilles  qui  venaient  presser,  aux  moments  conve- 
nables déterminés  par  les  excursions  du -balancier,  les 
tige5  des  différentes  soupapes.  Le  mécanisme  de  Beighton 
fut  adopté  par  Watt  avec  quelques  modifications  avanta- 
geuses. Maintenant,  la  distribution  de  la  vapeur  dans  les 
diverses  parties  du  corps  de  pompe,  s'opère  par  un  moyen 
plus  simple  et  qui  a  permis  de  renoncer  entièrement  au 
plug-frame^  du  moins  dans  les  machines  dont  la  force 
n'est  pas  excessive  et  qui  sont  destinées  à  faire  tourner  un 
axe.  Ce  moyen,  dont  je  n'essaierai  pas  de  donner  ici  une 
description  qui,  sans  figures,  serait  peut-être  inintelli- 
gible, s'appelle  un  tiroir  ou  glissoir.  Une  roue  excen- 
trique attachée  à  l'arbre  que  la  machine  doit  faire  tourner, 
imprime  aux  tiroirs  deux  mouvements  opposés  pendant 
chacune  de  ses  révolutions;  ces  deux  mouvements  suffi- 
sent pour  amener  successivement  la  vapeur  de  la  chau- 
dière au-dessus  et  au-dessous  du  piston ,  et  pour  fournir 
à  celle  qui  a  déjà  agi ,  un  écoulement  convenable  vers  le 
condenseur. 

Le  mécanisme  du  tiroir  et  de  son  excentrique  a  été 
imaginé  par  M.  Murray,  de  Leeds,  en  1801. 

Dans  les  machines  à  forte  pression  et  à  double  effet ,  la 
vapeur  se  rend  successivement  dans  le  haut  et  dans  le 
bas  du  corps  de  pompe,  et  lorsqu'elle  a  produit  son  effet, 
elle  s'écoule  dans  l'atmosphère.  Tout  cela  n'exige  qu'un 
quart  de  tour  d'un  seul  et  même  robinet ,  désigné  par  le 
nom  de  robinet  à  quatre  voies  ou  à  quatre  fins.  Cet  appa- 
reil, extrêmement  ingénieux,  est  également  employé  de 
nos  jours  dans  toutes  les  grandes  machines  à  colonne 


MACHINES  A  VAPEUR.  G9 

a  exécutées  en  Allemagne.  C'est  à  Papin  qu'on  en  doit 
ention  :  on  le  voit  dans  la  machine  à  haute  pression 
8  mécanicien  dont  Leupold  nous  a  conservé  la  figure, 
ins  celle  que  Leupold  lui-même  a  proposée  plus  tard, 
l^à-dire  en  172â. 

§  2.  ^  Manivelles  et  volants. 

L  Keane  Fitzgerald  publia  dans  les  Transactions  phi^ 
ohiques,  en  1758,  p.  727  et  suiv.,  la  description  d'un 
rédé  propre  à  transfoiroer  le  mouvement  rectiligne  de 
et- vient  qu'éprouve  le  piston  d'une  machine  à  feu, 
in  mouvement  de  rotation  continu.  II  se  servait  pour 
d'un  système  assez  compliqué  de  roues  dentées, 
ni  lesquelles  plusieurs  devaient  être  à  rochet.  Jusque- 
la  méthode  de  cet  ingénieur  rentre  dans  celle  de 
in;  mais  il  avait  imaginé,  de  plus,  de  joindre  à  son 
«nisme  un  volant  :  c'est  un  moyen  précieux  de  régu- 
3er  le  mouvement  des  machines  à  feu  qui,  de  nos 
•s,  est  généralement  employé,  et  dont  il  est  juste  de 
e  honneur  à  M.  Keane  Fitzgerald. 
Tant  que  le  mouvement  oscillatoire  du  balancier  d'une 
îhine  à  feu  ne  se  transmettait  à  un  axe  de  rotation  que 
l'intermédiaire  de  roues  dentées ,  on  était  exposé  à 
ruptures,  très  -  fâcheuses  en  elles-mêmes  et  plus 
ore  à  cause  des  interruptions  de  travail  qu'elles 
asionnaient.  En  1778,  M.  Washbrough,  de  Bristol, 
posa  d'opérer  cette  communication  à  l'aide  d'une  ma- 
elle  coudée  faisant  corps  avec  l'axe  tournant  :  c'était, 
ame  on  voit ,  se  servir  du  moyen  qui  se  trouve  dans 


70  MACHINES  A  TAPEUR. 

tous  les  rouets  des  fileuses,  dans  toutes  les  roues  des 
rémouleurs.  Néanmoins  une  patente  avait  été  prise  ^  un 
privilège  avait  été  concédé,  et  un  artifice  que  tout  le 
monde  aurait  pu  employer  quand  le  moteur  était  le  pied 
d'un  homme  ou  un  courant  d'eau ,  se  trouvait  interdit  à 
l'ingénieur  dont  la  machine  marchait  à  l'aide  de  la  vapeur. 
Afin  de  se  soustraire  à  la  redevance  qu'il  aurait  dû  payer 
à  M.  Washbrough  pour  chacune  de  ses  machines,  Watt 
se  servit,  jusqu'à  l'expiration  du  brevet  dont  ce  dernier 
était  en  possession ,  d'une  communication  de  mouvanent 
un  peu  différente  ;  chez  lui  tout  s'opérait  à  l'aide  d'une 
roue  dentée  liée  à  l'axe  tournant,  qu'il  appelait  la  roue 
solaire,  parce  que  son  centre  demeurait  fixe,  et  d'une 
autre  roue  également  dentée,  attachée  à  l'extrémité  de  la 
bielle  du  balancier,  et  que  par  opposition  il  nommait  la 
roue  planétaire.  Il  serait  inutile  de  décrire  ce  mécanisme 
plus  particulièrement,  puisque  Watt  lui -m^ne  revint  à 
la  manivelle  sim^de  dès  qu'il  le  put 

§  }.  —  Moyens  de  diriger  verticaleiDeiit  la  tige  dn  pisUm 

et  de  la  lier  au  balancier. 

Dans  la  machine  à  simple  effet  de  Newcomen  ou  de 
Watt,  le  balancier  se  terminait  par  un  arc  de  cercle,  et 
une  chaîne  flexible,  attachée  à  l'extrémité  de  cet  arc  la 
plus  éloignée  du  piston ,  était  le  seul  moyen  de  commu- 
nication de  ces  deux  parties  de  l'appareil.  Quand  le  piston 
descendait  par  la  pression  de  l'atmosphère,  il  tirait  le 
balancier  ;  quand  le  piston  remontait  par  Faction  d'un 
contre- poids  placé  à  l'extrémité  opposée,  c'était  le  balan- 
cier qui  tirait  le  piston.  Or,  une  chaîne,  située  entre  deux 


MACHINES  A  VAPEUR.  74 

points,  qudque  fleuble  qu*eUe  soit,  est  toujours  un  excel- 
lent moyen  d'opérer  une  traction  ;  son  emploi ,  dans  la 
machine  à  simple  effet,  ne  pouvait  donc  donner  lieu  à 
aucune  difficulté. 

II  n'en  est  pas  ainsi  de  la  machine  à  double  effet.  Dans 
son  excursion  descendante,  le  piston  tire  bien  le  balan- 
cier ;  mais  dans  le  mouvement  suivant,  ou  quand  le  balan- 
cier remonte,  il  doit  être  poussé  de  bas  en  haut  :  or,  une 
chaîne  ffexible  ne  peut  jamais  servir  à  pousser.  L'ancien 
mécanisme  exigeait  donc  ici  une  modification. 

La  première  qu'on  ait  employée  consistait  à  denter  la 
portion  de  la  tige  du  piston  qui  reste  toujours  en  detiors 
du  corps  de  pompe,  à  en  former  ime  véritable  crémaillère 
et  à  la  faire  engrener  dans  un  arc  circulaire  également 
denté,  fixé  à  l'extrémité  du  balancier.  C'était  ce  que  Papin 
avait  proposé  en  1695, 

Plus  tard,  Watt  imagina  une  méthode  de  beaucoup 
préférable,  et  qui  maintenant  est  généralement  adoptée 
partout  où  l'espace  ne  manque  pas  ;  c'est  celle  qu'on 
appelle  méthode  du  parallélogramme  ou  du  mouvement 
parallèle.  Il  me  serait  bien  difiCicile  d'en  donner  sans 
figures  une  description  complète.  Je  me  contenterai  de 
dire  qu'un  parallélogramme  aux  quatre  angles  duquel  se 
trouvent  quatre  tourillons ,  et  qui ,  conséquemraent ,  peut 
prendre  toutes  sortes  de  formes  sans  cesser  d'être  paral- 
lélogramme ,  est  fixé  par  ses  deux  angles  supérieurs  au 
balancier  de  la  machine  ;  que  la  tige  du  piston  est  atta- 
chée à  l'un  des  angles  inférieurs,  et  que  le  quatrième 
angle  est  Hé  à  une  verge  rigide,  inextensible,  et  mobile 
autour  d'un  centre  (ae.  Quelle  que  puisse  être  la  position 


73  MACHINES  A  VAPEUR. 

de  ce  centre,  il  suffit  que  le  levier  qui  en  part  ait  une  lon- 
gueur invariable,  pour  que  le  parallélogramme  se  déforme 
inévitablement  durant  les  oscillations  du  balancier,  pour 
qu'il  soit  tantôt  rectangle  et  tantôt  obliquangle.  Mais, 
quand  le  centre  auquel  le  levier  aboutit  est  convenable- 
ment choisi  (c'est  en  cela  que  la  découverte  de  Watt 
consiste),  l'angle  du  parallélogramme  mobile  et  de  forme 
variable  auquel  la  tige  du  piston  est  attachée ,  ne  quitte 
pas  sensiblement  la  verticale  pendant  les  oscillations  du 
balancier.  La  tige  du  piston  se  trouve  ainsi  parfaitement 
dirigée ,  et  sa  communication  avec  le  ba:Iancier  ayant  lieu 
par  l'intermédiaire  d'un  système  rigide,  elle  peut  tout  aus^ 
bien  tirer  le  balancier  de  haut  en  bas  durant  le  mouvement 
descendant  du  piston,  que  le  pousser  de  bas  en  haut  quand 
le  piston  remonte. 

Le  parallélogramme  articulé  excite  au  plus  haut  degré 
l'attention  des  personnes  qui  voient  pour  la  première  fois 
marcher  une  machine  à  vapeur.  Aux  yeux  du  mécanicien 
exercé,  il  se  présente  comme  un  appareil  d'une  exécution 
facile,  entièrement  exempt  de  secousses,  et  susceptible 
d'une  durée  indéfinie.  C'est  incontestablement  une  des 
plus  ingénieuses  inventions  de  Watt.  La  patente  dans 
laquelle  elle  se  trouve  décrite  est  du  mois  d'avril  1784. 

§  4.  —  Régulateur  à  force  centrifuge, 

Le  tuyau  qui,  dans  les  machines  de  Watt,  amène  la 
vapeur  de  la  chaudière  dans  le  corps  de  pompe,  renferme 
une  plaque  mince  ou  soupape  semblable  aux  plaques 
qu'on  adapte  aux  tuyaux  de  nos  poêles.  Dans  une  certaine 


MACHINES  A  VAPEUR.  73 

position,  la  plaque  laisse  l'ouverture  du  tuyau  presque 
entièrement  libre;  dans  une  autre,  le  tuyau  est  tout  à  fait 
fermé;  pour  les  positions  intermédiaires,  l'ouverture  a 
ies  dimensions  plus  ou  moins  grandes  suivant  qu'on 
s'approche  davantage  des  deux  limites  dont  je  viens  de 
parler.  Les  mouvements  de  la  plaque  peuvent  s'opérer  à 
l'aide  d'un  axe  qui  se  prolonge  jusqu'à  l'extérieur  du 
tuyau. 

Si  la  soupape  est  entièrement  ouverte,  la  vapeur  rem- 
plit le  corps  de  pompe  très -rapidement;  si  elle  est  presque 
Termée ,  il  faut ,  au  contraire ,  un  temps  assez  long  pour 
opérer  l'écoulement  de  la  même  quantité  de  vapeur.  Or,  le 
nombre  de  secondes  que  les  oscillations  du  piston  exigent 
dépend  évidemment  de  la  rapidité  avec  laquelle  la  vapeur 
va  le  presser  sur  l'une  ou  l'autre  de  ses  faces.  La  soupape 
tournante  du  tuyau  donne  donc,  jusqu'à  un  certain  point, 
le  moyen  de  régulariser  cette  vitesse.  Si  Taxe  qui  la  porte 
est  tenniné  par  un  coude  de  manière  à  fonner  à  l'exté- 
rieur une  manivelle,  il  suffira  de  la  faire  tourner  dans  un 
sens  ou  dans  le  sens  contraire  pour  accélérer  ou  retarder 
les  oscillations  du  piston.  11  faudra,  par  exemple,  que  la 
manivelle  monte  si  le  piston  va  trop  vite  et  qu'on  veuille  le 
retarder;  qu'elle  descende ,  au  contraire,  quand  il  va  trop 
lentement.  En  adaptant  à  la  machine  une  pièce  qui  doive 
nécessairement  monter  quand  son  mouvement  s'accélère, 
et  nécessairement  descendre  dès  qu'il  se  ralentit,  le  pro- 
blème se  trouvera  résolu ,  car  il  suffira  de  lier  cette  pièce 
d'une  manière  quelconque  à  la  manivelle  de  la  soupape. 
Tel  est  l'objet  du  mécanisme  que  Watt  appelait  le  gouver- 
neur (governor)j  et  qu'on  nomme  plus  généralement 


74  MACHINES  A  TAPEUR. 

aujourd'hui  régulateur  à  force  centrifuge.  Cet  appareil 
est  formé  d'un  axe  vertical  que  la  machine  fait  tourner 
plus  ou  moins  rapidement,  suivant  qu'elle  mardie  elle- 
même  plus  ou  moins  vite.  Sur  l'extrémité  supérieure  de 
cet  axe  se  trouve  implanté  un  tourillon  horizontal  auquel 
deux  tringles  métalliques  sont  suspendues  par  des  collets 
un  peu  libres ,  de  manière  qu'elles  puissent  s'écarter  plus 
ou  moins  de  la  verticale.  Chaque  tringle  porte  dans  le 
bas  une  grosse  boule  métallique.  Quand  l'axe  vertical  est 
mis  en  mouvement  par  la  machine ,  les  boules  qui  tour* 
nent  avec  lui  s'en  écartent  jusqu'à  une  certaine  limite, 
par  l'effet  de  leur  force  centrifuge.  Si  le  mouvement 
8*accélère,  l'écartement  devient  plus  fort  ;  il  diniinQe  dès 
que  le  mouvement  se  ralentit.  Les  boules  montent  donc 
dans  le  premier  cas ,  et  elles  descendent  dans  te  second. 
Ces  oscillations  ascendantes  et  descendantes  se  conmnH 
niquent  par  des  leviers  à  la  manivelle  de  la  soupape 
tournante  du  tuyau  qui  fournit  la  vapeui",  et  tout  change- 
ment trop  considérable  dans  la  vitesse  de  la  machine  se 
trouve  ainsi  prévenu. 

Cet  appareil ,  composé  de  tringles  mobiles  [portant  des 
boules,  ce  pradule  conique  (c'est  le  nom  qu'on  lui  don- 
nait autrefois)  avait  été  employé  fort  anciennement 
comme  régulateur  dans  les  moulins  à  farine.  On  s'en 
était  également  servi  pour  régler  l'ouverture  de  la  vanne 
(pie  traverse  le  liquide  destiné  à  mettre  une  roue  à  augets 
en  mouvement.  Cette  dernière  application  était  exacte- 
ment semblable,  pour  le  but  et  pour  les  moyens,  à  celle 
que  Watt  en  a  farte  à  la  machine  à  vapeur  dans  l'année 
1784. 


MACHINES  A  VAPEUR.  75 

§  5.  —  Soupape  de  sûreté. 

Le  feu  placé  sous  les  chaudières  des  grandes  machines 
n'est  jamais  réglé  avec  assez  d'uniformité  pour  qu'on 
puisse  éviter  de  donner,  de  temps  en  temps,  à  la  vapeur 
dont  ces  chaudières  sont  à  moitié  remplies,  une  force 
élastique  supérieure  à  celle  que  la  résistance  de  leurs 
parois  surmonterait.  Prévenir  cet  inconvénient  et  les  dan- 
gereuses explosions  qui  en  seraient  là  suite ,  tel  est  le  but 
du  petit  appareil  qu'on  nomme  avec  raison  une  soupape 
de  sûreté. 

La  soupape  de  sûreté  a  été  inventée  par  iPapin.  Elle 
forme  une  partie  essentielle  de  son  digesteur,  et  l'on  en 
trouve  la  description  aux  pages  6,  7,  8,  9  et  10  d'un 
petit  ouvrage  imprimé  à  Paris  en  1682  sous  le  titre  de 
La  Manière  d^ amollir  les  os,  etc.,  etc.  ^.  Le  mécanisme 
de  Papin  est  précisément  celui  des  soupapes  de  sûreté  le 

1.  On  trouve  dans  YHUtolre  de  la  machine  à  feu  de  Robison, 
édition  commentée  par  Watt,  p.  48,  le  paragraphe  que  voici  :  «  Le 
docteur  Papin,  Français,  inventa  vers  ce  temps-là  (vers  1699),  un 
moyen  de  dissoudre  les  os  dans  Veau  et  autres  matières  animales 
solides,  en  les  renfermant  dans  des  vases  parfaitement  clos  qu'il 
appelait  digesteurs.  Ces  matières  acquéraient  ainsi  un  grand  degré 
de  chaleur.  Je  dois  observer  ici  que  Hooke,  le  plus  subtil  expérimen- 
tateur d'un  siècle  si  fécond  en  recherches  ingénieuses,  avait  trouvé 
longtemps  auparavant,  c'est-à-dire  en  168/i,  que  Teau  ne  peut  ac- 
quérir au  delà  d'une  certaine  température  quand  on  la  chauffe  en 
plein  air,  et  qu^aussitôt  qu'elle  commence  à  bouillir,  elle  marque 
toujours  le  même  degré,  n  Pour  que  ce  passage  fût  exact,  il  fau- 
drait que  La  Manière  d'amollir  les  os  n'eût  pas  été  publiée  en  1682  ; 
mais  comme  1682  est  bien  la  véritable  date  de  l'ouvrage  de  Papin , 
il  faudra  transformer  le  longtemps  auparavant  du  docteur  Robison, 
en  quelque  temps  après.  Les  arguments  empruntés  à  l'arithmétique 
sont  irrésistibles. 


76  MACHINES  A  VAPEUR. 

plus  généralement  en  usage  aujourd'hui.  Son  principe 
d'ailleurs  est  très -simple. 

On  veut  éviter  qu'une  chaudière  éprouve  jamais  inté- 
rieurement des  pressions  trop  fortes.  Pour  cela  faire ,  on 
découpe  circulairement  une  très-petite  partie  de  sa  paroi, 
et  Ton  couvre  le  trou  qui  en  résulte  avec  une  plaque  bien 
dressée  et  mobile  de  dedans  en  dehors  :  c'est  comme  si 
la  portion  correspondante  de  la  chaudière  était  devenue 
mobile  elle-même.  Supposons  que  le  trou  ait,  par  exemple, 
un  centimètre  carré  de  surface.  Papin  calcule  alors  ce 
qu'un  centimètre  carré  de  la  chaudière  éprouvera  de 
pression  quand  l'élasticité  de  la  vapeur  y  aura  atteint  la 
limite  convenue  ;  on  trouve  ainsi  de  quel  poids  le  bou- 
chon doit  être  chargé,  pour  qu'il  ne  soit  pas  soulevé  dans 
toutes  les  pressions  inférieures  à  cette  limite,  et  pour  qu'il 
se  soulève,  au  contraire,  et  donne  un  libre  passage  à  la 
vapeur,  dès  que  la  limite  en  question  est  dépassée.  Ce 
moyen  présenterait  quelques  inconvénients  si  la  soupape 
ayant  une  grande  ouverture,  la  pression  devait  être  un 
peu  forte  :  les  poids  dont  il  faudrait  alors  la  charger 
seraient  très -considérables  et  d'un  ajustement  difficile  ; 
aussi  Papin  préféra-t-il  agir  sur  la  plaque  mobile  par 
l'intermédiaire  d'un  levier.  Un  poids  médiocre  suffit  alors 
pour  contre -balancer  les  plus  fortes  pressions.  Ce  poids, 
suspendu  successivement  sur  des  entailles  pratiquées  le 
long  du  levier,  à  diverses  distances  du  centre  de  rotation , 
comme  le  poids  d'une  romaine ,  procure  des  pressions 
variables  et  graduées  parmi  lesquelles  le  mécanicien 
adopte  journellement  celle  qui  convient  le  mieux  au  genre 
de  travail  qu'il  veut  exécuter. 


MACHINES  A  VAPEUR.  77 

Je  suis  entré  dans  tous  ces  détails  concernant  la  sou- 
pape de  sûreté  de  Papin ,  parce  que  ce  petit  appareil  est 
d'une  extrême  importance  ;  parce  qu'il  prévient  en  très- 
grande  partie  les  accidents  désastreux  auxquels  les  explo- 
sions des  chaudières  donnaient  inévitablement  lieu  avant 
son  adoption  ;  parce  qu'enfin  j'ai  trouvé  ainsi  une  nouvelle 
occasion  de  rendre  à  notre  compatriote  une  justice  qu'on 
lui  a  trop  longtemps  refusée  *. 

A  l'époque  où  des  explosions  de  marmites  autoclaves 
montrèrent  qu'une  soupape  de  sûreté  ordinaire  ne  peut 
pas  être  confiée  sans  danger  à  des  mains  inexpérimentées, 
on  songea  à  munir  ces  ustensiles  d'une  pièce  qui  dût  agir 
inévitablement  d'elle-même  dès  que  la  température  serait 
devenue  trop  élevée.  On  fit  choix  pour  cela  de  l'alliage 
connu  des  chimistes  sous  le  nom  de  métal  fusible,  et  qui 
est  composé  de  bismuth ,  d'étain  et  de  plomb.  Une  por- 
tion de  cet  alliage  ajustée  sur  un  trou  fait  à  la  marmite, 
se  fondait  et  laissait  le  trou  libre  dès  que  la  vapeur  acqué- 
rait une  élasticité,  ou,  ce  qui  est  la  même  chose,  une 
température  trop  forte.  Depuis ,  ces  plaques  fusibles  sont 
appliquées  en  France  à  toutes  les  chaudières  des  machines 
à  haute  pression  :  l'autorité  en  a  imposé  l'obligation.  Le 
degré  de  fusibilité  de  la  plaque,  variable  avec  la  propor- 


1.  PartlngtOQ  affirme,  dans  son  intéressant  ouvrage,  que  les  pre- 
mières machines  de  Savery  avaient  déjà  une  soupape  de  sûreté; 
mais  c'est  une  erreur  :  la  figure  insérée  dans  le  tome  XXI  des  Tran- 
sactions  philosophiques  n'en  offre  aucune  trace.  Au  demeurant,  cela 
serait  vrai ,  que  Papin  n'en  resterait  pas  moins  le  véritable  inven- 
teur, puisque  sa  description  imprimée  est  de  1682,  que  la  patente  de 
Savery  ne  remonte  qu'à  1698  et  que  le  premier  essai  de  sa  machine 
devant  la  Société  royale  est  de  1699.  {Trans.,  tome  XXf,  p.  288.) 


78  MACHINES  A  VAPEUR. 

tion  des  divers  métaux  qui  entrent  dans  sa  formation,  est 
toujours  réglé  d'avance  par  l'élasticité  sous  laquelle  le 
constructeur  annonce  que  sa  machine  marchera. 

CHAPITRE  VI 

RÉSUMÉ   £T   COIfCLUSIOlfS 

Je  n'ai  parlé  que  des  machines  à  vapeur  éprouvées  par 
une  longue  expérience.  J'avais  l'intention  de  consacrer 
quelques  pages  aux  machines  qui  ne  sont  encore,  pour 
ainsi  dire ,  qu'en  projet ,  telles  que  les  machines  à  rotation 
immédiate,  les  machines  à  explosion  de  gaz  hydrogène, 
les  machines  à  gaz  liquéfié ,  etc.  ;  mais  la  trop  grande 
étendue  que  cette  Notice  avait  acquise  m'a  forcé  de  re- 
noncer à  mon  projet.  Par  la  même  raison ,  j'ai  supprimé 
aussi  les  considérations  détaillées  que  je  voulais  exposer 
sur  les  meilleures  formes  des  chaudières  et  des  four- 
neaux ;  sur  les  causes  présumées  des  explosions  que  les 
chaudières  éprouvent  si  fréquemment  ;  sur  les  effets  les 
plus  avantageux  fournis  par  les  machines  les  plus  par- 
faites que  l'on  connaisse  ;  sur  ceux  que  des  améliorations 
futures  pourront  donner  un  jour,  à  en  juger  par  les 
connaissances  qu'on  a  acquises  depuis  plusieurs  années 
sur  les  propriétés  de  la  vapeur,  etc.  Je  me  contenterai  de 
présenter,  en  terminant  mon  étude  historique  sur  l'inven- 
tion de  la  machine  à  vapeur,  un  résumé  succinct  des 
diverses  conséquences  qui  me  paraissent  en  découler  : 


1615,  Salomon  de  Caus  est  le  premier  qui  ait  songé  à 


MACHINES  A  TAPEUR.  79 

se  servir  de  la  force  élastique  de  la  vapeur  aqueuse,  dans 
la  construction  d'une  machine  hydraulique  propre  à  opé- 
rer des  épuisements. 

1690.  C'est  Papin  qui  a  conçu  la  possibilité  de  faire 
une  machine  à  vapeur  aqueuse  et  à  piston. 

1690.  C'est  Papin  qui  a  combiné  le  premier  dans  une 
même  machine  à  feu  et  à  piston ,  la  force  élastique  de  la 
vapeur  d'eau  avec  la  propriété  dont  cette  vapeur  jouit  de 
se  précipiter  par  le  froid. 

1705.  Newcomen,  Cawley  et  Savery,  ont  vu  les  pre- 
miers que,  pour  amener  une  précipitation  prompte  de  la 
vapeur  aqueuse,  il  fallait  que  l'eau  d'injection  se  répandît 
sous  forme  de  gouttelettes  dans  la  masse  même  de  cette 
vapeur. 

1769.  Watt  a  montré  les  immenses  avantages  ccono- 
iniques  qu'on  obtient  en  remplaçant  la  condensation  qui 
s'opérait  avant  lui  dans  l'intérieur  du  corps  de  pompe , 
par  la  condensation  dans  un  vase  séparé. 

1769.  Watt  a  signalé  le  premier  le  parti  qu'on  pourrait 
tirer  de  la  détente  de  la  vapeur  aqueuse. 


II 


1690.  Papin  a  proposé  le  premier  de  se  servir  d'une 
machine  à  vapeur  pour  faire  tourner  un  arbre  ou  une 
roue,  et  a  donné,  pour  atteindre  ce  but,  un  mode  particu- 
lier de  transformation  d'un  mouvement  rectiligne  alter- 
natif en  un  mouvement  de  rotation  continu.  Jusqu'à  lui, 
les  machines  à  feu  avaient  été  considérées  comme  propres 
seulement  à  opérer  des  épuisements. 


80  MACHINES  A  VAPEUR. 

1690.  Papin  a  proposé  la  première  machine  à  feu 
à  double  effet ,  mais  à  deux  corps  de  pompe. 

1769.  Watt  a  inventé  la  première  machine  à  double 
effet  et  à  un  seul  corps  de  pompe. 

III 

Avant  1710,  Papin  avait  imaginé  la  première  machine 
à  vapeur  à  haute  pression  et  sans  condensation. 

1724.  Leupold  a  décrit  la  première  machine  de  cette 
espèce  à  piston. 

1801.  Les  premières  machines  à  haute  pression  loco- 
motives sont  dues  à  MM.  Trevithick  et  Vivian. 

IV 

1690.  Papin  doit  être  considéré  comme  le  véritable 
inventeur  des  bateaux  à  vapeur. 


Dans  les  pièces  principales  dont  une  machine  à  vapeur 
se  compose  : 

1718.  Beighton  a  inventé  la  tringle  verticale,  mobile 
avec  le  balancier,  ou  plug-framcy  qui  ouvre  et  ferme  les 
soupapes  dans  les  grandes  machines. 

1758.  Fitzgerald  s'est  servi  le  premier  d'un  volant 
pour  régulariser  le  mouvement  de  rotation  communiqué 
à  un  axe  par  une  machine  à  vapeur. 

1778.  Washbrough  a  employé  la  manivelle  coudée 
pour  transformer  le  mouvement  rectiligne  du  piston  en 
mouvement  de  rotation. 


MACHINES  A  VAPEUR.  81 

1784.  Watt  a- imaginé  le  parallélogramme  articulé. 

178/i.  Watt  a  appliqué,  avec  beaucoup  d'avantage,  à 
ses  diverses  machines,  le  régulateur  à  force  centrifuge, 
déjà  connu  avant  lui. 

1801.  Murray  a  décrit  et  exécuté  les  premiers  tiroirs 
ou  glissoirs  manœuvres  par  un  excentrique. 

Avant  1710,  Papin  avait  inventé  les  robinets  à  (|uatre 
voies,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  les  machines  à 
haute  pression. 

1682.  Papin  a  inventé  la  soupape  de  sûreté. 


CHAPITRE  Vil 

KXAMEN  DES  OBSERVATIONS  CRITIQUES  DONT  LA  NOTICE  PRÉCÉDENTE 

A   ÉTÉ   l'objet 

La  première  édition  de  la  Notice  historique  qu'on 
vient  de  lire  remonte  à  1828  [Annuaire  du  Bureau  des 
Longitudes  pour  1829).  Alors  les  résultats  de  ce  petit  tra- 
vail étaient,  sous  beaucoup  de  rapports,  trop  éloignés  des 
idées  généralement  admises  chez  nos  voisins  d'outre-mer, 
pour  que  j'eusse  pu  me  flatter  qu'ils  ne  soulèveraient  pas 
des  objections.  Les  objections,  en  effet,  ne  se  firent  point 
attendre.  D'abord  timides  et  anonymes,  elles  se  hasardè- 
rent dans  quelques  coins  inaperçus  des  journaux  politi- 
(|ues.  Bientôt  cependant  il  se  présenta  un  ingénieur, 
M.  Ainger,  qui  les  prit  sous  sa  responsabilité,  qui  -les 
réunit  en  faisceau,  qui  en  composa  une  réfutation  eu 
forme.  M.  Ainger  était  peu  connu  dans  le  monde  scienti- 
fK[ue  ;  son  nom  ne  rappelait  aucun  de  ces  travaux  qui 

V.— II.  ^ 


82  MACHINES  A   VAPKUR. 

commandent  la  confiance  ;  j'avais  donc  toute  raison  de 
supposer  que  la  réfutation  de  ma  Notice ,  annoncée  d'ail- 
leurs avec  beaucoup  d'éclat,  serait  jugée  sans  partialité 
et  d'après  sa  valeur  réelle.  Je  crois  qu'il  n'en  fut  pas 
ainsi  :  le  Quarterly  journal  ofthe  Royal  Institution  s'em- 
pressa de  lui  ouvrir  ses  colonnes,  de  l'enrichir  de  nom- 
breuses et  jolies  gravures  ;  plusieurs  lectures  publiques, 
dans  les  beaux  salons  d' Albermarle  street^  suppléèrent 
aux  lenteurs  inévitables  de  la  presse  ;  ma  défaite,  enfin, 
imprimait -on  de  toute  part,  était  complète,  irrévocable, 
humiliante  :  je  n'avais  pas  cité  fidèlement  ;  mes  figures 
fourmillaient  d'inexactitudes;  je  m'étais  abstenu ,  sciem- 
ment, de  parler  de  plusieurs  auteurs,  tant  anciens  que 
modernes,  dans  lesquels  les  mécaniciens  français  avaient 
dû  puiser  leurs  prétendues  inventions,  etc.,  etc.  !  !  ! 

Je  ne  pensai  pas  devoir  rester  sous  le  coup  d'imputa- 
tions aussi  graves;  aussitôt  que  l'article  de  M.  Ainger  eut 
paru,  je  le  réfutai.  Mon  antagoniste  avait  oublié  les  règles 
de  la  politesse  la  plus  commune;  j'eus  la  faiblesse  de 
m'en  irriter  et  de  lui  répondre  avec  une  vivacité  qui,  toute 
provoquée  qu'elle  était,  ne  pouvait  convenir  à  V Annuaire 
du  Bureau  des  Longilndes.  Aucun  autre  moyen  naturel  de 
publication  ne  s'étant  ofl'ert  à  moi,  pour  le  moment,  je 
jetai  mon  manuscrit  dans  un  carton  d'où  probablement 
il  ne  serait  jamais  sorti ,  sans  la  circonstance  singulière 
dont  je  vais  rendre  compte. 

J'allais  mettre  le  bon  à  tirer  sur  la  dernière  feuille  de  la 
troisième  édition  de  ma  Notice,  dans  V Annuaire  de  18.*i7, 
lorscjue  je  reçus  du  docteur  Measc,  de  Philadelphie,  un 
article  relatif  aux  machines  à  vupeur,  faisant  partie  de 


MACHINES  A  VAPEUR.  83 

rédition  américaine  de  V Encyclopédie  du  docteur  Brewsler. 
Cet  article  renferme,  sans  aucune  réflexion  critique,  une 
partie  du  Mémoire  de  M.  Ainger  ;  mais,  dans  la  lettre 
manuscrite  qui  raccompagnait.  M,  Mease  exprime  le 
regret  de  n'avoir  pu  se  procurer  ma  réponse,  et  s'engage 
à  la  donner  dans  un  supplément  dès  qu'elle  lui  parvien- 
dra. Une  personne  éclairée  et  bienveillante  à  mon  égard , 
trompée  par  le  ton  d'assurance  de  M.  Ainger,  a  donc  pu 
attribuer  quelque  valeur  à  ses  arguments.  J'avoue  que  je 
ne  le  croyais  pas  possible  ;  j'avoue  que  je  me  reposais 
avec  confiance  sur  ces  quelques  paroles  que  m'adressait, 
en  1834,  un  savant  anglais  que  tout  le  monde  prendrait 
pour  juge  en  pareille  matière  :  «  Ce  que  vous  avez  voulu 
établir  dans  votre  histoire  des  machines  à  vapeur,  est  à 
mes  yeux  prouvé  mathématiquement.  »  Mais,  puiscjue 
cette  conviction  n'existe  pas  encore  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique,  je  me  décide,  dans  l'intérêt  des  sciences, 
comme  aussi,  pourquoi  .ne  l'avouerais-je  pas,  dans  l'mté- 
rèt  de  la  gloire  nationale,  à  exhumer  un  écrit  que  j'avais 
condamné  à  l'oubli.  Je  le  donne,  au  surplus,  tel  qu'il  fut 
composé  en  1829,  sauf  quelques  modifications  de  forme 
dont  je  viens  d'indiquer  les  motifs.  Je  crains  même,  à 
vrai  dire,  que  ces  modifications  n'aient  pas  été  assez 
nombreuses,  et  qu'il  ne  soit  resté  çà  et  là  plus  d'un  indice 
de  la  vivacité  de  ma  première  rédaction  ;  mais  le  temps 
m'a  manqué  pour  faire  d'autres  changements. 

Les  critiques  de  M.  Ainger  sont  de  deux  sortes.  Dans 
les  premières,  il  me  reproche  une  foule  de  prétendues 
erreurs  dont  j'aurais  pu  me  rendre  coupable  sans  que  le 
fond  de  la  question  se  trouvât  changé  le  moins  du  monde. 


84  MACHINES  A  VAPEUR. 

Les  autres  sont  plus  sérieuses,  car  si  M.  Ainger  avait  rai- 
son ,  j'aurais  eu  moi  le  plus  grand  tort  de  mêler  des  noms 
français  à  l'histoire  de  la  machine  à  feu  ;  celles-ci  exige- 
ront un  examen  minutieux.  Disons  d'abord  quelques  mots 
des  critiques  de  détail. 

«Ma  Notice  a  excité,  dit  M.  Ainger,  plus  d'attention 
qu'un  sujet  aussi  vulgaire  ne  semblait  le  comporter... 
Cette  attention  extraordinaire  s'explique  par  le  dernier 
paragraphe  de  la  préface  de  M.  Arago.  » 

Un  auteur  n'est  pas  responsable  de  l'attention,  bien 
ou  mal  fondée,  que  le  public  daigne  accorder  à  ses 
œuvres;  ainsi  j'aurais  pu  ne  pas  noter  l'explosion  de 
mauvaise  humeur  de  mon  critique,  si  elle  ne  me  four- 
nissait une  occasion,  la  seule  peut-être  que  je  trouverai 
dans  ce  chapitre ,  de  me  rapprocher  de  son  avis.  D'ail- 
leurs le  témoignage  qu'il  a  bien  voulu  me  transmettre  de 
l'indulgence  du  public ,  expliquera  le  prix  que  je  mets 
aujourd'hui  à  prouver  qu'à  défaut  de  tout  autre  mérite, 
ma  Notice  ne  renfermait  rien  d'inexact. 

Suivant  M.  Ainger,  «j'ai  accusé  tous  (ait)  les  auteurs 
anglais,  un  seul  excepté,  d'avoir  sacrifié  la  vérité  à  des 
préjugés  nationaux.  »  Cette  assertion  n'a  aucun  fonde- 
ment ;  je  n'en  veux  pour  preuve  que  ce  seul  passage  : 
«Lorsque  MM.  Thomas  Young,  Robison,  Partington, 
Tredgold,  Millington,  Nicholson,  Lardner,  etc.,  présen- 
taient le  marquis  de  Worcester  comme  l'inventeur  de  la 
machine  à  feu ,  l'ouvrage  de  Salomon  de  Caus  leur  était 
sans  doute  inconnu.  »  Si  l'on  ne  croyait  pas  à  la  sincérité 
do  cette  déclaration,  je  ferais  remarquer  (jue  dans  les 
sept  noms   qu'on    vient  de  lire,  se  trouve  celui   d'un 


MACHINES  A  VAPEUR.  85 

savant  illustre  (Thomas  Young)  qu'une  mort  prématurée 
a  enlevé  aux  sciences,  et  dont  j'ai  eu  l'avantage  d'être 
l'ami  durant  un  grand  nombre  d'années. 

Ainsi  je  n'ai  pas  dit,  ainsi  je  n'ai  pas  pu  dire  que  tous 
les  auteurs  anglais,  M.  Stuart  excepté,  avaient  sciem- 
ment altéré  la  vérité  ;  le  lecteur  jugera  lui-même  dans  un 
moment  si ,  d'autre  part ,  tous  ces  mêmes  auteurs  ont  fait 
preuve  d'impartialité. 

D'après  M.  Ainger,  la  figure  qui,  dans  ma  Notice, 
accompagne  la  description  empruntée  à  Salomon  de  Caus, 
d'une  machine  propre  à  élever  de  l'eau  par  l'action  du 
feu,  est  inexacte.  Avant  de  répondre,  je  placerai  ici  la 
copie  trait  pour  trait  (fig.  6,  p.  86)  du  dessin  original 
de  Salomon  de  Caus. 

Que  le  lecteur  veuille  bien  maintenant  consentir  à 
écouter  les  critiques  de  M.  Ainger.  Selon  lui,  le  tube 
d'ascension  et  le  petit  entonnoir  servant  à  introduire  le 
liquide  dans  la  boule  métallique,  seraient  l'un  et  l'autre 
trop  longs  dans  la  figure  primitivement  donnée  (voir 
fig.  3,  p.  15).  Une  seconde  altération  consisterait  dans 
la  suppression  de  la  nappe  liquide  épanouie  qui  termine 
le  jet  ascendant. 

J'avoue  que  n'ayant  aucun  argument  à  présenter  sur  la 
longueur  de  ces  tubes,  je  n'avais  point  recommandé  à  la 
personne  qui  a  copié  la  première  figure,  de  conserver  les 
proportions  du  dessin  original.  Quanta  la  nappe  d'eau, 
le  graveur  l'avait  supprimée  pour  simplifier  son  travail. 
M.  Ainger  aurait  même  pu  ajouter  qu'il  n'avait  pas  figuré 
l'eau  dans  la  boule,  et  que  les  bûches  enflammées,  pla- 
cées au-dessous,  ne  ressemblaient  pas  parfaitement  à 


m  MACHINES  A   VAPEUR. 

celles  de  Salomon  de  Caus.  Je  lui  recommande  ces  nbseï^ 

vations  si  sa  brochure  arrive  à  une  seconde  édition. 


I.'exfr(*me  fulilit»^  des  critiques  dont  je  viens  de  parler 
ne  doit  pas  m'rmpprlier  d'ajouter  une  courte  remarque  : 


MACHINES  A  VAPKUR.  87 

je  n'ai  annoncé  nulle  part,  ni  pour  la  figure  d'Héron 
(fig.  2,  p.  8),  ni  pour  celle  de  Salomon  de  Caus  (fig.  3, 
p.  15),  qu'elles  fussent  copiées  minutieusement  et  dans 
des  proportions  géométriquement  exactes;  ainsi  M.  Ainger 
s'exposait  à  des  observations  sévères  quand  il  disait  : 
•  M.  Arago  donne  la  figure  comme  extraite  du  même 
ouvrage  (celui  de  Salomon  de  Caus).  » 

En  voyant  à  l'article  Savery  que  M.  Ainger  revient  une 
seconde  fois  sur  cet  allongement  du  tube,  qu'il  le  présente 
comme  une  altération  importante  et  faite  à  dessein,  j'ai 
eu  la  curiosité  de  porter  successivement  un  compas  sur  le 
tube  de  la  figure  3  des  premières  éditions  de  cette  Notice 
(voir  ci-dessus,  p.  15),  et  sur  le  jet  liquide  qu'on  voit  dans 
celle  de  Salomon  de  Caus  (fig.  6)  ;  or,  il  arrive  que  le 
jet  est  de  près  de  trois  fois  plus  long  que  le  tube.  Ainsi 
M.  Ainger  se  trouve  dans  cette  alternative,  ou  de  rétracter 
ses  outrageantes  insinuations,  ou  de  soutenir  que  la  force 
en  vertu  de  laquelle  un  jet  d'eau  s'élance  dans  l'air  ne  por- 
terait pas  le  liquide  à  la  même  hauteur  le  long  d'un  tuyau. 
Je  l'engagerai ,  chiaritablement,  à  ne  faire  son  choix  à  cet 
égard  qu'après  avoir  consulté  un  traité  d'hydraulique. 

Cet  allongement  du  tube  paraît  avoir  été  aux  yeux  de 
M.  Ainger  un  vrai  coup  de  fortune.  Il  l'exploite  de  toutes 
les  manières;  il  n'en  aurait  pas  retranché  un  millimètre 
pour  un  trésor,  et  cependant  le  tout  avait  fini  par  lui 
paraître  bien  long,  puisqu'il  déclare  que  les  deux  tubes 
sont  indéfiniment  allongés  {imiefinitely  elonyate).  Je 
viens  de  dire  que  le  tube  est  moins  long  que  le  jet  de 
l'original  ;  aussi,  quelque  malveillance  qu'on  puisse  avoir, 
il  faut  reconnaître  que  le  changement,  si  changement  il  y 


88  MACHINES  A  VAPEUR. 

a,  n'a  pas  été  fait  dans  la  vue  d'ajouter  à  la  puissance  de 
la  machine.  Si  j'avais  cru  devoir  insister  sur  les  grandes 
hauteurs  auxquelles  la  vapeur  dans  l'appareil  de  Caus 
pourrait  élever  l'eau ,  je  les  aurais  trouvées  non  pas  sur 
une  figure  sans  échelle,  nnais  bien  dans  cette  phrase,  déjà 
citée  :  «  La  violence  est  grande  quand  l'eau  s'exhale  en 
air  par  le  nioyen  du  feu...  il  est  certain  que  si  l'on  met 
ladite  balle  (une  balle  de  cuivre  contenant  de  l'eau)  sur 
un  grand  feu ,  en  sorte  qu'elle  devienne  trop  chaude ,  il 
se  fera  une  compression  si  violente,  que  la  balle  crèvera 
en  pièces.  » 

J'avais  pensé,  en  écrivant  l'histoire  de  la  machine  à 
feu,  que  le  meilleur  moyen  de  ménager  l'attention  du 
lecteur,  serait  d'indiquer,  pas  à  pas,  en  quoi  chaque  nou- 
veau projet  améliorait  la  machine  déjà  existante.  C'est 
ainsi ,  par  exemple ,  que  j'ai  analysé  tous  les  perfection- 
nements apportés  par  Savery  à  la  machine  de  Salomon 
de  Caus.  Cette  méthode  paraît  avoir  singulièrement  déplu 
à  M.  Ainger  ;  expliquer  la  machine  de  Savery  et  l'expli- 
quer clairement  sans  avoir  besoin  d'en  donner  la  figure, 
est  à  ses  yeux  un  vrai  scandale;  au  reste,  il  ne  dit,  ni  que 
la  description  soit  inexacte  (voir  p.  34),  ni  qu'elle  lui 
paraisse  insuffisante  :  le  péché  par  omission  qu'il  me  re- 
proche a  donc  été  seulement  relevé  pour  faire  nombre. 

Au  surplus,  le  lecteur  peut  juger  par  la  figure  suivante, 
copiée  sur  celle  de  Savery,  que  ma  description  était  très- 
suffisante  (fig.  7  et  8)  ;  en  A  on  aperçoit  le  fourneau,  en 
B  la  chaudière ,  en  C  deux  robinets  qui ,  tournés  tour  à 
tour,  conduisent  la  vapeur  successivement  dans  chacun 
des  vases  I)  ;  ces  deux  vases  D  reçoivent  vers  le  bfis  l'eau 


MACHINES  A   VAPEUR. 


90  MACHINKS   A  VAPEUR. 

qui  vient  du  niveau  inféricîur  I  par  le  tuyau  d'aspiration 
H  ;  cette  eau  est  refoulée  par  la  vapeur  dans  le  tuyau 
d'ascension  G  ;  ces  tuyaux  d'ascension  qui  se  bifurquent 
pour  se  rendre  dans  les  vases  D,  sont  munis  de  soupapes 
dont  le  jeu  est  facile  à  comprendre,  et  de  robinets  pour 
le  cas  où  les  soupapes  auraient  besoin  d'être  nettoyées. 

Si  quelqu'un  avait  la  pensée  d(î  ne  point  circonscrire  sa 
responsabilité  dans  l(»s  strictes  limites  de  ses  paroles  ;  s'il 
était  assez  imprudent  ptun-  l'étendre  aux  conséquences 
qu'on  pourrait  en  déduire,  certains  commentateurs  l'en 
feraient  bien  repentir.  Deux  petites  figures  (fig.  4  et  5, 
p.  2/|  et  26)  m'ayant  s(»jnblé  propres  à  expliquer  les  idées 
qui  dirigèrent  Papin  dans  les  tentatives  variées  auxquelles 
il  se  livra  avant  d'imaginer  la  machine  à  vapeur  atmo- 
sphérique ,  je  les  plaçai  dans  la  première  édition  de  ma 
Notice,  en  tête  des  raisonnements  dont  elles  étaient,  en 
quelque  sorte,  la  représentation  graphique.  Que  fait  à  cette 
occasion  M.  Ainger?  11  dit  que  ces  dessins  se  trouvant 
immédiatement  sous  le  titre  :  Denis  Papin ,  «  le  lecteur 
conséquemment  en  conclut  qu'ils  donnent  les  portraits  de 
l'invention  de  Papin  {(he  reader,  of  course  conclûmes  are 
the  portraits  of  Papin  s  invention);  mais,  ajoute-t-il, 
on  aura  de  la  peine  h  croire  qu'ils  ne  sont  rien  de  sem- 
blable; qu'ils  offrent  les  portraits  d'un  appareil  exécuté 
(|uinze  années  plus  tard  par  un  Anglais,  Newcomen.  » 

Ma  réponse  sera  bien  simple:  en  thèse  générale,  je 
n'accepte  pas  les  conclusions  qu'il  prendra  au  premier 
venu  (le  tirer  de  mos  paroles;  je  ne  me  s(»ntirais  pas  de 
forc(»  îi  résister  h  co.  genre  d'attaque  ;  j'ajouterai ,  dans  ce 
cas  particulier,  ((ue  n'ayant  dit  nulle  part  :  «  I^s  deux 


MACHINES  A  VAPEUR.  91 

petites  figures  dont  je  me  sers  sont  tirées  des  ouvrages  de 
Papin  »,  il  devrait  m'importer  peu  d'cMitendre  mon  (M'i- 
lique  s'écrier  qu'elles  ne  s'y  trouvent  pas;  mais  j'ai  par- 
Initement  le  droit  de  soutenir  qu'elles  y  sont,  car  la  ma- 
chine dans  laquelle  Papin  proposait  de  faire  le  vide  sous 
le  piston  h  l'aide  d'une  roue  hydraulique  éloignée  (lig.  9, 
p.  92  ) ,  n'est  autre  chose  que  celle  dont  j'ai  donné  le  trait, 
sauf  cette  unique  modification  que  la  soupape  ou  plutôt  le 
robinet  destiné  h  laisser  rentrer  l'air,  au  lieu  d'«Hre  situé 
sur  la  plaque  métallique  qui  supporte  le  corps  de  pompe, 
comme  dans  mon  dessin,  est  de  côté,  h  l'extrémité  d'un 
petit  tuyau  horizontal,  aboutissant  au  fond  de  ce  mémo 
corps  de  pompe.  Si ,  profitant  du  peu  d'habitude  que  les 
lecteurs  d'un  journal  peuvent  avoir  des  artifices  des  méca- 
niciens, M.  Ainger  a  prétendu  faire  croire  qu'un  tel 
déplacement  de  la  soupape  ou  robinet  avait  qté  fait  dans 
la  vue  d'améliorer  le  projet  de  Papin,  je  ferai  remarquer 
que  jamais  dans  les  machines  modernes  la  soupape  n'est 
au  fond  du  coips  de  pompe;  que  toujours,  comme  dans 
le  véritable  dessin  que  je  reproduis  ici  (fig.  9),  elle  se 
trouve  sur  le  tuyau  h  peu  près  horizontal  qui  amène  la 
vapeur  motrice. 

Pour  qu'on  ne  puisse  avoir  aucun  doute  sur  la  connais- 
sance approfondie  qu'avait  l\apin  des  divers  moyens  mé- 
caniques nécessaires  pour  faire  marciver  la  machine  dont 
j'ai  seulement  résumé  le  principe,  je  donnerai  la  des- 
cription textuelle  faite  par  1^1pin  lui-même  de  sa  machine 
propre  h  transporter  fort  loin  la  force  mouvante  des 
rivièrrs  el  tirer  l'eau  des  mines.  Cette  description  a  paru 
en  latin  dans  les  Actes  de  Leipzif/  de  1(588;  il  en  a  donné 


MACIllNBS   A   VAPEUR. 


MACHINES  A  VAPEUR.  93 

|a  traduction  en  français  dans  le  Recueil  de  diverses  pièces 
touchant  quelques  nouvelles  machines,  publié  à  Casse!  en 
1695.  C'est  cette  traduction  que  je  copie  : 

«Qu'on  fasse,  dit  Papin ,  une  grande  roue  comme  A\ 
(fig.  9),  et  qu'on  la  place  à  l'ouverture  de  la  mine  :  en 
telle  sorte  que  la  corde  BBB,  passant  sur  ladite  roue, 
fasse  monter  et  descendre  l'un  après  l'autre  deux  seaux , 
dont  Tun  est  ici  marqué  C,  et  qui,  étant  attachés  aux 
deux  bouts  de  ladite  corde,  doivent  nécessairement  avoir 
toujours  des  mouvements  opposés,  l'un  en  haut  et  l'autre 
bas.  Par  le  centre  de  la  roue  AA,  doit  passer  l'essieu 
DDD,  et  V  être  bien  affermi;  et  sur  cet  essieu  doivent 
passer  deux  cordes  EE,  FF,  de  telle  manière  que  les 
deux  pistons  GH,  attachés  au  bas  de  ces  cordes,  ne  puis- 
sent aussi  monter  ni  descendre  que  l'un  après  l'autre,  et 
que  (|uand  l'un  descend  l'autre  doive  nécessairement 
monter.  Il  faut  concevoir  ces  pistons  exactement  ajustés 
aux  tuyaux  IILL  :  aii)si  il  est  manifeste  que  si  par  le 
tuyau  MM,  par  exemple,  on  tire  l'air  du  tuyau  LL,  il 
faudra  que  le  piston  G  soit  pressé  en  bas  avec  beaucoup 
de  force  par  l'air  extérieur  qui  pèse  dessus  :  et  qu'ainsi 
il  fasse  tourner  l'essieu  et  la  roue  A  A ,  par  le  moyen  de  la 
corde  FF  :  ce  qui  fera  monter  le  piston  H  et  le  seau  C , 
([u'on  pourra  vider  de  l'eau  ou  des' autres  matières  qu'il 
aura  apportées  du  fond  de  la  mine  :  et  comme  il  se  trou- 
vi»ra  ([ue  le  piston  H  sera  en  même  temps  parvenu  en 
haut  du  luyau  U,  on  pourra  incontinent  tirer  l'air  dudit 
tuyau  11  par  le  tuyau  NN,  et  ainsi  le  piston  H,  ù  son 
tour  poussé  en  bas  et  fera  monter  le  piston  opposé  (î  avec 
le  sc*au  attaché  h  l'autre  bout  de  la  corde  BBB,  ol  les 


94  MACHINES  A  VAPEUR. 

matières  dont  il  sera  rempli.  II  faut  seulement  avoir  soin 
que  Pair  extérieur  ait  Tcnlrée  libre  au-dessous  du  piston 
qui  monte  ;  car  autrement  le  piston  opposé  ne  pourrait 
le  tirer  en  haut  :  mais  moyennant  que  cela  se  fasse  el 
qu'on  continue  de  tirer  ainsi  l'air  de  dessous  les  pistons 
l'un  après  l'autre,  il  est  certain  que  l'on  pourra  venir  à 
bout  de  ce  que  l'on  prétend.  11  ne  me  reste  donc  que  de 
faire  voir  comment  une  rivière  fort  éloignée  pourra  tirer 
l'air  de  dessous  les  pistons. 

«Qu'on  fasse  deux  pompes  00,  00,  dont  les  pistons 
V  V  doivent  monter  et  descendre  l'un  après  l'autre,  quand 
on  fait  tourner  l'essieu  PPPP,  et  que  sur  cet  essieu  soit 
affermie  la  roue  QQ  qui  doit  être  mise  en  mouvement  par 
le  courant  de  quelque  rivière  :  il  est  miinifeste  que  si  les 
pompes  00,  00,  avec  leurs  pistons,  sont  garnies  de  sou- 
papes de  même  que  les  pompes  aspirantes  le  sont  d'ordi- 
naire, elles  devront  nécessairenjent  tirer  continuellement 
l'air  par  le  tuyau  RRRR  et  le  robinet  S8;  or  il  est  facile 
de  faire  ledit  robinet  SS,  en  telle  sorte  qu'en  tournant  la 
clef  comme  il  faut ,  l'on  fera  deux  effets  en  même  temps  : 
l'un  sera  d'ouvrir  l'entrée  à  l'air  extérieur,  au-dessous 
du  piston  qui  doit  monter;  l'autre  sera  de  faire  que  la 
communication  avec  le  tuyau  RRR  soit  ouverte  au- 
dessous  du  piston  qui  doit  descendre ,  ci  qu'elle  soit 
fermée  au-dessous  du  piston  qui  doit  monter  :  ainsi  donc 
on  viendra  facilement  à  bout  de  faire  que  lorsque  le  pis- 
ton (i ,  par  exemple,  est  prêt  à  descendre  du  haut  du 
tuyau  LL,  l'air  extérieur  n'aura  point  d'entrée  au-dessous 
de  Ci)  piston,  mais  il  y  aura  une  communication  libre  par 
le  tuyau  IVIM  et  le  robinet  SS,  jusques  au  tuyau  RR; 


MACHINES  A   VAPEUR.  95 

mais  qu'au  contraire  au-dessous  du  piston  H  Pair  exté- 
rieur entrera  librement,  et  la  communication  avec  le 
tuyau  RR  sera  absolument  formée.  Mais  quand  ce  sera  le 
piston  H  qui  devra  descendre,  on  pourra,  en  retournant 
la  clef  du  robinet.,  faire  que  les  trous,  qui  auparavant 
étaient  ouverts,  se  trouveront  fermés,  et  qu'au  contraire, 
ci'ux  qui  étaient  fçnnés  se  trouveront  ouverts  :  et  (|u'ainsi 
nous  produirons  l'effet  prétendu. 

•  On  pourrait  trouver  quelciue  manière  de  faire  que  la 
machine  elle-même 'tournât  le  robinet  dans  le  temps  qu'il 
faudrait;  mais  je  crois  qu'il  vaudrait  mieux  avoir  un 
honnne  qui  eût  soin  de  faire  cela,  et  de  vider  les  seaux  à 
mesure  qu'ils  arriveraient  à  l'ouverture  de  la  mine.  » 

«  M.  Arago,  dit  M.  Ainger,  donne  six  pag(\s  do  descrip- 
tion de  cet  appareil  (celui  de  Papin),  dans  lequel  il 
amène  la  vapeur  d'une  chaudière  dans  le  cylindre  à  tra- 
\ers  la  soupape  S  (celle  de  la  plaque  inférieure,  voir 
fig.  4,  p.  24).  »  Je  suis  vraiment  fâché  qiw  mon  aula- 
j^onistc  me  mette  si  souvent  dans  le  cas  de  lui  répondre 
|)ar  de  simples  dénégations;  mais  en  vérité  je  ne  puis 
pas  admettre  sa  version,  puisque  j'ai  dit  :  «  J/eau  (|ui 
fournissiut  la  vapeur,  dans  ces  premiers  essais,  n'était 
pas  contenue  dans  une  chaudièn*  séparée;  elle  avait  été 
déposée  dans  le  corps  de  p()m])e,  sur  la  plaque  métal- 
lique (|ui  le  bouchait  par  le  bas  (voir  plus  haut,  p.  29).  » 
Dans  tout  le  reste  du  paragraphe  consacré  à  Papin,  il 
n'est  plus  question  de  là  production  d(*  la  vapour. 

Voici  du  reste  la  description  même,  avec  le  fac-similé  du 
dessin  (fig.  10,  p.  97)  de  la  machine  A  va|)eur  de  Papin  ; 
i'ilc»  a  paru  en  latin  dans  les  Àcics  de  Lvipziij  pom*  i()90; 


96  MACHINES  A  VAPEUR. 

j'emprunte  le  texte  qui  suit  à  la  traduction  de  cette  des- 
cription donnée  dans  le  Recueil  de  machines  de  1695.  Le 
lecteur  ayant  désormais  sous  les  yeux,  non  plus  un  extrait 
mais  le  texte  entier  de  la  description  de  Papin,  nul  ne  se 
laissera  plus  prendre  aux  critiques  de  nouveaux  Ainger: 

«  On  a  fait  divers  essais  pour  tâcher  de  faire  un  vide 
exact  par  le  moyen  de  la  poudre  à  canon  :  car  de  cette 
façon,  n'y  ayant  aucun  air  pour  résister  au-dessous  du 
piston ,  toute  la  colonne  de  l'atmosphère  qui  pèse  dessus 
la  pousserait  toujours  avec  une  force  égale  depuis  le  haut 
jusqu'au  bas.  Mais  c'a  été  en  vain  qu'on  a  travaillé  à  cela 
juscfu'ici  :  et  comme  j'ai  déjà  dit ,  après  que  la  flamme  de 
la  poudre  est  éteinte ,  il  reste  toujours  près  de  la  cin- 
quième partie  de  l'air  dans  le  tuyau.  J'ai  donc  tâché  d'en 
venir  à  bout  d'une  autre  manière  :  et  (comme  l'eau  a  la 
propriété,  étant  par  le  feu  changée  en  vapeurs,  de  faire 
ressort  comme  l'air,  et  ensuite  de  se  recondenser  si  bien 
par  le  froid ,  qu'il  ne  lui  reste  plus  aucune  apparence  de 
cette  force  de  ressort),  j'ai  cru  qu'il  ne  serait  pas  difficile 
de  faire  des  machines  dans  lesquelles,  par  le  moyen  d'une 
chaleur  médiocre  et  à  peu  de  frais,  l'eau  ferait  ce  vide 
parfait  qu'on  a  inutilement  cherché  par  le  moyen  de  la 
poudre  à  canon  :  et  entre  plusieurs  différentes  construc- 
tions qu'on  peut  imaginer  pour  cela ,  celle-ci  m'a  paru  la 
meilleure.  A  A  (fig.  10)  est  un  tuyau  égal  d'un  bout  h 
l'autre  et  bien  fermé  par  en  bas  :  BB  est  un  piston  ajusté 
h  ce  tuyau  :  Dl)  est  le  manche  attaché  au  piston  :  EE  une 
vorge  de  fer  qui  se  peut  mouvoir  autour  d'un  axe  qui  est 
en  F. 

o(i  est  un  rCv^sort  qui  presse  la  verge  de  fer  EE,  en 


yACHINBS  A   VAPEUR  97 

(u*elle  entre  dans  l'échancrure  H,  sitAt  que  le  pis- 
ec  aon  manche  est  élevé  assez  haut  pour  que  ladite 
nire  H  paraisse  au-dessus  du  couvercle  II. 


Kifl.  ta.  —  VacbiD»  1  iipenr  da  Pipin,  di 


wt  un  petit  trou  au  piston  par  où  l'air  peut  sortir 
id  du  tuyau  AA,  lorsqu'on  y  enfonce  le  piston  pour 
miëre  fois. 
■ur  se  servir  de  cet  instrument  on  verse  un  peu 


98  MACHINES  A  VAPEUR. 

d'eau  dans  le  tuyau  AA  jusqu'à  la  hauteur  de  trois  à 
quatre  lignes  ;  on  y  fait  ensuite  entrer  le  piston  et  on  le 
pousse  jusqu'au  bas,  en  sorte  que  Teau  qui  est  au  fond  du 
tuyau  regorge  par  le  trou  L.  Alors  on  ferme  ledit  trou 
avec  la  verge  MM,  et  on  y  inet  le  couvercle  H ,  qui  a 
autant  de  trous  qu'il  en  faut  pour  entrer  sans  obstacle. 
Ayant  ensuite  mis  un  feu  médiocre  sous  le  tuyau  A  A ,  il 
s'échauffe  fort  vite  parce  qu'il  n'est  fait  que  d'une  feuille 
de  métal  fort  mince,  et  l'eau  qui  est  dedans  se  changeant 
en  vapeur  fait  une  pression  si  forte  qu'elle  surmonte  le 
poids  de  l'atmosphère  et  pousse  le  piston  BB  en  haut , 
jusqu'à  ce  que  l'échancrure  H  paraisse  au-dessus  du  cou- 
vercle 11,  et  que  la  verge  de  fer  EKy  soit  poussée  par  le 
ressort  G,  ce  qui  ne  se  fait  pas  sans  bruit.  Alors  il  faut 
incontinent  éloigner  le  feu ,  et  les  vapeui's  dans  ce  tuyau 
léger  se  recondensent  bientôt  en  eati  par  le  froid  et  lais- 
sent le  tuyau  absolument  privé  d'air.  Alors  il  n'y  a  qu'à 
tourner  la  verge  EE  autant  qu'il  est  nécessaire  pour  la 
faire  sortir  de  l'échancrure  H ,  et  laisser  le  piston  en 
liberté  de  descendre ,  et  il  arrive  que  le  piston  est  incon- 
tinent poussé  au  bas  par  tout  le  poids  de  l'atmosphère  et 
produit  le  mouvement  qu'on  veut»  avec  d'autant  plus  de 
force  que  le  diamètre  du  tuyau  est  grand.  Et  il  ne  faut 
point  douter  que  l'air  n'agisse  sur  ces  tuyaux  avec  toute 
la  force  dont  la  pesanteur  est  capable  :  car  j'ai  vu  par 
expérience  que  le  piston  ayant  été  élevé  par  la  chaleur 
jusqu'au  haut  du  tuyau  A  A ,  est  ensuite  redescendu 
jusque  tout  au  fond  ;  et  cela  plusieurs  fois  de  suite,  en 
sorte  qu'on  ne  saurait  soupçonner  qu'il  y  ait  eu  aucun  air 
pour  le  presser  en  dessous  et  résister  à  la  descente.  Or 


MACHINES  A  VAPEUR.  99 

mon  tuyau,  qui  D*a  que  deux  fyouceâ  et  demi  de  diamètre, 
est  pourtant  capable  d'élever  soixante  livres  à  toute  la 
hauteur  dont  le  piston  descend ,  et  le  corps  du  tuyau  ne 
pèse  pas  cinq  onces.  Je  ne  doute  pas  qu'on  ne  pût  faire 
des  tuyaux  qui  ne  pèseraient  pas  quarante  livres  et  qui 
pourtant  pourraient  élever  deux  mille  livres,  à  chaque 
opération,  jusqu'à  la  hauteur  de  quatre  pieds.  J'ai  éprouvé 
aussi  que  le  temps  d'une  minute  suffit  pour  faire  qu'un 
feu  médiocre  chasse  le  piston  jusqu'au  haut  de  mon  tuyau; 
et  comme  le  feu  doit  être  proportionné  à  la  grandeur  des 
tuyaux,  on  pourrait  échauffer  les  gros  à  peu  près  aussi 
promptement  que  les  petits  :  ainsi  l'on  voit  combien  cette 
machine,  qui  est  si  simple,  pourrait  fournir  de  prodi- 
gieuses forces  et  à  bon  marché.  Car  on  sait  qu'une  colonne 
d'air  qui  s'appuie  sur  un  tuyau  d'un  pied  de  diamètre, 
pèse  presque  deux  mille  livres;  mais  si  le  diamètre  était 
de  deux  pieds,  la  pesanteur  serait  de  près  de  huit  mille 
livres,  et  qu'ainsi  la  pression  s'augmente  toujours  en  rai- 
son doublée  des  diamètres  :  d'où  il  s'ensuit  que  le  feu , 
dans  un  fourneau  dont  le  diamètre  serait  d'un  peu  plus 
de  deux  pieds,  suffirait  pour  élever  toutes  les  minutes 
huit  mille  livres  à  la  hauteur  de  quatre  pieds,  si  on  faisait 
les  tuyaux  de  cette  hauteur  :  car,  le  feu  étant  dans  un 
fourneau  de  plaques  de  fer  peu  épaisses,  on  pourrait  faci- 
lement le  pousser  d'un  tuyau  à  un  autre  :  et  ainsi  ce  même 
feu  ferait  continuellement  dans  quelque  tuyau  ce  vide  qui 
pourrait  ensuite  produire  de  si  grands  effets.  A  piésent, 
si  on  considère  la  grandeur  des  forces  que  l'on  produira 
de  cette  manière  et  le  peu  que  pourra  coûter  le  bois  (ju'il 
faudra  pour  cela,  on  avouera  assurément  (|ue  cette  mo- 


100  MACHINES  A   VAPEUR. 

Diode  est  de  beaucoup  préférable  à  Tusage  de  la  poudre 
à  canon,  dont  j'ai  parlé  ci-dessus,  vu  principalement  que 
de  cette  manière  on  fait  un  vide  parfait,  et  qu'ainsi  on 
remédie  aux  inconvénients  que  j'ai  marqués.  » 

Je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  dire,  après  avoir  médité 
la  description  rédigée  par  Papin ,  que  j'ai  donné  dans 
ma  Notice  (p.  28  h  âO)  une  idée  inexacte  de  sa  machine 
à  feu ,  et  que  j'ai  attribué  à  notre  illustre  compatriote  une 
invention  qu'il  n'avait  pas  faite. 

Papin,  il  est  vrai,  a  proposé  deux  espèces  de  nmchines 
à  feu.  L'une,  celle  de  1690,  est  la  machine  à  piston  con- 
nue depuis  que  Newcomen  l'a  exécutée  en  l'améliorant, 
sous  le  nom  de  machine  atmosphérique,  et  dont  nous 
venons  de  copier  la  description  faite  par  Papin  lui-même; 
l'autre,  décrite  en  1707,  reposait  sur  des  principes  diffé- 
rents; elle  était  simplement  destinée  à  élever  de  l'eau. 
Je  ne  crois  pas  utile  de  discuter  les  critiques  dont  cette 
dernière  machine  a  été  l'objet;  j'accorderai  donc,  si  l'on 
veut,  qu'elles  sont  toutes  fondées;  mais  qu'en  pourra-t-on 
conclure?  Que  Papin  était  plus  habile  ou  plus  heureux 
en  1690  qu'en  1707;  que  son  esprit  s'affaiblissait  avec 
l'âge  ;  qu'à  la  seconde  époque ,  tout  le  mérite  de  la  dé- 
couverte qu'il  avait  faite  dix-sept  ans  auparavant^  n'était 
plus  assez  présent  à  sa  mémoire;  mais  en  quoi  tout  cela 
affaiblirait- il  ses  droits  comme  inventeur?  Newton  cessa- 
t-il  d'fitre  l'auteur  des  Principes  ou  de  roptique^  quand  il 
rédigea  un  mauvais  traité  de  chronologie? 

La  peine  que  M.  Ainger  et  d'autres  écrivains  se  sont 
donnée  on  critiquant  la  seconde  machine  de  1707,  est 
donc  en  pure  perte.  Papin  aurait  été  à  cette  époque  un 


MACHINES  A  VAPEUR.  tOI 

extravagant,  on  Taurait  détenu  dans  une  maison  d'alié* 
nés,  que  sa  machine  de  1690  n'en  resterait  pas  moins 
comme  le  premier  germe  de  toutes  les  machines  à  feu 
existantes.  Au  reste,  il  n'est  peut-être  pas  difficile  de 
trouver  un  motif  plausible  à  l'abandon  que  Papin  avait 
fait  de  son  preipier  projet  :  ce  motif  est  probablement  la 
difficulté  de  fondre  et  d'aléser  les  cylindres  ou  corps  de 
pompe  dont  il  aurait  eu  besoin.  En  1695,  cette  difficulté, 
qui  de  nos  jours  a  totalement  disparu,  lui  paraissait  si 
grande  qu'il  proposait  d'établir  une  manufacture  où  l'on 
fabriquerait  tout  exprès  les  tuyaux  destinés  à  former  les 
corps  de  pompe  de  celles  de  ses  machines  dont  on  se 
servirait  pour  faire  marcher  les  navires. 

M.  Ainger  n'admet  pas  les  doutes  que  j'ai  élevés  con- 
cernant le  sens  qu'on  a  donné  jusqu'ici  à  un  passage 
relatif  à  la  chaudière  dont  Worcester  voulait  se  servir.  Le 
défaut  de  temps  m'oblige  de  passer  condamnation  à  ce 
sujet,  quoique,  si  la  chose  en  valait  la  peine,  je  pusse 
citer  à  l'appui  de  mon  sentiment  un  des  plus  célèbres 
ingénieurs  anglais.  Ce  même  motif  ne  me  permettra  pas 
de  relever  une  ou  deux  méprises  vraiment  singulières  dans 
lesquelles  M.  Ainger  est  tombé  en  voulant  faire  de  l'éru- 
dition hors  de  propos,  à  l'occasion  d'une  expérience 
d'Otto  de  Guericke.  On  comprendra  que  je  ne  consente 
pas  à  perdre  de  longues  heures  pour  relever  les  mille 
erreurs  de  détail  de  M.  Ainger;  je  me  hâte  d'arriver  h 
ses  grandes  objections. 

Pour  peu  qu'on  ait  considéré  attentivement  le  jeu  d'une 
machine  à  feu ,  on  y  a  aperçu  deux  choses  capitales  : 
premièrement,  l'idée  d'employer  la  force  élastique  de  la 


102  MACHINES  A  VAPEUR. 

vapeur  comme  principe  de  mouvement  ;  en  second  lieu , 
ridée,  non  moins  importante,  de  se  débarrasser  de  cette 
vapeur,  par  voie  de  refroidissement,  dès  qu'elle  a  agi. 

Celui  qui ,  réfléchissant  le  premier  sur  Ténorme  l'essort 
qu'acquiert  la  vapeur  d'eau  quand  elle  est  fortement 
échaufiée,  a  montré  qu'elle  pouvait  servir  à  élever  de 
grands  poids  ;  celui  qui  le  premier  a  proposé  et  décrit 
une  machine  dans  laquelle  l'élasticité  de  la  vapeur  était  le 
seul  principe  de  mouvements  utiles  à  l'industrie,  doit-il 
être  considéré  comme  l'inventeur  de  la  machine  à  feu  ? 
Telle  est  la  première  question  que  l'histoire  de  cette  ma- 
chine fait  naître  ;  or,  elle  a  été  résolue  affirmativement 
dans  tous  les  ouvrages  dont  j'ai  eu  connaissance  :  Thomas 
Young,  Robison,  Partington,  Tredgold,  Millington, 
Lardner,  Nicholson,  etc.,  sont  unanimes  à  cet  égard. 
Pour  mon  compte ,  je  n'ai  fait  qu'adhérer  à  l'opinion  de 
tant  de  physiciens  et  d'ingénieurs  habiles.  Je  ne  me  suis 
séparé  d'eux  qu'en  un  seul  point  :  en  Angleterre  on  ap- 
pelle généralement  marquis  de  Worcester  la  personne  à 
laquelle  la  découverte  est  due  ;  moi  je  soutiens  qu'elle  se 
nomme  Salomon  de  Caus,  et  je  me  fonde  sur  ce  que 
l'ouvrage  de  cet  ingénieur  renferme  la  figure  et  la  des- 
cription d'une  machine  destinée  à  soulever  l'eau  par 
l'action  de  la  vapeur;  sur  ce  que  celle  du  marquis  de 
Worcester,  dont  pei'sonne  au  reste  ne  connaît  la  forme, 
avait  précisément  le  même  objet  ;  sur  ce  que  le  peu  qu'on 
en  sait  n'a  paru  qu'en  1663,  quarante-huit  ans  après  la 
publication  de  La  Raison  des  forces  mouvantes. 

Voici  venir  maintenant  M.  Ainger,  qui  trouve  aussi 
une  machine  destinée  h  élever  de  l'eau,  dans  un  auteur. 


MACHINES  A  VAPEUR.  4<K3 

J.-B.  Porta,  plus  aacien  que  Salomon  de  Caus.  Si  le  fait 
est  vrai,  le  nom  de  Salomon  de  Caus,  que  je  substituais 
à  celui  de  Worcester,  devra  sans  aucun  doute  êtfe  rem- 
placé à  son  tour  par  le  nom  de  Porta.  Aussi ,  je  vais  sur- 
le-champ  vérifier  l'assertion  de  M.  Ainger,  sans  même 
faire  remarquer  combien  il  est  bizarre  que  le  nom  du 
savant  napolitain  n'ait  jamais  été  prononcé  tant  que 
Worcester  jouissait ,  sans  contestation,  du  titre  d'invcn- 
feur,  et  qu'on  s'en  soit  ressouvenu  à  point  nommé ,  dès 
qu'il  a  semblé  pouvoir  nuire  aux  droits  d'un  auteur 
français. 

La  machine  du  physicien  napolitain  se  trouve ,  dit 
M.  Aînger,  t  dans  une  traduction  de  l'ouvrage  d'Héron 
d'Alexandrie,  qui  fat  publiée  en  italien,  par  J.-B.  Porta, 
en  1606,  »ll  ajoute  plus  loin  :  tLes  lecteurs  qui  désire- 
ront vérifier  les  faits  donnés  ici ,  pourront  consulter  les 
différentes  éditions  des  Sinritalia  d'Héron,  et  spéciale- 
ment la  traduction  qu'en  a  donnée  Porta,  en  1606,  et 
intitulée  :  /  tre  libri  Spiritalia.  Un  exemplaire  de  cet 
ouvrage  existe  au  Brilish  Muséum.  » 

Lorsque  l'écrit  du  Quarierly- Journal  me  parvint,  j'avais 
parcouni  diverses  éditions  de  l'ouvrage  d'Héron  ;  je  ne 
connaissais  pas  celle  de  Porta  que  cite  M.  Ainger.  Je  me 
suis  un  moment  reproché  cette  négligence  ;  mais ,  vérifi- 
cation faite  avec  le  secours  de  nos  plus  célèbres  biblio- 
graphes, il  s'est  trouvé  que  l'ouvrage  en  question  n'exist<* 
pas;  qu'il  n'y  a,  enfin,  aucune  traduction  d'Héron  faite 
par  Porta.  Cet  auteur,  il  est  vrai,  a  publié  un  ouvrage 
en  latin  intitulé,  comme  celui  du  mécanicien  grec  (  Pncu- 
maticomm  libri  ires^  Naples,  16(M  ,  in-/i*),  mais  il  n'osf 


4U4  MACHINES  A  VAPEUR. 

pas  plus  l'ouvrage  d'Héron  que  Y  Histoire  naturelle  de 
Buffon  n'est  la  traduction  de  celle  d'Aristote.  JLes  Pneu- 
matiques de  Porta,  traduites  en  italien  et  en  espagnol  par 
un  nommé  Juan  Escrivano^  ont  été  publiées,  en  1606, 
sous  le  titre  de  :  /  tre  libri  de  Spiniali  di  Giovam  Bai- 
lista  délia  Porta  Napolitano^  un  volume  petit  in-4*.  C'est 
ce  livre  que  M.  Ainger  a  pris  pour  une  traduction  ita- 
lienne faite  par  Porta,  tandis  qu'elle  est  de  Juan  Escri- 
vano;  pour  une  traduction  de  l'ouvrage  grec  d'Héron, 
tandis  que  c'est  la  traduction  d'un  ouvrage  latin  de  Porta. 
M.  Ainger  est  parvenu  à  réunir  sur  ce  point  Routes  les 
erreurs  dans  lesquelles  il  était  possible  de  tomber. 

A  la  page  75  des  Spiritali  de  Porta,  publiées  par 
Escrivano,  se  trouve  l'appareil  que  cite  M.  Ainger, 
comme  une  machine  que  Porta  avait  inventée  pour  élever 
de  l'eau  à  l'aide  de  la  force  élastique  de  la  vapeur,  comme 
un  grand  perfectionnement  {great  improvement)  d'une 
machine  d'Héron  dont  j'aurai  tout  à  l'heure  à  parler.  Je 
vais  donner  ici  la  traduction  du  chapitre  de  Porta,  ou 
plutôt  du  chapitre  d'Escrivano,  car  ce  chapitre  n'existe 
pas  dans  l'ouvrage  original ,  et  l'on  verra  alors  jusqu'à 
quel  point  M.  Ainger  a  mis  en  jeu  son  esprit  inventif. 

«  Pour  savoir  en  combien  de  parties  se  transforme  une 
simple  partie  d'eau.  —  Faites  une  boîte  en  verre  ou  en 
étain ,  dont  le  fond  soit  percé  d'un  trou  par  lequel  passera 
le  col  d'une  bouteille  à  distiller  renfermant  une  ou  deux 
onces  d'eau  (a  fig.  11).  Le  col  sera  soudé  au  fond  de  la 
boîte,  de  manière  que  rien  ne  puisse  s'échapper  par  là. 
De  ce  même  fond  partira  un  canal  dont  l'ouverture  le 
touchera  presque,  l'intervalle  étant  tout  juste  c^  qui  est 


MACHINES  A  VAPEUR. 


405 


nécessaire  pour  que  Peau  puisse  y  couler.  Ce  canal  pas- 
sera par  une  ouverture  du  couvercle  de  la  boUe,  et 
s'étendra  au  dehors,  à  une  petite  distance  de  sa  surface 
{passi  per  lo  coverchio  fuori^  poco  lonlano  dalla  sua  super- 
ficia).  JjA  boîte  sera  remplie  d'eau  par  un  entonnoir  qu'on 
bouchera  bien  ensuite,  afin  qu'il  ne  laisse  pas  échapper 
d'air  {che  non  passa  respirare)  ;  enfin,  la  bouteille  sera 
placée  sur  le  feu ,  et  on  réchauffera  peu  à  peu  ;  alors 
l'eau,  transformée  en  vapeur,  pressera  l'eau  dans  la  boîte, 
lui  fera  violence  et  la  fera  sortir  par  le  canal  c  et  couler 


Pig.  II.  —  Machine  dp  Porta. 


à  l'extérieur.  On  continuera  toujours  ainsi  à  échauffer 
l'eau,  jusqu'à  ce  qu'il  n'en  reste  plus;  et  tant  que  l'eau 
fumera  {sfumera)^  l'air  pressera  l'eau  dans  la  boîte  b,  et 
l'eau  sortira  à  l'extérieur.  L'évaporation  étant  finie ,  on 
mesurera  combien  il  est  sorti  d'eau  de  la  boîte,  et  il  y 
sera  resté  autant  d'eau  qu'il  en  sera  sorti  (de  la  bouteille), 
et  vous  conclurez  de  la  quantité  d'eau  écoulée,  en  com- 
bien d'air  elle  s'était  transfornjée.  On  peut  encore  facile- 
ment mesurer  en  combien  une  once  d'air,  dans  sa  consis- 


406  MACHINES  A  VAPEUR. 

tance  ordinaire^  peut  donner  de  parties  d'un  aîr  plus 
subtil.  » 

Rappelons  maintenant  la  manière  dont  M.  Ainger  an- 
nonce ce  passage  : 

«Une  traduction,  dit -il,  de  l'ouvrage  d'Héron  fut 
publiée  en  italien  par  J.-B.  Porta,  en  1606.  Porta  répète 
rinvention  d'Héron,  et  ajoute  la  suivante  comme  lui  ap- 
partenant Dans  la  figure  destinée  à  en  faciliter  l'intelli- 
gence ,  on  voit  le  fourneau  pour  chauffer  l'eau.  » 

La  vérité  est  que  Porta  ne  parle  point  de  la  machine 
d'Héron,  qu'il  n'a  eu,  en  aucune  manière,  l'intention  de 
la  perfectionner;  qu'il  ne  songeait  pas  même  à  faire  une 
machine  ;  que  son  but,  son  but  unique,  était  de  détenni- 
ner  expérimentalement  et  par  un  moyen  dont  il  est  inutile 
de  signaler  ici  tous  les  défauts,  les  volumes  relatifs  d'une 
quantité  donnée  d'eau  et  de  la  vapeur  en  laquelle  la  cha- 
leur la  transforme.  Porta  songeait  si  peu  à  donner  son 
appareil  comme  propre  à  élever  de  l'eau,  qu'il  dit  en 
termes  formels  que  le  tuyau  de  dégorgement  passe  à  une 
petite  distance  de  la  surface  du  couvercle  de  la  petite 
boîte.  Ainsi,  je  n'ai  aucun  désir  de  le  nier.  Porta  n'igno- 
rait pas  que  la  vapeur  d'eau  peut  presser  un  liquide  à  la 
manière  de  l'air;  mais  non,  rien  absolument,  ne  prouve 
qu'il  eût  quelque  idée  de  la  grande  force  que  cette  vapeur 
est  susceptible  d'acquérir,  et  de  la  possibilité  de  l'em- 
ployer comme  moteur  efficace.  Si  cette  notion  spéciale  ne 
lui  avait  pas  manqué ,  Porta ,  le  plus  enthousiaste  faiseur 
de  projets  dont  l'histoire  des  sciences  fasse  mention,  n'au- 
rait certainement  pas  négligé  d'en  parler.  Au  surplus, 
tout  ce  que  Porta  avait  vu  dans  son  expérience  aurait  été 


MACHINES  A  VAPEUA.  107 

« 

également  produit  si  sa  grande  bouteille,  au  lieu  d'eau, 
eût  renfermé  seulement  de  Pair. 

La  double  notion  que  la  vapeur  convenablement  en- 
fennée  élève  Teau  au-dessus  de  son  niveau  et  qu'elle  est 
susceptible  de  produire  les  plus  grands  effets;  que,  dès 
lors,  elle  peut  servir  à  la  construction  de  machines  utiles, 
se  trouve  pour  la  première  fois,  à  ma  connaissance,  dans 
Touvrage  de  Salomon  de  Caus,  Peut-être  découvrira-t-on 
quelque  chose  d'analogue  dans  des  auteurs  encore  plus 
anciens.  Eh  bien ,  si  cela  arrive ,  le  nom  de  Salomon  de 
Gaus,  je  le  répète,  devra  disparaître  de  l'histoire  de  la 
machine  à  feu,  comme  j'en  avais  écarté  celui  du  marquis 
de  Worcester;  mais,  à  moins  que  ce  nom  nouveau  n'ap- 
partienne à  quelque  personnage  né  dans  les  lies  Britan- 
niques, il  y  aura  toujours  lieu  à  rectifier  cette  assertion  si 
souvent  reproduite  :  t  La  machine  à  vapeur  a  été  inventée 
par  un  petit  nombre  d'individus  tous  Anglais.  » 

Beaucoup  de  savants  et  de  mécaniciens  très-éclairés 
attachent  une  médiocre  importance  h  la  première  idée  de 
l'application  de  la  vapeur  comme  force  motrice.  Les  an- 
ciens, disent- ils,  qui  attribuaient  les  tremblements  de 
terre  à  des  développements  instantanés  de  vapeur  ;  le 
mécanicien  qui  prétendait,  avec  le  môme  agent,  faire 
osciller  tous  les  planchers  de  la  maison  de  son  voisin,  en 
savaient  autant  que  Salomon  de  Caus,  que  Worcester, 
et,  au  fond,  en  avaient  dit  autant  qu'eux.  S'il  existait, 
ajoutent-ils,  une  machine  utile  d'épuisement,  dans  laquelle 
l'action  immédiate  de  la  vapeur  soulevAt  le  liquide,  on 
concevrait  l'importance  qu'on  a  attachée  aux  essais  dos 
deux  ingénieurs  français  et  anglais;  on  pourrait  alors,  h 


408  MACHINES  A  VAPEUR. 

titre  de  premiers  germes,  donner  quelques  instants  d'at- 
tention à  la  boule  métallique  du  premier  et  aux  obscures 
descriptions  du  second  ;  mais  rien  d'analogue  ne  se  voit 
dans  les  machines  à  vapeur  en  usage  aujourd'hui.  L'inven- 
tion de  ces  machines  réside  donc  tout  entière  dans  un 
corps  de  pompe  le  long  duquel  on  imprime  au  piston  un 
mouvement  de  va-et-vient ,  et  dans  les  moyens  d'obtenir 
cet  elTet.  Si  le  premier  emploi  de  la  vapeur,  dans  un  appa- 
reil quelconque,  comme  principe  de  mouvement ,  donnait 
des  droits  au  titre  d'inventeur,  ce  serait  Héron  d'Alexan- 
drie qu'il  faudrait  citer.  Mais  on  a  avec  raison  écarté  du 
concours  la  machine  rotative  de  ce  mécanicien ,  parce 
qu'elle  n'a  ni  par  sa  forme  ni  par  le  mode  d'aetion  de  la 
vapeur,  aucune  affinité  avec  les  machines  de  nos  jours  ; 
celles  de  Salomon  de  Caus  et  de  Worcester,  qui  ne  leur 
ressemblent  pas  davantage,  doivent  donc  être  écartées  de 
même.  La  vitesse  de  l'eau  est  également  la  cause  du 
mouvement  d'une  roue  hydraulique  et  de  l'ascension  du 
liquide  dans  le  bélier  ;  si  de  là  on  avait  conclu  que  l'in- 
venteur de  la  roue  doit  aussi  être  considéré  comme  inven- 
teur du  bélier,  tout  le  monde  se  serait  récrié.  Eh  bien , 
pour  les  machines  à  feu  on  a  raisonné  ainsi  sans  s'en 
apercevoir.  Caus  ou  Worcester,  transportés  aujourd'hui, 
avec  les  connaissances  de  leur  époque,  devant  une  ma- 
chine de  Watt  en  action ,  ne  soupçonneraient  pas  même 
ni  l'un  ni  l'autre  que  c'est  la  vapeur  d'eau  qui  engendre 
le  mouvement;  et  cependant  on  les  appelle  les  inven- 
teurs ! 

En  rapportant  ces  réflexions,  je  leur  ai  laissé  toute  leur 
force.  On  se  tromperait  cependant  si  l'on  voulait  en  con- 


MACHINES  A  VAPEUR.  109 

dure  que  je  les  adopte  sans  modification.  J^accorderais 
très-volontiers  que  les  inventeurs  de  la  machine  à  piston , 
du  mouvement  alternatif  et  des  artifices  qui  le  produi- 
sent, doivent  être  placés  hors  ligne;  cette  concession 
faite,  je  ne  saurais  admettre  que  la  première  idée  d'em- 
ployer la  vapeur  comme  principe  de  mouvement  ne  doive 
pas  figurer  dans  l'histoire  des  machines  à  feu  actuelle- 
ment en  usage. 

Au  reste,  il  est  juste  de  le  reconnaître,  et  c'est  une 
erreur  à  laquelle  moi  -  même  je  n'ai  pas  entièrement 
échappé,  on  a  eu  tort  de  considérer  la  machine  à  vapeur 
comme  un  objet  simple,  dont  il  fallait  absolument  trouver 
l'inventeur.  A  quoi  aurait-on  pu  s'arrêter  si  l'on  avait , 
par  exemple,  suivi  cette  voie  en  écrivant  l'histoire  de 
Phorlogerie?  Quel  est  l'inventeur  d'une  montre?  Per- 
sonne; mais  il  est  naturel  de  demander  qui  a  inventé  le 
barillet,  l'échappement  à  roue  de  rencontre,  l'échappe- 
ment à  repos  ou  libre,  le  balancier  compensé,  etc.,  etc. 
Dans  la  machine  à  vapeur,  il  existe  ausvsi  plusieurs  idées 
capitales  qui  peuvent  ne  J)as  être  sorties  de  la  même  tête. 
Les  classer  par  ordre  d'importance,  donner  à  chaque 
inventeur  ce  qui  lui  appartient,  rapporter  exactement  les 
dates  des  diverses  publications,  tel  doit  être  l'objet  de 
l'historien.  En  essayant  de  m'acquitter  de  cette  tAche, 
j'avais  signalé  ainsi  les  traits  caractéristiques  des  machines 
actuellement  en  usage  : 

Idée  d'une  machine  à  vapeur  aqueuse,  portant  un  pis- 
ton doué  d'un  mouvement  alternatif; 

Production  de  ce  mouvement  alternatif,  par  une  com- 
l)inaison  de  la  force  élastique  de  la  vapeur  avec  la  pro- 


110  &IÂCHINES  A  VAPEUR. 

priété  dont  cette  vapeur  jouit  de  perdre  tout  ressort,  ou 
de  se  précipiter  quand  on  la  refroidit  ; 

Moyens  divers ,  et  plus  ou  moins  avantageux,  d'opérer 
ce  refroidissement. 

Personne  ne  contestera  que  ce  soient  là  les  traits 
principaux  des  machines  en  usage.  Or,  j'ai  prouvé  que 
les  deux  premières  idées  appartiennent  à  Papin.  Recon- 
naître la  vérité  de  ma  démonstration ,  c'était  mettre  fin 
au  débat,  c'était  avouer  que  les  Français  sont  entrés 
pour  une  très-grande  part  dans  l'invention  de  la  machine 
à  vapeur.  Aussi  s'est-on  bien  gardé  de  me  faire  cette 
concession.  Cependant  la  publication  de  Papin  est  incon- 
testablement antérieure  de  plusieurs  années  aux  publica- 
tions de  Savery,  de  Newcomen  et  de  Cavvley  ;  la  discussion 
n'était  pas  soutenable  sur  ce  terrain-là,  et  M.  Ainger,  qui 
sans  doute  l'a  reconnu,  en  a  choisi  un  tout  diiférent  :  il  a 
décidé  que  la  découverte  de  Papin  se  trouverait,  coûte 
que  coûte,  dans  un  auteur  plus  ancien,  et  c'est  Héron 
d'Alexandrie  qu'il  a  choisi.  Il  est  bien  vrai  que  par  là  on 
faisait  une  nouvelle  et  large  brèche  à  cette  assertion  :  t  La 
machine  à  feu  n'est  due  qu'à  des  Anglais  ;  »  mais  le  dés- 
agrément était  comparativement  peu  de  chose,  dès  qu'on 
parvenait  à  exclure  tous  les  noms  français.  Examinons 
donc  les  nouveaux  titres  d'Héron ,  découverts  par 
M.  Ainger. 

«Dans  un  autre  appareil  d'Héron,  dit  M.  Ainger,  EF 
(fig.  12)  est  un  globe  à  moitié  rempli  d'eau  qui  se  con- 
verti! en  partie  en  vapeur  {wich  is  parilfj  converled  inlo 
vapour)  quand  on  l'expose  au  soleil.  De  là  résulte  sur  la 
surface  de  l'eau  une  pression  qui  fait  monter  ce  liquide  le 


MACHINES  A  VAPEUR. 


III 


>ng  du  siphon  G  ;  ensuite  elle  se  répand  sur  la  coupe  c , 
t  descend  par  le  tuyau  d  dans  le  vase  fermé  ACDB, 
empli  aussi  de  liquide  à  moitié.  Quand  le  globe  EF  se 
efroîdit,  Feau  qu'il  contient  se  trouve  soustraite  par 
ondensatioD  à  la  plus  grande  partie  de  la  pression  qu'elle 
upportait,  et  Teau  s'élève  du  vase  ACDB  par  un  tuyau, 
our  remplacer  ce  que  l'élasticité  de  la  vapeur  avait 


Pig.  IS.  —  Appareil  d*Hérou  pour  l'euiploi  de  la  force  élastique  rie  l'air. 

txpulsé  {what  had  been  driven  over  by  tlie  elaslicily  of 
he  vapour).  Ainsi,  alternativement,  l'eau  sort  du  globe 
ît  y  revient  par  une  alternative  de  production  et  de 
condensation  de  vapeur  élastique  {elastic  vapour)  (page 
126  du  Mémoire  de  M.  Ainger).  » 

t  Cet  appareil,  dit  M.  Ainger,  anticipe  {anticipa(rs) 
e  principe  des  deux  idées  {conlrivafices)  sur  lesquelles 
d.  Arago  bâtit  sa  théorie  que  la  machine  à  vapeur  est 
me  invention  française.  » 


442  MACHINES  A   VAPEUR. 

Ce  n'est  pas  là  tout  ;  je  lis  à  la  page  337  du  Méuioire 
de  M.  Ainger  :  Tappareil  dans  lequel  Papin  engendra  le 
mouvement  alternatif  d'un  piston  par  la  production  et  la 
condensation  de  la  vapeur  t  servait  seulement  à  rendre 
sensible  {illuslrcUe)  un  fait  physique  bien  connu  «  car  on 
savait  déjà  du  temps  d'Héron  qu'en  condensant  la  vapeur 
on  produit  le  vide,  •  et  plus  loin,  page  338  :  «  Papin  ne  fut 
pas  le  premier,  à  2,000  ans  près,  qui  vit  que  la  vapeur 
en  se  condensant  laissait  un  vide...  L'appareil  de  Papin 
n'emploie  pas  à  la  fois  la  force  élastique  de  la  vapeur  et 
sa  condensation  ;  et  quand  cela  serait,  Papin  n'est  pas  le 
premier  qui  combina  dans  la  même  machine,  la  force 
élastique  de  la  vapeur  et  sa  condensabilité  {condensabi- 
lily)j  car  l'appareil  d'Héron  faisait  la  même  chose.  » 

J'ai  quelque  peine  à  retenir,  je  l'avoue,  l'expression 
des  sentiments  que  ces  divers  paragraphes  font  inévitable- 
ment naître.  Le  lecteur,  au  reste,  y  suppléera,  car  je  vais 
placer  en  regard  de  tant  de  passages  où  il  est  si  explici- 
tement question  de  vapeur  produite  et  de  vapeur  conden- 
sée, une  traduction  fidèle  de  l'explication  qu'Héron  a 
donnée  de  son  appareil.  Je  dis  une  traduction  fidèle^  et 
personne  n'en  doutera  quand  j'avertirai  qu'elle  est  de 
M.  Letronne,  à  qui  je  l'avais  demandée  pour  avoir,  en 
quelque  sorte,  une  autorité  légale,  irrécusable. 

«  Soit  une  base  fermée  ACDB,  à  travers  laquelle  passe 
un  entonnoir  dont  le  tuyau  soit  très-peu  distant  du  fond 
[de  cette  base]  ;  soit  [de  plus]  un  globe  EF,  d'où  un  tube 
descend  dans  la  base  jusqu'à  une  petite  distance  du  fond 
de  l'appareil.  Un  siphon  recourbé  est  ajusté  de  manière  à 
pénétrer  dans  l'eau  du  globe.  Lors  donc  que  le  soleil 


MACHINES  A  VAPEUR.  413 

vient  à  frapper  ce  globe,  l'air  qu'il  contient  étant  échauffé 
presse  le  liquide  ;  celui-ci  s'échappera  par  le  siphon  et 
descendra  dans  la  base  par  l'entonnoir.  Mais  quand  l'ap- 
pareil sera  à  t'ombre,  l'air  [moins  dilaté]  cédant  de  la 
place  dans  le  globe,  le  tube  reprendra  le  liquide.  Ce  phé- 
nomène aura  lieu  autant  de  fois  que  le^  soleil  frappera 
[le  globe].  •  (Les  mots  entre  crochets  sont  ajoutés  au 
texte  pour  plus  de  clarté.  ) 

Le  lecteur  a  maintenant  sous  les  yeux  le  passage,  mais 
le  passage  non  altéré,  d'après  lequel  on  veut  priver  Papin 
de  l'honneur,  qui  lui  revient  si  légitimement,  d'avoir 
le  premier  employé  la  vapeur  d'eau  pour  faire  le  vide 
sous  un  piston  et  pour  produire  un  mouvement  alternatif. 
Je  le  prie  donc  de  vouloir  bien  comparer  les  paroles  de 
Fauteur  grec  avec  les  explications  de  M.  Ainger,  et  il 
verra  que  les  mots  vapeur  j  vapeur  élastique,  condensation 
de  la  vapeur  pour  produire  le  vide ,  sont  de  pures  inven- 
tions ;  qu'Héron  n'en  dit  rien ,  qu'il  n'y  a  pas  songé  ;  que 
son  but,  que  son  but  unique,  est  d'employer  la  force  élas- 
tique de  l'air  contenu  dans  le  globe  EF ,  quoique  le  mot 
air  ne  se  trouve  pas  une  seule  fois  dans  la  paraphrase  de 
l'auteur  anglais. 

M.  Ainger  n'a  pas  dû  supposer  que  je  laisserais  son 
Mémoire  sans  réponse.  Alors  comment  expliquer  les  alté- 
rations si  nombreuses,  si  graves,  qu'il  a  fait  subir  aux 
paroles  d'Héron  d'Alexandrie?  La  question  n'est  certai- 
nement pas  facile  à  résoudre  ;  voici  cependant  de  quelle 
manière  M.  Ainger  a  peut-être  raisonné. 

Puisque  l'appareil  du  mécanicien  grec  renfermait  de 
l'eau,  il  y  avait  dans  son  globe  de  la  vapeur  mêlée  à  l'air; 

V.—  II.  8 


444  MACHINES  A  VAPEUR. 

cette  vapeur  devait  être  d'autant  plus  abondante  quMl  fai- 
sait plus  chaud  (nous  le  savons  aujourd'hui  parfaitement); 
ainsi  rien  ne  m'empêche  d'affirmer  que  c'est  à  la  vapeur, 
plus  élastique  le  jour  que  la  nuit,  qu'était  dû  le  mouve- 
ment du  liquide.  On  dira  peut-être  que  l'effet  dépendant 
de  cette  cause,  n'était  qu'une  très -petite  partie  de  cehiî 
qu'amenait  la  <lilatatk>n  de  Pair;  mais  dès  que  la  discus- 
sion portera  seulement  sur  des  quantités,  elle  se  terminera 
en  ma  faveur. 

Au  besoin,  j'auraas  répliqué  qtfil  ne  s'agit  pas  de  savoir 
^11  y  avait  une  petite  quantité  de  vapeur  en  jeu  dans  l'ap- 
pareil d'Héron ,  mais  bien  si  ce  mécanicien  Favait  soup- 
çonné;  or  Héron  ne  parle  que  d'air.  Si  Ton  devait 
enregistrer  comme  découvertes  de  celui  qui  a  fait  ime 
(^ération ,  tous  les  phénomènes  que  cette  opération  réa- 
lise,  l'analyse  de  l'air  atmosphérique  n'appartiendrait 
phis  à  Lavoisier,  car  le  premier  dans  les  mains  duquel 
un  morceau  de  métal  se  rouilla,  avait  sans  s'en  douter 
séparé  l'oxygène  de  l'azote;  Black  ne  serait  pas  l'inven- 
teur de  la  théorie  de  la  chaleur  latente ,  car  on  ne  fait 
jamais  bouillir  de  l'eau  sans  que  la  vapeur  s'empare 
inévitablement  de  la  grande  quantité  de  calorique  qui  est 
nécessaire  à  sa  constitution  ;  la  découverte  de  l'électricité 
par  contact  n'appartiendrait  plus  à  Volta,  mais  bien  à 
celui  qui  le  premier  superposa  deux  pièces  métalliques 
de  nature  différente,  etc.,  etc.  Au  reste,  je  dois  le  dire, 
M.  Ainger,  entraîné  par  son  zèle,  s'est  même  ôlë  l'usage 
des  arguments  que  je  viens  de  combattre.  Pour  s'en  con- 
vaincre, il  suffit  de  se  rappeler  cette  phrase  :  «  On  savait 
du  temps  d'Héron,  etc.;»  ou  bien  cette  autre  :  «  L'ap- 


MACHINES  ▲  VliPCra.  445 

jMureil  de  PapÎB  servait  seuiemeDt  à  rendre  sensible  un 
iait  bien  caamsL,  car,^  etc.  » 

Dans  les  diverses  citations  çgae  j'ai  dû  lui  préseatter,  le 
lecteur  aura  certainement  remarqué  ce  passage  :  t  L'ap- 
pareil de  Papin  E^emploietpas  à  la  fois  la  force  élastique 
et  la  condensation  de  la  vapeur.  »  {Papiri's  apparatus 
é9€S  not  Mte  both  èbe  elcMie  force  and  ^condensation  ofthe 
Êteam.) 

Après  de  semblables  paroles,  toute  discussion  devient 
impossible.  Quelle  concession  espérer,  en  effet,  d'un 
antagoniste  décidé  àiûer  l'évidence?  Painii,  dites-vous, 
ii%mployait  pas  à  la  fois  la  force  élastique  et  la  conden- 
sation de  la  vapeur  !  Mais  pourquoi  mettait-ril  donc  de 
Teau  sur  la  plaque  inférieure  de  son  corps  de  pompe? 
Pourquoi  la  faisait-il  bouillir  lorsqu'il  voulait  donner  au 
piston  un  mouvement  ascendatit?  Pourquoi  retirait-il  le 
feu  quand  le  moment  était  venu  de  faire  descendre  le 
piston  sous  l'action  de  la  pression  atmosphérique? 

Les  inqualifiables  dénégations  de  M.  Ainger  sont  sans 
doute  bien  étonnantes  ;  mais  ce  qui  doit  surprendre  encore 
davantage,  c'est  qu'un  Mémoire  dépourvu  à  ce  degré-là 
de  tout  esprit  de  justice,  de  toute  vérité,  de  toute  logique, 
ait  pu  être  débité,  écouté,  accueilli  dans  une  institution 
que  les  leçons  d'un  Humphry  Davy,  d'un  Thomas  Young 
ont  jadis  tant  illustrée;  dans  un  établissement  qui  a  eu 
l'inappréciable  avantage  de  compter  parmi  ses  profes- 
seurs des  savants  du  mérite  de  MM.  Faraday  et  Millington. 
Au  reste,  tout  bien  considéré ,  ces  efforts  impuissants  des 
passions  ou  des  préjugés  nationaux,  sont  un  hommage 
solennel  rendu  aux  inventions  de  Papin.  Je  n'hésite  donc 


446  MACHINES  ▲  VAPEUR. 

pas  à  reproduire  ici  les  trois  propositions  capitales  qui , 
dans  ma  Notice  historique ,  terminent  l'analyse  des  tra- 
vaux de  cet  ingénieur.  M.  Aingeraura,  sans  le  vouloir, 
contribué  à  leur  donner  une  incontestable  évidence. 

Papin  a  imaginé  la  première  machine  à  vapeur  a 
piston; 

Papin  a  vu  le  premier  que  la  vapeur  aqueuse  fournit 
le  moyen  de  faire  le  vide  dans  une  capacité,  quelque 
grande  qu'elle  soit  ; 

Papin  est  le  premier  qui  ait  songé  à  combiner,  dans 
une  même  machine  à  feu ,  la  force  élastique  de  la  vapeur 
d'eau  avec  la  propriété  dont  cette  vapeur  jouit,  et  qu'il  a 
signalée,  de  se  condenser  par  refroidissement. 


EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

A  VAPEUR 


CHAPITRE  PREMIER 

ATAIIT-PROPOS 

Les  machines  à  vapeur  pourront  être  considérées 
comme  le  chef-d'œuvre  de  Tindustarie  humaine,  lorsqu'on 
sera  parvenu,  soit  à  rendre  tout  à  fait  impossibles  les 
explosions  qu'aujourd'hui  elles  éprouvent  quelquefois, 
soit  du  moins  à  empêcher,  par  des  voies  certaines ,  que 
ces  accidents  ne  donnent  lieu  aux  scènes  de  destruction 
et  de  mort  qui  les  signalent  trop  souvent.  Ce  problème, 
il  faut  l'avouer,  n'a  pas  été  jusqu'ici  complètement  résolu, 
quoiqu'il  ait  excité  la  sollicitude  des  physiciens  et  des 
artistes  les  plus  habiles.  Les  ingénieux  mécanismes  ima- 
ginés par  Papin  et  connus  sous  le  nom  de  soupapes  de 
sûreté^  suffisent,  il  est  vrai,  dans  les  cas  ordinaires;  mais 
il  est  des  circonstances ,  heureusement  assez  rares ,  dans 
lesquelles  ils  sont  insuffisants  et  même  dangereux.  Signaler 
ces  circonstances,  autant  du  moins  que  l'état  imparfait  de 
nos  connaissances  à  cet  égard  peut  le  permettre,  indiquer 
les  causes  qui  les  amènent,  et  quelques  moyens  plus  ou 
moins  plausibles  de  les  éviter,  tel  est  le  but  de  cette  Notice. 

Je  vais  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  une  relation 
abrégée  de  toutes  les  explosions,  à  moi  connues,  qui  ont 


448  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

eu  pour  témoins  ou  pour  historiens  des  ingénieurs  expéri- 
mentés. C'est  là  que  nous  trouverons  les  moyens  d'appré- 
cier les  diverses  explications  qQ*0n  a  données  de  ces 
effrayants  phénomènes» 

CHAPITRE  II 

VARIATION  Dl  LA  FORC£  ÉLASTIQVB  DB  hk  VAPEUR  D'£AU 

AVEC  LA  TEUPÉRATURE 

Avant  d'entrer  en  matière  je  rappellerai  que  la  force 
flastique  de  la  vapeur  d'eau  qui,  combinée  avec  son 
refroidissement ,  est  le  principe  du  mouvement  des  ma* 
chines  à  feu ,  varie  avec  la  température  de  production  de 
cette  vapeur.  Quelle  loi  régit  cette  dépendance  de  la 
force  disponible  et  de  la  chaleur  qui  donne  naissance  à  la 
vapeur?  Cest  ce  qu'il  était  nécessaire  de  rechercher  pour 
régler  remploi  des  chaudières  à  vapeur.  Le  gouverne- 
ment a  demandé  à  l'Académie  des  sciences  de  faire  les 
recherches  nécessaires  dans  ce  but.  11  est  résulté  du 
grand  travail  qui  fut  entrepris  une  table  des  forces  élas- 
tiques de  la  vapeur  d'eau  et  des  températures  corresponr 
dantes  de  ï  à  ^k  atmosphères  d'apris  l'observation  ^  et 
(fc  24  A  50  atmosphères  par  le  calcuL  Les  expériences 
pénibles  et  souvent  très  -  dangereuses  dont  cette  table 
offre  pour  ainsi  dire  le  résumé,  ont  été  faites  par  Dulong 
et  par  moi.  Ces  expériences  sont  décrites  dans  un  Mémoire 
spécial.  Ici  je  dois  me  contenter  de  reproduire  les  chiffres 
qui  peuvent  servir  de  mesure  à  la  puissance  de  la  va- 
peur et  à  la  résistance  que  doit  présenter  la  chaudière 
destinée  à  supporter  une  certaine  température. 


A  VAPEUB. 

449 

ÉlMticitéi 
de  la  vaprar 

«n  atmosphères 

«îe  Ona.76 

de  xucrcuie. 

ÈaiticiUs 
de  la  Tapeiir 

eiprimées 
en  nanteort 

métriqnes 
de  mercuvii 

Tempéraftoret 

correapendniM 

exprimées 

m  deffrét 

centigrades. 

Pressions 

iurtin 

centimètre  carré 

exnhméet 
en  kirogrammes. 

1 

0-.76 

100* .0 

Ik 

.033 

1.5 

1  .14 

112  .2 

1 

.549 

2 

1  .52 

121  .4 

2 

.066 

2.5 

1.90 

128  .8 

2 

.582 

3 

2  .28 

135  .1 

3 

.099 

3.5 

2  .66 

140  .6 

3 

.615 

à 

3  .04 

145  .4 

4 

.132 

4.5 

3  .Zi2 

149  .1 

4 

.648 

5 

3  .80 

153  .1 

5 

.165 

5.S 

4.18 

156  .8 

5 

.681 

6 

4  .56 

160  .2 

6 

.198 

6.5 

4  .94 

163  .5 

6 

.714 

7 

5  .32 

166  .5 

7 

.231 

7.5 

5  .70 

169  .4 

7 

.747 

8 

6  .08 

172  .1 

8 

.204 

9 

6  .84 

177  .1 

9 

.297 

10 

7  .60 

181  .6 

10 

.330 

11 

8  .36 

186  .0 

11 

.363 

12 

9  .12 

190  .0 

12 

.396 

13 

«f    .OO 

193  .7 

13 

.429 

14 

10  .64 

197  .2 

14 

.462 

15 

U  .UO 

200  .5 

15 

.495 

16 

12  .16 

203  .6 

16 

.528 

17 

12  .92 

206  .6 

17 

.561 

18 

13  .68 

209  .4 

18 

.594 

19 

14  M 

212  .1 

19 

.627 

20 

15  .20 

214  .7 

20 

.660 

21 

15  .96 

217  .2 

21 

.693 

22 

16  .72 

2J9  .6 

22 

.726 

23 

17  ./|8 

221  .9 

23 

.759 

24 

18  .24 

224  .2 

24 

.792 

25 

19  .00 

226  .3 

25 

.825 

30 

22  .80 

236  .2 

30 

.990 

35 

26  .60 

W\  .9 

36 

.155 

hO 

30  .40 

252  .6 

41 

.320 

45 

34  .20 

259  .5 

46 

.485 

50 

38  .00 

265  .9 

51 

.650 

420  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

La  barre  que  Ton  voit  dans  le  tableau  précédent, 
indique  la  séparation  entre  les  résultats  des  expériences 
directes  et  ceux  du  calcul.  Ce  n'est  pas  du  reste  ici  le 
lieu  d'expliquer  comment  ont  été  calculées  les  tempéra- 
tures qui  correspondent  aux  tensions  de  plus  de  24  atmo- 
sphères. Je  me  contenterai  de  dire  que  l'erreur  ainsi 
commise  n'est  pas  considérable,  et  que  des  expériences 
entreprises  postérieurement  aux  recherches  que  j'ai  faites 
avec  mon  illustre  ami  Dulong,  ne  conduisent  pas  à  modi- 
fier sensiblement  nos  chiffres,  au  moins  pour  les  besoins 
de  la  pratique. 

CHAPITRE  III 

SÉPARATION  SN  DEUX  PARTIES  D^DNE  CHAUDIÈRE  ET  PROIECTION 
D^DNE  DE  SES  PARTIES  A  UNE  GRANDE  HAUTEUR 

Lochrin  est  le  nom  d'une  immense  distillerie  située 
près  d'Édinburgh.  Le  propriétaire,  dans  des  vues  d'éco- 
nomie, imagina,  il  y  a  quelques  années,  de  remplacer 
l'ancien  mode  de  travail  par  la  distillation  à  la  vapeur. 
De  larges  tubes  de  métal  dans  lesquels  circulait  constam- 
ment un  courant  de  vapeur  d'eau  très-chaude  traversaient 
donc,  d'outre  en  outre,  les  vases  renfermant  les  liquides 
qu'il  fallait  mettre  en  ébullition.  La  vapeur  échauffante 
était  engendrée  dans  une  chaudière  en  fer  forgé  de  plus 
d'un  centimètre  d'épaisseur,  de  11"*. 27  de  long,  d'une 
largeur  de  0".90  au  fond  et  de  O^.ei  à  la  naissance  du 
couvercle;  enfin ,  de  l^.SS  de  hauteur.  Le  poids  total  de 
cette  chaudière  était  de  9,140  kilogrammes.  On  remar- 
quait à  sa  paroi  supérieure  deux  soupapes  de  sûreté , 


A  VAPEUR.  424 

disposées  de  manière  qu'elles  dussent  s'ouvrir  dès  que 
la  pression  intérieure  surpasserait  4^^3  par  centimètre 
carré ,  ce  qui  correspondait  à  quatre  atmosphères,  comme 
on  le  voit  par  la  table  du  chapitre  précédent.  De  peur 
que  les  ouvriers  ne  surchargeassent  les  soupapes ,  Tune 
des  deux  était  contenue  dans  une  cage  grillée  fermée  à 
clef. 

Cet  immense  appareil  commença  à  travailler  le  21  mars 
1814.  Douze  jours  après,  il  n'existait  déjà  plus  :  une 
explosion  Tavait  totalement  détruit. 

Au  moment  de  la  catastrophe,  la  chaudière  se  partagea 
en  deux  portions  distinctes  et  inégales.  La  portion  supé- 
rieure, composée  du  couvercle  et  des  deux  côtés,  pesait 
7,112  kilogrammes.  Elle  fut  projetée  de  bas  en  haut  avec 
une  telle  violence,  qu'après  avoir  traversé  la  voûte  en 
briques  qui  couvrait  l'atelier  et  le  toit,  elle  s'éleva  dans 
l'air  à  une  hauteur  verticale  de  21  mètres.  Cette  énorme 
masse  tomba  ensuite  à  46  mètres  du  point  de  départ  sur 
un  des  bâtiments  de  la  distillerie,  l'enfonça,  et,  au  terme 
de  sa  chute,  réduisit  en  pièces  une  vaste  cuve  de  fonte  de 
fer,  située  au  rez-de-chaussée. 

Il  n'y  avait  heureusement  que  deux  ouvriers  près  de 
l'appareil  au  moment  de  l'explosion.  Ce  furent  les  deux 
seules  personnes  qui  perdirent  la  vie ,  circonstance  d'au- 
tant plus  extraordinaire  que  les  autres  parties  des  ateliers 
étaient  alors  encombrées  de  monde ,  et  que  la  chaudière, 
semblable  en  cela  à  un  immense  fourneau  de  mine,  lança 
dans  tous  les  sens  et  avec  une  prodigieuse  vitesse  une 
immense  quantité  d'ustensiles  et  de  débris.  Le  corps  d'un 
des  ouvriers  avait  été  partagé  en  deux;  l'on  regarda 


422  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

comme  un  fait  digne  de  remarque  que  les  jaiid)es  fussent 
restées  dans  la  distillerie,  tandis  que  le  buste  ae  trouva 
au  loin ,  hors  du  bâtiment ,  parmi  les  décombres» 

La  ligne  le  long  de  laquelle  la  chaudière  se  déchira 
était  parfaitement  horizontale  et  suivait  isoe  rangée  de 
dous  d'une  manière  tout  atissi  réguli^  que  si  Vovk  eut 
coupé  le  fer  avec  de  fortes  cisailles. 

La  chaudière,  semblable  à  celles  dont  Watt  avait  donné 
le  modèle,  était  concave  à  Textérieur  dans  sa  face  la  pkis 
voisine  du  feu.  Elle  formait  là  une  espèce  d^àrceau;  qoî 
fermi^^tait  à  la  flamme  du  fourneau  de  pénétrer  presque 
jusqu'au  centre  de  la  masse  liquide.  Après  Texplosion,  la 
même  paroi  se  trouva  convexe ,  tant  elle  avait  été  forte- 
ment pressée  de  dedans  en  dehors.  Cette  déformatioa 
n* offre  rien  qu'on  n'eût  pu  deviner;  mais  on  aurait  cm 
difficilement,  si  l'inspecUon  des  lieux  n'en  avait  fourni  une 
preuve  dânonstrative,  que  le  fond  de  la  chaudière,  dont 
le  poids  était  de  2,028  kilogrammes,  et  qui  portait  de  si 
évidentes  traces  de  l'énorme  pression  qu'il  avait  éprouvée 
de  haut  en  bas,  eût  été  cependant  soulevé  pendant  l'ex- 
plosion, à  une  hauteur  de  près  de  5  mètres,  et  transporté 
à  quelcfue  distance  du  massif  de  maçonnme  sur  lequel  il 
se  trouvait  primitivement  établi* 

Aucune  circonstance ,  il  importe  beaucoup  de  le  faire 
remarquer,  n'autoriserait  la  supposition  que  l'accident  de 
Lochrin  ait  dépendu  d'une  mauvaise  construction  des 
soupapes  de  sûreté.  J'ai  déjà  dit  que  l'une  d'elles  était 
sous  clef  :  ainâ ,  il  faut  également  écarter  toute  idée  de 
surcharge*. 


A  YAPEUB.  423 

CHAPITRE  IV 

EXPLOSION    SIHULTANÉE   DE   PLUSIEURS   CHAUDIÈRES 

Le  bateau  à  vapeur  le  Rhône,  construit  par  MIL  Aitlria 
et  Sted ,  était  destiné  à  faire  roffice  de  remorqueur  entre; 
Arles  et  Lyon.  It  portait  une  immense  machine,  parfaite- 
ment bien  exécutée  à  Paris  dans  les  ateliers  de  la  Gare^ 
et  alimentée  par  quatre  chaudières  en  fer  laminé,  de  I^.Sd 
de  diamètre  chacune.  Depuis  Tévénement,  on  a  recomm: 
que  le  métal ,  sur  beaucoup  de  points ,  n'avait  que  5  mili^ 
limètres  d'épaisoeur. 

Le  A  mars  1827,  pendant  qu^on  se  préparait  à  Texpés- 
rience  qui,  ce  jour- là,  devait  avoir  toutes  les  autorités 
de  la  ville  de  Lyon  pour  témoins,  le  bateau  fit  explosiom 
Plusieurs  pers(mnes,  M.  Steel  entre  autres ,  périrent  vie* 
tîmes  de  cet  accident  II  y  eut  même  des  spectateurs  tué& 
sur  te  quai  du  Rhône  par  quelques  pièces  de  la  charpente 
du  bateau.  Le  pont  tout  entier  fut  projeté  à  une  grande 
distance  ;  les  tirages  et  les  tuyaux  des  cheminées,  pesant 
plus  de  âvOOO  kilogrammes^  s'élevèrent  presque  verti- 
calement jusqu'à  une  hauteur  considérable  ;  le  dôme  de. 
l'une  des  chaudières  alla  tomber  à  250  mètres  du  point 
de  départ,  et  cependant  il  ne  pesait  pas  moius  de  2,000 
kilogrammes. 

Cette  horrible  catastrophe  fut  une  conséquence  inévi- 
table de  l'imprudence  de  l'ingénieur.  Contrarié  de  ne  pas 
vaincre  la  rapidité  du  courant  aussi  complètement  qu'il 
l'avait  espéré ,  M.  Steel  fixa  invariablement  les  soupapes 
de  sûfeté  des  quatre  chaudières;  il  leur  ôta  toute  mobi- 


42i  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

lité.  Ce  fait,  quelque  incroyable  qu'il  puisse  paraître,  a 
été  constaté  d'une  manière  authentique. 

Nous  avons  remarqué  qu'il  y  avait  quatre  chaudières 
sur  le  bateau.  II  est  certain  que  deux  d'entre  elles  écla- 
tèrent presque  simultanément.  Si  je  suis  bien  informé,  en 
retirant  du  Rhône  une  troisième  chaudière  qui  y  était 
tombée,  on  a  reconnu  qu'elle  avait  aussi  éclaté.  Cette  rup- 
ture, dans  la  même  seconde,  de  deux  ou  trois  chaudières 
difiérentes,  est  un  fait  très- singulier  et  dont  nous  aurons 
à  rendre  ccnnpte  en  parlant  des  diverses  explications 
qu'on  a  données  de  ces  phénomènes. 

Je  ne  dois  pas  oublier  de  dire  qu'à  Lyon,  comme  à 
Lochrin,  le  dôme,  que  l'explosion  projeta  à  la  distance 
de  250  mètres,  s'était  séparé  de  la  chaudière  le  long 
d*une  ligne  à  peu  près  horizontale,  quoique,  dans  l'éten- 
due de  cette  ligne,  le  métal  présentât  des  différences 
d'épaisseur  de  plus  de  2  millimètres.  M.  Tabareau,  à  qui 
j'emprunte  ces  précieux  détails ,  a  calculé  que  2  milli- 
mètres donnaient  aux  portions  les  plus  épaisses  des  parois 
un  excès  de  résistance  de  plus  de  6  atmosphères  sur  20 
à  25  qui  était  leur  force  totale.  Ainsi ,  il  y  a  eu  rupture 
simultanée  dans  des  parties  de  la  chaudière  dont  les  téna- 
cités différaient  de  6  atmosphères  au  moins. 

Je  viens  de  faire  remarquer  combien  l'explosion  simul- 
tanée de  plusieurs  chaudières  placées  sur  des  fourneaux 
différents  était  un  phénomène  digne  d'attention.  Il  pourra 
donc  être  utile  d'en  citer  un  second  exemple. 

A  l'entrée  de  la  mine  d'étain  de  Polgooth ,  il  existe  une 
immense  machine  à  feu,  alimentée  par  trois  chaudières 
distinctes.  Cette  machine  ayant  été  arrêtée  quelques  in- 


A  VAPEUR.  425 

stants  pour  donner  à  Tingénieur  les  moyens  de  réparer  la 
pompe  foulante  d'épuisement,  deux  des  chaudières  écla- 
tèrent coup  sur  coup.  Le  capitaine  Reed ,  qui  se  trouvait 
alors  très-près  de  la  mine ,  rapporte  que  le  bruit  de  la 
première  explosion  avait  à  peine  cessé,  quand  la  seconde 
se  fit  entendre. 

CHAPITRE  V 

EXPL0S10:«S  OCCASIONNÉES  PAR  UNE  SURCHARGE  DE  LA  SOUPAPE 

DE  SUREÎÉ 

Après  l'explosion  qui  démolit  entièrement  la  raffinerie 
de  sucre  de  Wellclose- Square  à  Londres,  il  fut  constaté 
que  la  fonte  dont  la  chaudière  était  formée  n'avait  pas 
partout  une  épaisseur  suffisante.  Au  fond ,  on  ne  trouva 
pas  moins  de  63  millimètres  ;  sur  les  deux  parois  verti- 
cales, 38  millimètres;  dans  la  partie  inférieure  du  dôme, 
11  millimètres  seulement,  et  sur  quelques  autres  points 
l'épaisseur  était  réduite  à  3  millimètres. 

Quelques  instants  avant  Tévénement,  contrarié  des 
faibles  résultats  que  l'appareil  donnait ,  un  agent  du  con- 
structeur, malgré  les  vives  représentations  des  raffineurs, 
avait  chargé  la  soupape  de  sûreté  d'un  énorme  poids, 
tandis  qu'en  même  temps  il  poussait  le  feu  autant  que 
possible. 

Remarquons  qu'à  Londres,  comme  à  Lyon,  la  chau- 
dière éclata  à  la  fois  dans  des  parties  qui  avaient  des 
épaisseurs  si  inégales  qu'on  aurait  dû  supposer  que  Tune 
de  ces  parties  cédant  à  la  force  1,  l'autre  résisterait  à  une 
action  décuple. 


U6  EXPLOSIONS  DBS  MACHINES 

Dorant  Tenqnête  que  la  chambre  des  commcmes  insti- 
taa  en  1817,  à  roccasion  de  Texplosion  d*un  bateau  à 
vapeur  à  Norwich,  M.  William  Chapman,  ingénieur  civil 
de  Newcastle,  cita  Texplosion  d*une  chaudière  déterminée 
comme  la  précédente ,  par  une  surchai^e  de  la  soupape 
de  sûreté;  mais  cette  fois  du  moins  raraour-pro|Mie  du 
constructeur  ne  joua  aucun  rôle  dans  l'événement,  car  il 
fut  occasionné  par  un  ouvrier  qui  s'assit  sur  la  soupape, 
afin  de  donner  à  ses  camarades  le  spectacle  du  mouve- 
ment oscillatoire  qu'il  éprouverait,  disait -il,  quand  la 
vapeur  serait  devenue  assez  puissante  pour  le  soulever. 
Or,  il  arriva ,  comme  on  pouvait  le  prévoir,  que  la  sou- 
pape ne  s'ouvrit  point,  mais  que  la  chaudière  creva.  Les 
éclats  blessèrent  et  tuèrent  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes. 

En  Amérique ,  un  bateau  à  vapeur  sauta  sur  TOhio , 
pendant  que  l'équipage  levait  l'ancre,  c'est-à-dire  dans 
un  moment  où  la  machine  ne  marchant  point,  il  n'y  avait 
aucune  consommation  de  vapeur,  quoique  le  feu  fût  déjà 
dans  toute  sa  force.  Lever  ou  décharger  la  soupape ,  était 
le  moyen  de  prévenir  les  accidents  ;  par  une  inadvertance 
inexplicable,  l'ingénieur,  au  contraire,  y  plaça  un  poids 
additionnel. 

CHAPITRE  VI 

EXPLOSIONS    PRÉCÉDÉES    d'uN    GRAND    AFFAUtLISSElIElfT 
DANS  LE  RESSORT  DE  LA  VAPEUR 

Dans  tous  les  cas  d'explosion  que  j'ai  cités  juscju'ici, 
celui  de  Lochrin  excepté,  il  a  été  constaté  que  la  soupape 
de  sûreté  se  trouvait  ou  complètement  fermée  ou  chargée 


▲  VAPEUR.  4» 

I  poids  trop  fort.  Les  causes  de  reffraction  semblaient 
c  évidentes.  Maintenant  nous  allons  entrer  dans  une 
e  de  faits  beaucoup  moins  simples.  Plusieurs  même , 
avouerai  sans  détour,  ont  une  apparence  paradoxale 
,  au  premier  abord,  inspire  des  doutes;  mais  les 
mples  sont  nombreux  et  les  autorités  irrécusables, 
^elques  instants  avant  que  la  chaudière  en  fonte  et  à 
mou  moyenne  établie  à  Essoiines  dans  la  filature  de 
Feray,  fît  explosion  le  8  février  1823,  la  machine 
îlle  alimentait  marchait  plus  lentement  qu'à  l'ordi- 
•e ,  et  à  tel  point  que  les  ouvriers  s'en  plaignaient. 
md  l'explosion  eut  lieu,  les  deux  soupapes  venaient  de 
ivrir  et  la  vapeur  en  sortait  avec  abondance. 
Jn  accident  en  tout  semblable  à  celui  d'Essonnes  eut 
i  quelques  jours  après  sur  le  boulevard  du  Mont-Par- 
se,  à  Paris.  Ici,  comme  chez  M.  Feray,  les  ouvriers 
rmuraient  de  ce  que  la  marche  excessivement  lente  de 
nachine  ne  leur  permettait  de  faire  dans  la  journée 
une  très-petite  quantité  d'ouvrage,  lorsque  tout  à  coup 
îhaudière,  qu'ils  supposaient  presque  vide  de  vapeur, 
ita.  Cette  chaudière  était  en  cuivre  laminé.  Rien  n'an- 
içait  que  la  soupape  de  sûreté  eût  été  en  mauvais  état  ; 
a  même  toute  raison  de  supposer  qu'une  abondante 
Le  de  vapeur  précéda  l'explosion. 
Lors  de  l'explosion  du  bateau  à  vapeur  VEtna^  en  Amè- 
ne, la  machine  ne  donnait  que  18  coups  de  piston  par 
nute.  Dans  sa  marche  habituelle,  ce  nombre  de  coups 
it  de  20.  Ainsi  la  chaudière  éclata  sous  l'action  d'une 
yexw  sensiblement  moins  élastique  que  celle  qu'elle 
)portait  ordinairement. 


42$  EXPLOSIONS  DBS  MACHINES 

Le  jour  de  Texplosion  du  bateau  le  Rapide,  h  Boche- 
fort  ,  le  manomètre  avait  souvent  indiqué  une  élasticité  de 
la  vapeur  de  âO  centimètres  de  mercure  supérieure  à  celle 
de  l'atmosphère.  Quelques  instants  avant  Tévénement ,  le 
manomètre  n'était  qu'à  15  centimètres. 

Il  est  résulté  de  l'enquête  à  laquelle  donna  lieu  l'ex- 
plosion du  bateau  à  vapeur  le  Grdham,  qu'à  l'instant  où 
l'événement  arriva,  on  venait  d'ôter  un  poids  de  10  kilo- 
grammes de  dessus  la  soupape  de  sûreté. 


CHAPITRE  VII 

EXPLOSIONS  IMMÉDIATEMENT  PRÉCÉDÉES  DE  L^OUYERTimB 

DE  LA  SOUPAPE  DE  SÛRETÉ 

Je  rappellerai  d'abord  que  l'explosion  de  la  chaudière 
d'Essonnes  pourrait  être  classée  dans  ce  chapitre,  car  la 
soupape  venait  de  s'ouvrir  quand  elle  arriva. 

Une  chaudière  construite  pour  produire  de  la  vapeur 
à  basse  pression,  fit  explosion,  au  milieu  d'un  atelier  de 
Lyon,  immédiatement  après  qu'on  eut  ouvert  un  large 
robinet  de  décharge  par  lequel  la  vapeur  commençait  à 
s'échapper  avec  rapidité.  Ouvrir  le  robinet  ou  soulever  la 
soupape  de  sûreté,  c'est  évidemment  tout  un  :  l'explosion, 
dans  ce  cas ,  fut  donc  déterminée  par  une  manœuvre  qui 
généralement  semble  devoir  la  prévenir. 

Ce  fait ,  quelque  étrange  qu'il  puisse  paraître ,  sera 
certainement  adopté  de  confiance,  quand  je  dirai  qu'on 
en  doit  le  récit  à  M.  Gensoul  de  Lyon,  et,  de  plus,  que 
cet  habile  ingénieur  en  a  été  témoin. 


A  VAPEUR.  429 

U  dans  un  cas  extrême,  comme  celui  qiie  je  viens  de 
K>rter,  Pouverture  d'une  soupape  peut  amener  la 
ure  de  la  chaudière ,  il  doit  arriver  fréquemment  que 
3  ouverture ,  sans  occasionner  aucun  accident ,  déter- 
e  cependant  une  augmentation  sensible  et  brusque 
3  la  force  élastique  de  la  vapeur.  Le  phénomène ,  dans 
limites ,  peut  être  étudié  sans  trop  de  danger.  Je  sais 
i  Lyon  Texpérience  a  été  tentée,  et  que  sur  une  petite 
udière  à  haute  pression ,  dès  qu'on  ouvrait  un  large 
inet  de  décharge,  la  soupape  de  sûreté  se  levait.  Je 
i  dire  qu'à  Paris,  Dulong  et  moi,  nous  avons  tou- 
•s  vu  au  contraire  une  diminution  de  tension  accom- 
;ner  Touverture  des  soupapes  ;  mais  je  n'en  regarde 
moins  l'expérience  de  Lyon  comme  certaine,  puis- 
îlle  a  pour  garants  M,  Tabareau ,  directeur  de  l'École 
la  Martinière,  et  M.  Rey,  professeur  de  chimie.  Les 
ses  probables  de  ce  désaccord,  que  je  signalerai  plus 
,  montreront  peut-être  comment  on  peut  prévenir  le 
ire  particulier  d'accidents  auquel  celte  Notice  est 
sacrée. 

CHAPITRE  Vlll 

ÉCRASEMC.NTS    INTÉRIEURS    DES    CIIAUDIÈRES 

Les  chaudières  constmites  avec  des  plaques  malléables 
fer  ou  de  cuivre,  celles  surtout  qu'on  a  destinées  à 
vailler  sous  une  faible  pression,  éprouvent  dans  quel- 
îs  circonstances  des  accidents  qui  sont  précisément 
iverse  de  ceux  dont  nous  venons  de  nous  occuper. 
Ces  chaudières,  quelquefois,  s'écrasent  complètement 

V.-H.  9 


à 


430  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

par  ane  flexion  subite  de  leurs  parois,  qoi  s^ophre  de 
dehors  en  dedans.  Les  villes  de  Lyon  et  de  Saint-Etienne 
ont  été  naguère  le  théâtre  de  plusieurs  accidents  de  ce 
genre,  contre  lesquels  il  importe  de  se  prémunir,  ne 
fût-ce  que  pour  ne  pas  voir  des  ateliers  considérables 
réduits  tout  à  coup  à  une  complète  inaction. 

Les  petits  cylindres  des  chaudières  à  foyer  intérieur, 
s^écrasent  aussi  de  temps  en  temps.  Leurs  parois  ne 
pouvant  pas,  dans  certaines  circonstances,  résistera  la 
pression  de  la  vapeur  contenue  dans  l'espace  annulaire , 
cèdent  et  s'aplatissent  tout  à  coup.  Or,  comme  ce  mou- 
vement ne  saurait  avoir  lieu  sans  que  le  métal  se  déchire 
quelque  part ,  Teau  bouillante  se  répand  par  torrents  dans 
les  ateliers  environnants  et  produit  souvent  de  grands 
malheurs.  M.  John  Taylor,  membre  de  la  Société  royale 
de  Londres ,  me  fournira  un  exemple  de  ce  genre  d'ac- 
cidents. 

Dans  le  Fliiitshire,  aux  Mold-Mines,  il  y  a  une  immense 
machine  à  feu ,  alimentée  par  trois  chaudières  à  foyer 
intérieur.  Un  jour,  la  machine  était  arrêtée  depuis  cinq 
minutes  ;  le  contre-maître  avait  déjà  levé  les  portes  des 
foyers  des  trois  chaudières  et  fermé  les  registres  des  che- 
minées de  deux  ;  il  s'occupait  à  faire  la  même  opération 
sur  la  troisième  cheminée  ;  mais  à  peine  la  plaque  métal- 
lique fut-elle  en  place,  qu'il  vit  une  bouffée  de  flamme 
s'élancer  du  foyer  vers  l'atelier,  et  une  explosion  suivit 
immédiatement.  Deux  ouvriers,  qui  se  trouvaient  mal- 
heureusement placés  dans  la  direction  suivant  laquelle 
s'élança  l'eau  bouillante,  périrent  sur-le-champ. 

Un  examen  attentif  de  la  chaudière  montra  que  le 


A  VAPEUR.  134 

cylindre  extérieur  n'avait  ni  bougé  ni  éprouvé  de  doni- 
mage.  On  reconnut  même  que  le  poids  suspendu  au  levier 
de  la  soupape  de  sûreté  était  encore  à  sa  place  après 
l'accident.  Le  petit  cylindre  n'avait  pas  éprouvé  non  plus 
le  mouvement  de  translation  qui ,  dans  ce  genre  de  chau- 
dières, est  quelquefois  la  suite  des  explosions;  mais  il 
s'était  tellement  aplati,  dans  une  grande  partie  de  sa 
longueur,  par  le  rapprochement  des  parois  latérales, 
qu'il  restait  à  peine  assez  de  place  pour  y  introduire  la 
main. 

Au  premier  coup  d'oeil ,  on  peut  trouver  étrange  que 
j'aie  placé  un  écrasement  de  chaudière  dû  à  un  excès  de 
force  de  la  vapeur,  à  côté  des  accidents  pour  ainsi  dire 
inverses  dont  il  est  question  au  précédent  chapitre; 
mais  on  verra  bientôt  que  ces  deux  genres  d'effets,  sui- 
vant toute  apparence,  ont  une  semblable  origine. 


CHAPITRE  IX 

ACCIDENTS  PARTICULIERS  AUX  CHAUDIÈRES  A   FOYER  INTÉRIEUR 

Pour  peu  qu'on  ait  réfléchi  sur  les  causes  nombreuses 
qui  peuvent  amener  l'explosion  d'une  chaudière,  et  sur 
les  combinaisons  diverses  dont  elles  sont  susceptibles,  on 
reconnaît  bientôt  à  quel  point  il  serait  inutile  de  recher- 
cher à  cet  égard  des  règles  invariables.  On  doit  remar- 
quer cependant  qu'en  général  la  forme  de  la  chaudière 
est  la  cause  prépondérante ,  et  que  c'est  elle  qui ,  le  plus 
ordinairement,  détermine  le  genre  de  l'effraction.  C'est 
en  ce  sens  surtout  que  les  tableaux  détaillés  et  complets 


432  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

des  accidents  qui  arrivent  journellement  auraient  une 
grande  utilité.  Grâce  aux  précieux  renseignements  qu*a 
publiés  il  y  a  deux  ans  M.  John  Taylor,  on  peut  déjà 
dire,  par  exemple,  que  dans  les  chaudières  à  foyer  inté- 
rieur ou  à  cylindres  concentriques,  ce  sont  les  parois 
du  petit  cylindre  qu'il  faut  considérer  comme  la  partie 
faible. 

Après  Texplosion  preèque  simultanée  de  deux  chau- 
dières, à  la  mine  d'étain  de  Polgooth,  on  trouva  que 
les  cylindres  intérieurs  de  Tune  et  de  Tautre,  étaient  tor- 
dus sur  eux-mêmes  et  crevassés  dans  un  grand  nombre 
de  points. 

A  la  mine  d*Est-Crennis,  le  petit  cylindre  s'était  non- 
seulement  aplati  par  le  rapprochement  de  ses  parois  supé- 
rieure et  inférieure ,  mais  il  avait  même  été  lancé  hors 
de  l'atelier  avec  beaucoup  de  force ,  sans  que  le  grand 
cylindre  qui  l'enveloppait  eût  bougé,  et  sans  qu'on  y 
remarquât  aucune  avarie  importante.  On  a  dans  le  chapitre 
précédent  vu  un  autre  exemple,  encore  plus  remarquable, 
de  déformation  et  de  rupture  complète  du  petit  cylindre 
d'une  chaudière  avec  invariabilité  du  cylindre  enveloppe. 

CHAPITRE  X 

EXPLOSION  PRÉCÉDÉE  D'UN  GRAND  ÉCHAUFFEMENT  DES  PAROIS 

DE  LA  CHAUDIÈRE 

Un  échauffement  trop  considérable  de  la  portion  de 
chaudière  qu'on  appelle  le  réseiToir  à  vapeur,  peut  don- 
ner lieu  à  des  accidents.  La  fonderie  de  Pittsburg,  en 
Amérique ,  en  fournira  un  exemple. 


A  VAPEUR.  433 

Dans  cet  établissement ,  une  machine  à  haute  pression 
de  la  force  de  80  chevaux ,  recevait  la  vapeur  de  trois 
chaudières  cylindriques  séparées ,  ayant  chacune  76  cen- 
timètres de  diamètre  et  5".  5  de  long.  On  s'était  aperçu 
depuis  assez  longtemps  qu'à  cause  de  quelque  défaut 
dans  un  tuyau  aboutissant  à  la  pompe  alimentaire,  Tune 
de  ces  chaudières  ne  recevait  pas  assez  d'eau  et  deve- 
nait rouge;  mais  conune  la  vapeur  fournie  par  les  deux 
autres  était  suffisante,  on  crut  pouvoir  se  dispenser  de 
réparer  le  mal.  Or,  il  arriva  qu'un  jour  la  chaudière 
rouge  fit  explosion,  que  sa  majeure  partie  se  sépara  de 
l'une  des  extrémités,  qu'elle  partit  comme  une  fusée  sous 
l'angle  d'environ  45%  traversa  le  toit  du  bâtiment  et  alla 
tomber  à  183  mètres  de  distance. 


CHAPITRE  XI 

EXPLOSION    d'une    CHAUDIÈRE    EN    L'AIR 

On  a  rarement  des  détails  bien  précis  sur  les  circon- 
stances dont  les  explosions  des  machines  à  vapeur  sont 
accompagnées,  soit  parce  que  ces  accidents  arrivent 
inopinément  et  durent  à  peine  quelques  dixièmes  de 
seconde,  soit  parce  que  les  témoins  en  sont  presque 
toujours  victimes.  Une  inspection  attentive  des  localités, 
de  la  forme,  de  la  masse  et  de  la  distance  des  débris, 
fera  souvent  connaître  quelle  partie  de  la  chaudière  a  dû 
céder  la  première,  avec  quelle  vitesse  les  fragments  ont 
ét<*  projetés;  mais  ordinairement  on  sera  forcé  de  s'arrêter 
là.  Il  importe  donc  de  recueillir  avec  soin  tout  ce  que 


434  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

d'heureux  hasards  pourront  nous  apprendre  de  plus,  sur 
des  accidents  si  fâcheux  et  si  dignes  d'être  étudiés.  Je 
m'empresse  donc  d'extraire  d'une  lettre  de  M.  Perkins, 
le  fait  qu'on  va  lire,  et  qui  j'espère  ne  paraîtra  pas  dé- 
pourvu  d'intérêt. 

c  J'ai  eu  connaissance,  m'écrivait  cet  habile  ingénieur, 
d'une  explosion  qui  se  trouva  précédée  de  la  formaticHi 
d'une  fissui'e  par  laquelle  la  vapeur  s'échappait  avec  une 
énorme  vitesse.  Malgré  cette  soupape  de  sûreté  impro- 
visée, la  chaudière  fut  détachée  de  la  maçonnerie  sur 
laquelle  elle  reposait,  soulevée  en  masse  à  quelques  mè- 
tres du  sol,  et  c'est  en  l'air  qu'eut  lieu  l'explosion  qui  la 
partagea  en  deux.  La  moitié  supérieure  s'éleva  très-haut  ; 
l'autre  retomba  aussitôt  sur  le  sol  avec  un  grand  fracas. 

Je  me  trompe  fort ,  ou  les  mêmes  circonstances  ont  dû 
se  rencontrer  dans  l'explosion  de  Lochrin  (ch.  m,  p.  120). 

Appuyé  sur  les  faits  dont  on  vient  de  lire  la  relation ,  il 
nous  reste  maintenant  à  rechercher  quelles  sont  les  causes 
diverses  qui  ont  pu  amener  tant  d'accidents  et  les  raoyeni 
d'en  prévenir  le  retour. 

CHAPITRE  XII 

kécessité  des  soupapes  de  sûreté;  soupapes  de  papin;  leurs 
défauts;  accidents  qu'elles  peuvent  prévenir 

Fiurence  Rivault,  Salomon  de  Caus,  le  marquis  de 
Worcester,  avaient  déjà  remarqué  en  1605,  en  1615  et  en 
1663,  ainsi  qu'on  a  pu  le  voir  dans  ma  Notice  historique 
sur  l'invention  de  la  machine  à  vapeur  (p.  106),  qu'un 
vase  contenant  de  l'eau,  quelque  fortes  que  fussent  ses 


A  VAPEUR.  435 

parois,  se  brisait  indabitablement  eu  éclats  quand  on  le 
laissait  un  temps  suffisant  sur  un  feu  bien  vif,  à  moins 
qu'une  certaine  ouverture  ne  donnât  passage  à  la  va* 
peur  à  mesure  qu'elle  était  engendrée.  La  malheureuse 
expérience  de  M.  Steel ,  à  Lyon ,  a  du  reste  trop  bien 
montré  la  vérité  de  cette  opinion  (voir  p.  123). 

La  température  qui  amène  ainsi  la  rupture  d'un  vase 
dépend  de  la  forme  et  des  dimensions  qu'on  lui  a  don- 
nées, de  la  ténacité  et  de  l'épaisseur  de  ses  parois.  Si 
dans  chaque  circonstance  on  était  certain  de  ne  pas  dé- 
passer un  degré  de  dialeur  fixé  d'avance,  toute  autre 
précaution  deviendrait  inutile  ;  mais  dès  qu'on  a  vu  une 
seule  fois  comment  se  charge  un  grand  fourneau  ordi- 
naire, dès  qu'on  a  remarqué  à  quel  point  la  combustion 
dépend,  je  ne  dis  pas  seulement  de  la  nature  du  charbon , 
mais  encore  de  son  morcellement,  de  sa  répartition  plus 
ou  moins  uniforme  sur  la  grille,  voire  même  des  circon- 
stances atmosphériques ,  on  renonce  bien  vite  à  l'idée  de 
puiser  dans  le  foyer  des  moyens  de  sécurité  contre  les 
explosions. 

Nous  devons  donc  partir  de  la  supposition  qu'une  chau- 
dière complètement  fermée,  dont  l'épaisseur  ne  serait  pas 
énorme  (et  il  y  aurait  des  inconvénients  de  plus  d'un 
genre  à  dépasser,  sous  ce  rapport,  certaines  limites), 
renfermera  de  temps  à  autre  une  vapeur  d'une  élasticité 
supérieure  à  celle  que  la  résistance  de  ses  parois  pourrait 
vaincre.  Éviter  que  cela  n'arrive  est  cependant  le  seul 
moyen  d'empêcher  les  explosions. 

La  soupape  imaginée  par  Papin ,  semble  couper  court 
à  toute  difficulté. 


43G  EXPLOSIONS  DBS  MACHINES 

Cette  soupape,  je  Fai  déjà  expliqué  (p.  75),  se  com- 
pose d'un  trou  de  1  centimètre  carré,  par  exemple,  pra- 
tiqué à  la  paroi  supérieure  de  la  chaudière ,  et  sur  lequel 
on  a  déposé  une  plaque  métallique  chargée  d'un  certain 
poids.  N'est-il  pas  évident  que  le  trou  restera  fermé  tant 
qu'intérieurement  la  pression  de  la  vapeur  sur  1  cen- 
timètre carré,  sera  inférieure  au  poids  de  la  soupape 
augmenté  de  celui  de  l'atmosphère,  et  qu'aussitôt  qu'elle 
deviendra  plus  forte,  la  plaque  devra  se  soulever  et 
donner  un  libre  passage  â  la  vapeur  ? 

Cherchons  maintenant  comment  il  peut  arriver  qu'un 
moyen  si  rationnel,  si  simple,  d'une  exécution  si  facile, 
ne  soit  pas  infaillible. 

La  plaque  de  la  soupape  se  soulève  au  moment  où  le 
poids  dont  elle  est  chargée  devient  inférieur  à  la  pression 
de  la  vapeur  ;  mais  pour  empêcher  toute  augmentation 
de  tension  dans  la  chaudière,  cela  ne  suffit  pas  :  il  faut 
en  outre  que  la  fuite  par  la  soupape  égale  au  moins  l'excès 
de  production.  La  perte  de  vapeur  dépend  du  diamètre 
de  l'ouverture  ;  or,  celle  qui  ordinairement  satisfait  à  tous 
les  besoins  peut  être  beaucoup  trop  petite  lorsque  des 
circonstances  rares  amènent  la  transformation  presque 
subite  d'une  grande  quantité  d'eau  en  vapeur.  Dans  ce 
cas,  la  soupape  diminue  le  mal ,  mais  elle  ne  le  prévient 
pas  ;  elle  est,  qu'on  me  passe  la  comparaison ,  comme  le 
lit  de  ce  torrent  qui  suffit  à  l'écoulement  des  eaux  dans  les 
temps  ordinaires,  tandis  qu'à  la  suite  d'un  orage,  ses  rives 
se  trouvent  beaucoup  trop  resserrées.  Si  des  difficultés 
d'ajustement  et  l'énormité  des  poids  dont  il  faudrait  alors 
faire  usage,  ne  forçaient  pas  de  se  renfermer  dans  certaines 


A  VAPEUR.  137 

limites,  il  y  aurait  donc  tout  avantage  à  employer  des 
soupapes  à  très-larges  ouvertures.  Sans  pousser  les  choses 
à  l'extrême,  on  pourrait,  je  crois,  admettre  qu'on  s'en 
est  tenu  jusqu'ici  à  de  trop  petites  dimensions.  La  justesse 
de  cette  assertion  ne  sera  pas  contestée  par  ceux-là  sur- 
tout qui  voudront  bien  se  rappeler  les  curieux  phénomènes 
récemment  découverts  dans  l'écoulement  des  fluides  par 
de  petites  ouvertures.  On  a  trouvé,  en  effet,  en  présen- 
tant perpendiculairement  une  plaque  libre,  très-légère,  à 
un  courant  de  vapeur  sortant  par  un  petit  trou  pratiqué 
dans  la  paroi  d'une  chaudière  à  très- haute  pression, 
qu'elle  n'est  pas  toujours  repoussée.  Parvenue  à  une  faible 
distance  de  ce  trou ,  la  plaque  se  trouve  sollicitée  à  la  fois 
par  la  vapeur,  qui  tend  à  l'éloigner,  et  par  la  pression 
atmosphérique  dont  l'action  s'exerce  en  sens  contraire  : 
or,  ces  deux  forces  se  faisant  équilibre,  la  plaque  est 
comme  suspendue  en  l'air  dans  une  complète  immobilité. 
Je  ne  puis  pas  examiner  ici  comment  il  arrive  que  la 
vapeur  perde,  dans  l'acte  de  son  écoulement,  une  si 
énonne  partie  de  sa  force  que  la  seule  pression  atmo- 
sphérique suffise  pour  contre-balancer  ce  qui  en  reste; 
je  me  contente  de  dire,  comme  un  fait,  que  la  plaque  libre 
s'écarte  très-peu  du  trou  ;  que  la  même  chose  arrivera  à 
la  plaque  de  la  soupape,  et  qu'ainsi  au  moment  où  elle 
se  soulèvera,  il  sortira  beaucoup  moins  de  vapeur  qu'on 
ne  l'avait  espéré  quand  on  comptait  sur  un  jet  d'une  lar- 
geur égale  à  celle  de  l'ouverture  que  cette  plaque  recou- 
vrait. 

M.  Clément,  qui  a  étudié  ces  phénomènes  avec  un 
soin  tout  particulier,  y  a  vu  la  condamnation  en  dernier 


438  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

ressort  des  soupapes  à  plaque  mobile.  L'arrêt  peut  paraître 
trop  absolu;  mais  toujours  est*il  que  le  soulèvement  par- 
tiel de  la  plaque  est  une  difficulté  de  plus  offerte  aux 
méditations  des  constructeurs,  et  qu'il  peut  ratrer  pour 
une  petite  part  dans  les  causes  d'explosion,  quand  la 
soupape  est  mal  construite. 

Passons  à  des  difficultés  d'une  autre  espèce. 

£n  France  9  d'après  la  législation  en  vigueur,  toute 
chaudière  en  fonte,  avant  d'être  estampillée,  doit  avoir 
supporté  une  pression  intérieure  cinq  fois  plus  forte  que 
celle  qu'elle  subira  quand  elle  sera  en  action  ;  cette  pres- 
sion d'épreuve  est  réduite  du  quintuple  au  triple  pour  les 
chaudières  en  cuivre  et  en  fer  laminé  ou  battu.  Ces  limites 
semblent  bien  larges  et  excitent  même  souvent  les  récla- 
mations des  constructeurs  ;  nous  allons  voir  cependant 
qu'elles  sont  loin  d'offrir  une  garantie  complète. 

Tout  le  monde  sait  comment  les  épreuves  se  font;  il 
me  suffira  de  rappeler  ici  qu'on  opère  à  la  température 
ordinaire.  Or,  à  cette  température,  les  métaux  ont  plus 
de  ténacité  qu'à  cjiaud.  Quand  on  approche  du  terme 
de  l'incandescence,  la  diminution  est  énorme.  Des  expé- 
riences de  M.  Trémery  ont  prouvé,  par  exemple,  que  la 
ténacité  du  fer  forgé  chauffé  jusqu'au  rouge  sombre,  n'est 
que  la  sixième  partie  de  celle  du  fer  froid.  Si  donc ,  par 
malheur,  une  certaine  portion  de  la  chaudière  passait  au 
rouge,  on  se  trouverait  très-près  des  limites  de  rupture, 
sans  que  la  soupape  s'ouvrît,  et  quoique,  d'après  les  expé- 
riences faites  à  froid ,  on  eût  le  droit  de  s'en  croire  très« 
éloigné. 

Mais  pourquoi,  dira-t-on,  ne  pas  faire  une  expérience 


A  VAPEUR.  139 

complètement  décisive?  pourquoi  ne  pas  placer  la  chau- 
dière dans  les  conditions  sous  lesquelles  elle  doit  travailler? 
pourquoi ,  en  un  mot ,  ne  pas  substituer  la  vapeur  à  Teau 
dans  la  production  des  pressions  d'épreuve  ?  On  répondra 
d'abord  qu'à  l'aide  d'une  pompe  l'expérience  peut  se  faire 
en  tout  lieu ,  dans  l'atelier  même  de  l'ouvrier,  avec  très- 
peu  d'appareil  et  de  dépense;  que  l'épreuve  à  la  vapeur, 
au  contraire,  exigerait  pour  chaque  chaudière  la  construc- 
tion d'un  fourneau,  un  assez  grand  local,  et  que  l'indus- 
trie est  paralysée  partout  où  on  l'entoure  de  semblables 
entraves.  Ajoutons  que  les  spectateurs  de  l'épreuve  à  la 
pompe  ne  courent  presque  aucun  danger,  lors  même  que 
la  chaudière  éclate ,  mais  qu'il  n'en  serait  pas  de  même 
si,  au  lieu  d'eau,  elle  renfermait  de  la  vapeur.  Les  pré- 
cautions qu'il  faudrait  prendre,  dans  ce  dernier  cas,  pour 
garantir  les  expérimentateurs,  ajouteraient  beaucoup  aux 
difficultés  de  ces  essais  préparatoires  et  à  la  dépense  qu'ils 
entraînent  Ainsi ,  suivant  toute  apparence ,  les  épreuves 
à  l'eau,  malgré  les  défauts  que  j'ai  déjà  signalés,  malgré 
ceux  dont  il  me  reste  à  parler,  continueront  à  prévaloir. 

Lorsqu'on  agit  sur  les  parois  d'une  chaudière  avec  une 
pompe  foulante ,  la  pression  intérieure  s'accroît  progres- 
sivement et  par  des  degrés  presque  insensibles.  On  n'ap- 
prend donc  rien ,  en  opérant  ainsi ,  sur  les  efforts  que 
surmonteraient  ces  parois  dans  le  cas  d'un  changement 
considérable  et  brusque  ;  or,  de  tels  changements  peuvent 
avoir  lieu  quand  la  chaudière  est  en  action. 

Faut- il,  enfin,  remarquer  que  Tépreuve  faite  dans 
l'atelier  de  l'artiste,  sur  une  chaudière  neuve,  montre 
seulement  ce  qu'elle  vaut  alors,  et  non  ce  qu'elle  sera 


440  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

après  quelques  semaines,  après  quelques  mois  de  travail, 
lorsque  des  inégalités  de  température  auront  tiraillé  le 
métal  en  tout  sens  et  désuni  ses  fibres,  lorsque  la  rouille 
l'aura  altéré,  etc.,  etc.? 

On  voit  en  résumé  que ,  malgré  la  bonne  construction 
et  le  bon  état  des  soupapes  de  sûreté,  il  n'est  pas  impos- 
sible qu'une  chaudière  fasse  explosion  : 

1*  Parce  que  l'ouverture  de  la  soupape  peut  ne  pas 
être  assez  large  pour  donner  passage  à  la  vapeur  qui  se 
serait  engendrée  subitement  et  en  grande  abondance  ; 

2'  Parce  que  la  chaudière  a  été  essayée  à  froid,  et 
qu'à  chaud,  surtout  quand  les  parois  parviennent  à  une 
température  très-élevée,  la  ténacité  du  métal  est  fort 
amoindrie  ; 

3**  Parce  qu'une  augmentation  brusque  dans  l'élasticité 
de  la  vapeur  peut  occasionner  des  ruptures  là  où  une 
pression  plus  grande,  mais  produite  graduellement, 
n'avait  été  accompagnée  d'aucune  circonstance  fâcheuse; 

4**  Et  enfin,  parce  que  la  chaudière  se  détériore  assez 
promptement  au  feu ,  et  qu'après  un  certain  nombre  de 
mois  de  travail  sa  ténacité  est  souvent  fort  affaiblie. 

Les  soupapes  de  sûreté,  quelque  bonnes  qu'elles 
soient,  ne  doivent  donc  pas  dispenser  l'ingénieiu*  d'éprou- 
ver sa  chaudière  de  temps  à  autre  ;  de  prévenir,  par  tous 
les  moyens  en  son  pouvoir,  des  changements  brusques 
dans  l'élasticité  de  la  vapeur,  et  enfin  d'empêcher  que 
jamais  aucune  partie  des  parois  n'acquière  une  trop  haute 
température. 

J'ai  supposé  jusqu'ici  la  soupape  en  bon  état;  et,  en 
effet,  au  premier  coup  d'œil  il  semble  difficile  qu'un  appa- 


A  VAPEUR.  U4 

reil  aussi  simple  se  dérange  ;  mais  si  Ton  remarque  que 
la  plaque  mobile  se  rouille  souvent,  qu'elle  contracte  par 
là,  et  surtout  durant  le  repos,  une  forte  adhérence  avec  la 
paroi  métallique  fixe  sur  laquelle  elle  s'ajuste,  on  concevra 
qu'elle  puisse  ne  pas  bouger  sous  des  pressions  bien  supé* 
rieures  à  celle  que  l'ingénieur  avait  fixée  d'avance  comme 
devant  amener  la  fuite  de  la  vapeur.  M,  Maudslay,  dont 
l'habileté  et  la  haute  expérience  sont  bien  connues,  disait 
qu'une  soupape  de  sûreté  ne  mérite  plus  ce  nom  dès 
qu'on  l'a  laissée  une  seule  semaine  sans  la  faire  jouer; 
aussi  voyait-on  à  côté  de  quelques-unes  de  ses  chaudières 
un  cordon  placé  à  portée  du  chauffeur,  et  qui  servait  à 
soulever  la  soupape  de  temps  en  temps.  On  a  même  été 
jusqu'à  produire  ce  mouvement  à  l'aide  de  plusieurs 
leviers  dépendants  de  la  machine  ;  mais  quand  la  chau- 
dière en  est  un  peu  éloignée,  ce  moyen  h' est  guère  pra- 
ticable. 

L'opération  du  chauffage  est  ordinairement  confiée  à 
de  simples  ouvriers,  dépourvus  de  toute  prudence,  et  qui, 
trop  souvent,  surchargent  les  soupapes,  soit  pour  accé- 
lérer le  travail  quand  des  plaintes  leur  sont  adressées , 
soit  assez  ordinairement  pour  faire  parade  de  leur  cou- 
rage. On  se  met  à  l'abri  dé  ce  danger,  le  plus  grand 
peut-être  qu'on  doive  redouter,  en  adaptant  toujours  deux 
soupapes  à  chaque  chaudière  :  Tune,  entièrement  libre, 
sert  au  chauffeur  toutes  les  fois  que  la  vapeur  doit  être 
évacuée  ;  l'autre  est  renfermée  sous  un  treillage  dont  il 
importe  que  l'ingénieur  ou  le  propriétaire  de  la  machine 
conserve  seul  la  clef.  L'emploi  de  la  double  soupape  a  été 
recommandé,  presque  unanimement,  par  les  nombreux 


U2  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

ingénieurs  que  la  chambre  des  communes  appela  devant 
elle  dans  Tenquête  de  1817  ;  en  France,  une  ordonnance 
royale  en  fait  une  condition  de  rigueur.  Peut-être  pour- 
rait-on exiger  aussi  que  chaque  chaudière  se  trouvât 
munie  d'un  mécanisme  simple  et  commodément  placé,  à 
Taide  duquel  le  chauffeur  pût  reconnaître  de  temps  en 
temps  que  la  soupape  n'a  pas  contracté  d'adhérence  : 
ceux  qui  ont  un  peu  visité  les  ateliers  des  usines  où 
rhonmie  manie  même  les  agents  les  plus  dangereux, 
savent  bien ,  en  effet ,  que  les  ouvriers  s'astreignent  diffi- 
cilement à  faire  avec  régularité  les  opérations  dont  il  ne 
doit  pas  rester  de  trace^  si  elles  donnent  un  peu  de  peine. 
Un  tableau  analogue  à  ceux  dont  les  navigateurs  font 
usage  et  dans  lequel  le  chauffeur  serait  tenu  d'inscrire 
chaque  jour  à  quelles  heures  les  vérifications  prescrites 
auraient  été  faites,  préviendrait^  je  crois,  bien  des 
oublis,  et  par  suite  beaucoup  d'accidents. 


CHAPITRE  XIII 


PLAQUES    FUSIBLES 


Dès  qu'il  fut  constaté  que  les  soupapes  ordinaires  se 
dérangent  quelquefois,  qu'elles  n'offrent  pas  on  préser- 
vatif infaillible,  on  proposa  de  les  remplacer  par  un  appa- 
reil d'une  tout  autrç  espèce,  et  dont  l'action  ne  pût 
jamais  être  incertaine.  Ce  sont  les  soupapes  à  alliage 
fusible,  déjà  indiquées  dans  ma  Notice  historique  (p.  77). 

Pour  bien  comprendre  l'utilité  de  ces  soupapes,  il  faut 
savoir  qu'il  est  possible  que  la  vapeur  d'eau  ait  une  très- 


A  VAPEUR.  443 

haute  température  et  peu  de  ressort,  mais  qu'il  n'arrive 
jamais,  au  contraire,  qu'une  grande  élasticité  ne  soit  pas 
accompagnée  d'une  forte  température. 

On  a  vu  que  Dulong  et  moi  nous  avons  déterminé 
expérimentalement  (chap.  n,  p.  118) ,  par  quelles  tem- 
pératures minima  la  vapeur  peut  acquérir  des  tensions 
d'une,  de  deux,  de  trois,  de  dix,  etc.,  atmosphères.  A 
l'aide  de  ces  résultats,  on  saura  que  la  température  de  la 
vapeur  ne  devra  jamais  s'élever  au  delà  de  tel  degré  du 
thermomètre,  lorsqu'on  aura  décidé  de  ne  pas  dépasser 
telle  ou  telle  autre  tension.  Si  l'on  applique  donc  sur  une 
ouverture  de  la  chaudière,  une  plaque  formée  avec  un 
alliage  de  plomb,  d'étain  et  de  biamuth,  dont  les  pro- 
portions aient  été  tellement  choisies  qu'il  se  fonde  à  la 
température  limite  déterminée  d'avance,  il  semble  impos- 
sible que  cette  température  soit  jamais  dépassée,  puisque 
aussitôt  qu'on  y  arrive  la  plaque  doit  couler  et  donner 
passage  à  la  vapeur. 

En  France,  une  ordonnance  royale  exige  que  toute 
chaudière  soit  munie  de  deux  plaques  fusibles  de  gran- 
deurs inégales.  Le  point  de  fusibilité  de  la  plus  petite  est 
de  10*  supérieur  à  la  température  de  la  vapeur  saturée 
ayant  une  élasticité  égale  à  celle  dont  la  vapeur  motrice 
doit  être  douce  dans  le  travail  ordinaire.  La  seconde 
plaque  se  fond  10**  plus  haut  que  la  première. 

Quoiqu'on  puisse  citer  divers  cas  dans  lesquels  les 
plaques  fusibles  ont  probablement  empêché  des  explosions 
et  prévenu  de  grands  malheurs,  la  plupart  des  construc- 
teurs les  emploient  h  regi'ct,  et  préféreraient  de  beaucoup 
les  soupapes  ordinaires,  dont  au  reste  leurs  machines 


444  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

doivent  aussi  être  pourvues.  Examinons  donc  les  objec- 
tions qu'elles  ont  fait  naître. 

On  a  dit  d'abord  que  ces  plaques,  accusant  seulement 
la  température  et  nullement  la  pression,  peuvent  se  fondre 
quand  la  vapeur,  d'ailleurs  très-chaude,  a  fort  peu  d'élas- 
ticité ;  mais  si  Ton  examine  dans  quelles  circonstances  la 
vapeur  intérieure  peut  n'être  pas  saturée  d'humidité,  on 
trouve  que  c'est  uniquement  lorsque  l'eau  manque  et 
qu'une  partie  des  parois  de  la  chaudière  est  devenue  très- 
chaude,  peut-être  même  rouge;  or,  dans  ce  cas,  une 
explosion  est  imminente  ;  cette  première  objection  semble 
donc  tomber  à  faux. 

La  plaque  n'arrive  pas  au  terme  de  sa  liquéfaction  sans 
s'être  un  peu  ramollie  ;  ainsi ,  il  est  à  craindre  qu'elle 
n'éclate  sous  une  tension  très-inférieure  à  celle  qui  déter- 
minerait sa  fusion.  A  l'origine,  cela  avait  lieu  en  effet; 
mais  depuis  qu'on  recouvre  la  plaque  d'une  toile  métal- 
lique à  mailles  un  peu  serrées  avant  de  la  fixer  par  des 
boulons  au  tuyau  qu'elle  doit  fermer,  la  difficulté  a  dis- 
paru. Il  se  forme  bien  encore  çà  et  là  quelques  boursou- 
flures quand  on  approche  du  degré  de  la  fusion  ;  mais 
c'est  seulement  très-près  de  ce  degré,  l'expérience  Ta 
montré,  que  la  plaque  cède,  est  projetée  de  bas  en  haut, 
et  ouvre  un  libre  passage  à  la  vapeur. 

Quand  la  «plaque  fusible  a  disparu,  toute  la  vapeur 
s'échappe  par  l'ouverture  qu'elle  fermait.  Le  temps  de  la 
remplacer,  de  remplir  de  nouveau  la  chaudière  et  de  la 
chauffer,  pourrait  être  assez  long  ;  or,  pendant  ce  temps- 
là,  rien  ne  saurait  marcher.  Sur  un  bateau  à  vapeur,  près 
des  côtes  et  particulièrement  au  moment  d'entrer  dans 


A  VAPEUR.  4i5 

un  port ,  une  absence  subite  de  la  force  motrice  amène-  . 
rait  les  plus  fâcheux  accidents.  Cette  difficulté  est  grave 
et  très-réelle  ;  peut-être  même  est-ce  là  la  vraie  raison 
qui  a  empêché  nos  voisins  d'adopter  les  plaques  fusibles, 
et  leur  a  fait  préférer  les  soupapes  ordinaires.  Celles-ci, 
en  effet ,  ne  laissent  jamais  sortir  toute  la  vapeur.  Si  elles 
s'ouvrent,  c'est  seulement  quand  la  tension  a  dépassé  un 
certain  terme  ;  or,  comme  elles  retombent  nécessairement 
dès  qu'en  s'affaiblissant  peu  à  peu  l'élasticité  est  rentrée 
dans  les  limites'  fixées  d'avance  par  l'ingénieur,  la  force 
motrice  ne  peut  jamais  manquer  entièrement. 

Les  partisans  des  plaques  fusibles  mettaient  au  premier 
rang,  dans  les  avantages  dont  ils  les  croyaient  douées ^ 
l'impossibilité  physique  de  les  altérer  :  avec  ce  genre  de 
soupapes,  disaient-ils,  on  est  entièrement  à  l'abri  des 
imprudences  des  ouvriers.  Il  est  très- vrai  qu'alors  toute 
surcharge,  dans  le  sens  littéral  de  ce  mot,  serait  inutile; 
mais  quand  les  chauffeurs  veulent  pousser  le  feu  plus  que 
de  coutume ,  ils  savent  très-bien ,  pour  prévenir  la  fusion 
de  la  plaque ,  diriger  sur  sa  surface  un  courant  continu 
d'eau  froide,  en  sorte  que  de  ce  côté  on  pourrait  bien 
n'avoir  rien  gagné. 

CHAPITRE   XIV 

LAMES    MIKGES 

Une  soupape  de  sûreté,  celle  de  Papin  comme  la 
plaque  fusible,  n'est  autre  chose,  tout  bien  considéré, 
que  l'affaiblissement  artificiel  d'une  certaine  partie  des 
parois  de  la  chaudière.  Cet  affaiblissement ,  on  a  proposé 

V.  — II.  10 


446  EXPLOSIONS  DBS  MACHINES 

de  Topérer  en  recouvrant  de  petites  ouvertures  faites  ad 
hoc ,  avec  des  plaques  de  métal  laminé  dont  Tépaisseur 
devait  être  calculée  de  manière  qu'elles  se  rompissent 
sous  dies  pressions  d^une,  de  deux,  de  troi&,...  de  dix 
atmosphères,  suivant  qu'on  aurait  arrêté  de  ne  pas  dé- 
passer dans  le  travail  deux,  ttois,  quatre,. •*  onze  de  ces 
pressions.  Il  est  évident  que  les  éclate  d^une  plaque  ausri 
petite  et  aussi  mince  n'occa^nneraient  jamais  d'accident 
grave. 

Ce  moyen ,  quelque  spécieux  qu'il  puisse  paraître ,  a 
été  très- rarement  employé,  soit  parce  q«*îl  n'est  pas  trèff- 
aisé  de  déterminer  expérimentalement,  pour  chaque  dia- 
mètre du  trou,  l'épaisseur  de  la  lame  qui  amènerait  la 
rupture  à  telle  ou  telle  autre  pression  donnée  ;  soit  parce 
qu'on  ne  pourrait  pas  répondre  d'avoir  toujours  des  lames 
identiques.  La  lame  mince,  quand  elle  est  en  place,  se 
trouve  plus  que  la  plaque  fusible  hors  des  attehites  â» 
ouvriers;  on  pourrait,  il  est  vrai,  l'aflaiblir,  mais  jamais 
la  fortifier,  et  cela  est  l'important.  A  cet  égard,  les  lames 
minces  sont  préférables  aux  plaques  fusibles  ;  mai»  mal- 
heureusement eltes  ont ,  comme  ces  plaques ,  l'inconvé- 
nient de  laisser  échapper  toute  la  vapeur  quand  elles 
éclatent. 

CHAPITRE  XV 

SOUPAPE    BIANOMÉTRIQUE 

Le  tube  manométrique,  dont  j'ai  parié  plus^haut  (chap. 
vn,  p.  128) ,  fait  aussi  l'office  de  soupape  de  sûreté  ;  il  est 
même,  sous  ce  rapport,  bien  préférable  et  aux  soupapes 


A  VAPEUR.  447 

ordinaires  et  aux  plaques  fusibles.  La  soupape  ordinaire 
n'indique  rien  tant  qu'elle  ne  se  lève  pas  ;  la  plaque  fusible, 
tant  qu'elle  ne  se  fond  pas.  Le  chauffeur  apprend  tout  à 
coup  qu'on  est  arrivé  à  la  pression  limite  qu'il  importe 
de  ne  pas  dépasser,  mais  il  n'avait  point  été  averti  qu'on 
en  approchait.  Le . manomètre ,  au  contraire,  lui  donne 
à  chaque  instant  la  mesure  de  l'élasticité  de  la  vapeur; 
il  parle  également  bien,  si  je  puis  m' exprimer  ainsi, 
sous  une  faible  et  sous  une  forte  pression. 

La  plaque  de  la  soupape  ordinaire  peut  avoir  perdu 
toute  mobilité  sans  qu'on  le  sache  ;  tandis  que  s'il  arri- 
vait, pai*  hasard,  que  des  impuretés  vinssent  à  boucher 
le  tube  manométrique,  la  complète  immobilité  du  mercure 
le  montrerait  à  l'instant  :  il  est  clair,  en  effet ,  que  dans 
un  appareil  aussi  grand  qu'une  chaudière,  et  d'où  la 
vapeur  s'échappe  par  bouffées,  l'élasticité  ne  saurait  être 
parfaitement  constante.  Or,  dès  que  la  chaudière  et  le 
manomètre  communiquent ,  toute  fluctuation  de  la  vapeur 
produit  une  oscillation  dans  la  colonne  mercurielle. 

Les  manomètres  à  mercure  doivent  donc  être  considé- 
rés comme  les  meilleures  soupapes  de  sûreté  qu'on  ait 
inventées  jusqu'ici,  pourvu  que  leur  diamètre  soit  suffi- 
samment grand.  Toutes  les  fois  qu'une  longueur  exces- 
sive ne  les  rend  pas  inapplicables,  on  pourra  donc  les 
regarder  couune  un  préservatif  assuré  contre  les  acci- 
dents dont  les  soupapes  ordinaires  les  mieux  construites 
ou  les  plaques  fusibles  auraient  garanti.  Le  lecteur  cour 
naîtra  le  motif  de  cette  restriction,  lorsque  j'aurai  montré 
tout  fi  l'heure  qu'il  est  des  cas  dans  lesquels  le  soulève- 
ment de  la  soupape  peut  être  la  cause  de  l'explosioa 


lis  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 


CHAPITRE  XVI 

SOUPAPES  INTÉRIEURES  OU  A  AIR;  LEUR  OBJET 

Au  moment  où  l'on  allume  du  feu  sous  une  chaudière, 
l'espace  que  Teau  ne  remplit  pas  renferme  de  Tair  atmo- 
sphérique. Cet  air,  mêlé  à  de  la  vapeur,  passe  peu  à  peu 
dans  la  machine  que  la  chaudière  alimente,  et  à  la  longue 
il  est  complètement  expulsé.  Les  choses  étant  dans  cet 
état,  supposons  que  le  travail  soit  interrompu  et  qu'on 
laisse  tomber  le  feu  ;  la  vapeur  se  précipitera  graduelle- 
ment à  mesure  que  le  refroidissement  fera  des  progrès,  et 
après  un  certain  temps  l'espace  qu'elle  remplissait  sera  à 
peu  près  vide.  Alors  la  chaudière  se  trouvera  pressée  de 
dehors  en  dedans  par  tout  le  poids  de  l'atmosphère,  sans 
que  rien  à  l'intérieur  contre-balance  cette  action.  Quand 
la  condensation  de  la  vapeur  s'opère  insensiblement ,  elle 
ne  semble  pas  devoir  donner  lieu  à  des  accidents,  puisque 
les  parois  des  chaudières  les  plus  faibles  ont  dû  résister 
dans  les  épreuves  préparatoires  à  des  pressions,  dirigées 
il  est  vrai  de  dedans  en  dehors,  mais  qui  n'étaient  pas  de 
moins  de  cinq  atmosphères.  L'événement  au  contraire 
pourrait  être  grave,  si  la  condensation  avait  lieu  brusque- 
ment :  par  exemple,  si  un  jet  d'eau  froide  venait  à  tra- 
verser la  vapeur;  alors  l'action  de  l'atmosphère  cessant 
d'être  contre-balancée,  en  un  instant  presque  indivisible, 
produirait  l'efTet  d'une  percussion  sur  toute  l'étendue 
des  parois  de  la  chaudière ,  et  déterminerait  sans  doute 
l'uh  de  ces  écrasements  dont  j'ai  parlé  précédemment 
(chap.  vui,  p.  129). 


A  VAPEUR.  U9 

C'est  pour  prévenir  les  accidents  de  ce  genre  qu'on  a 
imaginé  la  soupape  intérieure  ^  connue  aussi  sous  le  nom 
de  soupape  à  air.  Cette  soupape  ne  peut  s'ouvrir  que  de 
dehors  en  dedans.  Elle  est  maintenue  par  un  ressort  à 
spirale  situé  dans  la  chaudière ,  et  dont  la  force  surpasse 
ù  peine  son  poids  ;  ou  bien  elle  se  trouve  comme  suspen- 
due horizontalement  à  un  levier  extérieur,  disposé  de 
manière  que  la  plaque  vienne  toucher  tout  juste  les  parois 
intérieures  de  l'ouverture  qu'elle  doit  boucher.  D'après 
cet  arrangement,  le  ressort  de  la  vapeur  ne  pourra  de- 
venir moindre  que  la  pression  atmosphérique,  sans  qu'aus- 
sitôt la  soupape  se  baisse  pour  donner  passage  à  l'air 
extérieur;  ainsi,  quand  le  travail  viendra  à  cesser,  on 
n'aura  plus  à  craindre  qu'il  se  forme  un  vide  dans  la 
chaudière.  Il  me  semblerait  plus  difficile  d'affirmer  que 
le  même  artifice  préviendra  infailliblement  tout  écrase- 
ment des  parois,  car  ces  accidents,  comme  nous  l'avons 
vu,  sont  le  résultat  d'un  affaiblissement  considérable  et 
brusque  dans  l'élasticité  de  la  vapeur.  L'action  graduelle 
d'une  soupape  peut  bien ,  dans  ce  cas,  amoindrir  le  mal 
à  un  certain  point,  mais  elle  ne  saurait  l'empêcher. 
Contre  ce  genre  d'accidents  il  n'y  a  qu'un  seul  remède  : 
il  consiste  à  surveiller  avec  le  plus  grand  soin  les  moyens 
d'alimentation,  et  à  empêcher  que  jamais  la  chambre  à 
vapeur  de  la  chaudière  ne  soit  subitement  refroidie, 
comme  cela  arriverait ,  par  exemple ,  si  une  grande  quan- 
tité d'eau  froide  venait  à  se  répandre  sur  ses  parois. 

Les  écrasements  des  chaudières  à  foyer  intérieur  s'ex- 
pliqueraient tout  aussi  aisément,  si  nous  pouvions  prouver 
que  quelquefois  il  se  forme  subitement  un  vide  dans  le 


452  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

incandescent  s'échauffe  énormément  sans  acquérir  pour 
cela  une  grande  tension,  soit  parce  qu'elle  n'est  point 
saturée,  soit  par  une  autre  raison  que  je  donnerai  plus 
bas. 

Prenons  la  chaudière  dans  cet  état.  L'eau  y  est  peu 
abondante,  et  une  partie  de  la  vapeur  qui  la  presse  a  une 
température  extrêmement  élevée,  mais  une  élasticité 
médiocre.  Supposons  que  la  soupape  de  sûreté  vienne  à 
s'ouvrir  complètement  ;  une  prompte  fuite  de  vapeur  en 
sera  la  conséquence.  L'eau ,  déchargée  du  poids  qui  la 
pressait ,  s'élancera  en  écume  dans  toute  la  capacité  de 
la  chaudière  :  ce  sera  le  phénomène  qu'offre  le  vin  de 
Champagne  au  moment  où  la  bouteille  est  débouchée  ; 
mais  ici  l'eau  projetée  par  gouttelettes  dans  un  gaz  pres- 
que incandescent,  se  transformera  subitement  en  une 
vapeur  très-élastique,  et  la  soupape,  quoique  entièrement 
ouverte,  ne  fournissant  plus  une  issue  suffisante,  les 
parois  de  la  chaudière  devront  se  déchirer. 

11  y  a  trois  hypothèses  dans  cette  explication.  L'auteur 
suppose  d'abord  qu'à  partir  de  la  hauteur  où  elles  ne  sont 
plus  baignées  par  l'eau,  les  parois  de  la  chaudière  peu- 
vent acquérir  une  température  très- élevée  et  la  commu- 
niquer à  la  vapeur  qu'elles  enveloppent,  sans  que  l'eau 
sur  laquelle  cette  vapeur  repose  se  ressente  beaucoup  de 
cet  échauffement.  II  admet  ensuite  que  l'eau  en  ébullition 
est  projetée  de  bas  en  haut,  jusqu'à  une  certaine  hau- 
teur, sous  la  forme  de  mousse,  dès  que  l'on  supprime  ou 
même  dès  que  l'on  diminue  seulement  beaucoup  l'atmo- 
sphère élastique  qui  la  pressait,  pourvu  que  le  change- 
ment se  fasse  subitement;  il  imagine  enfm  que  l'eau 


A  VAPEUR.  453 

ainsi  disséminée  dans  une  masse  de  vapeur  surchargée  de 
calorique,  se  transforme  elle-même  subitement  en  vapeur. 

Je  pense  que  personne  ne  refusera  d'accorder  le  pre- 
mier point.  Quand  un  vase  métallique  placé  sur  un  brasier 
ardent  ne  rougit  pas,  c'est  que  Teau  enlève  continuelle- 
ment la  chaleur  dont  ses  parois  s'imprègnent  et  empêche 
qu'elle  ne  s'y  accumule.  La  vapeur  ne  saurait  évidem- 
ment produire  cet  effet  au  même  degré.  Si  la  flamme  du 
foyer  atteint  la  chaudière  dans  une  partie  située  au-dessus 
du  niveau  de  l'eau,  cette  partie  pourra  acquérir  la  chaleur 
rouge  et  la  communiquer  à  la  couche  de  vapeur  voisine 
qui ,  à  son  tour,  la  disséminera  aussitôt  dans  toute  l'éten- 
due de  la  chaudière  où  elle  circulera  en  montant ,  c'est- 
à-dire  dans  l'espace  non  rempli  d'eau,  qu'on  appelle  la 
chambre  à  vapeur.  Voici  des  exemples  de  ces  effets  : 
M.  Moyle  découvrit  une  fois,  en  visitant  ses  machines  de 
Comouailles,  qu'une  d'entre  elles  était  si  bien  dans  toutes 
les  conditions  dont  je  viens  de  parler,  qu'une  échelle  en 
bois  qui  reposait  par  son  pied  sur  le  sommet  de  la  chau- 
dière avait  pris  feu.  Un  semblable  événement  arriva  dans 
l'un  des  paquebots  qui  font  la  traversée  de  Liverpool  à 
DubUn  :  une  planche  de  sapin  qu'on  avait  jetée  acciden- 
tellement sur  le  couvercle  de  la  chaudière,  s'était  enflam- 
mée. J'ai  déjà  rapporté  l'événement  de  Pittsburg  (  ch.  x, 
p.  132)  :  ici,  comme  on  peut  se  le  rappeler,  l'ingénieur 
depuis  assez  longtemps  avait  vu  qu'une  des  chaudières 
devenait  rouge.  Voici  enfin,  sur  le  même  objet,  une 
expérience  directe  de  M.  Perkins. 

Une  chaudière  cylindrique  de  1"*.22  de  long  et  de 
0".30  de  diamètre,  ayant  été  placée  verticalement  sur  un 


454  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

fourneau ,  la  base  fut  entourée  de  feu  qui  B'éievait  au  tiers 
de  la  hauteur  de  la  chaudière  «  tandis  que  Teau,  plus 
basse ,  ne  baignait  que  le  sixième  de  cette  même  hau- 
teur. Il  résultait  de  cet  arrangement  que  deux  fiixièmes 
de  la  surface  du  vase  recevaient  immédiatement  Taclion 
.du  feu.  L'un  de  ces  sixièmes  était  au-dessus  de  Teau, 
r.autre  au-dessous.  La  soupape  de  sûreté,  diargée  oPeD- 
iriron  une  .atmosphère^  se  trouvait  jsut  le  côté  de  la 
.ehfiudière,  àia  moitié  de  sa  hauteur.  On  remplaçait  ïeaxi 
(transformée  en  vapeur  que  cette  soiq)ape  laissait  échaj^r 
Aufur  et  à  mesure  de  sa  fuite. 

Un  thermomètre  plongé  dans  Teau  et  descendant  jus- 
qu'au fond  du  vase ,  marquait  iO&*  centigrades.  Telle 
était  aussi  la  température  de  la  couche  de  ivapeor  placée 
à  la  surface  de  Peau  ;  mais  au  milieu  de  la  hauteur  de  la 
>chaudière ,  le  thermomètre  accusait  260''  et  le  couvercle 
tétait  rouge. 

de  premier  point  éclairci  ^  je  passe  au  second. 

Il  est  des  liquides  qui,  pendant  leur  éhullitioa,  éprou- 
vent quelquefois  d'assez  violents  soubresauts.  L'scdde  boI- 
;furique,  par  exemple,  est  dans  ce  cas.  Le  lait âst  otjet 
-au  même  •accident^  mais  à  un  nraindre  degré.  £n  «xami- 
nant  avec  attention  de  Teau  qui  bout  vivement,  on  aper- 
çoit de  temps  à  autre  de  petites  gouttelettes  qui  sont 
iprojetées  assez  haut.  Tout  cela  dépend  évid^nment  de  la 
viscosité  du  liquide  et  de  la  difficulté  qu'éprouvent  les 
bulles  de  vapeiu*  à  se  frayer  un  ipassage  dans  k  masse 
qu'elles  doivent  traverser.  Lorsque  ces  bulles  en^prisott- 
nées  sont  très-nombreuses  et  qu'une  forte  pression  exercée 
à  la  surface  du  liquide  enipôche  seule  leur  ascension,  on 


A  VAPEUR.  45S 

conçoit  que  si  la  pression  cesse  tout  à  coup ,  le  dégage- 
ment, au  lieu  d'être  graduel  comme  dans  les  circonstances 
ordinaires,  soit  tumultueux  ;  que  le  liquide  mousse  comme 
les  eaux  gazeuses,  qu'il  devienne  tout  entier  une  espèce 
d'écume ,  mi-partie  composée  d'eau  et  de  vapeur,  et  que 
par  là  son  volume  B^étant  prodigieusement  accru,  il  se 
répande  dans  toute  la  capacité  de  la  chaudière.  Une  expé- 
rience directe^  faite  dans  on  vase  tran^arent,  montre- 
rait bientôt  entre  quelles  limites  toutes  ces  déductions 
sont  exactes.;  mais,  «n  attendant,  on  voit  que  Panalogie 
nous  autorise  à  admettre,  comme  M.  Perkins  le  fait, 
qu'en  cas  d'une  subite  diminution  dans  Télasticité  de  la 
vapeur,  l'eau  peut  sortir  de  son  niveau  et  aller  f emplir 
toute  la  capacité  de  la  chaudière» 

Occupons -nous  enfin  de  la  troisième  hypothèse  de 
l'ingénieur  américain  :  je  veux  dire  de  la  brusque  trans- 
formation de  l'eau  en  fluide  élastique.  Ici  des  expériences 
directes  nous  serviront  de  guide. 

M.  Perkins  ayant  rempli  d'eau  un  de  ces  cylindres 
métalliques  qu'il  appelle  des  générateurs ,  porta  sa  tem- 
pérature à  260*  centigrades.  A  côté  de  ce  cylindre  existait 
un  récipient  dans  lequel  il  n'y  avait  point  d'eau  et  qui 
renfermait  seulement  de  la  vapeur  très- peu  dense  ;  sa 
température  était  de  650*  environ.  Ces  deux  vases  pou- 
vaient communiquer  par  un  tube  intermédiaire  qu'une 
soupape  suffisamment  chargée  fermait  ordinairement. 

Cela  posé,  il  est  évident  que  lorsqu'à  Faide  d'une 
pompe  foulante  on  injectait  un  certain  volume  d'eau 
froide  par  l'un  des  bouts  du  générateur,  la  soqpape  de 
communication  devait  s'ouvrir  à  l'autre  bout  et  donner 


456  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

passage  à  un  égal  volume  d'eau  chaude  qui  pénétrait  tout 
à  coup  dans  le  récipient  pour  s'y  transformer  en  vapeur  ; 
or  une  soupape  particulière  dont  ce  récipient  lui-même 
était  armé,  donnait  le  moyen  de  reconnaître  si  cette  trans- 
formation s'opérait  subitement. 

M.  Perkins  affirme  qu'en  effet  elle  était  instantanée; 
qu'à  peine  la  pompe  foulante  d'injection  avait  agi ,  que 
la  soupape  de  sûreté  du  récipient  accusait  des  élasti- 
cités de  quarante  à  cent  atmosphères:  quarante  pour  une 
médiocre  injection,  et  cent  dans  le  cas  d'une  injection 
abondante. 

L'expérience  que  je  viens  de  rapporter  ne  donnerait 
lieu  à  aucune  difficulté,  elle  compléterait  la  théorie  de 
M.  Perkins,  elle  présenterait  l'image  fidèle  de  ce  qui  peut 
se  passer  dans  une  chaudière  ordinaire ,  si  elle  avait  été 
faite  avec  de  l'eau  à  100  ou  120  degrés  centigrades.  Au 
reste,  comme  260*,  température  de  l'eau  employée,  sont 
bien  loin  de  correspondre  à  une  élasticité  de  100  atmo- 
sphères, il  demeure  toujours  établi  qu'une  partie  de  cette 
eau  est  devenue  instantanément  de  la  vapeur  ;  or  c'est  là, 
pour  le  moment ,  tout  ce  qui  nous  était  nécessaire. 

Observons,  toutefois,  qu'il  ne  résulte  en  aucune  ma- 
nière de  l'expérience  en  question ,  que  ce  soit  par  l'in- 
fluence de  la  vapeur  rare,  mais  portée  à  la  température 
du  fer  rouge,  que  l'eau  devienne  subitement  de  la  vapeur 
très-élastique.  Cette  partie  de  l'opinion  de  M.  Perkins, 
comme  Dulong  en  a  fait  la  remarque,  se  concilierait 
difficilement  avec  ce  qu'on  sait  de  la  chaleur  spécifique 
de  la  vapeur  d'eau.  Tout  porte  donc  à  croire  que  Tingé- 
ïïieur  américain  a  eu  tort  de  nier  l'action  directe  que  les 


A  VAPEUR.  457 

parois  incandescentes  exercent  sur  le  phénomène  dont  il 
s'est  occupé» 

Voyons,  à  présent,  si,  en  partant  de  la  production 
subite  de  vapeur  comme  d'un  fait,  on  peut  donner  une 
explication  satisfaisante  de  Tensemble  des  événements 
extraordinaires  que  j'ai  précédemment  cités. 

Quant  à  l'explosion  de  la  chaudière  de  M.  Gensoul 
(chap.  vïi,  p.  128),  elle  se  rattache  si  bien  aux  idées  de 
M.  Perkins,  qu'elle  semble  être  arrivée  tout  exprès  pour 
les  confirmer.  On  peut  dire,  en  effet,  qu'au  moment  de 
l'ouverture  du  robinet,  l'eau  déchargée  tout  à  coup  d'une 
grande  partie  de  la  pression  qu'elle  supportait,  put  s'élever 
jusqu'au  couvercle,  et  qu'en  traversant  un  vase  à  parois 
probablement  très-échauffées,  semblable  en  cela  aux  géné- 
rateurs de  M.  Perkins ,  elle  se  transforma  si  brusquement 
en  vapeur  que  le  robinet  n'offrit  plus  une  ouverture 
suffisante. 

Le  même  raisonnement  s'appliquera  à  l'expérience  de 
MM.  Tabareau  et  Rey  (p.  129),  car  leur  chaudière  étant 
fort  petite  et  placée  à  nu  sur  un  brasier  de  charbon, 
pouvait,  comme  je  m'en  suis  assuré,  être  enveloppée  par 
la  flamme  dans  la  portion  que  l'eau  ne  remplissait  pas.  Si 
nous  n'avons  pas  trouvé,  Dulong  et  moi,  qu'une  augmen- 
tation de  pression  suivît  l'ouverture  de  la  soupape ,  c'est 
que  notre  chambre  à  vapeur  étant  assez  grande ,  et  le 
trou  de  la  soupape  très-petit,  il  ne  pouvait  y  avoir  qu'une 
détente  insensible  et  graduelle  dans  le  ressort  de  la  va- 
peur intérieure,  et  qu'en  tout  cas  notre  chaudière,  établie 
avec  soin  sur  un  fourneau  de  maçonnerie,  était  exposée 
au  feu  dans  la  seule  partie  que  l'eau  remplissait. 


4S»  EXPLOSIONS  DRS^  MACHINES 

Le  ralentissement  dans  la  marche  de  la  machine, 
observé  quelque  temps  avant  l'explosion,  soit  à  Essonnes, 
soit  à  Paris ,  soit  en  Amérique ,  me  paraît  également  une 
conséquence  de  la  théorie  de  M.  Perkins.  On  a  va,  en 
effet,  que,  d'après  cette  théorie,  iorsqu*une  explosion 
arrive,  le  niveau  de  Teau  doit  avoir  beaucoup  baissé  dans 
la  chaudière,  soit  que  la  pompe  alimentaire  se  trouve  mal 
en  ordre  ou  que  le  tuyau,  nourricier  ait  été  engorgé;  or, 
tft  quantité  de  vapeur  produite  dans  un  temps  donné, 
étant  en  général  proportionnelle  à  retendue  de  la  surface 
métallique  en  contact  avec  le  liquide,  si  tout  se  trouvait 
primitivement  calculé  de  manière  à  fournir  juste  à  la 
consommation,  après  la  diminution  de  surface  de  chauffe, 
comme  disent  les  constructeurs,  ii  ne  doit  plus  y  avoir 
assez  de  vapeur  pour  donner  aux  appareils  leur  allure 
habituelle.  Peut-être  imaginera-t-on  qu'à  l'aide  de  l'excès 
de  température  que  la  vapeur  produite  va  puiser  sur  les- 
parois  très -chaudes  du  couvercle  de  la  chaudière,  il  y 
aura  compensation  ;  mais  une  considératioa  très-simple 
prouvera  qu'on  aurait  tort  de  compter  sur  cet  effet.  Dans 
un  vase  déterminé,  la  vapeur  doit  évidemment  avoir 
partout  la  même  élasticité.  La  couche  inférieure,  celle 
qui  est  en  contact  avec  l'eau ,  a  une  tension  déterminée 
par  la  température  du  liquide  ;  la  tension  des  couches 
supériciu-es ,  échaufiécs  par  les  parois  rouges  dont  elles 
sont  entourées,  ne  pourra  donc  jamais  surpasser  celle  de 
la  couche  basse.  Ainsi ,  au  total ,  la  chaudière  contiendra 
de  la  vapeur  d'une  densité  inférieure  à  c^lle  de  la  vnpeiu" 
saturée  do  jnême  élasticité,  mais  voilà  tout. 

Dans  les  idées  de  M.  Perkins ,  au  moment  qui  précède 


A  VAPEUR.  459> 

Texplosion,  c*est-à-dîre  an  moment  où  la  soupape  s^ouvrey 
la  vapeur  se  trouvait  avoir  atteint  la  tension  limite  sous- 
laquelle  la  machine  était  destinée  à  agir  ;  mais  alors  même 
le  mouvement  du  piston  devait  être  peu  rapide ,  car  de 
la  vapeur  plus  chaude  que  les  parois  du  corps  de  pompe, 
perd  par  voie  de  refroidissement  une  grande  partie  de 
son  ressart. 

Ce  serait ,  je  croîs ,  une  prétention  bien  vaine ,  que  de 
votiloîr  déduire  de  Texplication  précédente  ou  de  toute 
autre  théorie,  la  forme  des  lignes  le  long  desquelles  une 
chaudière  se  déchirera,  le  nombre  et  la  grosseur  des 
fragments,  lies  directions  dans  lesquelles  ils  seront  pro- 
jetés, etc. ,  etc.  Tout  cela ,  en  effet ,  peut  être  modifié  de* 
mille  manières  par  des  circonstances  qu'on  aurait  de  la 
peine  à  saisir,  alors  même  que  le  phénomène  se  dévelop- 
perait lentement  sous  nos  yeux.  Mais  il  arrive  trop  souvent 
que  la  ligne  de  rupture  est  régulière  et  horizontale,  pour 
qu'il  ne  soit  pas  naturel  de  supposer  qu'elle  marquait  la 
hauteur  de  l'eau  sur  les  parois  de  la  chaudière ,  et  dès' 
lors  il  devient  curieux  de  rechercher  comment,  malgré 
les  inégalités  d'épaisseur  qu'on  y  remarque  souvent,  cette 
ligne  de  niveau ,  par  cela  seul  que  le  liquide  en  dessine 
le  contour,  semble  devenir  la  ligne  de  moindre  résis- 
tance. Si  je  ne  me  trompe,  cette  particularité  pourrait  être* 
expliquée  ainsi  qu'il  suit. 

Dans  l'instant  indivisible  qui  précède  l'explosion,  la 
tension  de  la  vapeur  est  considérablement  et  subitement 
affaiblie.  A  cela  doit  correspondre  un  mouvement  de 
flexion  de  la  chaudière  de  dehors  en  dedans  ;  mais  comme 
ce  mouvement  se  fait  d'une  manière  brusque,  la  partie 


460  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

pleine  l'éprouvera  à  peine,  à  cause  de  l'inertie  du  liquide, 
qui,  évidemment,  ne  saurait  être  surmontée  dans  un 
temps  extrêmement  court 

Cette  flexion  de  dehors  en  dedans  se  fera  donc  autour 
de  la  ligne  de  niveau  du  liquide  intérieur  comme  char- 
nière; mais  on  a  vu  qu'un  subit  développement  de  vapeur 
très-élastique  succède  à  l'ouverture  de  la  soupape;  ainsi, 
après  s'être  contractée,  la  chaudière  s'étendra  tout  à 
coup.  Or,  lors  même  qu'on  admettrait  qu'elle  éprouvera 
simultanément  ce  second  effet  dans  toutes  ses  parties, 
toujours  est- il  que  le  mouvement  rétrograde  sera  très- 
faible  au-  dessous  du  niveau  primitif  de  l'eau ,  par  cela 
seul  que  le  mouvement  direct  y  avait  été  insensible.  Le 
plan  de  ce  niveau  primitif  tracera  ainsi  sur  les  parois  de 
la  chaudière  la  ligne  où  la  première  fois  la  flexion  de 
dehors  en  dedans  avait  cessé  de  se  faire  sentir,  comme 
aussi  la  seule  ligne  où  dans  l'oscillation  rétrograde  les 
parties  contiguës  du  métal  n'auront  pas  des  mouvements 
pareils.  Or  il  suffit  d'avoir  vu  une  seule  fois  avec  quelle 
facilité  les  ouvriers  brisent  des  lames  des  métaux  les  plus 
malléables,  quand  ils  leur  font  éprouver  subitement  deux 
flexions  contraires  le  long  d'une  certaine  ligne,  pour 
comprendre  que  la  courbe  où  le  niveau  du  liquide  s'élève 
dans  une  chaudière,  en  tant  qu'elle  est  aussi  la  charnière 
autour  de  laquelle  les  deux  mouvements  de  flexion  se  sont 
opérés,  doit  être  le  plus  ordinairement  la  ligne  de  rup- 
ture, quoique  par  l'épaisseur  du  métal,  comme  à  Lyon, 
elle  ne  soit  pas  sur  tous  ses  points  la  ligne  de  moindre 
résistance.  Cette  même  ligne,  au  demeurant,  et  la  remar- 
que ne  doit  pas  être  omise ,  est  celle  où  le  métal ,  com- 


à 


A  VAPEUR.  4C4 

mençant  à  s'échauffer  plus  que  Teau,  partage  la  chaudière 
en  deux  zones  de  ténacités  très-r  différentes. 

J'ai  insisté  précédemment  sur  la  rupture  presque  simul- 
tanée de  plusieurs  chaudières  employées  conjointement  à 
l'alimentation  d'une  même  machine  à  feu,  comme  sur  un 
fait  très -digne  d'attention  et  dont  il  importerait  de  cher- 
cher la  cause.  Mais  serait-il  bien  difficile  de  la  trouver,  si 
l'on  admet,  avec  M.  Perkins,  qu'une  explosion  a  presque 
toujours  pour  origine  un  grand  abaissement  du  niveau  de 
l'eau ,  et  un  échauffement  extraordinaire  des  parois  de  la 
chaudière  ?  Ne  pourrait-on  pas  dire  qu'ordinairement  ces 
conditions  doivent  se  rencontrer  à  la  fois  dans  les  diverses 
chaudières?  car,  d'une  part,  c'est  la  même  pompe  qui 
les  alimente,  et,  de  l'autre,  dès  qu'un  ralentissement 
se  manifeste  dans  la  marche  de  la  machine,  il  est  bien 
naturel  que  les  ouvriers  poussent  vivement  le  feu  dans 
chaque  fourneau.  Cela  posé,  supposons  qu'une  première 
chaudière  éclate  à  la  suite  de  l'ouverture  de  sa  soupape. 
Le  tube  par  lequel  passait  la  vapeur  de  cette  chaudière 
pour  se  rendre  au  corps  de  pompe,  a  dès  cet  instant  son 
embouchure  dans  l'atmosphère  ;  or,  chaque  chaudière  est 
surmontée  d'un  pareil  tube,  et  tous  aboutissent  à  un  seul 
et  même  tuyau  métallique.  Par  ce  tuyau,  la  deuxième, 
la  troisième,  etc.,  chaudières,  se  trouvent  ainsi  en  libre 
communication  avec  l'air;  la  vapeur,  qui  les  remplissait, 
suit  rapidement  cette  large  voie  pour  s'échapper,  et,  dans 
un  temps  inappréciable,  les  conditions  d'effraction  se 
rencontrent  là  comme  dans  la  chaudière  déjà  brisée,  sans 
qu'on  ait  besoin  d'admettre  que  toutes  les  soupapes 

s'étaient  ouvertes  presque  en  même  temps. 

v.— n.  il 


162  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

rai  parié  (chap.  ïi,  p.  13S)  d'nne  chaudière  qui  fit 
explosion  en  Faîr.  Snirant  toute  apparence ,  quand  celle 
de  Lochrin  (p.  120)  éclata,  elle  s'était  aussi  élevée  de  i 
à  5  mètres  au-dessus  de  la  maçonnerie  qui  la  supportait. 
Quoique  ce  fait  semble  se  rattacher  également  bien  à 
plusieurs  des  théories  qu^on  a  données  des  explosions ,  et 
que  dès  lors  il  ne  puisse  point  nous  diriger  dans  notre 
choix ,  il  ne  sera  pas  superflu  de  montrer  comment  celle 
de  M.  Perkins  s'y  applique  sans  eflbrt. 

On  se  trompait  beaucoup  quand  on  supposait  qu^une 
chaudière  composée  de  plaques  malléables  resterait  néces- 
sairement en  place,  quelque  ouverture  qui  s'y  formât 
Cette  erreur,  dans  laquelle  étaient  tombés,  par  exemple, 
plusieurs  de  ceux  qui  naguère  s'occupaient  des  appareils 
à  gaz  portatif,  pourrait  être  la  cause  de  graves  accidents. 
Il  est  bien  vrai  qu'un  vase  complètement  fermé  reste 
immobile ,  quelle  que  soit  l'élasticité  du  gaz  qu'il  con- 
tient ;  mais  c'est  qu'alors  la  pression  en  chaque  point  de 
l'enveloppe  est  exactement  contre-balancée  par  la  pres- 
sion qu'éprouve  le  point  opposé.  Par  Teffet  de  la  pression 
sur  la  face  supérieure ,  le  vase  tend  à  monter,  et  il  mon- 
terait ,  en  effet ,  en  supposant  cette  pression  suffisante,  si 
l'on  pouvait  anéantir  la  force  précisément  égale  qui ,  en 
même  temps,  pousse  de  haut  en  bas  la  paroi  inférieure; 
or,  tout  le  monde  doit  voir  que  détruire  brusquement  cette 
paroi  ou  anéantir  la  force  dont  elle  était  le  point  d'appui, 
c'est  tout  un. 

La  force  non  contre -balancée  qui  engendre  le  mouve- 
ment dans  tous  les  cas  analogues  au  précédent ,  s'appelle 
force  de  réaction.  C'est,  par  exemple,  en  vertu  d'une  force 


A  VAPEUR.  m 

de  cette  nature  qu'une  fusée  s'élève  dans  Taîr  ;  car  le  gaz 
résultant  de  Tinflamniation  de  la  poudre  trouve  une  paroi 
sur  laquelle  il  peut  agir  vers  la  poinjte  de  la  fusée,  tandis 
qu'à  Topposite,  à  la  base  du  cône,  la  paroi  manque. 

Ces  préliminaires  établis ,  quelques  mots  vont  suffire 
pour  montrer  comment ,  dans  les  idées  de  M.  Perkins , 
une  chaudière  peut  faire  explosion  en  Tair. 

L'explosion ,  suivant  ce  mécanicien ,  eèt  toujours  pré- 
cédée d'un  grand  dégagement  de  vapeur.  Quand  c'est 
par  la  soupape,  ordinairement  placée  dans  le  haut  du 
couvercle,  que  ce  dégagement  s'opère,  la  force  de  réac- 
tion ,  loin  de  tendre  à  soulever  la  chaudière ,  l'appuie  au 
contraire  davantage  sur  sa  base  ;  mais  si  la  fuite  de  vapeur 
a  lieu  de  haut  en  bas  par  quelque  fissure  située  vers  les 
parois  inférieures,  la  chaudière  pourra  être  projetée  sui- 
vant la  direction  opposée,  car  alors  elle  se  trouvera  dans 
les  mêmes  conditions  qu'une  fusée.  Il  suffira  pour  cela 
de  douer  la  vapeur  d'un  ressort  convenable.  Ajoutons  que 
les  oscillations  du  liquide,  suite  de  cet  énorme  boulever- 
sement, ne  pourront  manquer  d'amener,  indépendam- 
ment des  autres  causes  déjà  signalées,  la  brusque  pro- 
duction de  vapeur  dont  l'explosion  de  la  chaudière  est  la 
conséquence. 

La  théorie  de  M.  Perkins,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir, 
rend  un  compte  assez  satisfaisant  de  toutes  les  explosions 
dont  j'ai  pu  réunir  les  circonstances,  et  qu'un  affaîbhsse- 
ment  dans  le  ressort  de  la  vapeur  avait  précédées  ;  comme 
d'ailleurs  elle  n'emprunte  à  la  physique  aucune  hypothèse 
que  la  science  repousse,  il  semble  qu'on  doive  se  hâter, 
dès  ce  moment,  sinon  de  l'adopter,  du  moins  de  prendre 


464  EXPLOSIONS  DBS  MACHINES 

les  mesures  de  précaution  qu'elle  suggère.  Ces  mesures, 
au  reste,  sont  très-simples  : 

Empêcher,  par  tous  les  moyens  possibles,  par  exemple, 
à  l'aide  de  plaques  fusibles ,  qu'aucune  partie  de  la  chau- 
dière ne  devienne  jamais  rouge  ou  ne  s'échauffe  trop 
fortement  ; 

Donner  conséquemment  la  plus  grande  attention ,  soit 
aux  moyens  d'alimentation,  soit  aux  appareils  dépendants 
de  la  chaudière,  et  à  l'aide  desquels  on  peut  toujours 
savoir  où  se  trouve  le  niveau  de  l'eau  ; 

Si ,  malgré  les  soins  de  l'ingénieur,  les  parois  venaient 
à  rougir  en  quelques  points,  éviter  alors  toute  brusque 
ouverture  des  soupapes,  ou  des  manœuvres  analogues 
qui  permettraient  à  la  vapeur  déjà  produite  de  se  ré- 
pandre rapidement  dans  l'atmosphère  ; 

Enfin ,  éteindre  le  feu  aussi  rapidement  qu'on  le  pourra. 


§  8.  —  Comparaison  de  l'explication  de  M.  Perkins  avec  les  théories  qne 
d'autres  ingénieurs  Ont  proposées;  nouvelles  causes  d'explosions. 


Quoique  j'aie  présenté  avec  beaucoup  de  détail  et 
sous  un  jour  favorable  les  idées  dont  on  est  redevable  à 
M.  Perkins ,  concernant  les  dangereuses  explosions  que , 
malgré  le  bon  état  des  soupapes,  les  chaudières  éprou- 
vent trop  souvent,  je  suis  loin  cependant  de  regarder 
cette  explication  comme  tellement  évidente  qu'on  ne  puisse 
conserver  aucun  doute.  Je  vais  donc  réunir  ici  quelques 
aperçus  sur  le  même  sujet,  que  j'ai  puisés  dans  les  ou- 
vrages imprimés  ou  manuscrits  qu'il  m'a  été  donné  de 
consulter,  et  j'y  joindrai  l'indication  de  plusieurs  causes 


A  VAPEUR.  465 

particulières  d'explosion  dont  ringénîciu:  américain  n*a 
pas  parlé.  J'aurai  ainsi  rempli  la  tâche  que  je  m'étais 
imposée  :  elle  consistait  à  présenter  le  tableau  le  plus 
complet  possible  des  connaissances  qu'on  a  acquises  sur 
les  fâcheux  accidents  que  la  rupture  des  chaudières  occa- 
sionne; ceux  qui  se  croiraient  appelés  à  l'étendre  sauront 
ainsi  quel  doit  être  leur  point  de  départ. 

L'un  de  nos  plus  habiles  constructeurs  de  vaisseaux, 
M.  Marestier,  a  donné  pour  le  genre  particulier  d'explo- 
sions dont  M.  Perkins  s'est  occupé,  une  théorie  qui,  dans 
son  ensemble,  a  quelque  analogie  avec  celle  de  cet  ingé- 
nieur; il  est  un  point  cependant  sur  lequel  les  deux  auteurs 
diffèrent  essentiellement. 

M.  Marestier,  comme  M.  Perkins,  admet  que  quelques 
instants  avant  l'explosion  l'eau  manque  en  partie  dans  la 
chaudière  ;  qu'une  portion  des  parois  destinée  par  le 
constructeur  à  recevoir  directement  l'action  du  feu ,  étant 
alors  laissée  à  découvert,  acquiert  une  haute  température 
et  peut  même  devenir  rouge  ;  qu'au  moment  de  l'ouver- 
ture d'une  soupape  ou  d'une  fuite  accidentelle  de  vapeur, 
le  niveau  de  l'eau  monte,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
expliqué,  soit  à  cause  de  l'espèce  d'ébullition  tumultueuse 
qu'amène  l'affaiblissement  de  la  pression  intérieure ,  soit 
à  cause  de  la  flexion  que  la  chaudière  éprouve,  au  même 
moment,  de  dehors  en  dedans,  et  d'où  résulte  inévitable- 
ment une  diminution  dans  sa  capacité.  M.  Marestier  sup- 
pose de  plus  que  l'eau  ainsi  soulevée  venant  à  toucher  la 
partie  des  parois  que  la  flamme  du  fourneau  a  portée  au 
rouge,  se  transforme  subitement  en  vapeur,  et  en  telle 
abondance,  qtie  la  soupape  de  sûreté  ne  suffit  plus  à  son 


466  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

dégagement.  Dans  les  chaudières  des  bateaux,  les  grandes 
oscillations  que  les  vagues  font  naître  sont  une  cause  par- 
ticulière qui  contribuera  avec  les  autres  à  porter  Teau  sur 
1^  parois  rougies. 

On  se  rappelle  que,  suivant  M.  Perkins,  c'est  la  dissé- 
mination de  Teau  dans  de  la  vapeur  rare,  uîais  à  une 
très-haute  température,  qui  donnerait  subitement  lieu  à 
un  grand  développement  d'élasticité  ;  tandis  que,  d'après 
TA.  Marestier,  ce  serait  l'ariivée  de  l'eau  sur  le  métal 
rouge  qui  ferait  naître  tout  à  coup  une  énorme  quantité 
de  vapeur.  Rien  assurément,  au  premier  coup  d'œil,  no 
doit  paraître  plus  raisonnable  que  cette  dernière  supposi- 
tion ;  mais  dans  l'étude  des  phénomènes  naturels ,  il  faut 
bien  se  rappeler,  comme  disait  Fontenelle,  c  que  dès 
qu'une  chose  peut  être  de  deux  façons,  elle  est  ordinai- 
rement de  celle  qui  semble  la  plus  contraire  aux  appa- 
rences. »  Il  arrive,  en  effet,  quelque  bizarre  que  cela 
puisse  paraître,  qu'un  métal  porté  au  rouge-blanc  semble 
très-peu  propre  à  produire  de  la  vapeur  :  si  l'on  dépose 
une  goutte  d'eau  dans  un  vase  métallique  incandescent , 
elle  est  fort  longtemps  à  se  vaporiser,  tandis  que  dans  ce 
même  vase  médiocrement  chaud  elle  disparaît  sur-le- 
champ. 

Dans  une  expérience  de  Klaproth,  la  seule  que  je 
citerai,  une  seule  goutte  d'eau  jetée  sur  une  cuiller  de 
fer  portée  au  rouge -blanc,  employait  40  secondes  à  se 
vaporiser.  Si  après  ce  temps  on  laissait  tomber  une 
deuxième  goutte ,  comme  la  cuiller  s'était  déjà  refroidie , 
son  évaporation  complète  n'exigeait  que  20  secondes.  La 
goutte  qu'on  versait  après  l'évaporation  de  la  deuxième^ 


A  VAPEUR.  i|67 

disparaissait  en  6  secondes  ;  une  quatrième  goutte  en  k 
secondes  ;  une  cinquième  en  2  secondes  ;  la  sixième,  enfin, 
s'évaporait  dans  un  temps  inappréciable. 

Malgré  ces  curieuses  observations ,  je  Tai  déjà  dit 
(p.  156),  il  semble  que  l'action  directe  des  parois  incan- 
descentes d'une  chaudière  joue  le  principal  rôle  dans  la 
transformation  d'eau  en  vapeur  dont  l'explosion  est  la 
conséquence;  mais,  il  faut  le  reconnaître,  pour  compléter 
sa  théorie,  M.  Marestier  devrait  expliquer  pourquoi  l'eau 
de  la  chaudière  se  comporte  tout  autrement  que  les  petites 
gouttes  dans  l'expérience  de  Klaproth.  Si  l'on  trouvait, 
par  exemple,  qu'ime  goutte  d'eau  projetée  avec  force  sur 
une  surface  métallique  incandescente.se  vaporise  sur-le« 
champ,  tous  les  doutes  auraient  disparu  et  l'explosion 4e 
la  chaudière  rouge  de  Pittsburg  (chap.  x,  p.  132)  ne 
semblerait  plus  une  anomalie  pour  laquelle  il  faudrait 
chercher  de  nouvelles  causes.  Au  reste,  je  dois  le  remar- 
quer en  terminant,  MM.  Perkins  et  Marestier  ne  diffèrent 
que  sur  un  point  de  théorie.  Le  fait  de  la  transformation 
brusque  de  l'eau  en  vapeur,  constaté  expérimentalement 
par  le  premier,  étant  admis  par  le  second,  il  importe 
peu,  quant  aux  mesures  de  sûreté  qu'il  faudra  adopter, 
que  les  parois  incandescentes  aient  amené  cette  transfert 
mation,  ou  comme  le  suppose  M.  Perkins,  ou  comme  l'ad- 
met M.  Marestier.  Dans  l'une  et  dans  l'autre  hypothèse, 
il  faudra  empêcher  la  chaudière  de  rougir,  et,  si  le  cas  se 
présente ,  éviter  toute  brusque  ouverture  des  soupapes. 

M.  Gensoul,  dont  le  nom  est  si  honorablement  lié  aux 
progrès  de  l'industrie  lyonnaise,  explique  tout  autrement 
que  MM.  Perkins  et  Marestier  les  fâcheux  effets  qu'une 


468  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

brusque  ouverture  des  soupapes  amène  quelquefois.  Voici 
un  aperçu  des  idées  de  cet  habile  praticien  : 

Lorsqu'un  tuyau  métallique  renferme  un  liquide  très- 
fortement  pressé ,  il  suffit  pour  le  rompre  de  frapper  ses 
parois  d'un  petit  coup  sec ,  tandis  qu'une  augmentation 
de  pression,  même  très-grande,  aurait  pu  ne  pas  pro- 
duire d'effraction,  si  elle  avait  eu  lieu  d'une  manière 
graduelle  et  sans  secousse.  Ce  fait  est  bien  constaté  ; 
M.  Gensoul  croit  pouvoir  l'étendre  aux  chaudières.  Sui- 
vant lui,  quand  les  parois  de  ces  grands  vases. ont  été 
fortement  tendues  de  dedans  en  dehors  par  la  vapeur,  le 
moindre  choc  doit  les  rompre ,  comme  s'ils  étaient  rem- 
plis d'un  liquide  soumis  à  une  grande  pression;  or,  il 
pense  pouvoir  assimiler  à  un  choc  le  vif  mouvement  de 
recul  que  la  chaudière  reçoit  dans  la  partie  de  sa  paroi 
diamétralement  opposée  à  celle  qui,  tout  à  coup,  livre 
passage  à  la  vapeur.  Si  c'est ,  par  exemple ,  la  soupape 
du  couvercle  qu'on  ouvre  brusquement,  ce  sera  le  fond 
de  la  chaudière  qui  recevra  le  contre-coup;  la  secousse 
aura  lieu  sur  la  paroi  de  droite,  si  c'est  par  la  gauche  que 
la  vapeur  s'est  échappée,  etc.,  etc. 

Cette  ingénieuse  explication  fait  naître  plusieurs  doutes. 
D'abord,  il  ne  paraît  pas  évident  qu'à  égalité  de  pression 
intérieure,  un  choc  doive  produire  un  égal  dommage  sur 
deux  vases  dont  l'un  serait  rempli  d'eau  et  l'autre  de 
vapeur  :  l'incompressibilité  du  liquide  semble  en  effet 
pouvoir  être  ici  de  quelque  importance.  En  second  lieu, 
M.  Gensoul  suppose  qu'avant  l'explosion,  la  vapeur  con- 
tenue dans  la  chaudière  avait  un  très-grand  ressort;  et, 
au  contraire,  nous  avons  vu  qi^'il  arrive  souvent  de  tels 


A  VAPEUR.  I6Î) 

accidents  au  moment  même  où  la  marche  lente  des 
machines  semblerait  devoir  inspirer  toute  sécurité.  Ainsi, 
sous  ce  rapport,  l'explication  est  au  moins  incomplète. 
Après  cela,  on  ne  saurait  nier  que  dans  tous  les  cas  d'une 
rupture  subite,  la  réaction  de  la  vapeur  ne  doive  jouer 
un  rôle  important,  comme  le  croit  Phabile  ingénieur  de 
Lyon.  J'ai  même  indiqué,  aux  pages  162  et  163,  le  genre 
d'accidents  que  cette  réaction  pourra  le  plus  ordinaire- 
ment occasionner. 

Quelques  personnes,  frappées  de  la  grandeur  et  de 
l'instantanéité  des  effets  qui  résultent  souvent  des  explo- 
sions des  chaudières,  se  sont  persuadé  que  la  vapeui* 
seule  ne  saurait  les  produire ,  et  ont  appelé  à  leur  aide 
des  gaz  susceptibles  eux-mêmes  de  faire  explosion.  Pour- 
quoi, disent-elles,  puisque  dans  les  laboratoires  de  chimie 
on  obtient  le  gaz  hydrogène  en  faisant  passer  de  la 
vapeur  d'eau  le  long  d'un  tube  de  fer  rougi  au  feu,  pour- 
quoi le  même  gaz  ne  s'engendrerait-il  pas  au  sein  de  la 
chaudière  où  la  vapeur  est  aussi  quelquefois  en  contact 
avec  des  parois  métalliques  rougies?  Voilà  bien,  nous 
l'accordons,  le  gaz  produit.  Mêlé  à  la  vapeur,  il  passera 
avec  elle  dans  le  corps  de  pompe  ;  or,  comme  il  n'est  pas 
susceptible  de  condensation,  on  ne  l' évacuera  qu'au  prix 
d'une  grande  dépense  de  force,  et  les  effets  de  la  machine 
seront  considérablement  affaiblis.  J'admettrai,  si  l'on 
veut,  que  c'est  là  l'origine  de  la  perte  de  vitesse  qui  pré- 
cède ordinairement  la  rupture  de  la  chaudière  dans  le 
genre  d'accidents  dont  nous  nous  occupons  ;  mais  cette 
rupture,  enfin,  comment  arrivera-t-elle?  L'hydrogène 
tout  seul  ou  mêlé  à  de  la  vapeur  d'eau  ne  saurait  détoner. 


no  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

Un  mélange  dans  des  proportions  convenables  d'hydro- 
gène et  d'oxygène  est  susceptible  de  faire  explosion; 
mais  comment  rassembler  ces  deux  gaz  dans  la  chau- 
dière? L'hydrogène  était  le  fruit  de  l'oxydation  du  métal; 
l'oxygène,  d'où  proviendrait-il?  Peut-être  dira-t-on  que 
c'est  de  l'air  contenu  dans  l'eau  d'alimentation  ;  mais  à 
cela  je  répondrai  que  l'eau  est  chaude,  qu'elle  renferme 
dès  lors  une  quantité  d'air  fort  petite,  et,  de  plus,  qu'au 
fur  et  à  mesure  de  son  dégagement ,  elle  passe  dans  le 
corps  de  pompe  avec  la  vapeur  motrice.  J'ajouterai, 
enfin,  que  l'oxygène  de  l'air  se  combinerait  beaucoup 
plutôt  avec  les  parois  incandescentes  de  la  chaudière  que 
celui  de  la  vapeur  d'eau,  et  qu'ainsi,  en  cas  de  pro- 
duction d'un  mélange  gazeux,  il  se  composerait,  non 
d'hydrogène  et  d'oxygène,  mais  d'hydrogène  et  d'azote. 
Au  reste,  cette  difficulté  serait  résolue  qu'on  ne  serait 
guère  plus  avancé.  En  efi*et,  un  corps  porté  au  rouge  vif 
et  l'étincelle  électrique  sont  les  seuls  moyens  que  Ton 
connaisse  de  réunir  brusquement  les  deux  principes  con- 
stituants de  l'eau.  Or  des  chaudières  ont  éclaté  sans  avoir 
atteint  la  température  qui  semble  nécessaire  pour  pro- 
duire une  détonation.  Reste  donc  l'étincelle  électrique; 
mais  où  la  prendrions-nous?  Je  n'ignore  pas  qu'en  Amé- 
rique on  a  prétendu  que  l'explosion  de  la  chaudière  du 
bateau  Y  Entreprise  de  Savannah  fut  occasionnée  par  une 
décharge  électrique  à  laquelle  le  courant  ascendant  de 
fumée  qui  sortait  de  la  cheminée  avait  sei^vi  de  conduc^ 
teur  ;  mais ,  en  supposant  le  fait  vrai ,  rien  ne  dit  que  la 
foudre  trouva  dans  la  chaudière  un  mélange  gazeux  à 
enflammer,  et  qu'elle  n'agit  pas  là  seulement  comme  elle 


A  VAPEUR.  m 

le  fait  d'ordinaire,  c*est-à-dire  en  brisant  en  éclats  les 
corps  qui  se  trouvent  sur  son  passage.  Au  reste,  j'admet- 
trai, si  Ton  veut,  avec  les  partisans  du  système  dont  je 
viens  de  donner  l'analyse,  que  l'étincelle  électrique  ait 
pu  être  une  cause  CKceptionnelle  d'explosion ,  qu'elle  en 
soit  une  cause  possible  ;  mais  j'aurai  grand'  peine  à  me 
persuader  qu'on  veuille  sérieusement  faire  jouer  un  rôle 
à  cet  agent,  je  ne  dis  pas  dans  toutes,  mais  seulement 
dans  la  centième  partie  des  explosions. 

Découragés  par  la  difficulté  de  réunir  dans  la  chau- 
dière même  les  deux  éléments  gazeux  qu'ils  voulaient 
faire  détoner,  quelques  ingénieurs  ont  supposé  qu'il  n'y 
en  avait  qu'un,  l'hydrogène,  et  que  ce  gaz,  après  une 
déchirure  des  parois,  venant  se  mêler  avec  l'air  du  foyer^ 
détonait.  Ainsi  l'inflammation  du  mélange  explosif  ne 
serait  plus  la  cause  première  de  la  rupture  de  la  chau- 
dière, mais  elle  en  aggraverait  les  effets  :  ce  serait-  une 
explosion  dans  le  foyer  qui  lancerait  au  loin,  ou  la  chau- 
dière tout  entière,  ou  ses  éclats  et  ceux  du  fourneau. 
Que  dirai-je  de  ces  idées,  si  ce  n'est  que  je  ne  connais 
pas  une  seule  explosion  dans  laquelle  on  ait  pu  s'assurer 
que  de  l'hydrogène  engendré  dans  la  chaudière  avait 
contribué  à  la  produire. 

Examinons  maintenant  si,  comme,  divers  ingénieurs 
l'ont  pensé,  les  éléments  détonants  ne  pourraient  passe 
trouver  naturellement  dans  le  foyer  même,  et  produii'e 
de  fâcheux  effets. 

Suivant  ces  ingénieurs,  l'hydrogène  carboné  serait 
fourni  par  le  charbon  de  terre,  comme  dans  les  usines  à 
gaz,  et  l'hydrogène  pur,  si  c'était  nécessaire,  par  la 


172  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

décomposition  de  Teau  qui  suinte  entre  les  plaques  impar- 
faitement assemblées  de  la  chaudière  et  tombe  sur  le 
charbon.  Quant  à  Toxygène,  sans  lequel  il  rfy  aurait  pas 
de  détonation ,  ils  l'empruntent  à  cette  portion  assez 
grande  du  courant  Jair  ascendant  qui  traverse  le  cen- 
drier sans  être  décomposée. 

Quand  on  a  vu  ces  brillantes  colonnes  de  flamme  qui, 
de  temps  à  autre,  apparaissent  aux  plus  hautes  che-- 
minées  d'usines,  on  ne  saurait  douter  que  les  gaz  qu'en- 
traîne le  tirage  ne  puissent  quelquefois  constituer  des 
mélanges  explosifs.  Or,  il  suffit  de  supposer  qu'un  de  ces 
mélanges  se  soit  formé  dans  quelque  encoignure  du  foyer 
pour  qu'on  ait  tout  à  redouter  de  son  inflammation.  Si  la 
détonation  est  un  peu  forte,  il  semble  difficile,  en  effet, 
que  les  parois  de  la  chaudière  résistent  et  ne  soient  pas 

écrasées. 

J'ai  dit  comment  il  était  possible  que  des  mélanges 
explosifs  se  formassent  dans  le  foyer  même;  je  dois 
ajouter  que  certains  accidents  n'ont  pu  évidemment  tenir 
qu'à  cette  cause  :  je  veux  parler  des  explosions  qui  se 
manifestent  sous  des  chaudières  à  évaporation  entière- 
ment ouvertes  par  le  haut.  Je  tiens  de  mon  illustre  ami 
Gay-Lussac,  qu'un  fourneau  de  la  raffinerie  de  salpêtre 
établie  à  l'Arsenal  de  Paris  fut  démoli  en  totalité  par 
une  explosion  de  cette  espèce;  la  chaudière  demeura 
intacte. 

Pour  prévenir  ce  genre  d'accidents,  il  faut,  autant  que 
possible,  éviter  les  coudes  montants  et  descendants  dans 
les  conduits  destinés  à  la  fumée;  car  c'est  principalement 
dans  ces  coudes  qu'il  peut  se  confiner  des  mélanges  déto- 


A  VAPEUR.  473 

nants.  li  est  nécessaire  aussi  que  le  registre  de  la  che- 
minée ne  se  ferme  jamais  hermétiquement,  comme  je 
Tai  expliqué  ailleurs  (chap.  xvi,  p.  150).  Pour  éviter, 
enfin ,  que  le  gaz  du  charbon  se  dégage  sans  brûler,  il 
importe  de  maintenir  des  vides  suffisants  entre  les  bar- 
reaux de  la  grille.  Si  le  charbon  est  bitumineux  et  col- 
lant, les  différents  morceaux  se  soudent  les  uns  aux 
autres,  et  forment  une  croûte  presque  impénétrable  à  la 
flamme  quand  la  couche  est  très-épaisse.  Le  foyer  devient 
alors  un  véritable  appareil  distillatoire,  donnant  beaucoup 
d'hydrogène  carboné  et  très-peu  de  chaleur.  Charger  la 
grille  par  petites  couches  de  charbon  n'est  donc  pas  seu- 
lement un  procédé  économique,  c'est  encore  une  impor- 
tante mesure  de  sûreté.  Les  chauffeurs  qui,  par  paresse, 
encombrent  les  fourneaux  de  combustible,  nuisent  à  la 
marche  de  la  machine,  l'exposent  aux  plus  graves  acci- 
dents ,  et  compromettent  leur  propre  vie  :  on  ne  saurait 
donc  les  surveiller  avec  trop  de  soin. 

Me  voilà  presque  parvenu  au  terme  de  ma  tûche; 
il  ne  me  reste  plus  qu'à  signaler  une  dernière  cause 
d'explosion  qui  n'est  pas  sans  importance. 

11  est  bien  rare  que  l'eau  dont  on  se  sert  pour  alimenter 
les  chaudières  soit  pure.  Le  plus  souvent  cette  eau  con- 
tient des  matières  salines  qui  se  déposent  pendant  l'ébul- 
lition,  et  finissent  par  former  sur  les  parois  intérieures 
une  croûte  pierreuse  dont  l'épaisseur  va  croissant  chaque 
jour.  Tant  que  cette  croûte  n'existait  pas,  la  chaleur 
absorbée  par  le  métal  se  transmettait  très -rapidement 
à  l'eau,  et  les  parois  de  la  chaudière  n'acquéraient 
jamais  une  température  très-élevée;  mais  dès  qu'une 


Mi  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

substance  peu  conductrice,  comme  le  sont  toutes  les 
matières  pierreuses,  tapisse  la  chaudière,  la  chaleur  ne 
parvient  à  l'eau  qu'avec  beaucoup  de  lenteur;  les  parois 
métalliques,  recevant  du  foyer  à  chaque  instant  plus  de 
calorique  que  le  dépôt  pierreux  ne  leur  en  enlève, 
deviennent  de  plus  en  plus  chaudes  -et  finissent  même 
quelquefois  par  arriver  à  Ja  température  rouge;  or,  il 
faut  remarquer  que  ce  n'est  pas  là  seulement  l'occasion 
d'une  grande  perte  de  chaleur,  car  les  métaux  incan- 
descents ayant  très -peu  de  ténacité,  les  explosions 
deviennent  alors  imminentes.  On  apercevra  d'ailleurs 
aussi  sans  difficulté  combien  il  faut  craindre,  quand  la 
chaudière  est  rouge,  que  l'eau  comparativement  très- 
firoide  qu'elle  renferme,  ne  vienne  à  se  répandre  sur  sa 
surface  par  quelque  fissure  de  la  croûte  pierreuse.  Dans 
cette  circonstance,  une  chaudière  de  fonte  craquerait 
probablement  à  l'instant;  et  quant  aux  chaudières  com- 
posées de  plaques  malléables,  si  elles  ne  cédaient  pas , 
elles  éprouveraient  du  moins  les  tiraillements  les  plus 
fâcheux.  J'ajouterai  enfm  que  les  portions  métalliques 
qui  rougissent,  s'oxydent  et  se  détériorent  très-prompte- 
ment.  Comme  exemple,  je  pourrais  citer  la  chaudière 
destinée  au  chauffage  d'un  des  plus  grands  monuments 
de  la  capitale,  dont  la  paroi  inférieure  se  troua  dans  la 
partie  où,  par  mégarde,  un  ouvrier  avait  intérieurement 
laissé  un  chiffon. 

On  voit  à  quel  point  il  importe  que  la  chaudière  soit 
bien  nettoyée.  Dans  les  bateaux  à  vapeur  qui  emploient 
de  l'eau  de  mer,  l'enlèvement  du  dépôt  salin  doit  être 
effectué  toutes  les  vingt-quatre  heures  au  moins.  Quand 


A  VAPEUR.  475 

Teau  d'alimentation  est  pure,  on  peut  ne  faire  cette  opé- 
ration qu'à  de  grands  intervalles.  On  ne  saurait,  sur 
cela,  donner  de  règle  générale;  c'est  à  l'ingénieur  à  voir 
expérimentalement  de  quelle  manière  et  avec  quelle  rapi- 
dité les  éléments  salins  se  précipitent  des  eaux  qu'il  est 
forcé  d'employer.  Depuis  qu'il  est  reconnu  que  la  fécule 
de  pomme  de  terre  et  la  drêche  empêchent  les  dépôts 
pierreux  de  se  former,  on  a  proposé  de  jeter  de  temps  à 
autre  uiie  certaine  quantité  de  ces  matières  dans  la  chau- 
dière ; .  mais  je  ne  sache  pas  que  cet  usage  se  soit  encore 
beaucoup  répandu. 

Je  placerai  ici  une  Note  que  m'a  remise,  le  17  mai 
1837,  un  des  chimistes  illustres  qu'a  possédés  l'Académie 
des  sciences,  M.  d'Arcet.  Cette  Note  est  relative  à  la 
théorie  de  la  formation  des  croûtes  pierreuses  des  chau- 
dières à  vapeur;  elle  est  ainsi  conçue  : 

€  L'eau  ordinaii*e,  servant  à  l'alimentation  des  chau- 
dières à  vapeur,  n'y  augmente  pas  de  densité,  en  s'y 
concentrant  par  évaporation  ;  au  moins  elle  n'y  augmente 
pas  de  densité,  à  beaucoup  près,  dans  la  proportion  où 
cela  devrait  être  à  en  juger  d'après  la  quantité  de  sub- 
stances salines  contenues  dans  l'eau  employée. 

«  J'ai  souvent  vu  l'eau  de  chaudières  à  vapeur  travail- 
lant sans  interrupticm  depuis  deux  mois,  ne  marquer  que 
xéro  au  pèse-liqueur.  Voici  probablement  quelle  est  la 
Cause  de  ce  fait. 

t  Lors  de  la  vaporisation  de  l'eau  sous  une  certaine 
pression,  il  se  forme  du  carbonate  d'ammoniaque  par 
suite  de  la  décomposition  des  matières  organiques  ;  le 
carbonate  d'ammoniaque  décompose  les  sels  terreux  qui 


476  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

laissent  ainsi  précipiter  leurs  bases  ;  les  sels  ammoniacaux 
formés  se  volatilisent  et  sont  éliminés  avec  la  vapeur. 

t  Le  sulfate  de  chaux,  s'il  est  en  excès,  se  précipite 
par  suite  de  la  seule  concentration  de  l'eau. 

«  Le  bicarbonate  de  chaux  se  sépare  et  tombe,  en  per- 
dant ,  par  le  fait  de  la  chaleur,  l'excès  de  son  acide  car- 
bonique. 

«  Quant  aux  sels  à  base  de  soude  et  de  potasse,  je  pense 
qu'ils  sont  entraînés  avec  les  sels  insolubles  et  forment 
avec  eux  les  combinaisons  doubles  et  triples  dont  on  con- 
naît plusieurs  exemples  en  minéralogie. 

«  Je  ne  sache  pas  que  ce  fait  de  la  non -concentration 
de  l'eau  ordinaire  dans  les  chaudières  à  vapeur  ait  été 
observé  ;  je  l'ai  remarqué  si  souvent  que  je  le  regarde 
comme  constant,  au  moins  dans  les  limites  indiquées  au 
commencement  de  cette  Note.  » 

Je  ne  dois  pas  terminer  ce  chapitre,  dans  lequel  il  a 
été  si  longuement  question  des  moyens  d'expliquer  les 
explosions,  sans  faire  remarquer  que  si  je  n'ai  point 
séparé  les  chaudières  à  basse  pression  de  celles  où  la 
vapeur  possède  une  tension  élevée,  c'est  uniquement  parce 
qu'il  m'a  semblé  qu'il  n'y  avait  pas  heu  à  faire  cette  dis- 
tinction. Qui  ne  voit,  en  effet,  qu'au  moment  où  l'accident 
amve,  toutes  les  chaudières  sont  à  haute  pression.  J'ajou- 
terai qu'il  ne  paraît  nullement  établi  que  les  chaudières 
à  pression  élevée  aient  éclaté  plus  fréquemment  que  les 
autres  ;  le  contraire  a  même  été  soutenu  par  divers  ingé- 
nieurs, au  nombre  desquels  je  puis  citer  MM.  Perkins, 
Oliver  Evans,  etc.  C'est  un  fait  facile  à  comprendre, 
ainsi  que  je  vais  le  montrer  dans  un  dernier  chapitre. 


A  VAPEUR.  in 


CHAPITRE  XVIIl 

m 

REMARQUES   RELATIVES  AUX   PRÉTENDUS   DANGERS   DES  HACIIIKES 

A  HAUTE   PRESSION 

On  a  cru  longtemps,  beaucoup  de  personnes  s'imagi- 
nent encore  que  les  machines  à  vapeur  à  haute  pression 
présentent  plus  de  dangers  d'explosion  que  celles  à  pres- 
sion ordinaire.  J'ai  dû  plusieurs  fois  combattre  cette 
erreur,  soit  dans  le  sein  de  l'Académie  des  sciences ,  soit 
devant  la  Chambre  des  députés. 

Dans  l'état  actuel  de  notre  législation,  les  explosions 
qui  peuvent  dépendre  d'une  augmentation  graduelle  de  la 
force  élastique  de  la  vapeur  et  du  mauvais  état  des  sou- 
papes de  sûreté ,  doivent  être  moins  fréquentes  dans  les 
machines  à  haute  pression  que  dans  les  machines  à  pres- 
sion ordinaire.  Le  fait  et  le  raisonnement  se  réunissent 
pour  dissiper  tout  ce  que  ce  résultat  offre  de  paradoxal  au 
premier  aspect. 

Une  chaudière  est  aujourd'hui  essayée  à  la  presse 
hydraulique ,  sous  une  tension  triple  de  celle  qu'elle  est 
destinée  à  supporter.  Ainsi  la  chaudière  d'une  machine  à 
basse  pression  est  soumise  à  une  épreuve  de  trois  atmo- 
sphères évaluées  en  colonnes  d'eau  de  10  mètres  de  hau- 
teur. La  chaudière  d'une  machine  à  10  atmosphères, 
subit  une  épreuve  de  30,  c'est-à-dire  subit  la  pression 
d'une  hauteur  de  300  mètres  d'eau. 

Chacun  comprendra  maintenant  que  si  l'inattention  du 

chauffeur,  une  trop  forte  charge  de  charbon  dans  les 

fourneaux,  une  variation  accidentelle  dans  la  qualité  du 
y.— il.  12 


478  EXPLOSIONS  DES  MACHINES 

combustible,  des  changements  dans  le  tirage,  peuvent 
faire  passer  inopinément  la  force  élastique  de  la  vapeur 
de  1  à'  3  atmosphères,  de  1  à  la  pression  au-dessus  de 
laquelle  les  épreuves  préalables  ne  donnent  plus  aucune 
garantie  contre  les  explosions,  toutes  ces  circonstances 
isolées  ou  réunies  seraient  insuffisantes  pour  élever  cette 
même  force  de  1  à  30.  En  effet,  nous  ne  pûmes  jamais, 
Dulong  et  moi,  quoi  que  nous  fissions,  dépasser  24  atmo- 
sphères dans  la  chaudière  qui  servait  à  nos  expériences 
sur  la  détermination  des  forces  élastiques  de  la  vapeur  et 
des  températures  correspondantes  (chap.  ii,  p.  118). 
Quant  aux  explosions  dépendantes  des  abaissements  du 
niveau  de  Teau  et  des  retours  subits  du  liquide ,  il  est 
évident  qu'elles  ne  sont  pas  de  nature  à  se  présenter  plus 
souvent  dans  les  chaudières  à  haute  pression  que  dans  les 
chaudières  à  pression  ordinaire. 


CHAPITRE  XIX 

NÉCESSITÉ  DE   LÀ   SURVEILLANCE   DES  MACHINES   A   VAPEUR 

Un  de  mes  amis ,  après  avoir  lu  les  chapitres  précé- 
dents, me  témoignait  la  crainte  qu'un  tableau  aussi  dé- 
taillé des  causes  diverses  qui  peuvent  amener  Texplosion 
des  chaudières,  ne  dégoûtât  beaucoup  de  personnes  des 
machines  à  vapeur.  Si  tel  avait  dû  être  réellement  l'effet 
de  cette  dissertation,  je  me  serais  empressé  de  la  sup- 
primer ;  mais  je  ne  pouvais  partager  ces  appréhensions 
lorsque  je  me  suis  décidé  à  en  publier  la  première  édition 
dans  Y  Annuaire  du  Bureau  des  Longitudes  de  1830,  car 


A  VAPEUR.  i79 

si  on  lit  ce  qui  précède  avec  un  peu  d'attention,  comme 
il  m'est  peiroisde  le  supposer,  on  trouvera,  sans  excep- 
tion aucune,  que  chaque  cause  d'explosion  signalée  peut 
être  évitée  par  des  moyens  simples  et  à  la  portée  de  tout 
le  monde.  Depuis  longtemps  on  a  reconnu  combien  il  est 
dangereux  de  laisser  des  armes  à  feu  dans  les  mains  des 
enfants;  or,  pour  moi,  je  crois  tout  aussi  nécessaire  de  ne 
jamais  confier  la  direction  des  machines  à  vapeur  à  des 
ouvriers  maladroits,  inexpérimentés  et  dépourvus  d'intel- 
ligence. On  se  trompe  beaucoup,  lorsqu'on  regarde  ces 
machines  comme  des  appareils  qui ,  par  cela  seul  qu'ils 
marchent  ordinairement  d'eux-mêmes,  n'exigent  presque 
aucun  soin  ;  Watt  a  fortement  combattu  cette  erreur,  et 
si  ma  Notice  pouvait  contribuer  à  la  rendre  moins  com- 
mune, je  croirais  être  bien  récompensé  de  la  peine  que 
j'ai  prise  en  l'écrivant. 

Dès  1823  le  gouvernement  s'est  préoccupé  de  la  néces- 
sité d'exercer  une  surveillance  active  sur  les  chaudières 
à  vapeur  et  de  prescrire  quelques-uns  des  moyens  de 
sûreté  dont  j'ai  discuté  l'efficacité  dans  cette  Notice.  Avant 
cette  époque,  on  ne  comptait  en  France  qu'un  petit 
nombre  de  ces  appareils.  Le  décret  du  15  octobre  1810 
et  l'ordonnance  du  Ift  janvier  1815,  relatifs  aux  établis- 
sements insalubres  ou  incommodes,  ne  s'étaient  occupés 
de  machines  à  vapeur,  qu'ils  désignaient  sous  le  nom  de 
pompes  à  feu,  qu'en  ce  qui  concerne  les  inconvénients 
de  la  fumée  pour  le  voisinage.  L'ordonnance  du  29  oc- 
tobre 1823  prescrivit  plusieurs  conditions  de  sûreté,  mais 
seulement  pour  les  machines  dans  lesquelles  la  force  élas- 
tique de  la  vapeur  dépasse  deux  atmosphères.  Les  règles 


480        EXPLOSIONS  DES  MACHINES  A  VAPEUR. 

des  épreuves  préalables  furent  déterminées  par  les  ordon- 
nances des  7  mai  1828  et  23  septembre  1829,  et  par 
l'ordonnance  du  22  juillet  1839  pour  les  chaudières  des 
machines  locomobiles  employées  sur  les  chemins  de  fer. 
L'ordonnance  du  25  mars  1830  s'occupa  spécialement 
de  chaudières  à  basse  pression,  où  la  tension  de  la  vapeur 
ne  dépasse  pas  deux  atmosphères.  Toutes  les  mesurCvS 
ainsi  prises  étaient  insuffisantes.  Le  gouvernement  com- 
prit l'importance  de  régler  la  matière  en  s'entourant  de 
toutes  les  garanties  désirables  ;  il  consulta  l'Académie  des 
sciences,  d'abord  sur  l'emploi  des  rondelles  fusibles, 
ensuite  sur  tous  les  moyens  de  sûreté.  L'Académie,  dans 
une  matière  si  grave,  ne  pouvait  se  prononcer  à  la  légère; 
et  n'ayant  pas  la  possibilité  de  se  livrer  à  des  expériences 
indispensables  pour  apprécier  certains  systèmes,  elle  dut 
garderie  silence.  Une  commission  spéciale,  nommée  par 
le  ministre  des  travaux  publics,  put  se  livrer  aux  recher- 
ches nécessaires,  et  c'est  sur  son  rapport  que  la  législation 
actuelle  des  machines  à  vapeur  a  été  établie.  Les  ordon- 
nances des  23  mai  1843,  15  juin  1844  et  17  janvier 
1846  ont  fixé  toutes  les  mesures  à  prendre  pour  l'essai 
préalable,  la  conduite,  l'entretien  et  la  surveillance  des 
machines  fixes,  des  machines  locomotives  des  chemins 
de  fer  et  de  celles  des  bateaux  à  vapeur.  La  plupart  des 
dispositions  que  nous  avions  conseillées,  nous  sommes 
heureux  de  le  dire,  ont  été  adoptées  par  le  gouvernement. 


NÉCESSITÉ  D'ENCOURAGER 


EN    FRANCE 


LA  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 


A  VAPEUR 


I 

[Dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés  du  7  mai  183/!i,  à 
l'occasion  de  la  discussion  du  budget,  M.  Arago  a  pris  la  parole 
dans  les  termes  suivants,  extraits  du  Moniteur  du  8  mai.  ] 

Messieurs,  le  ministre  de  la  marine  demande  une 
somme  d'un  million  pour  la  construction  de  machines  à 
vapeur.  Je  viens  appuyer  cette  demande  de  mon  vote , 
mais  avec  une  condition  :  à  savoir  que  ces  machines  seront 
exécutées  dans  les  ateliers  français,  et  d'après  des  mar- 
chés conclus  avec  concurrence  et  publicité. 

Lorsqu'on  voit  les  événements  qui  se  succèdent,  tout 
le  monde  sent  l'urgente  nécessité  de  s'occuper  du  sort  des 
omTiers,  de  leur  créer  des  travaux ,  d'étayer  des  indus- 
tries qui  menacent  ruine ,  et  d'en  former  de  nouvelles. 

Je  ne  vois  pas.  Messieurs,  que  le  ministre  de  la  marine 
soit  dans  l'intention  de  faire  exécuter  ces  machines  en 
France.  Il  y  a  dans  le  rapport  de  la  commission  quelques 
phrases  qui  manquent  de  clarté  ;  car  on  pourrait  croire 


182  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

qu'il  en  est  autrement  en  lisant  le  passage  conçu  dans 
ces  termes  :  «  Afin  d'encourager  l'industrie  française,  la 
marine  royale  fait  exécuter  chaque  année  pour  une  somme 
assez  considérable  de  machines  à  vapeur,  entreprises  par 
des  mécaniciens  du  commerce.  En  1835  on  destine  à  ce 
genre  de  travaux  un  million  de  francs.  » 

On  dirait  par  là  que  le  ministre  de  la  marine  à  Tinten- 
tion  de  faire  exécuter  ces  machines  en  France  ;  mais  en 
lisant  le  chapitre  vi,  vous  serez  bientôt  détrompés;  vous 
y  verrez  en  effet  qu'on  demande  à  M.  le  ministre  de 
faire  exécuter  ces  machines  en  Angleterre.  Voici  ce  que 
contient  ce  chapitre  :  «De  très -habiles  constructeurs 
anglais,  revenant  aux  principes  de  Watt  et  Boultôn ,  pré- 
viennent les  diances  d'explosion  si  redoutables  dans  une 
marine  militaire,  en  substituant  presque  partout  à  la  fonte 
le  fer  forgé.  » 

Qu'il  me  soit  permis  de  faire  une  observation  sur 
cette  assertion  de  M.  le  rapporteur,  qui  n'est  rien  moins 
que  scientifique.  Les  explosions  des  machines  ne  peuvent 
avoir  lieu  que  par  l'effet  des  chaudières.  Eh  bien,  il 
n'existe  pas  en  Angleterre  de  machines  dont  les  chau- 
dières soient  en  fonte  ;  ainsi  l'assertion  du  rapporteur  ne 
pieut  avoir  aucune  valeur,  attendu  que  personne  en  Angle- 
terre n'emploie  de  chaudières  en  fonte.  Il  serait  trop 
.  dangereux  d'employer  ces  chaudières ,  dont  l'explosion 
aurait  de  terribles  effets,  à  cause  de  la  grande  masse  des 
morceaux  projetés.  Personne  n'a  même  songé  à  établir 
sur  les  bateaux  à  vapeur  des  chaudières  en  fonte.  Pour 
qu'elles  offrissent  la  résistance  nécessah^ ,  il  faudrait  leur 
donner  une  grande  épaisseur  qui  augmenterait  tellement 


A  VAPEUR.  4Ô3 

le  poids  de  la  machine  qu'on  ne  pourrait  plus  la  faire 
porter  par  un  bateau  avec  son  combustible. 

A  quoi  donc  peut-on  faire  allusion  par  ces  prétendus 
perfectionnements  qui  détermineraient  la  marine  à  s'a- 
dresser aux  ingénieurs  anglais  ?  Est-ce  le  corps  de  pompe 
qu'on  ferait  en  fer  forgé?  Mais  personne  n'a  pu  y  penser. 
D'ailleurs  le  corps  de  pompe  n'est  jamais  sujet  à  faire 
explosion.  Ainsi  les  améliorations  sur  lesqtielles  on  se 
fonde  pour  nous  dire  qu'on  commandera  les  machines  à 
l'industrie  anglaise  sont  imaginaires. 

Je  dis  que  vous  devez  faire  les  machines  en  France  ; 
vous  avez  des  xîonstructeurs  d'un  talent  reconnu,  que  je 
ne  saurais  jamais  assez  signaler  à  la  reconnaissance  pu- 
blique. Parmi  eux ,  je  citerai  MIVL  Hallette ,  Saulnier  et 
Cave,  qui  ont  travaillé  déjà  pour  la  marine  et  avec  un 
grand  succès. 

Il  est  très-vrai  qu'on  leur  a  commandé  des  machines  à 
vapeur  pour  la  marine.  Il  est  très- vrai  que  ces  machines 
ont  réussi  ;  mais  M.  le  rapporteur  ne  parait  pas  avoir  une 
grande  bienveillance  pour  ces  honorables  et  habiles  fabri- 
cants. Les  phrases  d'éloges  sont  r&jervées  pour  des  con- 
structions exécutées  au  compte  de  la  marine,  pour  des 
constructeurs  anglais  et  pour  l'établissement  d'Indret. 
Je  dis  cependant  qu'il  est  possible  en  France  de  faire  de 
très-bonnes  machines.  Et  qu'on  ne  vienne  pas  argumen- 
ter de  la  différence  du  prix  ;  il  diminue  tous  les  jours,  et 
il  s'affaiblira  de  plus  en  plus  lorsque  vous  occuperez 
davantage  nos  ateliers.  ^  vous  ne  commandez  qu'une 
seule  machine,  le  constructeur  vous  fait  payer  tous  les 
outils  dont  il  a  eu  besoin  pour  la  confectionner.  Si  vous 


I8i  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

en  commandez  deux,  îl  est  évident  que  cette  mise  de 
fonds  pour  les  outils  se  répartira  sur  le  prix  des  deux  ma- 
chines ;  si  vous  en  demandez  trois,  le  prix  des  outils  ne 
sera  plus  que  du  tiers,  comparé  à  ce  qu'il  aurait  été  dans 
le  premier  cas. 

11  est  extrêmement  important  que  vous  vous  adressiez 
à  nos  constructeurs ,  parce  que  dès  que  vous  leur  assu- 
rerez un  travail  annuel,  leurs  prix  deviendront  de  jour 
en  jour  plus  modérés. 

Veuillez  remarquer  ensuite.  Messieurs,  que  le  prix  élevé 
des  machines  françaises  provient  en  partie  de  circon- 
stances qui  dépendent  entièrement  de  vous:c'est  que  vous 
interdisez  l'entrée  de  la  fonte ,  du  fer  et  de  la  houille, 
que  les  constructeurs  obtiennent  en  Angleterre  à  bien 
meilleur  marché. 

11  est  très- vrai  que  les  machines  anglaises  sont  frap- 
pées d'un  fort  droit  à  leur  entrée  en  France;  mais  ce 
droit  n'est  que  pour  les  petites  machines  destinées  aux 
particuliers ,  et  presque  jamais  pour  celles  commandées 
par  le  gouvernement.  A  tort  ou  à  raison ,  le  gouverne- 
ment trouve  toujours  une  amélioration  considérable  dans 
les  machines  qu'il  veut  introduire ,  et  je  dois  vous  dire 
que  les  règlements  des  douanes  portent  que  lorsqu'une 
machine,  par  son  genre  de  construction,  présente  une 
amélioration,  qu'elle  est  destinée  à  servir  de  modèle,  elle 
n'est  pas  soumise  aux  droits. 

Eh  bien,  on  ne  citerait  aucune  grande  machine  qui 
ait  payé  les  droits.  La  machine  du  Sphinx  ^  la  grande 
machine  soufflante  commandée  pour  l'établissement  de 
M.  Decazes,  la  grande  machine  de  la  gare  de  Saint-Ouen, 


A  VAPBUR.  4^5 

et  en  un  mot  toutes  les  grandes  machines  dont  il  me  serait 
facile  de  compléter  Ténumération,  ont  été  exemptes  de 
droit  parce  qu'on  trouve  toujours  moyen  d'y  faire  aperce- 
voir un  perfectionnement. 

Je  disais  que  nous  avons  de  très-habiles  constructeurs. 
Je  voudrais,  d'après  cette  considération,  qu'il  fût  bien 
stipulé,  bien  convenu ,  soit  par  l'assentiment  du  ministère, 
soit  par  un  vote  de  la  Chambre,  que  les  machines  s'exé- 
cuteront en  France. 

Je  dis  que  les  précautions  que  je  réclame  ne  sont  pas 
superflues.  En  effet,  je  vais  citer  une  circonstance  où 
Ton  a  fait  éprouver  une  grande  injustice  à  un  construc- 
teur que  j'oserais  dire  un  homme  de  génie,  à  un  homme 
de  beaucoup  de  talent,  qui  a  apporté  dans  l'emmanche- 
ment des  différentes  parties  dont  une  machine  à  vapeur 
se  compose  des  améliorations  capitales.  Il  a  été  traité  par 
le  ministère  de  la  marine  d'une  manière  qu'il  me  serait 
bien  pénible  de  qualifier,  mais  qui  le  sera  suffisamment 
par  les  faits  eux-mêmes  que  je  vais  exposer. 

Il  s'est  trouvé  un  ingénieur  des  ponts  et  chaussées, 
homme  de  talent ,  de  patriotisme,  de  persévérance,  qui 
a  eu  la  pensée  de  faire  à  la  porte  d'une  très-petite  ville 
de  Bretagne,  à  Landernau,  un  établissement  de  ma- 
chines à  vapeur.  Il  s'est  établi  dans  un  champ;  il  a,  en 
très-peu  de  temps,  construit  une  manufacture,  et  dès  le 
début  il  a  voulu  lutter  avec  les  premiers  constructeurs 
cinglais.  C'est  M.  Frimot.  Il  a  construit  d'abord  une 
machine  pour  la  marine  dans  cet  atelier  établi  sans  le 
secours  d'aucun  ouvrier  anglais,  avec  des  ouvriers  qui 
jamais  n'avaient  entendu  parler  de  machines  à  vapeur,  ni 


4S6  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

VU  les  outils  très- compliqués  qui  servent  à  ce  genre  de 
construction. 

Cette  machine,  que  M.  Frimot  a  constraite  pour  un 
service  d'épuisement,  a  été  reçue  avec  applaudissement; 
fille  fait  à  Brest  un  service  journalier  excellent  Quelque 
temps  après  (c'était  sous  le  ministère  de  M.  Hyde  de 
Jieuville),  M.  Frimot,  encouragé  par  ces  succès,  demanda 
la  permission  de  faire  deux  machines,  chacune  de  80  che- 
vaux, pour  un  bateau  à  vapeur.  Ce  sont  les  plus  grandes 
machines  qu'on  ait  encore  vues. 

II  demanda  à  entrer  en  lice  avec  les  plus  célèbres  con- 
structeurs anglais.  A  cette  époque,  le  ministère  de  la 
marine  avait  fait  acheter  en  Angleterre,  d'un  habile 
•constructeur  de  Liverpool,  M.  Sawcett,  une  machine 
qui,  encore  aujourd'hui,  fonctionne  sur  le  Sphinx ^  bàtà- 
ment  qui  jusqu'ici  a  été  à  la  tète  de  notre  marine  à 
vapeur,  et  qui  sous  tous  les  rapports  peut  soutenir  la 
comparaison  avec  les  meilleurs  navires  anglais. 

Ce  fut  alors  que  M«  Frimot  contracta  un  n^arché  avec 
la  marine.  Remarquez ,  Messieurs,  que  je  dis  un  marché, 
j'aurai  plus  tard  à  revenir  sur  ce  mot. 

Si  la  marine  s'était  associée  aux  expériences  de  M.  Fri- 
mot, si  elle  avait  consenti  à  entrer  pour  une  part  quel- 
conque dans  ses  essais,  je  ne  prendrais  pas  ici  sa  défense  ; 
car  je  ne  crois  pas  que  le  gouvernement  doive  s'immiscer 
dans  des  expériences  ;  il  doit  encourager,  favoriser,  ré- 
compenser largement ,  noblement,  ceux  qui  ont  fait  des 
découvertes;  mais  il  ne  doit  pas  s'associer  à  des  essais 
•dont  le  succès  paraît  même  certain.  Enfin ,  M.  Frimot 
passe  un  marché  avec  le  ministère  de  la  marine ,  il  tra- 


A  VAPEUR.  4S7 

vaille  avec  des  ouvriers  tous  français,  pris  dans  la  partie 
la  plus  reculée  de  la  Bretagne,  et  construit  une  machine, 
^oubliais  de  vous  dire  la  condition  du  marché.  La  voici  : 

M.  Frimot  devait  recevoir  une  certaine  somme  s'il  fai- 
sait une  machine  qui  marchât  aussi  bien  que  celle  du 
SphifiXf  qui  eût  le  même  poids  et  consommât  la  même 
quantité  de  charbon  qu'en  consomme  le  Sphinx. 

M.  Frimot,  qui  prévoyait  qu'avec  les  améliorations  qu'il 
avait  conçues  il  parviendrait  à  obtenir  plus  encore  qu'on 
ne  lui  demandait,  stipula  que,  dans  le  cas  où  il  réduirait 
le  poids  de  sa  machine,  et  qu'il  obtiendrait  une  vitesse 
égale  avec  une  moindre  quantité  de  combustible,  il  lui 
serait  alloué  une  prime.  Cette  condition  était  juste,  con- 
venable, et  M.  le  ministre  de  la  marine  qui  y  souscrivit  fit 
alors  un  acte  honorable, 

H.  Frimot,  après  avoir  construit  sa  machine  et  l'avoir 
installée  à  bord  de  V Ardent  j  demande  qu'il  en  soit  fait 
une  expérience  comparative  avec  le  Sphinx^  comme  il 
était  convenu. 

On  lui  oppose  une  fin  de  non-recevoir,  on  lui  dit  :  «  Des 
expériences  ont  été  faites  sur  le  Sphinx  dans  la  Charente. 
Nous  devons  les  prendre  pour  terme  de  comparaison  des 
épreuves  qui  seront  faites  à  Brest  sur  V  Ardent.  » 

M.  Frimot  représente  qu'il  peut  ne  pas  croire  à  la 
vérité  des  expériences  de  Rochefort,  et  persiste  à  récla- 
mer une  comparaison  directe  et  simultanée  en  pleine 
mer  des  deux  bâtiments  V Ardent  et  le  Sphinx. 

Je  ne  vous  mettrai  pas  sous  les  yeux.  Messieurs,  la 
correspondance  qui  s'est  établie  entre  M.  le  ministre  de  la 
marine  et  M,  Frimot.  Cette  correspondance  vous  affli- 


488  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

gérait.  M.  le  ministre  de  la  marine,  dont  les  sentiments 
patriotiques  ne  peuvent  être  mis  en  doute ,  a  signé  pro- 
bablement sans  les  lire  des  dépêches  dans  lesquelles  se 
trouvent  des  expressions  que  l'on  ne  saurait  justifier  lors 
même  qu'elle  seraient  adressées  à  un  valet,  et  c'est  un 
homme  de  talent,  un  homme  de  génie  que  M.  le  ministre 
de  la  marine  n'a  pas  craint  de  traiter  avec  cette  rigueur, 
avec  ce  mépris. 

Voici  la  suite  de  ce  qui  s'est  passé  :  M.  Frimot  vient  à 
Paris;  il  s'adresse  au  conseil  d'amirauté,  et  ce  conseil 
décide  qu'il  sera  fait  une  épreuve  comparative  entre  les 
deux  bâtiments,  V Ardent  et  le  Sphinx^  dans  des  circon- 
stances tout  à  fait  semblables,  attendu  qu'on  ne  pouvait 
pas  apprécier  la  marche  des  deux  navires  placés  dans  des 
circonstances  entièrement  différentes. 

Ainsi  le  conseil  d'amirauté  annula  les  épreuves  anté- 
rieures et  les  rapports  de  la  commission  qui  les  avait 
dirigées. 

Voici  les  points  qu'il  y  avait  à  constater  :  1*  la  ques- 
tion de  poids,  2**  la  question  de  vitesse. 

La  machine  de  M.  Frimot  pèse-t-elle  moins  que  celle 
du  Sphinccl — Elle  pèse  la  moitié  moins  ;  elle  gagne  cent 
tonneaux  sur  le  poids  de  celle-ci. 

Or^  Messieurs,  c'était  une  amélioration  immense,  et 
devant  laquelle  on  aurait  dû  presque  se  prosterner.  Qu'a- 
t-on  fait,  pourtant?  On  n'a  pas  daigné  y  attacher  la 
moindre  importance. 

Reste  la  question  de  la  vitesse.  On  fit  l'expérience  à 
Brest.  Toute  la  population  s'y  intéressa,  et  cet  émoi 
d'une  population  maritime  est  naturel.  L'Ardent  et   le 


A  VAPEUR.  489 

Splmix  sont  en  présence,  lis  partent;  V Ardent  dépasse 
largement  le  Sphinx.  Tout  le  inonde  en  est  émerveillé  ; 
on  a  été  si  souvent  inférieur  lorsqu'on  a  été  en  conilit 
avec  les  Anglais,  que  Ton  est  bien  aise  de  remporter  sur 
eux  cette  victoire  scientifique. 

Eh  bien ,  ce  résultat  si  national  semble  avoir  contrarié 
la  marine.  En  effet,  un  article  du  Monileur  du  6  novem- 
bre 1833  dit,  et  c'est  honteux,  que  c'était  une  affaire  de 
parti  ;  qu'il  n'était  pas  probable  que  l'Ardent  allât  aussi 
vite  que  le  Sphinx;  en  d'autres  termes,  qu'il  n'était  pas 
probable,  malgré  le  résultat  de  l'expérience  constaté  par 
tous  les  officiers  de  la  marine  de  Brest  et  la  population 
tout  entière  de  cette  ville,  qu'un  bâtiment  construit  en 
France  sous  les  inspirations  d'un  ingénieur  français  mar- 
chât aussi  bien  que  le  Sphinx,  c'est-à-dire  qu'un  bâti- 
ment anglais. 

Messieurs,  ces  expressions-là  ont  montré  jusqu'à  quel 
point  l'administration  était  malveillante  pour  M.  Frimot. 
Cette  malveillance  n'a  fait  que  se  développer  dans  la 
suite  ;  en  effet,  M.  Frimot  ayant  demandé  qu'on  lui  déli- 
vrât un  certificat  constatant  que  dans  la  première  épreuve 
son  bâtiment  avait  marché  mieux  que  le  Splwix,  on  le  lui 
refusa  ;  et  cependant  le  ministre  de  la  marine  regardait 
cette  expérience  comme  décisive,  du  moins  quant  à  lu 
vitesse  ;  car  dans  une  dépêche  qu'il  adressait  à  M.  Frimot, 
il  convenait  que  cette  vitesse  ne  différait  pas  beaucoup 
de  celle  du  Sphinx;  elle  avait  été  en  fait  plus  grande. 

M.  Frimot  demande  ensuite  que  l'on  fasse  une  expé-^ 
riencc  pour  la  vitesse  et  la  consommation  du  charbon, 
mais  en  présence  d'une  commission  supérieure.  Là-dessus 


490  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

survinrent  des  difficultés  et  une  correspondance  très- 
fàcheuse. 

La  première  fois,  comme  je  Tai  dit,  le  bâtiment  fran- 
çais r Ardent  avait  dépassé  le  SphificOy  c'est-à-dire  le 
meilleur  bâtiment  de  notre  marine.  La  seconde  fois,  V Ar- 
dent perdit  quelque  chose  de  sa  vitesse. 

Je  dois  rappeler  que  M.  Frimot  s'était  engagé  à  obte- 
nir la  même  vitesse  que  le  Sphinx. 

Eh  bien,  cette  dernière  expérience  est  la  seule  dont  on 
ait  voulu  tenir  compte. 

Mais  je  vais  dire  quelques  mots  pour  expliquer  com- 
ment r  Ardent  a  perdu  la  seconde  fois  un  peu  de  sa  vitesse. 
Le  jour  où  l'Ardent  n'a  pas  suivi  le  Sphinx  y  on  s'est 
écarté  d'une  condition  capitale  que  je  dois  signaler  à  la 
chambre. 

Vous  savez,  Messieurs,  que  lorsqu'on  alimente  les  chau- 
dières avec  l'eau  de  mer,  on  est  obligé  de  se  débarrasser 
de  l'eau  avant  qu'elle  soit  trop  chaînée  de  sel ,  de  peinr 
que  la  précipitation  des  substances  salines  ne  détermine 
des  dépôts,  l'une  des  principales  causes  d'explosion.  Il 
avait  donc  été  convenu  que  l'eau  serait  renouvelée.  Quand 
on  effectue  cette  opération,  la  vapeur  étant  plus  difficile 
à  former,  la  force  des  machines  est  diminuée,  et  la  vitesse 
du  travail  singulièrement  réduite. 

Eh  bien,  il  était  convenu  que,  sur  le  Sphinx  y  on  re- 
nouvellerait l'eau  comme  suf  F  Ardent.  Or,  M.  Frimot,  qui 
a  scrupuleusement  exécuté  la  condition  de  son  côté,  sait 
par  son  agent  à  bord  du  Sphinx,  qui  à  cet  égard  a  pré- 
senté son  procès-verbal  écrit,  que  l'eau  n'a  pas  été  renou- 
velée dans  les  chaudières  de  ce  bâtiment  ;  ce  qui  confirme 


A  VAPEUR.  494 

le  mieux  la  vérité  de  cette  protestation ,  c'est  que  M.  Fri- 
raot  a  demandé  à  diverses  reprises  communication  du 
procès-verbal  oflBcîel,  et  qu*on  la  lui  a  refusée.  M.  Frimot, 
en  discussion  avec  l'administration  de  la  marine,  qui  par 
humeur  pouvait  ne  pas  accueillir  ses  justes  réclamations, 
a  pensé  qu'une  demande  appuyée  par  des  députés  appar- 
tenant à  toutes  les  nuances  d'opinion  de  cette  Chambre, 
aurait  plus  de  succès. 

M.  Frimot  a  demandé,  sans  obtenir  de  réponse,  com- 
munication du  procès-verbal  officiel ,  de  l'expérience  faite 
à  bord  du  Sphinx  le  jour  où  le  Sphinx  a  eu  un  petit  avan- 
tage de  vitesse  sur  F  Ardent.  Eh  bien,  on  place  M.  Frimot 
dans  l'impossibilité  de  demander  justice  même  au  conseil 
d'État  ;  c'est  là  quelque  chose  de  monstrueux  ;  la  légis- 
lation n'a  pas  prévu  qu'un  ministre  ne  répondrait  pas  ; 
M.  Frimot  ne  peut<îonc  pas  s'adresser  au  conseil  d'État 
pour  se  plaindre  d'un  déni  de  justice. 

Enfin  le  procès-verbal  n'a  pas  été  communiqué  ;  toutes 
les  sollicitations  des  députés  siégeant  dans  diverses  par- 
ties de  la  Chambre  ont  été  sans  résultat.  Vous  voyez  qu'il 
y  a  eu,  de  la  part  de  l'administration,  je  le  dis  avec 
regret,  mais  enfin  il  y  a  eu,  de  la  part  de  l'administra- 
tion, envers  un  homme  de  mérite  qui  a  créé,  dans  une 
localité  presque  sauvage,  une  fabrique  superbe  de  ma- 
chines à  vapeur,  une  partialité  qui  a  rendu  indispensable 
la  discussion  qui  a  lieu  aujourd'hui,  et  l'insistance  que  je 
mets  à  obtenir  du  ministre  ou  d'un  vote  de  la  chambre 
l'assurance  que  la  somme  d'un  million  servira  à  alimenter 
la  fabrique  française. 

J'ai  cité  beaucoup  de  faits  pour  montrer  que  l'admi- 


499  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

nistration  n'avait  aucune  bienveillance  pour  M.  Frimot. 
*  Je  vais  en  citer  un  plus  monstrueux  encore.  Vous  savez 
qu'à  la  Révolution  de  juillet,  toutes  les  branches  de  l'in- 
dustrie et  du  commerce  en  général  eurent  beaucoup  à 
souffrir.  M.  Frimot  avait  fait  faire  un  bateau  à  remorquer; 
ce  bateau  était  à  Brest,  il  n'y  avait  aucune  possibilité  de 
l'employer  à  une  nouvelle  entreprise  de  remorquage  sur 
la  Seine.  M.  Frimot  l'offre  à  la  marine  ;  l'amiral  Roussin, 
qui  sent  combien  il  est  utile  au  port  de  Brest  d'avoir  un 
remorqueur^  fait  l'acquisition  de  ce  bateau  au  prix  d(î 
160,000  francs.  Ce  bateau  est-il  utile?  il  n'a  pas  servi 
beaucoup  ;  mais  il  suffit  d'une  circonstance  pour  montrer 
qu'il  pouvait  rendre  des  services  importants.  Effective- 
ment, il  y  avait,  hors  de  la  rade  une  frégate,  qui  faisait 
de  vains  efforts  pour  y  pénétrer  ;  le  remorqueur  alla  à  sa 
rencontre  et  la  fit  rentrer  dans  le  port  avec  une  vitesse 
de  quatre  milles  à  l'heure. 

L'appareil  de  ce  bateau  paraissait  si  bon,  si  bien  con- 
struit, que  l'amiral  Roussin,  quand  il  partit  de  Brest  pour 
aller  dans  le  Tagc,  eut  la  hardiesse  de  sortir  de  la  rade 
avec  des  vents  contraires,  se  confiant  à  la  puissance  de  ce 
bateau  remorqueur.  Il  sortit,  mais  à  sept  ou  huit  lieues 
de  la  rade  de  Brest,  le  vaisseau  le  Suffren  aborda  le  re- 
morqueur, et  fit  quelques  avaries  dans  le  bâtiment  et  dans 
la  machine  ;  ces  avaries  furent  évaluées  à  10,000  francs 
par  messieurs  les  ingénieurs  de  la  marine  de  Brest. 
M.  Frimot  offrit  de  réparer  son  appareil  ;  on  ne  le  voulut 
pas.  Ne  vous  imaginez  pas  qu'on  Tait  installé  à  bord  d'un 
autre  bâtiment,  ou  qu'on  l'ait  soigneusement  conservé  dans 
un  magasin  ;  non,  on  l'a  laissé  en  plein  air,  de  sorte  que 


\ 


A  VAPEUR.  49a 

toutes  les  parties  de  la  machine,  qui  étaient  polies  comme 
un  miroir,  comme  si  elles  sortaient  des  mains  d'un  opti- 
cien, sont  tellement  détériorées,  corrodées,  qu'on  ne 
pourrait  plus  vendre  la  machine  que  comme  de  la  fer- 
raille. 

Je  le  répète,  Messieurs ,  vous  voyez  d'après  toutes  ces 
circonstances,  je  n'en  accuse  pas  M.  le  ministre,  mais 
vous  voyez  qu'il  y  a  dans  l'administration  de  la  marine 
une  partialité  en  faveur  des  constructeurs  anglais  que 
nous  devons  combattre. 

11  y  a  capacité,  capacité  très-grande  chez  nos  construc- 
teurs ;  il  y  a  dans  les  ateliers  même  de  M.  Frimot  des 
moyens  excellents  de  satisfaire  à  tous  les  besoins  de  la 
marine  ;  et  cependant  vous  voyez  comment  les  construc- 
teurs français,  si  dignes  d'encouragement,  sont  traités 
dans  les  bureaux  du  ministère  de  la  marine. 

Messieurs,  en  parlant  des  résultats  obtenus  par  M.  Fri- 
mot, j'ai  signalé  la  diminution  de  poids  de  la  machine  de 
plus  de  la  moitié  ;  une  diminution  notable  sur  la  dépense 
en  combustible  ;  il  n'y  aurait  de  douteux  que  quelques  cir- 
constances relatives  à  la  vitesse  comparée  des  deux  bâti- 
ments, si  on  s'en  rapporte  aux  résultats  de  la  dernière 
expérience. 

Je  dois  ajouter  qu'il  y  a,  dans  les  bateaux  dç  M.  Frimot, 
des  inventions  très-remarquables.  La  Chambre  les  consi- 
dérera comme  telles  quand  elle  saura  que  l'Académie 
des  sciences,  appelée  dernièrement  à  les  examiner  et  à 
donner  son  avis,  s'est  écartée  de  ses  règles  ordinaires,  de 
ses  habitudes,  pour  adresser  la  description  des  appareils 
de  M.  Frimot  à  M.  le  ministre  du  commerce,  afin  qu'il  les 
v.—ii.  13 


494  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

fit  connaître  à  tous  les  constructeurs  qui  peuvent  avoir 
intérêt  à  les  copier  ;  car  M.  Frimot  a  eu  la  générosité  de 
ne  s'en  pas  réserver  le  privilège  au  moyen  d'un  brevet 
^invention. 

Je  demande  donc  que  le  million  soit  accordé,  mais 
qu'il  soit  statué ,  soit  par  le  consentement  du  ministre , 
soit  par  une  disposition  que  je  proposerai,  que  les  ma- 
chines seront  construites  dans  nos  ateliers  qui  sont  par- 
faitement en  mesure  de  les  exécuter;  je  demanderai  ausa 
que  M.  le  ministre  veuille  bien  répondre  à  M.  Frimot. 
(THarques  ntmibreuses  d'assentiment.) 

• 

II 

[Dans  la  séance  du  8  mai,  le  débat  a  continué  sur  Tamendement 
développé  dans  le  discours  qu^on  vient  de  lire  ;  M.  Arago  a  de  nou- 
veau pris  la  parole,  et  il  s'est  attaché  à  démoatror  que  les  machioes 
à-  vapeur  à  haute  pression  ne  présentaient  pas  les  dangers  qu'on 
leur  attribuait  La  discussion  suivante  est  extraite  du  Moniteur  du 
9  mai  1834.  ] 

M.  ÂRAOO.  Je  demande  à  la  Chambre  la  permission  de 
lui  faire  remarquer...  (Marques  d'impatience  au  centre.) 

Je  demande  à  la  Chambre  la  permission  de  lui  faire 
remarquer  que  des  erreurs  graves  ont  été  commises  à 
cette  tribune  ;  je  pourrais  même  dire  des  erreurs  hon- 
teuses sur  1^  fal^rication  et  les  propriétés  des  machines  à 
viB4)eur. . . 

M.  LE  Ministre  DE  \.k  uarihe.  Il  n^  arien  eu  de  honteux! 
A  Gauche  :  Non ,  si  l'ignorance  est  un  honneur  I 

M.  Ab AGO.  Je  le  répète,  des  erreurs  honteuses. .  • 

M.  le  Ministre  de  là  marine.  U  n^a  rien  été  dit  de  hont^x. 

M.  Arago,  Des  erreurs  inqualifiables  sur  la  fabrication 


A  VAPEUR.  «95 

des  machines  à  vapeur  ont  été  commises  à  cette  tribune 
par  les  personnes  qui  sont  à  la  tête  de  l'administration  de 
la  marine.  Il  a  aussi  été  commis  des  erreurs  de  fait  que 
je  dois  relever.  Veuillez,  au  surplus,  remarquer  de  quelle 
manière  une  question  incidentelle  a  été  introduite  dans  la 
question  générale.  (Violents  murmures  au  centre.  ) 

J'ai  proposé  un  amendement  :  dans  cet  amendement 
se  trouvait  comprise  nécessairement,  implicitement,  cette 
idée  que  Tadministration  de  la  marine  ne  favorisait  pas , 
ne  voyait  pas  avec  bienveillance  les  travaux  de  nos  con- 
structeurs; c'est  pour  cela  que  je  suis  arrivé  à  expliquer 
quelle  a  été  la  conduite  que  l'administration  de  la  marine 
a  cru  devoir  tenir  à  l'égard  de  M.  Frimot.  Je  n'ai  pas 
proposé  de  délibérer  sur  l'affaire  de  cet  ingénieur.  Je  n'ai 
pas  demandé  que  la  Chambre  fût  appelée  à  prononcer 
dans  l'affaire  judiciaire  qui  existe  en  ce  moment  entre 
M.  Frimot  et  l'administration  de  la  marine.  Je  me  suis 
contenté  de  dire  et  d'affirmer  que  ce  fabricant ,  que  cet 
homme  du  plus  haut  mérite  avait  obtenu  des  résultats 
excellents  et  parfaitement  constatés  ;  que  cependant ,  au 
lieu  de  le  traiter  avec  bienveillance,  le  ministère  s'était 
conduit  à  son  égard  avec  une  rigueur,  avec  une  malveil- 
lance déplorables. 

Ainsi  je  n'ai  pas  cherché  à  introduire  dans  la  Chambre 
une  question  qui  ne  la  concerne  pas.  J'ai  cité  des  faits  à 
l'appui  de  mon  amendement.  Je  dis  maintenant  qu'en 
combattant  ma  proposition ,  M.  le  commissaire  du  roi  a 
commis  des  erreurs  matérielles,  des  erreurs  de  fait  qu'il 
est  de  mon  devoir  de  signaler.  (Marques  d'impatience 
dans  une  partie  de  l'assemblée.  ) 


496  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Autres  voix.  Parlez  I 

Plusieurs  membres.  Nous  ne  sommes  pas  juges  compétents! 

M.  Arago.  Vous  n'êtes  pas  juges  connpétents  sur  des 
questions  de  machines  à  vapeur,  à  la  bonne  heure;  mais 
vous  êtes  juges  compétents  sur  des  questions  de  finances  ; 
or,  ma  proposition  concerne  une  dépense  d'un  million. 

Les  mêmes  voix.  Vous  élevez  une  question  de  science  et  de 
théorie. 

M.  Arago.  On  vous  demande  un  million  pour  la  con- 
fection des  machines  à  vapeur.  Je  propose  de  déclarer 
que  ce  million  sera  dépensé  en  France.  Je  dis  et  je  sou- 
tiens que  nos  usines  sont  parfaitement  en  mesure  de 
satisfaire  aux  besoins  de  la  marine.  J'ai  cité  des  faits  ; 
j'ai  cité  des  artistes  qui  travaillent  à  merveille.  L'admi- 
nistration cependant  parait  être  dans  l'intention  de  faire 
construire  ces  appareils  en  totalité  ou  en  partie  à  l'étran- 
ger. Telle  est  la  prétention  que  j'ai  combattue.  Comment 
y  a-t-on  répondu?  On  ne  m'a  pas  opposé  un  seul  fait. 
A-t-on  seulement  fait  mention  de  perfectionnements  incon- 
testables sur  le  mérite  desquels  l'Institut  a  prononcé? 

Plusieurs  voix.  L^Instîtut  prononce  sur  les  théories  ;  nous  ne 
sommes  pas  ici  à  Tlnstitut. 

M.  Arago.  Lorsque  je  cite  des  perfectionnements  re- 
marquables qui  distinguent  les  machines  de  M.  Frimot , 
que  répond-on?  M.  le  commissaire  du  roi  se  contente  de 
jeter  vaguement  de  la  défaveur  sur  le  système  de  cet 
habile  ingénieur. 

Ce  système,  s'écrie-t-il ,  est  fondé  sur  l'emploi  de  la 
haute  pression  ;  or,  en  Angleterre  comme  en  Amérique,  il 
n'existe  pas  sur  les  bateaux  de  machines  à  haute  pression. 


\ 


A  VAPEUR.  <97 

L'assertion  est  tranchante  ;  eh  bien ,  l'honorable  M.  Tu- 
pinier  est  tonibé  dans  une  erreur  de  fait,  dans  une  erreur 
complète  en  ce  qui  concerne  rAmérique. 

En  effet,  j'ouvre  au  hasard,  un  ouvrage  sur  les  ma- 
chines à  vapeur.  J'entends  qu'on  demande  par  qui  cet 
ouvrage  a  été  publié.  Je  réponds  qu'il  a  été  publié  par 
la  marine  elle-même ^  que  c'est  l'ouvrage  de  M.  Mare&- 
tier  ;  je  l'ouvre  donc  au  hasard ,  et  je  trouve  : 

€  VEtna,  bateau  à  vapeur  des  États-Unis  sur  la  Dela- 
ware,  marche  sous  la  pression  de  10  atmosphères  ; 

«  La  Pensylvanie  est  un  bateau  à  haute  pression,  etc.  i 

Vous  voyez  donc,. Messieurs,  que  l'assertion  de  M.  le 
commissaire  du  roi  n'était  pas  exacte. 

M.  TupniiER,  commissaire  du  roU  Je  n*ai  pas  dit  qu'il  n*y  en  eût 
pas...  Voyez  le  Moniteur  l... 

M.  Arago.  Vous  l'avez  dit.  Monsieur. 

Vous  avez  jeté  de  la  défaveur  au  sujet  des  machines 
de  M.  Frimot,  dans  l'esprit  d'un  très -grand  nombre  de 
membres  de  la  Chambre  de  qui  je  le  liens,  en  aiflirmant 
positivement  que  ni  en  Angleterre  ni  aux  États-Unis  on 
n'employait  de  la  vapeur  à  une  haute  pression.  Eh  bien , 
vous  savez  maintenant  ce  qu'il  en  est,  et  mes  citations, 
je  les  ai  puisées ,  non  pas  dans  des  ouvrages  sans  auto- 
rité, mais  dans  te  traité  d'un  de  vos  anciens  collègues, 
dans  un  ouvrage  dont  la  marine  elle-même  a  fait  faire  la 
publication  à  ses  frais. 

Je  dirai  d'ailleurs  que  cette  défaveur  que  vous  avez 
voulu  répandre  sur  l'emploi  des  machines  à  haute  pres- 
sion n'est  pas  fondée,  et  qu'il  serait  très-fàcheux  de  voir 
la  marine  persister  dans  de  déplorables  préventions. 


198  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Voulez-vous  savoir  corainent  il  est  arrivé  qu'en  Angle- 
terre les  machines  à  haute  pression  ne  sont  pas  employées 
sur  les  bateaux  à  vapeur  ? 

Ces  bateaux  sont  construits  par  la  marine  marchande, 
et  leur  destination  exclusive  est  de  faire  Toffice  de  paque- 
bots. Or,  les  passagers  craignant  Texplosion  des  machines 
à  haute  pression ,  les  constructeurs  ont  dû  les  proscrire. 

Quelques  voix*  Us  ont  raison. 

M.  Arâgo.  Vous  dites  qu^ils  ont  raison  ;  moi ,  je  dis 
qu'ils  ont  tort ,  Messieurs. 

Je  crois  avoir  le  droit  d'émettre  une  opinion  sur  une 
question  de  cette  nature.  (  Bruit  aux  centres.  ) 

Gomment,  Messieurs,  il  s'agit  de  savoir  si  l'on  accor- 
dera un  million  k  la  marine  pour  la  construction  de 
bateaux  à  vapeur;  la  marine  manifeste  l'intention  de 
repousser  de  toutes  ses  forces  l'emploi  des  machines  à 
haute  pression ,  et  je  n'aurai  pas  droit  de  dire  à  cette 
tribune  que  la  détermination  de  l'autorité  est  le  résultat 
d'une  erreur,  d'un  défaut  de  lumières? 

Voix  nombreuses  aux  extrémités.  Si  !  si  I 
Voix  au  centre.  Nous  iie  sommes  pas  Ici  à  TÂcadémiedes  sciences. 
M.  LE  COLONEL  Lamt.  NOUS  ûe  sommes  pas  ici  comme  dans  un 
collège  royal,  pour  suivre  un  cours  de  machines  à  vapeur. 

r  M.  Arago.  Je  crois  avoir  le  droit  de  soumettre  une 
opinion...  {Voiœau  centre.  G^est  une  question  étrangère 
au  budget.  )  Nous  traitons  la  question  de  savoir  si  Ton 
accordera  un  million  à  la  marine  pour  construire  des 
machines  à  vapeur.  La  marine  parait  dans  l'intention  de 
repousser  les  machines  à  haute  pression  ;  n'ai-je  pas  le 
droit  de  dire  &  cette  bribune  que  c'est  un  préjugé? 


A  VAPEUR.  499 

(IL  Arago  descend  de  la  tribune.  ) 

Nombre  de  voix  aux  extrémités.  Parlez!  parlez. 

M.  Petou.  Ce  serait  une  honte  que  d'empêcher  l'orateur  de  parler. 

M.  Arago,  remontant  à  la  tribitne.  Je  suis  dans  la 
question ,  et  eompféteroent  dans  la  questimi. 

A  DROITE  ET  A  GAUCHE.  Oull  OUil  COUtinuezI 

Bi.  GàMsvorPAAÈBk  Si  l'oii  Br'écoute  pas  DOS  orateurs,  nous  n'écou- 
terons plus  personne.  (Exclamations  ironiques  au  centre.) 
Quelques  membres*  Attendez  le  silence. 

M.  Arago.  La  question  est  devenue  une  question  géné- 
rale, et  je  ne  sais  vraiment  pas  pourquoi  l'on  s'irrite 
lorsque  je  parle  des  avantages  que  présentent  les  ma- 
chines à  haute  pt easion  sur  les  machines  à  pression  ordi- 
naire. 

Mr  Pbcatokt.  ce  n*est  pas  à  la  Chambre  à  juger  celât 

M.  Arago.  Quand  \Gm  donnez,  M.  Piscatory,  on 
conseil  sur  la  colonisation  d'Alger,  vous  avez  des  opinions 
arrêtées  sur  la  colonisation  et  vous  cherchez  à  les  in- 
culquer dans  fesprit  des  ministres  et  de  la  Chambre  ; 
eh  bien,  moi,  j'ai  une  epinion  arrêtée  sur  l'emploi  des 
machines  à  haute  pression.  Il  y  a  dans  le  budget  un 
article  relatif  aux  machines  à  vapeur,  et  puisque  l' admi- 
nistration témoigne  l'intention  de  ne  point  faire  usage  des 
machines  à  haute  pression ,  je  ne  sais  pas  pourquoi  il  ne 
me  serait  pas  permis  de  parler  de  l'emploi  de  ces  machines. 

Bf.  Piscaxort.  Je  demande  la  permission... 

Voix  KOMBRECSEs  AUX  EXTRÉMITÉS.  Vous  u'avcz  pas  la  parole  I 
Laissez  parler  M.  Arago  I 

M.  PiscATORT.  JQ  ne  dois  pas  laisser  sans  réponse  ce  que  Tient 
de  dire  l'honorable  orateur.  (Non,  non  !...  Agitation.) 

H.  Arago.  U  est  loin  de  ma  pensée ,  de  mon  désir  et 
de  mon  intention,,  de  soulever  dans  la  Chambre  de  l'agi- 


200  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

tdtion  et  da  désordre  ;  par  conséquent ,  je  renonce  à  la 
parole. 

Aux  EXTRÉMITÉS.  Parlez I  parlez! 

M.  Arago.  Mais  si  Ton  ne  veut  pas  m'entendre...  (Si, 
si!  Parlez!) 

M.  Gharlehagne.  Nous  voudrions  éviter  de  tomber  dans  les  abus... 
(Bruit  ) 

M.  LE  Président.  Vous  n^avez  pas  la  parole. 
.  Cette  discussion.  Messieurs,  devient  très-pénible.  L*orateur  est 
dans  son  droit,  en  discutant  la  matière  qu*il  discute  en  ce  moment 
(Assentiment  aux  extrémités)  et  quMl  connaît  si  bien.  J^lnvite  donc 
la  Chambre  à  lui  accorder  son  attention.  (Très-bien  1  très-bien!) 

M.  ÂRAGOt  Je  regrette  que  vos  fréquentes  interruptions 
me  forcent  de  me  répéter.  Je  disais ,  Messieurs ,  que  le 
commissaire  du  gouvernement,  et  ce  commissaire  occupe 
dans  le  ministère  de  la  marine  un  poste  élevé,  s'était 
trompé  en  affirmant  qu'il  n'existe  nulle  part  de  bateaux 
à  vapeur  à  haute  pression.  J'ai  expliqué  comment  il  se 
faisait  que  les  machines  de  cette  espèce  ne  sont  pas  em- 
ployées sur  les  bateaux  anglais.  J'en  ai  trouvé  la  raison 
dans  les  craintes  des  passagers. 

'  Une  voix.  Ils  ont  raison. 

M.  Arago.  Ils  ont  raison,  dites -vous,  eh  bien,  je 
prouverai  en  deux  mots  que  cette  crainte  est  sans  fonde- 
ment. Mes  arguments  seront  de  deux  espèces,  assez  clairs, 
je  crois,  pour  détromper  en  même  temps  et  M.  le  com- 
missaire du  roi  et  les  personnes  qui  pensent  comme  lui. 

M.  Oliver  Evans,  le  plus  célèbre  constructeur  de 
machines  à  vapeur  de  l'Amérique  du  nord,  fit  en  1818  un 
relevé  statistique  de  toutes  les  explosions  qui  avaient  eu 
lieu  aux  États-Unis.  Il  résulta  de  ses  recherches  que  pas 


A  VAPEUR.  201 

un  seul  bâtiment ,  avec  des  machines  à  liante  pression , 
n'avait  fait  explosion.  Il  n'était  arrivé  d'accident  qu'à 
des  machines  à  pression  ordinaire. 

Voilà  un  fait  constant ,  voilà  un  fait  incontestable.  Gela, 
Messieurs,  a  l'air  d'un  paradoxe;  mais  il  n'y  a  paradoxe 
en  cette  matière ,  et  en  générai  dans  les  questions  scien- 
tifiques, que  quand  on  n'a  pas  bien  étudié  les  causes  des 
phénomènes. 

Les  ingénieurs  et  l'administration  se  sont  prescrit  la 
règle  d'essayer  la  chaudière  d'une  machine  quelconque  à 
une  pression  triple,  par  exemple,  de  celle  où  elle  est  des- 
tinée à  travailler.  Ainsi,  pour  une  machine  à  10  atmo- 
sphères, on  ferait  l'essai  à  30  atmosphères;  pour  une 
machine  à  une  atmosphère,  l'essai  serait  fait  à  3  atmo- 
sphères seulement. 

Or,  veuillez  bien  le  remarquer,  Messieurs,  dans  les 
machines  à  pression  ordinaire,  plusieurs  circonstances 
peuvent  porter  subitement  la  pression  à  une  pression  trois 
fois  plus  forte  et  même  davantage.  A  ce  moment,  la 
machine  ordinaire  devient  machine  à  haute  pression;  la 
chaudière  est  insuffisante,  et  rcxplosion  arrive.  Quant  à 
la  machine  à  pression  très-élevée,  quant  à  la  chaudière 
essayée  à  30  atmosphères,  il  faudrait  des  conditions  qui 
sont  exceptionnelles,  et  qu'on  réunirait  difficilement,  même 
en  les  cherchant  tout  exprès  pour  amener  l'explosion. 

Une  expérience  dans  laquelle  j'ai  été  moi-même  acteur 
rendra  la  vérité  de  mon  assertion  évidente. 

L'administration  ayant  eu  besoin,  pour  régler  le  ser- 
vice des  machines  ordinaires  et  des  machines  des  ba- 
teaux, de  connaître  l'élasticité  de  la  vapeur  correspon- 


202  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

dante  à  chaque  degré  du  thermomètre,  s'adressa  à  TAca- 
démie  des  sciences.  Deux  membres  furent  chargés  de 
faire  le  travail  nécessaire  pour  répondre  aux  désirs  du 
gauvemement.  Le  savant  M.  Dulong  était  Tun  d'eux; 
j'étais  le  second.  Les  expériences  étaient  dangereuses; 
mais  comme  les  artistes  en  désiraient  les  résultats,  comme 
elles  devaient  être  utiles,  nous  nous  dévouâmes.  Eh  bien , 
je  le  déclare  ;  quoique  nous  eussions  pris  toutes  les  pré- 
cautions nécessaires  pour  éviter  les  courants  refrmdis- 
aanta,  quoique  nous  nous  plaçassions  constamment  dans 
ime  cabane  bien  fermée,  nous  ne  pûmes  jamais  amener 
l'élasticité  de  la  vapeur  de  la  chaudière  à  plus  de  vingt- 
^atre  atmosphères.  Ainsi  il  n'eût  pas  dépendu  de  nous 
d'amener  même  volontairement  l'explosion  de  cet  appa- 
reil, si,  comme  la  chaudière  d'une  machine  de  dix  atmo- 
iphères^  on  l'avait  essayée  à  trente.. 

Le  résumé  statistique  d'Oliver  Evans  avait  prouvé 
que  les  machines  à  pression  ordinaire  font  plus  souvent 
explosion  que  les  machines  à  haute  pression.  Ce  fait, 
constaté  par  l'expérience,  n'a  plus  rien  de  paradoxal. 
Il  trouve  une  explication  toute  simple  dans  ce  que  je  viens 
de  dire. 

An  surplus,  la  grande-  répugnance  du  public  pour  les 
machines  à  haute  pression  a  disparu.  Les  machines  loco- 
motrices qui  transportent  lés  voyageurs  sur  les  chemins 
éb  fer  sont,  en  effet,  des  machines  à  haute  pression. 
Qui  cependant  éprouve  aujourd'hui  la  moindre  répu- 
gnance à  se  placer  à  la  suite  d'une  de  ces  machines? 
La  marine  n'aurait  donc  aucun  motif  de  se  préoccuper 
de  ces  anciens  préjugés,  alors  môme  que  la  majorité  des 


A  VAPBUR.  Î03 

riches  voyageurs  qui  viennent  tf  Angleterre  en  France 
les  conserveraient. 

Il  y  a  un  avantage  immense,  un  avantage  incontestable 
et  aujourd'hui  incontesté,  à  se  servir  de  machines  à  haute 
pression.  Ces  machines  permettent  d'employer  la  détente 
de  la  vapeur  dans  une  grande  échelle,  de  ne  la  con- 
denser ou  de  ne  la  perdre  qu'au  moment  où  sa  tension 
devient  insignifiante.  Ces  avantages,  la  théorie  les  avait 
prévus;  mille  expériences  les  ont  confirmés.  Toutes  les 
machines  d'épuisement  du  Gomouailles  en  font  foi. 
Expliquez-moi  donc.  Messieurs,  quel  inconvénient  il  peut 
y  avoir  à  signaler  à  Fadministration  de  la  marine,  qui 
parait  Fignorer,  une  telle  source  d'importantes  éco- 
nomies. 

Cette  question,  qui  vient  de  soulever  tant  de  difficultés, 
n'avait  au  fond  rien  d'irritant.  Elle  était  d'ailleurs  inévi- 
table, puisque  les  machines  de  M.  Frimot  sont  à  haute 
pression,  mais  à  10  atmosphères  seulement,  tandis  que, 
je  le  répète ,  certaines  machines  des  États-Unis  marchent, 
sans  inconvénient,  à  20  atmosphères. 

Je  suis  fâché  que  les  détails  personnels,  relatifs  à 
M.  Frimot;  que  des  griefs  destinés  à  trouver  leur  solu- 
tion ailleurs;  que  des  débats  qui  ne  seront  jamais  dé- 
sertés par  ceux  qui  savent  combien  M.  Frimot  s'est  fait 
honneur  par  ses  travaux ,  combien  il  serait  utile  à  Fin- 
dustrie  si  on  lui  tendait  loyalement  la  main  ;  je  suis  fâché, 
dis-je,  que  ces  diverses  circonstances  aient  jeté  sur  la 
discussion  une  irritation  qui  peut-être  compromettra  le 
sort  de  l'amendement  que  j'ai  proposé.  Cet  amendement 
est  ainsi  conçu  : 


204  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

«  Les  machines  seront  exécutées  dans  les  ateliers  fran- 
çais, et  d'après  les  marchés  conclus  avec  concurrence  et 
publicité.  » 

Le  budget  a  souvent  renfermé  de  semblables  disposi- 
tions. Ainsi,  de  ce  côté,  point  de  difficulté;  mais,  en  ter- 
minant, j'appellerai  Tattention  sur  une  circonstance  qui 
milite  en  faveur  de  la  disposition  que  je  sollicite  de  la 
chambre. 

Le  haut  prix  de  nos  machines  tient  aujourd'hui  en 
grande  partie  à  la  cherté  de  la  matière  première.  Nos 
usines  à  fer  ne  produisaient  pas  de  fonte  qui  pût  être 
employée  avec  avantage  dans  leur  construction.  Notre 
fonte  perdait  ses  principales  propriétés  quand  on  la  sou- 
mettait à  deux  ou  trois  fusions  successives.  Je  suis  heu- 
reux de  dire  que  plusieurs  maîtres  de  forges,  parmi  les- 
quels je  cite  avec  plaisir  Tun  de  nos  honorables  collègues 
de  la  Nièvre,  sont  tellement  près  d'avoir  résolu  le  pro- 
blème, que  cette  cause  de  différence  entre  le  prix  des 
machines  anglaises  et  celui  des  machines  françaises  est 
sur  le  point  de  disparaître. 

Je  dirai,  avec  une  égale  satisfaction,  que  dans  les 
forges  que  je  viens  de  citer  on  est  parvenu  à  donner  à  la 
fonte  une  propriété  qui  ne  paraissait  pas  devoir  appartenir 
à  cette  matière,  une  certaine  flexibilité  dont  on  tirera 
peut-être  un  très- grand  parti  dans  la  construction  des 
machines  à  vapeur.  J'ajoute,  enfin,  qu'on  commence  à 
essayer  dans  nos  usines  l'emploi  de  l'air  chaud.  Tout  fait 
donc  espérer  que  d'ici  à  peu  de  temps  nous  serons  dis- 
pensés d'aller  à  l'étranger  chercher  les  métaux  employés 
dans  la  construction  des  machines  à  vapeur. 


  VAPEUR.  205 

Eh  bien,  faites  qu'au  moment  où  Tamélioration  dont 
je  parle  aura  eu  lieu,  nos  ateliers  ne  soient  pas  déserts, 
ne  soient  pas  détruits  ;  faites  en  sorte  que  les  usines  qui 
existent,  qui  ont  déjà  donné  d'excellents  résultats,  qui 
nous  en  promettent  encore  de  plus  grands,  ne  soient  pas 
totalement  abandonnées  lorsque  les  améliorations  métal- 
lurgiques que  je  prévois,  que  j'annonce  comme  pro- 
chaines, se  seront  réalisées.  Soyez  persuadés  qu'alors 
vous  aurez  des  ateliers  où  l'on  exécutera,  aussi  bien  et  à 
aussi  bon  marché  qu'en  Angleterre ,  toutes  les  machines 
à  simple  ou  à  haute  pression  dont  la  marine  militaire, 
dont  la  marine  marchande  et  dont  les  manufacturiers 
pourront  avoir  besoin. 

M.  PiscATORT.  Je  demande  la  parole  pour  un  fait  personnel...  Je 
ne  suis  pas  dans  Thabitude  d'interrompre  personne,  j'écoute  avec 
attention  toutes  les  opinions.  J'aime  les  longues  discussions  t  je  les 
crois  utiles  au  triomphe  de  la  vérité  et  de  la  raison. 

J'arrivais  dans  la  Chambre  lorsque  la  discussion  était  déjà  com- 
mencée. Je  ne  sais  quelle  parole  m'a  échappé ,  je  ne  sais  même  si 
j'en  ai  prononcé  une  :  M.  Arago  m'a  interpellé  en  disant  qu'il  ne 
concevait  pas  que  quelqu'un  qui  avait  traité  la  question  d'Alger, 
et  qu'on  avait  bien  voulu  écouter,  empêchât  de  parler  sur  les 
machines  à  vapeur. 

La  comparaison  est  étrange. 

Sans  contredit  la  question  des  machines  à  vapeur  est  importante; 
mais  permettez-moi  de  dire  qu'il  y  a  une  grande  différence,  quant 
à  l'importance  politique,  entre  la  question  d'Alger  et  la  question 
scientifique  de  la  vapeur  à  haute  ou  à  basse  pression.  J'en  demande 
bien  pardon  à  M.  Arago,  dont  je  reconnais  la  science  et  l'esprit; 
mais  il  me  semble  que  nous  sommes  venus  ici  pour  faire  les  affaires  du 
pays,  et  non  pour  suivre  un  cours.  (Interruption,  murmures,  hilarité.) 

M.  Arago  a  établi  fort  habilement  la  différence  qui  existe  entre 
les  machines  à  haute  et  celles  à  basse  pression.  Je  l'ai  écouté  avec 
grand  plaisir;  mais  j'avoue  que  cela  n'a  pas  suffi  pour  éclairer  mon 
intelligence ,  fort  médiocre,  il  faut  le  dire ,  en  pareille  matière. 
Comme  député,  J'ai  donc  perdu  un  temps  utile. 


206  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Je  dirai  encore  qu'il  ine  semble  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup  de  géné- 
rosité de  la  part  de  M.  Arago  à  venir  faire  ici  de  la  science  ;  car 
véritablement  personne  ici  n'est  en  état  de  lui  répondre  ni  de  com- 
battre l'opinion  qu'il  émet  sur  les  objets  tout  scientifiques,  qui  nous 
sont  étrangers,  et  qui  ne  touchent  en  rien  aux  intérêts  dont  nous 
sommes  chargés. 

M.  ARAGO*  Un  mot.  Messieurs,  un  seul  mot  sur  la 
question  personnelle.  Ce  n'est  pas  moi  qui  ai  soulevé 
ici  la  question  des  machines  à  haute  pression  :  c'est 
M.  le  commissaire  du  roi  qui  est  venu  exprimer  sa  répu- 
gnance pour  les  machines  à  haute  pression.  Plusieurs 
membres  de  la  Chambre  ont  désiré  savoir  ce  qu'il  pouvait 
y  avoir  de  fondé  dans  cette  répugnance,  et  c'est  à  leur 
demande  que  j'ai  dû  donner  à  la  Chambre  des  explications 
qui,  à  ce  qu'il  paraît,  n'ont  pas  été  du  goût  de  l'honorable 
préopinant. 

III 

[Dans  la  séancQ  de  la  Chambre  des  députés  du  29  mai  1835,  à 
l'occasion  d'un  projet  de  loi  relatif  à  l'établissement  d'un  senice 
de  paquebots  à  vapeur  entre  la  France  et  le  Levant,  M.  Arago  a 
de  nouveau  pris  la  parole  dans  les  termes  suivants,  extraits  du 
Moniteur  des  29  et  30  mai.  ] 

Messieurs,  j'ai  demandé  la  parole  afîn  d'obtenir,  soit 
par  voie  d'amendement ,  soit  par  une  promesse  de  M.  le 
ministre  des  finances,  l'assurance  que  les  machines  qui 
doivent  être  placées  dans  les  bateaux  à  vapeur  seront 
exécutées  par  nos  artistes.  Voici,  en  abrégé,  les  motifs 
de  ma  proposition. 

En  fait  de  machines  à  vapeur,  nous  sommes  encore,  il 
faut  l'avouer,  dans  l'enfance.  Jetez  un  coup  d'œil  sur  ce 
que  ce  genre  d'industrie  a  produit  de  merveilles  en  Angle- 


A  VAPEUR.  te? 

terre,  et  vous  verrez  que  mon  vœu  n*a  rien  que  de  fort 
naturel. 

En  1819,  en  Angleterre,  une  seule  manufacture,  celle 
de  Soho,  près  de  Birmingham,  avait  déjà  exécuté  un 
nombre  de  machines  à  vapeur  qui,  à  elles  seules,  fai- 
saient annuellement  le  travail  de  cent  mille  chevaux, 
c'est-àr-dire  de  six  à  sept  cent  mille  hommes.  L'économie 
résultant  de  la  substitution  de  ces  moteurs  aux  moteurs 
anin^  était,  au  moins,  de  75  millions  de  francs  par  an. 

A  la  même  époque  de  1819,  il  existait  en  Angleterre 
dix  mille  machines  à  vapeur  d'une  force  totale  de  six  cent 
mille  chevaux,  ou  de  â  à  &  millions  d'ouvriers.  C'était  là 
l'origine  d'une  économie  de  300  ou  400  millions  de  francs. 
Aujourd'hui  on  peut  dire,  sans  être  taxé  d'exagération, 
que  ces  résultats  doivent  être  doublés  ;  de  sorte  que,  par 
l'emploi  de  la  vapeur,  nos  voisins  obtiennent,  tous  les 
ans,  sur  leurs  produits,  une  économie  de  main-d'œuvre 
de  800  millions  de  francs. 

Consultez  maintenant  les  tableaux  officiels  qui  vous  ont 
été  distribués,  et  vous  verrez  qu'aujourd'hui,  en  France, 
le  nombre  total  des  machines  à  vapeur  ne  dépasse  guère 
un  millier,  et  que  leur  force  n'est  que  d'environ  14,000 
chevaux. 

U  est  donc  important  que  la  construction  des  machines 
à  vapeur  reçoive  chez  nous  des  encouragements.  Je  de- 
mande en  conséquence  à  M.  le  ministre  des  finances  de 
vouloir  bien,  dans  cette  circonstance,  prendre  devant  la 
Chambre  Rengagement  de  s'adresser  à  nos  artistes,  et 
de  leur  commander  des  travaux  utiles,  importants,  et 
dont  ils  s'acquitteront  à  merveille. 


208  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Ici,  je  le  sais,  se  présente  la  question  de  savoir  si  les 
grandes  machines  à  vapeur,  dont  Tadministration  a  be- 
soin, pourront  être  exécutées  dans  une  année,  et  si  elh.'s 
auront  la  perfection  de  celles  qui  seraient  fabriquées  à 
rétranger.  Sur  ce  dernier  point  je  n'aurai  qu*à  citer,  qu'à 
vous  rappeler  ce  que  le  gouvernement  lui-même  a  dit 
dans  un  rapport  qui  vous  a  été  récemment  distribué. 
Vous  trouverez  dans  le  rapport  en  question  que  «  les  ma- 
chines qui  sortent  actuellement  de  nos  ateliers  peuvent, 
sans  crainte,  soutenir  la  concurrence  avec  celles  qui  nous 
viennent  de  l'étranger,  i  Voilà,  Messieurs,  une  décision 
formelle;  elle  n'est  pas  de  moi,  elle  appartient  au  corps 
des  mines. 

Les  machines  dont  il  est  question  dans  ce  paragraphe 
ont ,  il  est  vjrai ,  je  m'empresse  de  l'avouer,  d'assez  petites 
dimensions;  tandis  qu'il  en  faudra  d'une  force  considé- 
rable pour  les  nouveaux  bateaux  à  vapeur.  Je  crois ,  en 
effet,  que  notre  honorable  collègue  M.  Tupinier  a  eu  rai- 
son en  proclamant  pour  le  service  de  mer  l'insufOsance 
des  machines  d'une  force  moyenne,  en  réclamant  une 
puissance  de  160  chevaux  au  moins. 

Or,  il  existe  en  ce  moment,  en  France,  divers  ateliers 
où  des  appareils  de  cette  force  sont  exécutés. 

Ces  appareils  sont-ils  bons?  Je  n'hésite  pas  à  répondre 
^irmativement ;  on  les  a  comparés,  en  effet,  aux  meil- 
leures machines  exécutées  en  Angleterre ,  à  celle  qui  jus- 
qu'ici a  été  considérée  comme  modèle,  à  la  machine  du 
Sphinx;  et  de  très -bons  juges,  et  nos  officiers  de  marine 
les  plus  expérimentés,  ont  déclaré  positivement  que  les  ma- 
chines exécutées  dans  les  ateliers  de  M.  Hallette  d'Arras, 


A  VAPEUR.  SÛ9 

et  dans  ceux  tfindret,  sont  aussi  parfaites  que  celles  du 
Sphinx.  Je  pourrais,  au  besoin,  citer  à  l'appui  de  cette 
opinion  les  rapporta  du  capitaine  Favin-Lévêque,  du 
Crocodile,  et  celui  du  capitaine  Gaubin,  du  Vautour. 
Ainsi  il  existe  en  France  des  ateliers  qui  sont  en  me- 
sure d'exécuter  d'excellentes  naachines  de  160  et  de 
200  chevaux. 

J'arrive  à  la  question  de  savoir  si  ces  grands  travaux 
pourraient  se  faire  dans  un  temps  assez  court.  Eh  bien, 
il  paraît  constant  que  M.  Gavé  exécuterait  deux  machines 
en  un  an;  M.  Hallette,  trois;  M.  Gengembre  à  Indret, 
trois.  Peut-être  y  a-t-il  encore  d'autres  manufactures 
qui  pourraient  entrer  en  concurrence  avec  celles-ci  ;  mais 
je  ne  dois  pas  les  citer,  parce  que  je  ne  veux  articuler 
ici  que  des  choses  parfaitement  certaines.  Ainsi,  en  ne 
considérant  que  des  usines  qui  me  sont  personnellement 
connues,  je  ne  pense  pas  m'éloigner  de  la  vérité  en  affir- 
mant que  les  deux  tiers  des  machines  désirées  y  seraient 
exécutées  en  un  an. 

Venons  maintenant  aux  prix.  Je  reconnais  que  les 
machines  qu'on  exécute  en  France  sont  beaucoup  plus 
chères  que  les  machines  anglaises.  Mais  vous  en  savez 
la  principale  raison  :  c'est  que  la  matière  première  est 
chez  nous  d'un  prix  plus  élevé.  Or,  la  matière  première 
entre  pour  une  part  considérable  dans  le  prix  des  ma- 
chines. Quand  vous  aurez  supprimé  les  droits  des  douanes, 
il  sera  tout  naturel  de  demander  que  nos  appareils  indus- 
triels ne  coûtent  pas  plus  cher  que  ceux  de  nos  voisins; 
mais  tant  que  ces  droits  existeront,  il  faudra  bien  se 
résigner  à  payer  les  machines  françaises  à  des  prix  élevés, 
v.-ii.  iU 


210  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Je  m'empresse  de  reconnaître  que,  pour  favoriser  nos 
artistes,  l'administration  a  frappé  les  machines  qui  vien- 
nent de  l'étranger,  d'un  droit  de  30  pour  cent. 

M.  LE  Ministre  des  finances.  De  33  pour  cent,  et  le  décime! 

M.  Arago.  De  33  pour  cent,  si  vous  voulez  ;  eh  bien, 
ajoutez  au  prix  qu'a  coûté  le  Sphinx  en  Angleterre  33 
pour  cent,  et  vous  trouverez  à  très- peu  de  chose  près 
les  prix  qui  ont  été  payés  par  MM.  Hallette  et  Gavé  pour 
leurs  dernières  machines.  I^  marché  ne  vous  sera  donc 
pas  onéreux,  car  il  aérait  injuste  que  vous,  gouverne- 
ment, vous  ne  payasi^ez  pas  les  droits  que  vous  exigez 
des  particuliers. 

Je  sais  très-bien  que  l'on  cherche  sans  cesse  à  se  sous- 
traire à  cette  obligation  ;  je  sais  très-bien  que  la  loi  qui  a 
frappé  de  33  pour  cent  les  machines  venant  de  l'étranger 
a.  décidé  que  si  ces  machines  pouvaient  servir  de  modèle, 
elles  ne  seraient  pas  passibles  du  droit,  et  que  les  moindres 
changements  de  forme  sont  présentés  comme  des  amélio- 
rations importantes  ;  mais  M.  le  ministre  des  finances  est 
trop  juste  pour  vouloir  dans  cette  circonstance  recourir  à 
ce  moyen,  quoiqu'il  ait  été  déjà  tenté  par  la  direction  des 
postes  elle-même. 

M.  LS  Ministre  des  finances.  Non  I 

M.  Arago.  Pénnettez-moi ,  M.  le  ministre,  pour  ré- 
pondre à  votre  dénégation,  de  dire  que  j'ai  été  chargé 
de  faire  un  rapport  sur  une  demande  en  franchise  de 
droits  présentée  par  la  direction  des  postes;  je  croîs 
même  me  rappeler  qu'elle  avait  reçu  votre  assentiment. 

Au  surplus,  je  regrette  bien  vivement  que  l'adminis- 


N 


A  VAPEUR.  ÎU 

1  ration  n'ait  pas  profité  de  cette  circonstance  pour  faire 
examiner  à  fond  la  question  capitale  de  l'emploi  des  ma- 
chines à  haute  pression  dans  les  bâtiments  de  rÉtat« 

Dans  la  dernière  séance,  M.  Tupinier  a  émis  sur  ^et 
objet  des  opinions  trop  arrêtées.  Il  a  dit,  par  exemple, 
que  ces  machines  n'offraient  pas  d'économie  ;  que  théo- 
riquement an  devait  en  espérer,  mais  qu'expérimentale- 
ment elles  n'en  donnaient  pas. 

Théoriquement^  Messieurs,  on  ne  sait  pas  grand'  chose 
aujourd'hui  des  avantages  de  la  haute  pression  sur  la 
pression  ordinaire,  mais  expérimentalement,  la  grande 
infériorité  de  cette  dernière  ne  semble  pas  douteuse,  du 
moins  quand  on  fait  usage  de  la  détente.  Deux  ou  trois 
chiffres  que  je  vais  vous  citer  ne  laisseront  aucun  doute 
à  cet  égard. 

Dans  le  comté  de  Cornouailles  on  n'emploie  guère 
aujourd'hui  que  des  machines  à  haute  pression  ;  eh  bien, 
plusieurs  donnent  des  résultats  quadruples  de  ceux  qu'on 
obtenait  avec  les  anciennes  machines  de  Watt.  M.  John 
Taylor,  le  plus  eélèbre  ingénieur  de  cette  contrée  indus- 
trieuse, m'écrivait  naguère  que,  suivant  lui,  ces  im- 
menses effets  étaient  le  résultat  de  l'emploi  de  la  haute 
pression  combinée  avec  la  détente.  Les  rapports  des  offi- 
ciers de  notre  marine  vous  conduiraient  à  la  même  con- 
séquence. M.  Gaubin  obtenait  de  l'emploi  de  ces  deux 
moyens  im  sixième  d'augmentation  sur  la  vitesse  du 
VaiUour. 

On  répète  sans  cesse  que  les  machines  à  haute  pression, 
présentent  de  très-grands  dangers.  L'expérience  justifie- 
t-elle  ces  craintes?  En  aucune  manière.  On  a  dit  aussi 


242  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

qu'elles  effrayaient  les  passagers.  Voici  ma  réponse  : 
Nous  avons  aujourd'hui  sur  la  Seine  un  grand  nombre  de 
bateaux  à  haute  pression  ;  l'un  d'entre  eux  qui  s'appelle 
le  Théodore^  fait  le  service  entre  Paris  et  Melun  ;  il  mar- 
che à  cinq  atmosphères.  J'ai  voulu  savoir  si  les  craintes 
dont  l'honorable  M.  Tupinier  parlait  étaient  réelles  ;  j'ai 
été  au  quai  de  la  Grève  demander  quel  était  le  nombre 
des  voyageurs  :  on  m'a  répondu  que  dimanche  dernier 
on  en  avait  compté  quatre  cent  vingt-quatre.  Vous  le 
voyez,  Messieurs,  si  des  craintes  ont  existé,  il  n'en  reste 
plus  de  traces  aujourd'hui  ;  j'affirme,  au  surplus,  que  les 
machines  à  haute  pression  ne, sont  pas  plus  dangereuses 
que  les  autres.  A  Paris,  sur  cent  soixante-seize  machines 
à  vapeur,  il  y  en  a  cent  trente-trois  à  haute  pression. 
Depuis  dix  ans  que  les  constructeurs  sont  astreints  à  des 
règlements  bien  combinés,  il  n'est  pas  arrivé  un  seul 
accident.  Les  bateaux  qui,  depuis  six  ans,  font  sur  la 
Seine  le  service  de  Paris  à  Rouen,  ont  tous  des  machines 
à  pression  élevée  :  est-il  jamais  arrivé  aucune  explosion? 
Dans  une  autre  circonstance  j'essayai  de  démontrer,  et 
nous  hommes  d'étude,  nous  ne  prodiguons  pas  ce  mot, 
qu'il  y  avait  moins  de  chance  d'explosion  dans  les  ma- 
chines à  haute  pression  cfue  dans  les  machines  à  pression 
ordinaire,  et  cela  attendu  la  nature  des  épreuves  aux- 
quelles on  soumet  les  chaudières. 

Je  n'y  reviendrai  pas  aujourd'hui;  je  me  borne,  et 
cette  preuve  en  vaut  bien  une  autre,  à  faire  remarquer 
qu'à  Paris  et  dans  ses  environs,  un  grand  nombre  de  ma- 
chines à  haute  pression  sont  depuis  longtemps  employées, 
sans  qu'il  y  ait  eu  une  seule  explosion. 


A  VAPEUR.  243 

N'y  eûHl  aucune  économie  à  faire  usage  de  ce  genre 
(le  machines ,  il  faudrait  encore  les  recommander.  Quand 
on  veut  imprimer  une  vitesse  considérable  à  un  bateau  à 
vapeur,  il  faut  un  appareil  puissant  ;  or  cette  puissance, 
avec  la  basse  pre^ion,  on  ne  Tobtient  qu'en  augmentant 
les  dimensions  du  corps  de  pompe.  Un  grand  corps  de 
pompe  absorbe  à  chaque  oscillation  du  piston  une  grande 
quantité  de  vapeur  qui  ne  peut  être  fournie  que  par  une 
énorme  chaudière.  Une  chaudière  est  aujourd'hui  une 
véritable  maison  qui  emploie  près  des  trois  quarts  du 
volume  du  bateau  à  vapeur.  Cherchez  la  même  force 
dans  une  machine  à  haute  pression,  vous  gagnerez  un 
espace  considérable,  et  cela,  je  le  répète  encore,  sans 
aucun  danger  ;  car  il  est  telle  de  ces  machines  où  l'explo- 
sion, à  peu  près  impossible,  ne  pourrait  pas  d'ailleurs 
entraîner  des  accidents  de  quelque  gravité. 

On  a  insisté  avec  beaucoup  de  raison  sur  les  avantages 
que  l'administration  trouverait  en  cas  de  guerre  dans  les 
bateaux  à  vapeur,  dont  aujourd'hui  elle  demande  la  con- 
struction pour  le  transport  des  voyageurs  ;  on  vous  a  dit 
qu'ils  seraient  transformés  en  bâtiments  de  guerre  ;  mais 
pour  cela  l'espace  est  nécessaire,  et  vous  en  auriez  très- 
peu  avec  des  machines  à  pression  ordinaire.  J'exprime 
de  nouveau  le  regret  que  M.  le  ministre  des  financés 
n'ait  pas  profité  de  cette  occasion  pour  soumettre  cette 
question  capitale  à  une  discussion  approfondie.  Il  aurait 
trouvé  dans  les  lumières  des  ingénieurs,  de  divers  profes- 
seurs, et  des  membres  des  corps  académiques,  les  moyens 
d'ajTivcr  à  une  solution  définitive. 

Chaque  jour  on  parvient  à  concentrer,  à  l'aide  de  la 


214  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

haute  pression,  une  pmssance  immense  dans  des  espaces 
de  plus  en  plus  restreints.  Récemment  on  a  pu  voir  sur 
le  chemin  de  fer  de  Liverpooi  à  Manchester,  une  voiture 
locomotive  de  MM.  Sharp  et  Roberts  qui  parcourait  un 
mille  en  57  secondes,  une  lieue  en  2  minutes  22  secondes, 
et  25  lieues  à  Theure.  La  machine  marchait  avec  une 
telle  rapidité,  que,  par  parenthèse,  la  cheminée  tua 
ûms  sa  course  un  corbeau  qui  traversait  la  route  en 
volant,  (On  rit.) 

Hàtons-nous  d'appliquer  ces  merveilleuses  concentra- 
tions de  force  à  la  navigation. 

Pour  le  moment,  je  ne  m'oppose  pas  toutefois  à  ce 
qu'on  suive  la  route  ordinaire  ;  mais  je  prie  M.  le  ministre 
des  finances  de  déclarer  si  son  intention  est  de  faire  exé- 
cuter en  France  la  totalité  ou  du  moins  une  grande  partie 
des  machines  demandées.  Après  la  réponse  de  M.  le 
ministre,  je  verrai  si  je  dois  soumettre  un  amendement  à 
la  Chambre,  si  je  dois  luipropoeer  de  prendre  elle-même 
une  détermination  à  ce  sujet 

[Après  la  réponse  du  ministre  des  finances,  M.  Arago  s*est 
exprimé  ainsi  :  ] 

Je  ne  propose  pas  d'amendement,  après  ce  que  M.  le 
ministre  des  finances  vient  de  dire;  j*ai  la  certitude 
qu'il  n'oubliera  pas  des  artistes  français  qui  sont  dignes 
de  toute  sa  confiance ,  et  qui  font  honneur  à  notre  in- 
dustrie» 


  VAPfiUû.  215 

IV 

[Dans  la  séance  du  16  Juin  18&0,  à  propos  de  la  discussion  du 
projet  de  loi  sur  rétablissement  de  divers  chemins  de  fer.  M.  Arago 
a  proposé  un  article  additionnel  ainsi  conçu  : 

«  Les  neuf  dixièmes  au  moins  des  machines  locomotives  dont  la 
compagnie  fera  usage,  devront  être  exécutés  en  France  ; 

«  Cette  prescription  cesserait  d^ôtre  obligatoire,  dans  le  cas  où  le 
prix  des  machines  françaises  surpasserait  le  prix  moyen  des  ma- 
chines anglaises  de  plus  de  15  pour  100.  » 

J^L  Arago  a  développé  sa  proposition  dans  le  discours  suivant, 
extrait  du  Moniteur  du  17  juin.  ] 

Messieurs,  ramenderaent  que  je  propose  doit  avoir  des 
conséquences  importantes.  J'espère  cependant  qu'il  me 
sera  possible  de  le  justifier  en  très-peu  de  paroles.  Je  com- 
mence d'abord  par  faire  remarquer  que  cet  amendement 
s'applique  exclusivement  aux  chemins  subventionnés,  aux 
chemins  dont  le  gouvernement  est  devenu  le  plus  fort 
actionnaire.  Cette  réflexion  répondra  à  plusieurs  criti- 
ques que  j'ai  entendues  sur  nos  bancs.  En  tout  cas,  je  me 
réserverai  le  droit  de  répondre  avec  plus  de  détail  dans 
le  cas  où  par  erreur  on  trouverait  dans  la  prescription 
impérieuse  qui  est  contenue  dans  mon  amendement  une 
atteinte  à  la  liberté  commerciale. 

La  question  que  mon  amendement  soulève,  serait 
appréciée  d'une  manière  mesquine,  si  on  la  traitait  seu- 
lement du  p(Hut  de  vue  de  la  liberté  commerciale.  Au  fond, 
ce  dont  il  s'agit  dans  les  conséquences  de  la  proposition 
que  je  fais,  c'est  d'indépendance,  de  force  nationale. 

Les  machines  à  vapeur  sont  des  armes;  c'est  à  coups 
de  machines  &  vapeur  qu'on  se  battra ,  si  jamiais ,  ce  que 


246  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

je  regarderais  comme  un  malheur ,  nous  avons  à  lutter 
avec  l'Angleterre.  Nos  voisins  ont  aujourd'hui  800  bateaux 
à  vapeur  ;  tous ,  je  le  reconnais ,  ne  porteraient  pas  une 
puissante  artillerie ,  mais  tous  pourraient  pénétrer  dans 
nos  rades ,  dans  nos  ports,  dans  les  anses  les  plus  cachées, 
et  enlever  jusqu'à  la  dernière  de  nos  barques  de  pêcheurs, 
si  nous  n'avions  moyen  d'opposer  bateau  à  bateau,  ma- 
chine à  machine. 

Que  diriez-vous,  Messieurs,  d'un  gouvernement  qui 
confierait  aux  étrangers  la  fabrication  de  la  poudre  , 
des  canons  et  des  fusils?  Vous  diriez  qu'il  manque  d'in- 
telligence, peut-être  même  lui  adresseriez-vous  un  repro- 
che plus  sévère  :  eh  bien ,  je  le  répéterai  à  satiété ,  les 
machines  à  vapeur  joueront  dans  une  guerre  maritime 
un  rôle  aussi  essentiel  que  les  fusils,  les  canons  et  la 
poudre.  Ce  que  je  demande,  c'est  qu'en  temps  de  paix 
vous  formiez,  vous  encouragiez  les  ouvriers,  les  con- 
tre-maîtres qui  fabriqueront  nos  machines  lorsque  les 
Anglais  ne  nous  en  fourniront  plus  ;  c'est  qu'en  temps  de 
paix  vous  songiez  que  des  mécaniciens  sont  nécessaires 
à  berd  des  navires,  et  qu'ils  y  jouent  un  rôle  capital. 

C'est  une  chose  heureuse ,  Messieurs ,  pour  notre  pays, 
que  cette  transformation  que  la  marine  doit  subir ,  qu'elle 
subira  d'ici  à  peu  de  temps,  et  dont  M.  Paixhans  vous 
entretenait  récemment  avec  tant  d'autorité;  c'est  une 
chose  avantageuse ,  car,  dans  nos  conflits  miaritimes  avec 
les  Anglais,  notre  infériorité,  quand  elle  a  eu  lieu,  a  dé- 
pendu ,  non  pas  assurément  d'un  plus  grand  courage  des 
matelots  ennemis ,  mais  d'une  plus  longue  expérience. 
Eh  bien  ,  cette  plus  longue  expérience  sera  sans  gravité 


A  VAPEUR.  217 

dans  la  marine  à  vapeur.  Nos  officiers  entrent  dans  cette 
nouvelle  voie  avec  un  admirable  dévouement,  avec  une 
remarquable  habileté.  Préparez ,  messieurs ,  préparez  de 
longue  main ,  les  quatre  ou  cinq  mécaniciens  qui  devien- 
dront dans  chaque  navire  les  auxiliaires  indispensables 
des  capitaines.  Remarquez-le ,  messieurs ,  beaucoup  de 
nos  bateaux  ont  des  mécaniciens  anglais.  Disons-le  à  leur 
honneur,  ils  nous  quitteraient  tous  le  jour  où  nous  serions 
en  guerre  avec  leur  pays. 

11  y  a  peu  de  jours  encore ,  vous  avez  failli  à  sacrifier 
une  industrie  nationale,  l'industrie  du  sucre  indigène,  au 
désir  bien  naturel  d'encourager  et  d'étendre  notre  marine 
marchande.  Ce  que  je  vous  demande,  moi,  n'exigera  de 
sacrifice  d'aucune  sorte;  je  désire  que  le  temps  présent 
ne  vous  détourne  pas  de  songer  que  la  guerre  peut  lui 
succéder;  je  demande  que,  sans  négliger  la  marine  à 
voile ,  vous  réunissiez  les-éléments  d'une  marine  à  vapeur. 

J'ai  dit  que  je  ne  demande,  que  je  ne  sollicite  aucun 
sacrifice.  Remarquez  en  effet  que  la  loi  du  2  juillet  1836 
avait  établi  un  droit  de  30  p.  0/0  sur  les  machines  à  va- 
peur étrangères.  Ce  droit ,  avec  le  décime ,  conduisait  en 
définitive  à  une  prime  de  33  p.  0/0;  elle  a  été  depuis 
réduite  de  moitié  quant  aux  locomotives. 

Vous  dire  par  quelle  interprétation ,  par  quel  jeu  d'ima- 
gination, on  est  arrivé  à  trouver  que  les  locomotives  ne 
sont  pas  des  machines  à  vapeur,  est  au-dessus  de  ma 
portée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  droit  d'entrée  se  trouve  réduit  à 
15  p.  0/0.  En  ce  moment ,  les  machines  anglaises  entrent 
en  France  au  droit  de  15  p.  0/0.  Je  ne  demande  pas, 


218  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

quant  à  moi ,  que  ce  droit  soit  augmenté  ;  je  ne  désire 
nullement  qu'on  revienne  aux  dispositions  de  la  loi  du 
2  juillet  1836  ;  je  ne  sollicite,  enfin,  aucun  accroissement 
de  droit. 

Nos  constructeurs  ont  assurément  de  très-bonnes  rai- 
sons pour  soutenir  que  les  loconK)tives  sont  des  machines 
à  vapeur ,  et  pour  demander  qu'on  les  comprenne  de  nou- 
veau dans  les  prescriptions  de  la  loi  du  2  juillet  1836. 
Cette  prétention ,  toute  légitime  qu'elle  soit ,  je  ne  l'ap- 
puie pas  ;  je  ne  demande  même  le  maintien  du  droit 
actuel  de  15  p.  0/0 ,  qu'aûn  que  les  constructeurs  fran- 
çais aient  la  matière  première  au  même  prix  que  les 
constructeurs  anglais ,. et  qu'ils  puissent  lutter  contre  eux 
à  armes  égales. 

Mon  amendement  réduira  le  prix  des  machines  fran- 
çaises aux  prix  des  machines  anglaises  ;  les  compagnies 
ne  perdent  rien  de  leur  position  actuelle  ;  je  n'entends 
leur  imposer  aucun  nouveau  sacrifice. 

Mais ,  dira-t-on,  quel  est ,  en  ce  cas,  le  but  que  vous 
vous  proposez?  Messieurs,  ce  but ,  le  voici,  je  l'ai  déjà 
indiqué  :  je  vçux  afl*ranchir  nos  constructeurs  des  consé- 
quences fâcheuses  d'un  préjugé  très-enraciné  dans  notre 
pays.  On  croit  généralement  que  nos  ingénieurs  ne  sont 
ni  aussi  habiles  ni  aussi  expérimentés  que  les  ingénieurs 
anglais. 

Qu'ils  ne  soient  pas  aussi  expérimentés,  je  le  reconnais; 
quoique  cependant,  au  prix  d'énormes  sacrifices,  ils 
aient  acquis  depuis  peu  de  temps  une  grande  habileté. 
€eci  n'entraîne  cependant  pas  la  conséquence  que  les 
locomotives  anglaises  sont  meilleures  que  les  locomotives 


A  VÀP£UR.  2\% 

françaises.  Vous  sentez,  Messieurs,  qu'avant  de  vous  pro- 
poser mon  amendement,  j'ai  dû  fortement  me  préoccuper 
de  cette  question.  C'est  donc  après  un  examen  approfondi 
que  je  déclare  sans  hésiter  que  les  constructeurs  français 
sont  en  mesure  d'exécuter  les  machines  locomotives  tout 
aussi  bien  et  au  morne  prix  que  les  constructeurs  anglais, 
lorsque  vous  aurez  fait  la  défalcation  du  prix  de  la  ma- 
tière première. 

Lorsqu'il  se  manifeste  un  accident,  et  il  en  arrive  fré- 
quemment aux  locomotives ,  si  la  machine  est  anglaise, 
ou  range  l'accident  parmi  les  événements  inévitables  ;  la 
machine  est-elle  française,  on  en  parle  trois  cent  soixante- 
cinq  fois  dans  les  années  ordinaires  et  trois  cent  soixante- 
six  fois  dans  les  années  bissextiles.  (On  rit.  ) 

Voyez  ce  qui  est  arrivé  ces  jours  derniers  à  une  loco- 
motive de  la  compagnie  d'Orléans.  Elle  conduisait,  je 
crois,  une . commission  de  la  chambre  à  Choisy.  Un  des 
tuyaux  de  la  chaudière  fit  explosion.  Grande  rumeur  aus- 
sitôt contre  les  machines  françaises.  Il  n'y  avait  qu'un 
malheur  à  cela  :  la  ma.chine  était  anglaise. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  fait  de  locomotives  qu'on  a 
eu  des  préjugés  dans  notre  pays.  Remontons  à  une  épo- 

* 

que  éloignée ,  et  vous  y  trouverez  l'idée  très-arrétée  de 
notre  insurmontable  infériorité  en  fait  d'instruments  de 
précision  et  d'instruments  d'optique. 

J'ai  été  forcé  de  combattre,  d'anéantir  cette  fausse 
opinion  ;  pour  arriver  à  un  résultat  national  et  éminem- 
ment désirable,  j'ai  été  quelquefois  obligé  d'engager 
ma  responsabilité.  Où  en  sommes-nous  maintenant?  il 
ne  viendrait  à  personne,  l'idée  de  commander  en  Angle- 


220  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

terre  un  instrument  de  précision ,  un  instrument  d'astro- 
nomie ,  un  instrument  de  marine. 

Jadis  une  lunette  anglaise  était  un  bijou  précieux,  un 
instrument  qu'aucun  artiste  du  continent  ne  devait  égaler. 
Allez  aujourd'hui  à  l'observatoire  de  M.  Edward  Cooper, 
en  Irlande,  à  l'observatoire  de  Kenzington,  à  l'observa- 
toire royal  de  Greenwich ,  à  l'observatoire  de  Cambridge, 
et  vous  les  trouverez  meublés  de  lunettes  françaises  ;  et 
vous  reconnaîtrez  que  les  plus  grandes  sont  sorties  des 
ateliers  de  M.  Cauchoix. 

Ce  que  j'ai  pu  obtenir ,  moi  simple  individu ,  pour  des 
instruments  de  sciences,  je  demande  à  la  chambre  de  le 
faire  pour  les  locomotives. 

Savez-vous,  Messieurs ,  pourquoi  il  faut  inévitablement 
aller  en  Angleterre  pour  avoir  de  bonnes  locomotives? 
C'est ,  dit-on ,  qu'elles  y  ont  été  inventées  et  que  les  inven- 
teurs en  savent  toujours  beaucoup  plus  que  les  imitateurs. 

Je  nie  d'abord  la  première  partie  de  cette  assertion. 
11  n'est  pas  vrai  que  les  machines  locomotives,  dans  leurs 
parties  les  plus  essentielles,  aient  été  inventées  en  Angle- 
terre. Qu'est-ce  qu'une  machine  locomotive?  C'est  tout 
simplement  une  machine  à  vapeur  ordinaire  fort  ramas- 
sée ,  dans  laquelle  le  mouvement  de  va-et-vient  du  piston 
est  transformé  en  un  mouvement  de  rotation.  Les  artifices 
par  lesquels  cette  transformation  s'opère  ont  été  très- 
ingénieusement  disposés  par  M.  Stephenson,  mais,  on 
doit  le  dire,  ils  étaient  connus  et  décrits  dans  des  ouvrages 
imprimés. 

11  n'y  en  a  pas  un  qui  ne  figure  avec  tous  ses  détails 
dans  l'ouvrage  de  MM.  Lanz  et  Bcthcncourt. 


A  VAPEUR.  221 

Que  rcmarque-t-on  de  particulier,  de  capital,  dans  une 
machine  locomotive  ? 

On  y  remarque  une  chaudière  à  évaporation  très-ra- 
pide ;  on  y  remarque  une  manière  toute  spéciale  d'y  souf- 
fler le  feu  :  la  chaudière  et  le  moven  de  ventilation  sont 
incontestablement  Tun  et  l'autre  d'invention  française. 

Qu'on  ne  vienne  donc  plus  nous  dire  que  les  machines 
locomotives  appartiennent  à  l'Angleterre,  afin  d'avoir, 
contre  toute  vérité ,  un  prétexte  pour  les  faire  exécuter  de 
l'autre  côté  du  détroit. 

Il  faut  bien  le  remarquer,  Messieurs,  nous  avons  sur 
ce  genre  de  machines  un  tel  engouement ,  de  tels  préju- 
gés ;  on  attribue ,  j'oserais  presque  dire ,  à  l'atmosphère 
de  la  France  une  influence  tellement  délétère,  que  quand 
un  ingénieur  étranger  vient  s'établir  chez  nous,  on  n'ac- 
cepte plus  ses  machines,  n'eût-il  employé  d'ailleurs,  pour 
les  construire,  que  des  ouvriers  anglais. 

S'il  fallait  citer  des  exemples,  le  nom  de  M.  Taylor,  le 
nom  de  l'ingénieur  préposé  à  la  réparation  des  bateaux 
à  vapeur  de  la  Méditerranée,  sortirait  naturellement  de 
ma  bouche. 

Messieurs,  il  faut  nous  affranchir  de  ce  préjugé,  il  ne 
faut  plus  faire  construire  en  Angleterre  ce  que  nous  pou- 
vons exécuter  chez  nous,  surtout  quand  il  s'agit  d'armes 
de  guerre. 

Ferait-on  un  assez  grand  nombre  de  bonnes  machines 
dans  notre  pays,  pour  satisfaire  aux  besoins  de  toutes 
les  compagnies  de  chemins  de  fer?  Oui,  Messieurs,  on 
exécute  un  grand  nombre  de  bonnes  machines  en  France. 
On  les  exécute  avec  d'énormes  sacrifices,  par  des  moyens 


222  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

de  fabrication  qui  sont  incomplets ,  parce  que ,  n'ayant 
pas  l'espérance  de  beaucoup  de  commandes,  les  construc- 
teurs ne  s'outillent  pas.  Malgré  cette  infériorité  dans  les 
moyens  de  production ,  les  résultats  ont  été  extrêmement 
satisfaisants. 

On  a  cité,  je  le  sais,  des  accidents,  des  manivelles 
mal  cintrées,  des  esaeux  rompus.  Tout  cela  s'est  égale- 
ment vu  en  Angleterre.  Je  me  suis  procuré  un  tableau 
des  accidents  arrivés  aux  machines  anglaises,  par  exem- 
ple aux  machines  locomotives  du  chemin  de  Saint-Ger- 
main. Ce  tableau  est  dressé  par  un  juste  appréciateur  de 
l'industrie  de  nos  voisins  ;  qu'on  le  lise,  et  l'on  aura  beau- 
coup à  rabattre  d'une  aveugle  admiration. 

On  parle  sans  cesse  de  quelques  défauts  de  solidité 
remarqués  à  l'origine  dans  des  machines  construites  en 
Alsace;  ces  défauts  disparurent  aussitôt  qu'on  les  signala. 
J'en  appelle  au  témoignage  de  M.  Kœchlin  :  il  vous  dira 
que  les  machines  de  Thann  marchent  aussi  bien  que  les 
machines  anglaises.  Je  pourrais  invoquer  encore  les  ma- 
chines françaises  d'Anzin,  et  M.  Joseph  Fourier  serait 
mon  garant;  celles  du  chemin  d'Andrezieux  à  Roanne 
sont  louées  par  le  syndic  de  la  compagnie,  etc. ,  etc. 

Quand  on  parle  d'accidents,  on  croit,  je  le  répète, 
qu'en  Angleterre  les  machines  ont  le  privilège  de  ne  pas 
en  subir.  C'est  une  immense  erreur.  J'ai  ici  sous  la  main 
le  'tableau  des  réparations  effectuées  sur  le  chemin  de 
Liverpool  à  Manchester,  en  1833;  ces  réparations  se 
sont  élevées  à  une  dépense  de  453,000  fr.  Qu'on  l'avoue 
donc,  il  arrive  des  accidents  dans  les  machines  anglaises, 
auprès  du  lieu  même  où  elles  sont  fabriquées. 


A  VAPEUR.  223 

Voudrait -on  soutenir  que  les  prescriptions  de  mon 
amendement  sont  sans  précédent  dans  l'administration 
française?  Eh  bien,  vous  trouverez  que  le  24  juiù  1832 
M.  le  ministre  de  la  guerre  prescrivait  impérieusement , 
par  une  circulaire,  que  tous  les  fournisseurs  de  la  guerre 
ne  se  servissent  que  de  draps  et  de  toiles  fabriqués  en 
France.  Le  gouvernement  avait  donc  senti  la  nécessité 
d'encourager  l'industrie  française  :  ici  c'est  plus  qu'une 
industrie,  c'est  d'aune  arme  puissante  qu'il  s'agit. 

Voici,  sans  contredit,  la  question  la  plus  grave. 

Les  usines  françaises  pourraient-elles  suffire  à  tous  les 
besoins? 

Sur  le  nombre  total  des  locomotives  que  nous  avons 
aujourd'hui  sur  nos  chemins  de  f^r,  les  ateliers  français 
en  ont  fabriqué  59,  l'Angleterre  en  a  fourni  97. 

A  quoi  bon  protéger  des  constructions  qui  se  dévelop- 
pent ainsi  d'elles-raêrrîes?  Voici  ma  réponse.  Les  construc- 
teurs français  perdent  actuellement  sur  toutes  les  locomo- 
tives qu'ils  exécutent.  Ils  les  ^vendent  à  très-bas  priXy 
parce  qu'ils  n'ont  pas  d'autre  moyen  de  les  faire  accep- 
ter. Si  mon  amendement  est  adopté,  nos  mécaniciens 
s'outilleront.  Qui  pourrait  actuellement  les  engager  à 
acheter  des  appareils  qui  coûteraient  deux  à  trois  cents 
mille  francs,  quand  ils  n'ont  pas  la  certitude  de  faire  en 
un  an  une  machine  de  la  seule  valeur  de  40,000  fr.? 

Je  disais  qu'il  était  possible  de  trouver  dans  les  ateliers 
français  de  quoi  pourvoir  à  tous  les  besoins  des  chemins 
de  fer,  aux  besoins  présents,  aux  besoins  futurs,  même  en 
parlant  seulement  des  ateliers  qui  aujourd'hui  construi- 
sent des  locorootive& 


224  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

Après  une  enquête  sérieuse,  j'ai  trouvé  que  la  compa- 
gnie d'Anzin  pouvait  faire  10  niachkies  par  an;  que  la 
compagnie  du  Creuzot  pourrait  en  faire  24  dans  le  même 
temps  ;  que  M.  Steheliii  s'engagerait  à  en  fabriquer  2h  ; 
M.  André  Kœchlin,  de  Mulhouse,  24  ;  M.  Gavé,  de  Paris, 
24;  la  compagnie  de  Saint-Étienne  à  Lyon,  12;  M.  Ga- 
zalis,  de  Saint-Quentin,  10  ;  M.  Pauwels,  18  ;  l'atelier  de 
la  Giotat,  sous  la  direction  de  M.  Steplienson,  10. 

Messieurs,  la  classe  des  mécaniciens,  que  concerne  plus 
particulièrement  ma  proposition,  doit  exciter  au  plus  haut 
degré  l'intérêt  de  la  Ghambre. 

Une  de  vos  commissions  a  maintenant  dans  ses  mains 
des  pétitions  qui  devaient  conduire ,  comme  conséquence 
nécessaire,  à  l'amendement  que  j'ai  l'honneur  de  sou- 
mettre à  votre  bienveillance  et  à  vos  lumières.  Ges  péti- 
tions sont  signées  par  plus  de  1,000  ouvriers  de  Rouen, 
par  1,500  ouvriers  de  Paris,  par  600  ouvriers  du  Havre 
et  par  800  ouvriers  d'Arras.  Ges  braves  gens  n'ont  pas 
d'ouvrage;  ce  sont  cependant  des  hommes  d'élite,  des 
hommes  d'une  intelligence  très-remarquable,  très-dé ve- 
loppée.  Ges  hommes,  vous  les  trouverez  toute  la  journée 
travaillant  avec  ardeur,  avec  courage,  avec  habileté;  le 
soir  ils  suivent  des  cours  publics. 

Je  parlerai,  au  besoin,  de  leur  moralité.  M.  Pauwels 
vous  dira  que  naguère  il  fut  obligé,  comme  tant  d'autres 
chefs  de  nos  ateliers,  de  renvoyer  la  moitié  de  ses  400 
ouvriers.  «  Je  garderai ,  leur  dit-il ,  les  plus  habiles  et  les 
plus  anciens.  »  Le  lendemain  il  reçut  une  lettre  que  tous 
les  ouvriers ,  que  tous  les  400 ,  sans  exception ,  avaient 
souscrite.  Ges  ouvriers  demandaient  que  personne  ne  fût 


A  VAPEUR.  215 

renvoyé,  et  qu'on  réduisît  leur  journée  à  moitié  de  l'an- 
cien prix.  Ils  s'étaient  coalisés,  comme  je  l'ai  dit  dans 
une  autre  enceinte  ;  ils  s'étaient  coalisés  pour  souiTrir  en 
commun.  C'était,  vous  le  voyez,  un  genre  de  coalition 
que  la  loi  pénale  n'avait  pas  prévue. 

Savez-vous  ce  que  deviennent  maintenant  ces  hommes 
d'élite,  ces  hommes  qui ,  pour  la  plupart,  ont  déjà  appar- 
tenu à  l'armée,  aux  armes  du  génie  et  de  l'artillerie?  Ils 
deviennent  terrassiers ,  humbles  terrassiers  sur  vos  che- 
mins de  fer. 

J'en  conjure  la  Chambre,  qu'elle  réfléchisse  sur  la 
portée  de  mon  amendement  ;  elle  verra  que  les  chemins 
de  fer  ne  souffriront  pas  de  son  adoption ,  et  que  le  pays 
y  gagnera  beaucoup. 

Je  ne  devine  pas  comment ,  en  présence  de  ces  résul- 
tats, on  pourrait  hésiter  à  organiser  chez  nous  la  fabrica- 
tion d'une  arme  qui  nous  sera  indispensable  en  cas  de 
guerre  maritime ,  tout  aussi  indispensable  que  la  poudre 
et  les  canons.  (Très-bien,  très-bien!) 

[Après  la  réponse  de  M.  Gouin,  ministre  du  commerce,  et  les 
obsenatioDS  de  quelques  députés,  M.  Arago  a  ajouté  : ] 

Je  ne  propose  en  aucune  manière  des  modifications 
dans  le  tarif  des  douanes.  Les  compagnies  de  chemins  de 
fer  ne  paieront  pas,  si  mon  amendement  est  adopté,  leurs 
machines  un  centime  plus  cher  qu'elle  ne  les  paient  sous 
la  législation  actuelle. 

Ce  que  j'ai  demandé,  c'est  qu'on  encourage  la  fabri- 
cation des  machines  à  vapeur,  comme  on  encourage  la 
fabrication  de  la  poudre,  la  fabrication  des  fusils.  C'est  une 
question  d'intérêt  national,  de  force  nationale,  d'indépen- 

V.  —  II.  15 


226  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

dance  nationale,  et  non  pas  une  question  de  douanes. 

Je  me  suis  mis  en  rapport  avec  nos  constructeurs  de 
machines;  j'ai  reconnu  qu'ils  pourraient  lutter  avec  l'An- 
gleterre et  à  armes  égales.  Ce  que  je  vous  demande  est 
une  chose  très-facile  ;  il  n'est  pas  question  de  liberté  du 
commerce,  car,  je  le  répète,  je  n'ai  proposé  mon  amen- 
dement que  pour  les  chemins  subventionnés,  pour  les 
chemins  qui ,  comme  le  disait  M.  Duchâtel ,  ont  abdiqué 
une  partie  de  leur  liberté. 

Je  n'ai  pas  proposé  qu'on  reportât  les  droits  de  15  à 
80  p.  0/0.  Ce  serait  grever  les  entreprises  de  chemins 
fer  d'une  dépense  considérable  dans  une  loi  où  il  s'agit 
précisément  de  venir  à  leur  secours.  Un  vieux  dicton  dit  : 
Donner  et  retenir  ne  vaut.  Je  demande  seulement  que  nos 
constructeurs  français  luttent  à  armes  égales  avec  les 
constructeurs  anglais. 

Les  constructeurs  français,  ayant  la  certitude  qu'on 
s'adressera  à  eux ,  s'outilleront  (  qu'on  me  permette  cette 
expression)  comme  sont  outillés  les  mécaniciens  anglais, 
et  alors  ils  feront  aussi  bien  que  les  étrangers.  Je  ne 
demande  pas  l'augmentation  des  droits.  M.  le  ministre 
s'est  trompé  quand  il  a  cru  que  mon  amendement  se  com- 
binait avec  celui  de  M.  Pauwels.  Je  demande  que  l'on  ne 
confie  pas  l'exécution  de  nos  machines  à  des  étrangers , 
pas  plus  que  je  ne  voudrais  voir  livrer  à  des  étrangers  la 
fabrication  de  la  poudre  et  des  armes  de  guerre.  Je  re- 
viens sur  cet  argument,  car  c'est  celui  qui  m'a  détermine 
à  proposer  mon  amendement. 

[  La  Chambre  prononce  le  renvoi  de  Tamendement  de  M.  Arago  :\ 
la  commission  des  douanes.  ] 


A  VAPEUR.  tf7 


[Le  17  Juin  :i8A0,  M.  Arago  eftt  retenu  daBB  les  ternes  sairants 
sur  sa  proposition ,  à  Toccasion  d'un  projet  de  loi  relatif  4  rétablis- 
sement de  paquebots  à  vapeur  entre  la  France  et  TAmérique.  J 

MesBieure,  te  Chambre  comptendra  que  l'amendement 
que  j'avais  présenté  hier  était  Tavant-^îôUreur  d*im  amen- 
dement que  je  voulais  proposer  sur  la  loi  des  paquebots. 
La  Chambre  ayant  paru  désirer  que  ces  questions-lh  fùs^ 
sent  résolues  dans  la  loi'^des  douanes,  je  n'Insisterai  pas; 
mais  je  demanderai  au  gouvernement  s'il  trouverait  quel- 
que inconvénient  à  s'expliquer  dès  ce  moment-ci  sur  des 
projets  qu'il  a  relativemeiit  au  mode  de  construction  des 
bateaux  à  vapeur. 

Le  gouvernement,  je  le  sais,  a  consulté  une  autorité 
fort  compétente  ;  il  a  demandé  un  rapport  au  comité 
consultatif  des  arts  et  des  manufactures.  Je  crois  être 
certain  que  ce  comité  a  répondu  que  nos  constru6t0Urs 
étaient  parfaitement  en  mesure  (C'est  vrai!)  de  fottrrtir 
les  paquebots  des  machines  de  ^50  chevaux  dont  on 
vient  de  parler.  Je  sais  que  l'administration  de  la  marine, 
à  laquelle  on  doit  s'en  rapporter  pour  la  construction  de 
ces  machina  à  vapeur,  est  très-bien  disposée  pour  la 
plupart  de  nos  usines.  Mais  je  sais  aussi  qu'il  y  a  dans 
les  règlements  de  la  marine,  dans  ses  habitudes,  des  exi- 
gences qui  placent  nos  constructeurs  dans  une  position 
extrêmement  défavorable,  dans  une  position  non*SeuIe* 
ment  défavorable  pécuniairement  parlant,  mais  encore 
dans  une  pogitîon  très-défavorable  sous  un  rapport  auquel 


%'tH  CONSTRUCTION  DES  MACHINES 

nos  compatriotes  doivent  être  très-sensibles,  sous  le  rap- 
port d'honneur. 

Voici  quels  sont  les  règlements  de  la  marine,  quelles 
sont  ses  habitudes  avec  les  constructeurs,  que  d'ailleurs 
elle  traite  avec  beaucoup  de  bienveillance  à  d'autres 
égards. 

Elle  paie  par  tiers.  Eh  bien,  qu'elle  paie  par  tiei*s 
aux  mêmes  conditions  aux  Anglais,  nous  n'aurons  rien  à 
dire;  mais  quand  c'est  un  constructeur  anglais  auquel 
l'administration  de  la  marine  s'adresse,  elle  donne,  le 
jour  de  la  signature  du  contrat,  le  tiers  de  la  somme  con- 
venue. Au  contraire,  nos  constructeurs  ne  sont  payés 
de  ce  tiers-Jà  que  fort  tard. 

Quand  un  constructeur  français  traite  avec  l'admi- 
nistration de  la  marine ,  on  prend  sur  le  prix  concédé 
&  p.  0/0  au  profit  de  la  caisse  des  Invalides.  Ces  â  p.  0/0 
ne  sont  pas  ordinairement  pris  s'il  s'agit  d'un  construc- 
teur anglais. 

Quand  le  constructeur  est  français,  on  exige  de  lui  un 
cautionnement,  et  le  cautionnement  n'est  jamais  exigé  de 
la  part  d'un  constructeur  anglais. 

Enfin,  quand  le  constructeur  est  un  de  nos  compa- 
triotes, on  demande  qu'un  banquier  signe  solidairement 
l'acte  qui  l'engage  envers  l'État  ;  et  tout  cela  ne  s'obtient 
pas  sans  de  très- grands  sacrifices. 

Je  demande ,  si  le  gouvernement  s'adresse  à  nos  con- 
structeurs, comme  je  l'espère,  comme  l'avis  favorable  du 
comité  consultatif  des  arts  et  des  manufactures  me  le  fait 
supposer,  je  demande  que  les  constructeurs  français 
soient  traités  aux  mêmes  conditions  que  les  coi^tructeurs 


A  VAPEUR.  2i9 

anglais,  et  que  les  prescriptions  dont  je  viens  de  parler 
ne  leur  soient  pas  imposées,  car  elles  dinninueraient  les 
bénéfices  de  manière  à  rendre  impossible  la  propagation 
de  cette  industrie  dans  notre  pays. 

Je  prie  M.  le  ministre  de  prendre  en  considération  les 
observations  que  j*ai  faites,  et  les  règlements  maritimes 
qui  placent  les  constructeurs  français  dans  une  position 
défavorable  avec  les  constructeurs  anglais,  non-seulement 
sous  le  rapport  pécuniaire,  mais  encore  sous  le  rapport 
moral.  Je  viens  de  parler  de  la  position  de  nos  construc- 
teurs relativement  aux  constructeurs  anglais.  Je  suis  heu- 
reux de  pouvoir  vous  donner  un  renseignement  qui  émane 
d^one  autorité  compétente,  d'un  des  ingénieurs  de  la  ma- 
rine royale  les  plus  distingués,  actuellement  employé  à 
Toulon,  et  qui  montre  que  les  constructeurs  français, 
même  pour  la  force  à  laquelle  ils  ont  atteint,  n'ont  rien 
à  craindre  de  la  comparaison  avec  les  constructeuFs  an« 
glais,  quand  on  met  les  machines  entre  les  mains  d'in* 
génieurs  expérimentés,  et  qu'on  ne  vise  pas  à  faire  des 
économies.  Voici  la  lettre  : 

«Les  machines  du  Fulion  (c'est  un  constructeur  fran- 
quî  a  fourni  le  Fulton)  sont  encore  dans  un  état  i)arfdit, 
ainsi  que  ses  chaudières,  les  plus  anciennes  de  toutes 
celles  en  fer  de  nos  bâtiments  y  compris  le  Sphitico ,  par 
Fawcett,  qui  est  à  son  huitième  jeiK  Ces  faits  montrent 
évidemment  une  supériorité  de  fabrication  et  de  préci- 
sion dans  le  montage ,  et  ils  me  semblent  un  argument 
sans  réplique  contre  les  préventions  de  l'anglomanie. 
Votre  Achéron ,  plus  moderne,  promet  de  marcher  sur  lés 
mêmes  traces  que  le  Fultonj  son  aîné  !  » 


290  CONSTRUCTION  DE3  MACHINES 

G'eât  l'ingémeur  de  la  marine  royale  de  Toulon  qui 
écrivait  ces  lignes  flatteuses  à  M,  Hall^te^  d'Arras. 

VI 

'  [Lors  du  vote  de  la  loi  de  concession  du  chemin  de  fer  de  Paris  à 
Strasbourg,  dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés  du  2  juillet 
18A4,  M.  Arago  est  encore  revenu  sur  sa  proposItiOD.  Voici  les  pa- 
roles qu'il  a  prononcées  à  cette  occasion,  extraites  du  Moniteur  du 
3juiUet] 

Je  propose  un  amendement  qui  intéresse  au  plus  haut 
degré  Thonneur  national,  la  défense  du  pays.  Je  demande 
qi»e,  dans  tous -les  chemins  subventionnés  par  TÉtat,  on 
emploie  au  moins  neuf  machines  sur  dix  exécutées  dans 
nos  ateliers. 

Je  demande  cette  disposition  avec  instance  parce  qu'il 
est  établi  à  mes  yeux  que  nos  loécaniciens  travaillent  aussi 
bien  que  les  étrangers.  Je  le  demande  aussi  par  un  motif 
d- humanité.  J'affirme  qu'il  y  a  dans  ce  n¥>ment,  dans  la 
seule  ville  d'Arras,  trois  ou  quatre  cents  mécaniciens  qui 
n'ont  pas  d'ouvrage.  Je  n'ai  fait  une  exception  sur  dix 
qu' afin  qu'on  puisse,  au  besoin ,  se  procurer  des  modales. 
Songez,  Messieurs,  songez  que  les  machines  k  vapeur 
sont  des  instruments  de.  guerre  ;  que  si  la  guerre  éclate , 
ce  sera  à  coups  de  no^achines  à  vapeuf  qu'oie  se.  battra. 
Vous  devez  réserver  soigneusement  au  pays  le  moyen 
d'exécuter  ces  machines.  Dans  les  combats  de  bateaux  à 
vapeur ,  l'intelligence  et  Thabiieté  des  mécaniciens  et  des 
chauffeurs  joueront  un  grand  rôle.  Créez  donc  sans  retard 
des  chauffeurs  et  des  mécanicienst  II  y  a  va  de  rhonneur 
du  pays. 


A  VAPEUR.  23t 

Messieurs,  la  marine  recrute  ses  équipages  de  navires 
à  voiles  parmi  les  matelots.  Il  faudra  bien  qu'elle  com- 
pose en  partie  ses  équipages  de  bâtiments  à  vapeur  de 
mécaniciens.  Elle  sera  obligée  de  former  de  nouvelles 
classes  nautiques.  La  situation  qu'on  fera  ainsi  aux  ou- 
vriers mécaniciens  deviendrait  intolérable ,  si  leur  nombre 
ne  s'accroissait  pas  considérablement 

[  Après  la  réponse  de  M.  Laptagne,  ministre  des  finances,  M.  Arago 
a  ajouté  :  ] 

Messieurs ,  il  y  a  dans  notre  pays ,  et  particulièrement 
dans  les  conseils  des  compagnies  de  chemins  de  fér,  des 
personnesqui  ont  des  préjugés  enracinés  sur  une  préten** 
due  infériorité  de  nos  mécaniciens.  (Non!  non  !)  Mes^ 
sieurs,  ne  me  forcez  pas  de  citer  des  noms;  si  vour> 
l'exigiez ,  j'en  citerais  beaucoup. 

La  première  de  toutes  les  forces  est  la  confiance:  en 
soi-même.  Si  le  gouvernement  ne  montre  pas  clairement 
cette  confiance,  en  déclarant  qne  dans  tous  les  chemins < 
de  fer  qu'il  dirigera,  qu'il  subventionnera,  qu'il  exploitera, 
on  emploiera  lés  neuf  dixièmes  de  locomotives  fabriquées, 
en  France ,  vous  pouvez  être  assurés  que  les  compagnies 
s'approvisionneront  de  machines  hors  de  France. 

La  séance  est  trop  avancée,  et  MM.  les  députés  sont 
trop  impatients,  pour  que  je  tente  de  prouver  en  détail 
qu'il  y  a ,  sous  ce  rapport ,  dans  notre  pays ,  des  pré» 
jugés  absurdes  et  invétérés. 

Je  reconnais,  j'en  ai  été  averti,  que  dans  la  loi  de: 
douanes  on  a  porté  le  droit  d'entrée  des  machines  loco- 
motives à  30  p.  0/0,  tandis  qu'il  n'était  jusqu'ici  qa'ài 
15  p.  0/0.  Voulez-vous  que  je  vous  dise  comment  est  arrivé; 


232     CONSTRUCTION  DES  MACHINES  A  VAPEUR. 

ce  ehangement  de  tarif?  J'ai  soutenu  ici  une  lutte  très* 
longue  et  très-vive  pour  faire  établir  que  les  locomotives 
sont  des  machines  à  vapeur  ;  elles  étaient  portées  dans  la 
loi  de  douanes  comme  machines  à  dénommer.  Vous  voyez 
donc,  M.  le  ministre,  qu'il  n'était  pas  tout  à  fait  exact 
dédire  que  vous  n'aviez  pas  attendu  mes  avertissements 
pour  faire  cette  modification. 

Rien  n'est  plus  important  que  de  faire  exécuter  les 
machines  à  vapeur  dans  nos  ateliers.  Je  sais  de  science 
certaine,  que  des  membres  de  certaines  compagnies  sont 
imbus  de  préjugés  sur  cette  question,  et  il  faut  les  faire 
disparaître.  Je  sais  quelle  lutte  j'ai  eu  à  soutenir  pour  faire 
prévaloir  parmi  des  officiers  pleins  de  mérite ,  l'opinion 
que  nos  artistes  pouvaient  exécuter  les  instruments  de 
précision,  ceux  dont  la  marine  fait  usage ,  par  exemple , 
aussi  bien  que  les  artistes  anglais.  J'ai  été  dix  ans  à  faire 
prévaloir  celte  opinion  ;  avec  le  ten;ips  et  la  persévérance, 
j*arriverai  au  même  résultat  pour  les  machines.  Il  est 
d'une  importance  extrême  d'exécuter  les  machines  à  va- 
peur de  toute  nature  dans  nos  ateliers,  parce  qu'il  est 
indispensable  d'augmenter  en  France  le  nombre  des  mé- 
caniciens. Je  le  répéterai  à  satiété,  la  marine  en  a  besoin  ; 
souvent  le  résultat  d'une  bataille  dépendra  de  l'habileté 
du  chauffeur  et  du  mécanicien.  Je  sollicite  dans  un  inté- 
rêt national (Aux  voix,  aux  voix!)  Je  vois  que  c'est 

un  parti  pris Je  profite  d'un  moment  de  silence  pour 

répéter  qu'il  est  question  dans  mon  amendement  de  ce 
qu'il  y  a  de  plus  précieux  au  monde,  de  la  défense  de 
notre  pays.  Voilà  une  vérité  évidente.  Votez  maintenant 
comme  vous  voudrez  ! 


LES  CHEMINS  DE  FER 


[  M.  Arago  a  exercé  une  grande  influence  sur  la  direction  impri- 
mée à  l^établissement  des  chemins  de  fer  en  France.  Les  discours 
qu^il  a  prononcés,  les  rapports  qu'il  a  rédigés  à  cette  occasion  for- 
ment, sur  les  diverses  questions  que  le  sujet  comporte,  de  vérita- 
bles Notices  scientifiques  réunies  ici  dans  l'ordre  chronologique.] 


1 

NÉCESSITÉ  D'EUPÊCUER  LES  COMPAGNIES  DE  RELEVER  LEURS  TARIFS 
lMMÉpiATElfD?iT  APRÈS  LES  AVOIR  ABAISSÉS 

[A  Toccasion  du  vote  d'une  loi  portant  concession  du  chemin 
de  fer  de  Montpellier  à  Cette,  M.  Arago  a  propos  l'amendement 
suivant  : 

«  Toutes  les  fois  que  le  concessionnaire  aura  cru  devoir  réduire 
les  tarifs  pour  les  pei'sonnes  et  les  marchandises,  il  ne  pourra  plus 
les  élever  sans  le  consentement  du  conseil  municipal  de  Mont- 
pellier. » 

M.  Arago  a  développé  son  amendement  dans  le  discours  suivant, 
extrait  du  Moniteur  du  12  juin  1836.  ] 

Messieurs,  je  suis  partisan  des  chemins  de  fer,  tout 
autant  que  qui  que  ce  soit  au  monde  ;  mais  je  suis  par- 
tisan des  chemins  de  fer,  à  la  condition  que  la  masse  du 
pubUc  y  trouvera  quelque  profit. 

Eh  bien,  vous  savez  ce  que  font  les  concessionnaires 
des  chemins  de  fer;  la  loi  fixe  un  prix  maximum;  il  y  a 
quelquefois  des  moyens  de  communications  plus  écono- 


234  LES  CHEMINS  DE  FER. 

miques  que  celui  que  présente  le  chemin  de  fer  ;  momen- 
tanément, la  compagnie  du  chemin  fer  abaisse  les  prix 
de  manière  à  tuer  tous  les  moyens  de  communication 
économique  qui  sont  dans  les  environs;  et  aussitôt  que 
ces  moyens  de  communication  n'existent  plus,  on  revient 
au  prix  maximum,  de  manière  que  le  public,  loin  d'avoir 
tiré  quelque  profit  de  l'exécution  du  chemin  de  fer,  se 
trouve  n'avoir  plus  à  sa  disposition  les  moyens  de  com- 
munication peu  coûteux  dont  il  pouvait  précédemment 
tirer  parti. 

C'est  là  ce  qui  est  arrivé  pour  le  chemin  de  fer  de 
Saint-Étienne  à  Lyon  ;  on  a  abaissé  les  prix  pour  tuer 
toutes  les  diligences,  et  faire  que  les  habitants  de  ces 
deux  villes  ne  pussent  plus  aller  de  l'une  à  l'autre  que  par 
le  chemin  de  fer;  et  aussitôt  que  les  compagnies  rivales 
forent  anéanties ,  leur  matériel  dispersé,  on  est  revenu  h 
des  prix  excessifs. 

Nous  aurons  aussi  cette  question  à  résoudre  pour  le 
(U'ojet  qui  vient  immédiatement  après  celui-ci;  pour  le 
chemin  de  fer  de  Paris  à  Versailles,  mon  but  deviendra 
très-clair. 

Nous  avons  maintenant,  pour  communiquer  entre  Paris 
et  Versailles,  des  voitures  qu'on  appelle  des  Gondoles, 
et  d'autres  voitures  à  volonté  qu'on  désigne  par  le  nom 
buriesque  de  Coucous. 

Ces  voitures  portent  les  habitants  de  Paris  à*  Versailles 
à  des  prix  très- minimes;  les  deux  tiers  de  la  population 
de  Paris  qui  vont  à  Versailles  se  servent  de  ces  coucous 
à;  75  cent.  Maintenant  le  maximum  du  tarif  pour  le  che- 
min de  fer  est  1  franc  80  centimes.  Il  n'y  a  pas  de  doute 


LES  CHEMINS  DE  FBR.  «35 

que  la  compagnie  commencera  par  abaisser  ses  prix  de 
manière  à  faire  disparaître  toutes  les  entreprises  de  trans- 
port rivales,  et  reviendra  ensuite  à  des  tarifs  exagérés. 
C'est  cela  que  je  veux  éviter  par  mon  amendemeat. 

Je  n'ai  pas  voulu  non  plus  que  la  compagnie  qui  aurait 
fait  un  mauvais  calcul,  qui  dans  ses  prévisions  se  serait 
imaginé,  par  exemple,  que  les  rails  résisteraient  pendant 
longtemps»  que  les  machines  locomotives  ne  donneraient 
pas  lieu  &  de  grandes  réparations,  je  n- ai  pas  voulu  qu'elle 
périt  pour  avoir  fait  un  mauvais  calcul.  Je  n'ai  pas  voulu 
qu'elle  portât  la  peine  de  diminutions  légitimes,  natu- 
relles, faites  dans  un  but  d'amélioration.  Le  conseil  mu* 
nicipal  de  la  ville  principale  sera  juge  de  la  question;  il 
dira  si  la  réduction  doit  être  maintenue,  ou  bien  si  elle 
doit  être  modifiée  ;  mais  dans  le  cas  où  la  réduction  de 
prix  aurait  eu  pour  but  de  tuer  des  moyens  de  commu- 
cation  économique  qui  existaient  entre  une  ville  et  l'autre, 
il  n'y  aurait  pas  de  loyauté  à  permettre  à  la  compagnie 
de  revenir  à  des  tarifs  très -élevés;  car  la  masse  de  la 
population,  loin  d'avoir  profité  de  l'établissement  du  che- 
min de  fer,  se  trouverait  y  perdre  beaucoup. 

Je  le  répète ,  les  deux  tiers  des  habitants  de  Paris  qui 
se  fa'anq[)ortent  à  Versailles  y  vont  pour  75  centimes.  Eli 
bien,  aussitôt  que  la  compagnie  sera  autorisée,  ^elle  abais^* 
sera  ses  prix  au-dessous  de  ceux  des  autres  voitures,  de 
manière  à  les  faire  disparaître,  et  reviendra  ensuite  à 
des  prix  plus  élevés. 

Dans  les  dispositions  de  mon  amendement,  la  com* 
pagnie  ne  portera  point  la  peine  d'un  mauvais  calcul, 
et  en.l'adpptant,  vous  aurez  garanti  le«  intérêts  de  la 


23«  LES  CHEMINS  DE  FER. 

masse  de  la  population,  et  c'est,  ce  me  semble,  à  la 
masse  de  la  population  que  nous  devons  surtout  porter 
intérêt. 

[  Après  la  réponse  de  M.  Legrand,  directeur  général  des  ponts  et 
chaussées,  M.  Arago  s'est  exprimé  en  ces  termes  :  ] 

Messieurs,  lorsque  j'ai  vu  M.  le  directeur  général 
monter  à  la  tribune,  j'ai  cru  qu'il  avait  la  bonté  de  venir 
appuyer  mon  amendement.  En  effet ,  M.  le  directeur  gé- 
néral, iï  y  a  trois  jours,  m'a  dit  qu'il  était  arrivé  à  la 
même  conséquence  que  moi  sur  les  inconvénients  de  cette 
concurrence  qui  peut  détruire  les  compagnies  rivales, 
qu'il  avait  à  cet  égard  les  mêmes  idées  que  moi.  Je 
l'avais  même  prié,  comme  ayant  plus  l'habitude  que  moi 
des  rédactions  administratives,  de  rédiger  l'amendement. 

M.  LE  DIRECTEUR  GÉitÉRAL  DES  PONTS  ET  CHAUSSÉES.  Je  VOUS  de- 
mande pardon...  Je  demande  la  parole  pour  un  fait  personneL 

M.  Arago.  Il  a  ajouté  qu'une  considération  l'avait  em- 
pêché de  présenter  cet  amendement  dans  le  projet  de  loi, 
et  que  cette  considération  était  qu'il  n'avait  pas  trouvé 
de  sanction  pénale. 

M.  le  directeur  général  nous  a  parlé  de  la  liberté  du 
commerce.  Aussi,  jç  ne  demande  pas  que  la  Chambre 
prenne  aucune  disposition  analogue  à  ce  qui  a  lieu  quand 
il  s'agit  de  compagnies  tout  à  fait  libres,  qui  ne  deman- 
dent au  gouvernement  aucune  espèce  de  privilège.  Mais 
quand  il  s'agit  d'expropriation,  lorsqu'on  demande  à  l'au- 
torité un  véiitable  privilège,  lorsque  vous  vou3  croyez 
autorisés,  malgré  le  principe  de  la  liberté  du  commerce, 
à  fixer  le  prix  maximum  du  péage ,  je  ne  vois  pas  pour- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  237 

quoi  VOUS  n'interviendriez  pas  lorsqu'il  s'agit  de  quelques 
modifications  à  apporter  à  ce  prix. 

M.  le  directeur  général  a  parlé  de  ce  qui  existait  en 
Angleterre.  En  Angleterre,  il  y  a  une  mesure  appliquée 
à  beaucoup  d'entreprises  de  cette  nature,  que  je  n'aurais 
pas  osé  proposer  à  la  Chambre,  parce  qu'elle  jetterait 
dans  nos  habitudes  des  éléments  de  discussion  :  je  veux 
parler  du  droit  de  révision.  En  Angleterre,  le  gouverne- 
ment se  réserve  le  droit  de  modifier  les  tarifs  lorsque  les 
bénéfices  atteignent  un  certain  taux,  et  en  général  c'est 
10  p.  0/0.  Le  gouvernement  peut  alors  diminuer  le  tarif 
imposé  dans  l'acte  de  concession.  Qu'arrive -t-il?  c'est 
que  toujours  les  dividendes  sont  de  9  francs  99  centimes. 
Aussitôt  qu'on  est  arrivé  à  ce  taux,  on  applique  le  surplus 
à  l'amélioration  du  matériel,  du  chemin,  etc.  Si  l'on  vou- 
lait admettre  ce  mode  dans  notre  pays ,  pour  moi,  je  n'y 
suis  nullement  disposé  ;  si  l'on  disait  que  l'administration 
aura  le  droit  d'examiner  les  comptes  de  doit  et  avoir 
d'une  compagnie,  pour  diminuer  le  tarif  quand  les  bé- 
néfices auraient  dépassé  un  certain  taux,  ce  serait  à  peu 
près  l'équivalent  de  la  stipulation  que  je  propose  à  la 
Chambre  ;  mais  je  crois  que  cette  surveillance  de  l'admi- 
nistration sur  les  comptes  d'une  compagnie  particulière 
ne  conviendrait  pas  à  nos  mœurs,  à  nos  habitudes,  et 
c'est  pour  cela  que,  pour  parer  à  un  inconvénient  qu'on 
ne  peut  méconnaître,  je  demande  que  la  compagnie  ne 
puisse  tuer  à  sa  guise,  quand  elle  le  voudra ,  les  entre- 
prises de  transports  rivales  qui  sont  à  côté  d'elle. 

Si  vous  n'admettez  pas  cet  amendement,  voici  ce  qui 
arrivera  pour  Paris.  Les  Parisiens,  qui  vont  à  Versailles 


238  LES  CHEMINS  DE  FER. 

pour  45  SOUS,  ne  pourront  plus  y  aller  que  pour  âO.  Voilà 
le  bénéfice  qu'ils  auront  trouvé  dans  le  chemin  de  fer  voté 
par  la  Chambre. 

[  M.  Salvandy,  rapporteur  de  la  commission  de  la  Chambre,  ayant 
déclaré  quMl  ne  voyait  d^inconvéïiient  à  TamcndemeDt  de  M.  Arago, 
que  dans  Tattributlon  au  conseil  municipal  de  Montpellier  du  juge- 
ment de  la  question  de  l'opportunité  de  relever  les  tarifs,  M.  Arago 
a  ajouté  :  ] 

Eh  bien,  mettez  «  sous  le  consentement  de  l'administra- 
tion. »  Cela  répondra  à  l'argument  de  M.  le  ministre  du 
commerce,  qui  craint  les  susceptibilités  municipales. 

[M.  de  Salvandy  déclara  alors  n'avoir  plus  d'objection  à  faire, 
mais  M.  le  ministre  du  commerce  prétendit  ne  pouvoir  accepter  la 
responsabilité  que  Tamendement  Imposerait  à  Tadminlstratlon. 

La  Chambre  a  rejeté  la  proposition  de  M.  Arago.  IHus  tard  tous 
les  cahiers  des  charges  de  concessions  de  chemins  de  fer  à  des 
compagnies,  ont  porté  que  les  taxes  ne  pourraient  être  réduites  que 
diaprés  le  consentement  de  Tadministration,  et  que,  les  réductions 
étant  approuvées,  les  tarifs  ne  pourraient  être  relevés  avant  un 
délai  d'un  an.  ] 


II 


SUR  LES  INCONVÉNIENTS  DE  L'ÉTABLISSEMENT  DE  DEUX  CHEMINS 

DE  PER   DE  PARIS   A   VERSAILLES 

[A  l'occasion  du  vote  de  la  loi  sur  les  chemins  de  fer  de  Paris  à 
VersaiUes,  M.  Arago  a  prononcé  le  discours  suivant,  extrait  du 
Moniteur  du  iU  juin  1836.  ] 

J'avais  l'intention  de  me  borner  à  examiner  la  question 
de  savoir  si  deux  routes  peuvent  être  exécutées  simulta- 
nément et  avec  fruit,  entre  Paris  et  Versailles.  Mais  les 
éloges  sans  restriction  que  M.  le  directeur  général  des 
ponts  et  chaussées  vient  de  donner  au  projet  de  chemin 


1£S  CHEMINS  DE  FEB.  239 

sur  la  rive  droite ,  m'obligent  à  examiner  si  ces  éloges  ne 
peuvent  pas  donner  lieu  à  quelques  doutes. 

Je  remarque -d'abord  que  M.  le  directeur  général  des 
ponts  et  chaussées  a  insisté  sur  cette  circonstance  que, 
suivant  lui,  la  tête  du  chemin  de  la  rive  droite  est  dans 
une  position  plus  centrale.  Il  faut  s'expliquer  sur  une 
pareille  quaUfication. 

M.  Legrand..  Je  D*al  pas  dit  cela. 

M.  Arago.  Il  est  très-vrai,  comme  Vn  ditM.  Legrand, 
que  les  diligences  se  sont  en  général  établies  sur  la  rive 
droite.  Mais  cela  peut  ne  pas  tenir  à  des  considérations 
de  commodité  pour  les  voyageurs.  J'ignore,  pour  ma 
part,  quels  ont  été  les  motifs  qui  ont  déterminé  les  direc- 
teurs des  diligences  de  Versailles  à  se  placer  sur  la  rive 
droite;  mais,  je  me  trompe,  l'un  de  ces  motifs  je  le 
trouve  dans  l'argumentation  de  M.  le  directeur  général 
des  ponts  et  chaussées,  dans  cette  assertion  dont  je  m'em- 
pare, que  le  chemin  de  terre  de  la  rive  gauche  est  plus 
long  que  le  chemin  de  terre  de  la  rive  droite.  Or,  tout  le 
monde  comprendra  que  lorsqu'on  veut  aller  de  Paris  à  Ver- 
sailles avec  des  chevaux,  on  prenne  le  chemin  le  plus  court. 

Nous  avons,  d'ailleurs,  un  moyen  irrécusable  de  résou- 
dre la  question  que  M.  Legrand  a  soulevée.  Ce  moyen, 
la  commission  l'a  employé;  il  consiste  à  chercher,  non 
pas  le  centre  de  figure  de'Paris,  car  la  surface  irréguHèrc 
de  cette  ville  n'a  pas  de  centre  proprement  dit,  mois  te 
centre  de  gravité  de  la  population  parisienne ,  mais  le 
point  autour  duquel  cette  population  est  également  répar- 
tie. On  a  découvert  que  ce  point  est  dans  le  voisinage  de 
la  rue  des  Bourdonnais.  Eh  bien,  cherchez,  d'une  part. 


8i0  LES  CHEMINS  DE  FER. 

la  distance  de  ia  rue  des  Bourdonnais  à  la  tête  du  chemin 
de  la  rive  droite,  et  de  Tautre,  la  distance  de  la  même 
rue  à  la  tête  du  chemin  de  la  rive  gauche,  et  vous  trou- 
verez cette  seconde  distance  beaucoup  moins  grande  que 
la  première. 

On  répond,  je  le  sais ,  que  les  habitants  d'un  certain 
côté  de  ce  centre  de  gravité  ne  jouissent  pas  des  facultés 
de  locomotion,  ou  du  moins  qu'ils  n'ont  pas  les  moyens 
de  les  exercer  ;  on  dit  que  le  désir  d'aller  à  Versailles,  el 
l'argent  que  ce  voyage  coûte,  n'appartiennent  qu'à  la 
population  voisine  des  boulevards.  Nous  avons  une  ré- 
ponse catégorique.  Je  reconnais  avec  vous  que  les  habi- 
tants de  la  Ghaussée-d'Antin  et  des  boulevards  ne  voyagent 
guère  par  les  voitures  économiques  qu'on  appelle  les 
Coucous;  je  reconnais  que  ces  sortes  de  voitures  onl 
affaire  seulement  aux  classes  moyennes  et  aux  classes 
pauvres.  Eh  bien,  ce  sont  elles  qui  transportent  les  deux 
tiers  des  habitants  de  Paris  qui  vont  à  Versailles;  ce  sont 
CCS  deux  tiers  des  habitants  voyageurs  que  vous  favori- 
seriez en  portant  la  tête  du  chemin  sur  la  rive  gauche. 

Le  chemin  de  fer  de  la  rive  droite  aura  le  défaut 
d'être  plus  long  que  l'autre  d'un  tiers  oU  d'un  quart. 
C'est  un  défaut  capital ,  non-seulement  parce  qu'il  don- 
nera lieu  à  une  plus  grande  dépense  d'établissement, 
mais  aussi  à  raison  d'un  tiers  ou  d'un  quart  d'augmen- 
tation qu'il  amènera  dans  les  frais  de  traction  et  dans 
l'entretien  des  machines  locomotives.  Les  machines  loco- 
motives, en  effet,  se  détériorent  proportionnellement  à  la 
longueur  du  chemin  qu'elles  parcourent.  Aussi,  remar- 
quez, Messieurs,  que  nos  maîtres  en  fait  de  chemins  de 


LES  CHEMINS  DE  FER.  244 

fer,  que  les  Anglais,  dont  nous  consultons  chaque  jour 
l'expérience ,  cherchent  à  tout  prix  à  raccourcir  les  lon- 
gueurs parcourues.  Le  chemin  de  fer  de  Liverpool  à 
Manchester  renferme  des  plans  inclinés  assez  rapides; 
pour  franchir  ces  plans,  les  machines  locomotives  ne 
suffisent  pas;  on  est  obligé  d'avoir  recours  à  d'autres 
moyens.  Eh  bien,  on  aurait  pu  les  éviter  en  faisant  cer- 
tains détours.  En  suivant  la  Mersey  et  remontant  l'irwel , 
on  eût  pu  arriver  à  Manchester  sans  plans  inclinés;  mais 
la  route  eût  été  notablement  plus  longue,  et  on  a  passé 
par-dessus  Tinconvénient  des  fortes  pentes. 

M.  LE  DIRECTEUR  GÉNÉRAL.  Vous  ôtes  dans  TerreuF. 

M.  Arago.  Je  crois  être  certain  du  fait.  Je  le  tiens 
d'une  personne  bien  informée,  et  tout  à  fait  compétente. 

M.  LE  DIRECTEUR  GÉNÉRAL.  Vous  Tètes  vous-même. 

M.  Arago.  Je  dis  qu'à  Liverpool,  on  aurait  pu  éviter 
des  pentes  rapides,  en  allongeant  notablement  la  route  ; 
on  a  mieux  aimé  passer  condamnation  sur  un  vice  capital, 
pour  avoir  un  chemin  plus  court.  Chez  nous,  avec  des 
pentes  semblables,  c'est  le  chemin  le  plus  long  qu'on  vous 
propose.  La  ligne  de  la  rive  droite  est  d'un  quart  au  moins 
plus  longue  que  celle  de  la  rive  gauche. 

M.  le  directeur  général  vous  a  parlé  de  souterrains  à 
faire  dans  le  parc  de  Saint-Cioud,  comme  d'un  travail 
peu  important;  je  le  regarde,  moi,  comme  très-difficile; 
j'ai  la  certitude  que  son  exécution  exigera  un  temps  fort 
long.  Quand  on  fait  un  souterrain  et  qu'on  a  la  permis- 
sion d'extraire  les  déblais  par  les  deux  bouts  et  par  des 
puits,  le  travail  peut  marcher  avec  assez  de  rapidité; 

V.—Il.  16 


S42  LES  CHEMINS  DE  FER. 

nmis  ici  le  cahier  des  charges  impose  aux  adjudicaftaires 
Tobligation  d'attaquer  la  montagne  par  un  seul  bout. 
Les  déblais  et  le&  transports  des  matériaux  se  feront  donc 
toujours  par  la  même  ouverture.  La  marche  des  travaux 
ne  pourra  manquer  d'en  être  considérablement  ralentie. 

J'ai  demandé,  au  surplus,  à  deux  persoraies  qui  ont 
une  grande  habitude  de  ce  genre  de  travail,  et  cela  sans 
leur  faire  part  du  but  de  ma  question,  je  leur  ai  demandé 
combien  elles  espéraient  qu'on  pourrait  faire  de  mètres 
de  galerie,  en  se  renfermant  dan&  les  conditions  rigou- 
reuses du  cahier  des  charges.  Leur  réponse  a  été  qu'on 
pourrait  avancer  de  huit  à  dix  mètres  par  mois.  II  y  a 
800  mètres,  vous  auriez  donc  à  attendre  de  quatre-vingts 
à  cent  mois...  (Bruits  divers...  Dénégations.) 

Messieurs,  cette  bruyante  dénégation  ne  fait  pas  que  le 
résultat  que  je  présente  ne  m'ait  été  donné  par  des  per- 
sonnes tout  aussi  compétentes  que  le  membre  de  la 
Chambre  qui  m'interrompt.  Je  dirai  plus,  je  dirai  qu'ayant 
consulté,  par  un  intermédiaire,  la  personne  qui  a  fait  le 
projet  de  chemin,  et  cette  personne  est  un  ingénieur  très- 
habile,  un  de  mes  anciens  camarades  de  l'École  polytechr 
nique,  j'ai  su  qu'elle  n'oserait  pas  afiSmier  que  le  souter- 
rain en  question  sera  exécuté  en  trois  ans  ;  moi  je  crois 
qu'il  en  faudra  cinq  ou  six.  Ainsi,  ceux-là  se  trompent 
beaucoup  qui  admettent  le  projet  de  la  rive  droite  avec 
l'idée  qu'elles  verront  un  chemin  l'an  prochain.  Le  sour 
terrain  amènera  un  énorme  retard,  sans  parler  de  la 
dépense. 

On  a  parlé  de  ce  souterrain,  seulement  sous  le  rapport 
de  l'exécution  ;  il  y  aurait  bien  d'autres  considération»  à 


LBS  CHEMINS  DE  PEB:  243 

présenter  à  ce  sujet.  Les  souterrains  parcourus  par  des 
machines  locomotives  n*ont  pas  été  assez  éprouvés  pour 
que  Ton  sache  si  on  y  établira  facilement  des  moyens  de 
purifier  l'air.  Voyez,  en  effet,  ce  que  je  trouve  dans  l'ou- 
vrage que  M.  le  docteur  Lardner  vient  de  publier  ;  il  est 
de  1836.  Je  traduis  littéralement  : 

«  Directions  sinchres  pour  les  spéculateurs  sur  les  cho* 
mins  de  for. 

«  Je  dois  observer,  en  général,  que  nou^  n'avons  encore 
que  peu  d^xpérience,  ou  même  que  nous  n'^en  avons 
aucune ,  sur  les  effets  des  souterrains  dans  des  lignes  de 
chemins  de  fer,  où  des  machines  locomotives  doivent 
traîner  une  grande  quantité  de  voyageurs.  Sur  le  chemin 
de  Leicester  à  Swanington ,  il  y  a  un  souterrain  {tunnel) 
d'environ  un  mille  de  long ,  dans  une  partie  où  le  terrain 
est  à  peu  près  de  niveau;  la  ventilation  s'opère  dans  ce 
souterrain  par  huit  puits  {shafis).  Je  l'ai  souvent  parcouru 
avec  une  machine  locomotive,  et  je  dois  dire  qu'alors 
même  que  j'étais  dans  une  voiture  bien  fermée,  l'incom- 
modité {the  annoyance)  était  très -grande,  et  de  telle 
nature,  qu'elle  ne  pourrait  pas  être  tolérée  sur  des  ligne» 
fréquentées  par  un  grand  nombre  de  voyageurs.  » 

M.  LE  COMMISSAIRE  DU  ROI.  De  quelle  date  est  le  passage? 

M.  Arago.  De  1836.  M.  Lardnisr  ajoute,  il  est  vrai, 
que  sur  le  chemin  de  Leeds  à  Selby,  où  l'on  brûle  du 
coke,  l'inconvénient  ne  paraît  pas  être  aussi  grand,  et 
que  personne  ne  refuse  de  traverser  le  tunnel  avec  une 
machine  locomotive. 

lî  y  a  relativement  aux  tunnels  une  circonstance  capi- 
tale dont  je  vais  encore  entretenir  la  Chambre,  puisque 


944  LBS  CHEMINS  DE  FER. 

H.  le  directeur  général  n*a  pas  jugé  à  propos  d*en  dire  un 
seul  mot.  Messieurs ,  aussitôt  qu^on  descend  à  une  cer- 
taine profondeur  dans  le  sol ,  on  a  toute  Tannée  une  tem- 
pérature constante.  A  Paris  et  dans  ses  environs,  cette 
teimpérature  est  de  huit  degrés  Réaumur  environ;  personne 
tfignore  d'autre  part,  qu'en  été,  à  l'ombre  et  au  nord,  le 
thermomètre  de  Réaumur  (je  parle  de  ce  thermomètre, 
parce  que  vous  en  avez  peut-être  une  plus  grande  habi- 
tude que  du  thermomètre  centigrade),  le  thermomètre 
de  Réaumur  est  quelquefois  à  trente  degrés  au-dessus  de 
zéro  ;  au  Soleil ,  la  température  est  de  dix  degrés  plus 
considérable.  D'ailleurs,  on  n'arrivera  pas  d'emblée  à 
l'embouchure  du  tunnel  ;  les  approches  sont  formées  par 
des  tranchées  profondes,  comprises  entre  deux  faces  verti- 
cales fort  rapprochées,  où  le  renouvellement  de  l'air  sera 
très-lent,  où  la  chaleur  ne  pourra  pas  manquer  d'être  étouf- 
fante. Ainsi  on  rencontrera  dans  le  tunnel  une  tempéra- 
ture de  huit  degrés  Réaumur,  en  venant  d'en  subir  une  de 
quarante  ou  quarante -cinq  degrés.  J'aflirme  sans  hésiter 
que  dans  ce  passage  subit  les  personnes  sujettes  à  la  tran- 
spiration seront  incommodées,  qu'elles  gagneront  des 
fluxions  de  poitrine,  des  pleurésies,  des  catarrhes.  (  Bruits 
divers.  ) 

On  a  parlé  tout  à  l'heure. de  toutes  les  merveilles  du 
chemin  de  la  rive  droite;  permettez-moi  de  vous  présenter 
l'ombre  du  tableau.  (Parlez!)  Je  ne  devine  pas  ce  qui 
peut  soulever  des  doutes.  Quelqu'un  conteste-t-il  que  dans 
l'intérieur  de  la  terre,  à  la  profondeur  du  souterrain,  la 
température  ne  doive  être  à  peu  près  constante,  et  de  dix 
degrés  et  demi  centigrades,  ou  de  huit  degrés  et  une 


LES  CHEMINS  DE  FER.  Uli 

fraction  de  Réaumur?  Veut-on  nier  qu*à  l'ombre  et  au 
nord ,  la  température  sera  quelquefois  de  trente  degrés  ; 
que  dans  la  tranchée  qui  précédera  le  tunnel ,  elle  s*élè- 
vera  de  dix  à  quinze  degrés  de  plus?  Ceci  une  fois  admis, 
j'en  appelle  à  tous  les  médecins  pour  décider  si  un  abais- 
sement subit  de  quarante- cinq  à  huit  degrés  de  tempé- 
rature n'amènera  pas  des  conséquences  fatales?  Veut-ôn 
d'ailleurs  des  faits,  j'en  citerai  un. 

Je  traversais  un  matin,  par  un  temps  nébuleux,  le 
tunnel  de  Liverpool,  situé  sous  la  ville,  et  dans  lequel  les 
voyageurs  ne  vont  plus.  L'alderman  avec  lequel  je  faisais 
route  était  transi ,  et  me  demanda  en  grâce  de  l'enve- 
lopper dans  ma  redingote.  Cependant  la  différence  de 
température  n'était  pas  à  beaucoup  près  aussi  considé- 
rable que  celle  dont  je  viens  de  parler,  et  qui  existera 
inévitablement  pendant  deux  ou  trois  mois  de  l'année  au 
tunnel  de  Saint -Cloud. 

Vous  savez ,  Messieurs,  puisque  je  les  ai  développées  à 
cette  tribune,  quelles  sont  mes  idées  sur  l'explosion  des 
machines  à  vapeur  ;  vous  savez  que  je  ne  crains  pas  beau- 
coup l'explosion  des  machines  à  haute  pression  ;  j'ai  même 
soutenu  qu'avec  les  précautions  que  la  loi  prescrit  elles 
doivent  être  moins  fréquentes  que  les  explosions  des  ma- 
chines ordinaires.  Mais  enfm  la  chose  est  possible  ;  il  est 
possible  qu'une  machine  locomotive  éclate  ;  c'est  alors  un 
coup  de  mitraille  ;  mais  à  la  distance  où  sont  placés  les 
voyageurs,  le  danger  n'est  pas  énorme.  Il  n'en  serait  pas 
de  même  dans  un  tunnel  :  là  vous  auriez  à  redouter  les 
coups  directs  et  les  coups  réfléchis;  là  vous  auriez  à 
craindre  que  la  voûte  ne  s'éboulât  sur  vos  têtes. 


M6  LES  CHEMINS  DE  FEfi. 

Je  le  répète,  au  surplus,  je  ne  crois  pas  que  le  danger 
6oit  bien  grand  ;  mais  enfin  puisqu'on  a  cité  en  faveur  de 
ia  rive  droite  une  foule  d'avantages  qui  ne  m'avaient  pas 
frappé,  j'ai  rempli  un  devoir  en  montrant  que  le  long 
tK)uterrain  augmenterait  considérabl^nent  les  fftcheux 
effets  d'une  explosion. 

Vous  vous  êtes  déjà  demandé,  sans  doute,  à  quelle 
conséquence  je  veux  arriverfMir  cette  discussion*  La  con- 
séquence, je  ne  vous  la  ferai  pas  attendre  ;  la  voici  :  Il  y 
a  dans  la  Chambre  des  membres  qui ,  comme  moi ,  pen- 
sent que  le  Chemin  de  la  rive  gauche  est  préférable  & 
celui  de  la  rive  droite,  sous  le  rapport  de  l'art;  car  les 
pentes  sont  les  mêmes,  la  longueur  est  notablement 
moindre ,  et  il  n'y  a  pas  de  souterrain.  M.  le  directeur 
général  vous  a  dit  que  telle  n'était  pas  l'opinion  du  con- 
seil des  ponts  et  chaussées.  Je  conçois  que  la  Chambre , 
en  présence  de  ces  divergences  d'opinion ,,  ne  veuille  pas 
se  prononcer  sur  une  question  d'art;  mais  elle  aurait  un 
moyen  radical,  décisif,  incontestable,  pour  arriver  au 
but  ;  ce  serait  de  mettre  simultanément  les  deux  chemins 
en  adjudication.  Le  meilleur  demandera  évidemment  le 
moindre  péage.  Pour  moi ,  qui  crois  la  rive  gauche  pré- 
férable, je  suis  convaincu  que  les  soumissionnaires  exige- 
raient un  moindre  prix  pour  cette  rive  que  pour  la  rive 
droite,  si  vous  décidiez  que  l'adjudication  devrait  porter 
sur  le  transport  total  de  Paris  à  Versailles. 

M.  ViTiEN.  Alors  il  faudra  leur  donner  le  nionopole. 

M.  Arago.  Nullement ,  je  ne  le  demande  pas  ;  je  me 
suis  borné  à  dire  que  dans  l'impossibilité  où  la  Chambre 
peut  se  trouver  de  prononcer  entre  les  éloges  que  M.  le 


LES  CHEMINS  DE  FER..  M7 

directeur  général  des  pools  et  chaussées  a  donnés  au 
chemin  de  la  rive  droite,  et  les  critiques  qui  pourront 
être  faites  de  ce  projet,  je  conçois  qu'elle  doit  chercher 
un  moyen  indirect  de  trancher  la  question.  Ce  moyen, 
j'ai  cru  Favoir  trouvé;  il  consisterait  à  mettre  les  deux 
chemins  en  adjudication  le  même  jour  et  à  donner  la 
préférence  à  celui  qui  porterait  le  voyageur  de  Paris 
à  Versailles  à  meilleur  marché.  Demandez  au  public 
parisien  si  cette  solution  ne  serait  pas  celle  qu'il  pré- 
férerait 

Pourquoi  vous  opposer,  m'a-t-on  dit,  à  Texécution 
simultanée  des  deux  chemins?  Je  m'y  oppose,  parce  que 
j'ai  la  conviction  profonde  que  ce  nouveau  mode  de  com- 
munication n'apportera  pas  dans  les  habitudes  de  la 
population  autant  de  changement  qu'on  le  suppose  ;  paroe 
que,  à  mon  avis,  il  n'y  aura  pas  un  nombre  aussi  grand 
de  voyageurs  qu'on  l'espère. 

Malgré  mon  désir  d'être  court,  je  vous  demanderai 
encore  la  permission  de  dire  sur  quels  chiffres  repose  ma 
conviction. 

Dans  le  rapport  de  la  commission,  on  a  porté  le  nombre 
des  voyages  (remarquez  que  je  ne  dis  pas  des  voyageurs) 
qui  se  font  entre  Paris  et  Versailles ,  à  1  million.  Pour 
moi,  j'en  demande  pardon  aux  membres  de  la  commis- 
sion et  à  M.  le  rapporteur,  je  suis  persuadé  que  cette 
évaluation  est  un  peu  trop  forte.  D'après  les  documents 
que  j'ai  recueillis,  ce  nombre,  terme  moyen,  ne  doit  pas 
surpasser  800,000.  Il  est  possible  qu'il  se  soit  élevé  quel- 
quefois à  1  million ,  mais  généralement  il  faut  compter 
sur  800,000.  Prenons  maintenant  pour  le  taux  moyen  des 


248  LES  CHEMINS  DE  FER. 

transports  1  franc  50  centimes,  et  vous  aurez  1 ,200,000 
francs  dç  recette. 

A  combien  se  monteront  les  dépenses?  Si  vous  admettez 
les  dçux  chemins,  vous  aurez  une  longueur  de  rails  et  de 
parcours  peu  inférieure  à  celle  du  chemin  de  fer  de  Man- 
chester à  Liverpool  ;  prenons  donc  les  réparations  qu'exige 
ce  chemin  de  fer,  et  vous  saurez  ce  qu'exigeront  les  deux 
chemins  réunis.  Eh  bien,  je  trouve  dans  l'ouvrage  le 
meilleur  qui  ait  été  publié  en  Angleterre  sur  les  chemins 
de  fer,  dans  un  ouvrage ,  je  le  dis  avec  joie ,  sorti  de 
la  plume  d'un  ancien  élève  de  l'École  polytechnique, 
M.  de  Pambour;  je  trouve  qu'en  1834  les  réparations  du 
chemin  et  des  machines  ont  coûté  750,000  francs  ;  ainsi 
il  faudra  750,000  francs  pour  les  réparations  des  deux 
chemins  et  des  voitures  locomotives  qui  y  circuleront.  Ce 
nombre  étant  retranché  des  1,200,000  fr.  de  recettes, 
que  reste-t-il?  450,000  fr. 

Vous  n'avez  sans  doute  pas  oublié  qu'il  faudra  payer 
un  personnel  assez  considérable ,  qu'il  faudra  acheter  du 
charbon  de  terre,  qu'il  est  possible  même  que  les  compa- 
gnies soient  amenées  à  ne  brûler  que  du  coke.  Je  n'exa- 
gérerai pas  en  évaluant  l'ensemble  de  ces  dépenses  à 
150,000  fr.  Le  revenu  net  des  deux  chemins  ne  dépassera 
donc  pas  300,000  francs  par  an. 

Triplez  si  vous  voulez  le  nombre  des  voyageurs,  comme 
M.  le  rapporteur  croit  pouvoir  le  faire ,  triplez  la  recette 
nette  et  vous  n'arriverez  encore  qu'à  900,000  fr. 

On  vous  a  parlé  tout  à  l'heure  de  ce  que  coûteraient 
les  deux  chemins.  Je  mets  en  fait,  moi,  que  chaque 
chemin  coûtera  10,000,000  de  francs,   quoiqu'on  ait 


LES  CHEMINS  DE  FER.  U9 

évalué  la  dépense  à  des  sommes  beaucoup  plus  faibles. 
Pour  domier  un  revenu  de  5  p.  0/0,  il  faudrait  que  la 
recelte  nette  s'élevât  à  1  million.  Or,  vous  n'arriverez  pas 
à  ce  chiffre  en  admettant  même  que  le  nombre  des  voya- 
geurs soit  triplé. 

M.  Vatoct.  Vous  vous  trompez. 

M.  Arago.  Ainsi  je  crois  qu'il  n'y  a  pas  entre  Paris  et 
Versailles  de  quoi  alimenter  deux  chemins  de  fer. 

La  commission  prévoit,  dans  le  rapport,  que  le  nombre 
des  voyageurs  doublera,  triplera,  quadruplera  peut-être. 
11  est  très-vrai  que  le  nombre  des  voyageurs  a  triplé  sur 
le  chemin  de  Manchester  à  Liverpool. 

Il  était  anciennement  de  450  par  jour  ;  il  est  mainte- 
nant de  1,300.  Pourquoi?  C'est  que  Liverpool  et  Man- 
chester ne  sont  pas  des  villes  placées  comme  Paris  et 
Versailles;  c'est  que  les  relations  entre  Liverpool  et  Man- 
chester sont  des  relations  de  commerce.  Les  habitants  de 
Paris  ne  vont  guère  à  Versailles  que  pour  leur  amuse- 
ment. Or,  vous  le  savez  par  les  spectacles ,  la  somme  que 
Ton  consacre  aux  plaisirs  à  Paris  ne  varie  pas;  augmentez, 
diminuez  le  nombre  des  théâtres  ;  répartissez-les  comme 
vous  voudrez  dans  les  divers  quartiers,  leur  recette  totale 
reste  la  même.  Un  voyage  à  Versailles  est  ime  sorte  de 
spectacle  ;  je  crois  donc ,  sauf  les  premiers  moments  de 
curiosité,  que  vous  augmenterez  un  peu ,  mais  seulement 
un  peu  le  nombre  des  voyageurs,  et  même,  si  l'on  n'adopte 
pas  un  amendement  de  la  nature  de  celui  que  j'avais  pré- 
senté l'autre  jour,  il  pourrait  se  faire  que  ce  nombre 
diminuât;  mais  bien  certainement  il  n'augmentera  pas 
beaucoup. 


S60  LES  CHEMINS  DE  FEB. 

On  parait  étonné  de  Tidée  que  je  me  suis  formée  de  la 
oause  de  Taugmentation  des  voyageurs  entre  Liverpool  et 
Manchester.  Je  vais  essayer  de  la  justifier.  Lord  Lans- 
down ,  président  du  conseil  des  ministres  en  Angleterre , 
me  disait,  il  y  a  peu  de  temps,  qu' aujourd'hui,  au  lieu 
de  s'écrire  des  lettres  de  Liverpool  à  Manchester,  les  com- 
merçants s'envoient  des  commis;  les  affaires  se  font  ainsi 
plus  rapidement  et  plus  sûrement.  Entre  ces  deux  villes  la 
poste  ne  donne  presque  plus  de  profit.  Vous  ne  pouvez 
pas  vous  attendre  à  un  résultat  pareil  entre  Paris  et  Ver- 
sailles,  qui  n'ont  que  des  communications  de  pur  agré- 
ment. 

.En  résumé,  je  me  rattacherai  à  tout  amendement  qui 
amènerait  à  n'exécuter  qu'un  seul  des  deux  chemins;  pour 
ma  part,  je  le  répète  encore,  il  me  semble  qu'on  adopte- 
rait une  solution  sur  laquelle  personne  ne  pourrait  «ivoir 
de  scrupules^  si  l'on  mettait  les  deux  chemins  en  adjudi- 
cation le  même  jour,  en  stipulant  que  la  préfér^ice  serait 
accordée  à  celui  qui  transporterait  les  voyageurs  de  Paris 
à  Versailles  au  moindre  prix. 

(M.  Legrand  monte  à  la  tribune.) 

M.  Arago.  On  m'avertit  qu'il  y  a  eu  une  légère  inexac- 
titude dans  un  point  de  calcul  que  je  faisais  tout  à  l'heure 
à  la  tribune;  on  remarque  que  je  n'ai  pas  triplé  le  produit 
brut.  Il  ne  me  semble  pas  nécessaire  que  je  fasse  la  rec- 
tification, car  la  conséquence  serait  la  même.  On  remar- 
quera, en  effet,  que,  pour  ne  rien  outrer,  je  n'ai  rien 
défalqué  du  produit  brut  pour  la  contribution  payée  au 
gouvernement  sur  le  prix  des  places. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  3N 

III 

SUR  LA  NÉCESSITÉ  DE  FAIRE  EXÉCUTER  LES  CHEMINS  DE  FER 

PAR  LES  COSIPAGHIES  ' 

Messieurs,  la  commission  des  chemins  de  fer  vient 
vous  soumettre  le  résultat  de  l'examen  que  vous  lui  avez 
confié.  Cet  examen  était  hérissé  de  difficultés  de  tout 
genre  ;  il  a  fait  surgir  une  foule  d'importantes  questions. 
Vous  saviez  bien ,  au  reste ,  qu'il  en  serait  ainsi ,  lorsque 
dans  la  séance  même  où  le  projet  de  loi  vous  fut  présenté, 
vous  décidiez  qu*un  nombre  inusité  de  commissaires 
concourraient  à  sa  discussion  provisoire  2.  Une  aussi  écla- 
tante dérogation  aux  précédents  de  la  Chambre  nous  eût 
avertis,  au  besoin,  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  grave  dans 
notre  mission.  Le  zèle  ne  nous  a  pas  manqué.  Les  procès- 
verbaux  de  seize  séances,  de  trois,  de  quatre,  de  cinq 
heures  chacune ,  témoignent  du  vif  désir  dont  nous  étions 
tous  animés  de  répondre  le  mieux  possible  à  votre  hono- 
rable confiance.  Noire  travail ,  quoi  qu'en  aient  pu  dire 
l'amour-propre  blessé  et  toutes  les  passions  qu'il  traîne 
à  sa  suite,  est  le  résultat  consciencieux  d'un  débat  auquel 
ont  constamment  présidé  des  sentiments  qui  jamais  ne 
trouveront  de  contradicteurs  dans  cette  enceinte ,  et  que 
nous  pourrions,  sans  inquiétude,  proclamer  à  la  face  du 
pays.  La  seule  coalition  dont  il  ait  été  question  parmi 
nous,  la  seule  que  nous  ayons  désiré  former,  est  celle  du 
bon  sens,  de  la  logique,  des  vrais  principes  de  l'économie 

1.  Rapport  fait  à  la  Chambre  des  députés,  le  2!x  avril  1838. 

2.  Dix-huit  commissaires  au  lieu  de  neuf. 


S52  LES  CHEMINS  DE  FER. 

industrielle,  et,  ce  qui  se  rencontre  plus  rarement  encore, 
de  quelque  esprit  de  prévoyance. 

Avant  d'arriver  au  projet  spécial  qu'il  soumettait  à 
vos  délibérations,  le  gouvernement,  dans  la  séance  du 
15  février  dernier,  a  cru,  avec  raison,  devoir  vous  pré- 
senter des  vues  d'ensemble.  Le  réseau  des  chemins  de  fer 
qu'il  lui  paraîtrait  utile  d'établir  en  France,  se  compose- 
rait de  neuf  lignes  principales. 

Sept  de  ces  lignes  partiraient  directement  de  Paris ,  et 
lieraient  ce  grand  centre  de  civilisation ,  de  consomma- 
tion et  d'industrie  : 

A  la  frontière  de  Belgique  ; 

Au  Havre; 

A  Nantes  ; 

A  la  frontière  d'Espagne  par  Bayonne  ; 

A  Toulouse  par  la  région  centrale  du  pays  ; 

A  Marseille  par  Lyon  ; 

Enfin ,  à  Strasbourg  par  Nancy. 

Deux  autres  grandes  lignes  joindraient  Marseille,  d'une 
part  à  Bordeaux  par  Toulouse,  de  l'autre  à  Bâle  par  Lyon 
et  Besançon. 

Retranchez  de  ce  réseau  les  embranchements  dont  le 
gouvernement ,  du  moins  sur  la  carte ,  dote  Dunkerque , 
€alais,  Boulogne,  Amiens,  Metz,  Besançon,  Tarbes, 
Perpignan ,  et  il  restera  encore  un  développement  total 
de  chemins  de  fer  de  1,100  lieues  environ,  et  l'expecta- 
tive d'une  dépense  que  M.  le  ministre  du  commerce  évalue 
à  plus  d'un  milliard,  car  il  n'a  osé  fixer  que  la  limite 
minimum. 

L'administration,  au  surplus,  a  parfaitement  reconnu 


\ 


LES  CHEMINS  DE  FER.  S53 

qu'il  serait  peu pndent  (ce  sont  ses  propres  expressions) 
de  tout  entreprendre  à  la  fois.  Elle  a  renoncé  à  terminer 
une  si  grande  masse  de  travaux  dans  un  court  délai. 
Parmi  les  1,100  lieues  de  son:  réseau  d'ensemble,  elle  en 
a  choisi  375  formant  le  développement  des  lignes  de  Paris 
à  la  frontière  belge ,  de  Paris  à  Rouen ,  de  Paris  à  Bor- 
deaux, par  Orléans  et  Tours,  enfin  de  Marseille  à  Avi- 
gnon. Ces  quatre  lignes,  le  ministère  vous  en  demande 
l'exécution  immédiate  ;  il  désire  travailler  simultanément 
à  toutes  les  quatre.  Quoique  ses  prévisions,  ses  calculs, 
ne  reposent  que  sur  des  avant -projets;  quoique  l'une 
des  lignes,  celle  de  Paris  à  Bordeaux,  n'ait  pas  été  com- 
plètement étudiée  (ceci  est  encore  une  citation  textuelle )t 
le  gouvernement  pense  pouvoir  affirmer  que  la  dépense 
totale  n'excéderait  pas  350  millions. 

Nous  venons,  Messieurs,  de  remettre  succinctement 
sous  vos  yeux  les  bases,  les  éléments  du  problème  que  le 
gouvernement  avait  en  vue.  La  solution  qu'il  en  a  donnée 
est-elle  irréprochable?  Pouvons-nous  vous  en  proposer 
l'adoption? 

Cette  double  question  nous  forcera  de  jeter  d'abord  un 
coup  d'œil  rapide  sur  l'état  actuel  de  l'art ,  relativement 
à  la  construction  des  chemins  de  fer,  et  d'entrer  dans 
quelques  considérations  techniques  qui  ne  seront  pas 
cependant  un  hors-d'œuvre,  puisqu'elles  feront  ressortir 
divers  inconvénients  du  mode  de  distribution  de  travail 
adopté  par  l'administration. 

Nous  étudierons,  en  second  lieu,  les  chemins  de  fer 
dans  leurs  résultats  actuels  et  dans  ce  qu'ils  promettent. 
Les  lois  de  finances,  et,  au  fond,  c'est  une  loi  de  finances 


251  LES  CHEMINS  DE  FER. 

que  nous  allons  discuter,  doivent  être  établies  sur  des 
bases  solides.  L'enthousiasme  et  les  jeux  d'imagination 
ont  sans  doute  leur  bon  côté;  mais  prenons  garde  qu'ils 
ne  nous  entraînent  à  des  mesures  fiscales  dont  auraient  à 
soulïiîr  les  classes  les  plus  nombreuses  de  la  société^  déjà 
frappées  par  l'impôt  dans  leur  strict  nécessaire. 

La  troisième  division  de  ce  rapport  sera  consacrée  à 
une  discussion  approfondie^  des  objections  de  toute  nature 
que  M.  le  ministre  du  conmierce  a  présentées  contre  la 
concession  de  longues  lignes  de  chemins  de  fer  à  des 
compagnies  privées.  Nous  y  rechercherons  avec  le  même 
soin,  si  les  travaux  exécutés  aux  frais  de  l'État,  par  sas 
ingénieurs  et  sous  sa  surveillance  immédiate,  ont  tou- 
jours aussi  complètement  réussi  que  M.  Je  ministre  le 
pense. 

La  quatrième  et  dernière  section ,  celle  qui  précédera 
nos  conclusions,  et  qui,  à  vrai  dire,  suffirait  pour  les 
justifier,  renfermera  une  sorte  d'aperçu  du  budget  de 
L'État  en  matière  de  travaux  publics  extraordinaires. 

Ces  divisions,  ces  détails  minutieux  ont  pour  c^jet  de 
feciliter  l'intelligence  de  notre  travail.  Nous  pouvons  donc 
espérer  que  la  Chambre  daignera  nous  les  pardonner. 

Section  premiâbb.  —  Considérations  tediniqucs. 

Un  bon  système  de  communications  intérieures,  envi- 
sagé sous  le  double  rapport  de  l'économie  et  de  la  célérité 
est ,  sans  aucun  doute,  le  principal  élément  de  la  richesse 
et  de  la  prospérité  d'un  grand  peuple.  Aussi  a-t- on  vu, 
dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays,  les  pensées  des 


LES  CHEMINS  DE  FEB.  t85 

hommes  d'État  et  des  ingénieurs,  se  porter  sur  cet  objet 
avec  la  plus  louable  sollicitude.  Trois  ou  quatre  cliiiïres 
donneront,  au  surplus,  une  idée  exacte  de  Timportanœ 
pratique,  de  Timportance  commerciale  des  améliorations 
successives  que  les  moyens  de  transport  ont  éprouvées 
depuis  Torigine  des  sociétés  jusqu'à  l'invention  toute 
récente  des  chemins  de  fer. 

L'expérience  a  montré  qu'un  cheval  de  force  moyenne, 
marchant  au  pas  pendant  neuf  à  dix  heures  sur  vingt- 
quatre,  et  de  manière  à  se  retrouver  chaque  jour  dans  les 
mêmes  conditions  de  force ,  ne  peut  pas  porter  sur  sœi 
dos  au  delà  de  100  kilogranunes.  Ce  même  cheval ,  sans 
se  fatiguer  davantage,  si  on  llattelle  à  une  voiture»  por- 
tera ou  plutôt  trafaiera  à  une  égale  distance  : 

Sur  une  bonne  route  ordinaire  empierrée.     1,000  kil. 

Sur  un  chemin  de  fer. 10,000 

Sur  un  canal. 60,000 

L'auteur  inconnu  de  la  substitution  du  roulage  ou  du 
transport  en  voiture ,  au  transport  à  dos  de  cheval ,  fut 
donc,  vous  le  voyez.  Messieurs,  un  bienfaiteur  de  l'hu- 
manité :  il  réduisit ,  par  son  invention ,  le  prix  des  trans- 
ports au  dixième  de  leur  Valeur  primitive. 

Une  améUoration  tout  aussi  importante  est  résultée , 
quant  aux  transports  en  voiture ,  du  remplacement  des 
empierrements  et  des  pavés  des  routes  ordinaires,  par 
des  bandes  de  fer  bien  dressées,  sur  lesquelles  tournent 
les  roues.  En  atténuant  les  résistances,  ces  bandes  ont, 
en  quelque  sorte ,  décuplé  la  force  du  cheval ,  celle  du 
moins  qui  donne  un  résultat  utile.  Le  long  d'un  chemin 


256  LES  CHEMINS  DE  FER. 

à  bandes  métalliques,  le  poids  dont  on  charge  un  wagon 
est  centuple  de  celui  que  le  cheval  qui  le  traîne  pourrait 
porter  sur  son  dos. 

Ce  sont  là,  Messieurs,  de  bien  admirables  résultats; 
mais  n'oublions  pas  que  les  canaux  en  offrent  de  plus 
admirables  encore;  rappelons  -  nous  que  sur  une  nappe 
d'eau  stagnante ,  une  bête  de  somme  traîne  un  poids  six 
fois  plus  fort  que  sur  un  chemin  de  fer.  Ne  perdons  pas 
de  vue,  au  reste,  que  le  transport  à  dos  de  cheval,  s'il 
est  peu  économique ,  s'effectue  en  revanche  presque  par- 
tout, le  long  de  sentiers  à  peine  frayés,  sur  des  pentes 
très-rapides;  tandis  qu'une  route  ordinaire  exige  de  cer- 
taines conditions  de  tracé;  tandis  qu'elle  représente, 
môme  en  simple  empierrement,  70,000  fr.  de  première 
mise  de  fonds  par  lieue,  et  plus  de  2,000  fr.  d'entretien 
annuel  ;  tandis  que  ces  mêmes  dépenses,  pour  un  canal, 
se  montent  respectivement  à  500,000  fr.  et  à  5,000  fr.; 
tandis,  enfin,  que  sur  certaines  lignes,  l'exécution  d'une 
lieue  de  chemin  de  fer  a  coûté  jusqu'à  trois  millions. 

Les  chemins  de  fer,  considérés  comme  moyen  d'atté- 
nuer les  résistances  de  toute  nature  que  le  roulage  doit 
surmonter  sur  les  routes  ordinaires ,  seraient  aujourd'hui, 
relativement  aux  canaux,  dans  un  état  d'infériorité  évi- 
dente ,  si  on  avait  dû  toujours  y  opérer  la  traction  avec 
des  chevaux.  L'emploi  des  premières  machines  locomo- 
tives à  vapeur,  avait  laissé  les  choses  dans  le  même  état  ; 
mais  tout  à  coup,  en  1829,  surgirent,  en  quelque  sorte, 
sur  le  chemin  de  Liverpool  à  Manchestw,  des  locomotives 
toutes  nouvelles.  Jusqu'en  1813,  on  n'avait  espéré  pou- 
voir marcher  sur  les  rails  en  fer  ou  en  fonte,  qu'avec  des 


LES  CHEMINS  DE  FER.  257 

roues  dentées  et  des  crémaillères,  ou  bien  à  l'aide  de  sys- 
tèmes articulés  dont  on  donnerait  une  idée  assez  exacte 
en  les  comparant  aux  jambes  inclinées  d'un  homme  qui 
tire  en  reculant.  Les  locomotives  perfectionnées  étaient 
débarrassées  de  cet  attirail  incommode,  fragile,  dange- 
reux. L'engrenage  naturel  résultant  de  la  pénétration 
fortuite  et  sans  cesse  renouvelée ,  des  aspérités  impercep- 
tible des  jantes  de  la  roue ,  dans  les  cavités  du  métal  du 
rail  et  réciproquement,  suffisait  à  tout.  Cette  grande  sim- 
plification permît  d'arriver  à  des  vitesses  inespérées,  à 
des  vitesses  trois,  quatre  fois  supérieures  à  celles  du  che- 
val le  plus  rapide.  De  cette  époque  date  une  ère  nouvelle 
pour  les  chemins  de  fer.  D'abord,  ils  n'étaient  destinés 
qu'aux  transports  des  marchandises  ;  chaque  jour,  chaque 
nouvelle  expérience  nous  rapproche  du  moment  peu  éloi- 
gné peut-être  où  ils  ne  seront  plus  parcourus,  au  con- 
traire, que  par  des  voyageurs.  Jadis  les  rails  étaient  tout; 
maintenant,  ils  n'occupent  dans  le  système  qu'une  place 
secondaire.  Dès  aujourd'hui,  les  chemins  de  fer  devraient 
s'appeler  des  chemins  à  locomotives,  ou  bien  des  chemins 
à  vapeur. 

Quand  on  a  lu  dans  les  journaux ,  dans  ceux  surtout 
de  l'Angleterre  et  de  l'Amérique,  le  tableau  des  éton- 
nantes vitesses  que  les  locomotives  à  vapeur  ont  déjà 
réalisées,  on  est  vraiment  excusable  de  croire  qu'il  ne 
faut  plus  compter  sur  des  amélorations  importantes,  que 
Tari  est  presque  arrivé  à  sa  perfection. 

Cette  opinion,  quelque  naturelle  qu'elle  paraisse,  n'en 
est  pas  moins  une  erreur.  L'art  des  chemins  de  fer  est 
encore  dans  l'enfance.  Ne  faites  pas,  si  vous  voulez,  la 

V — II.  17 


S58  LES  CHEMINS  DE  FER. 

part  de  Firaprévu,  de  Tînattendu,  et  d'ordinaire  c'est 
cependant  la  part  du  lîon  ;  contentez- vous  de  porter  votre 
attention  sur  ce  qui  se  fait,  sur  ce  qui  existe,  et  vous 
trouverez  presque  partout  routine ,  tâtonnements ,  incer- 
titude. 

Les  premières  locomotives  pour  voyageurs  ne  pesaient 
que  5  tonnes.  Bientôt  on  les  porta  graduellement  à  7,  à 
8,  à  10,  à  12  tonnes.  En  ce  moment,  on  en  construit  de 
18  tonnes ,  qui  reposeront  sur  six  roues. 

A  Torigine,  les  paires  de  roues  adhérentes  ne  portaient 
que  5  tonnes.  Dans  de  nouvelles  machines,  elles  seront 
chargées  de  8  tonnes.  Les  rails  devront  donc  être  ren- 
forcés, quoi  qu'ils  aient  déjà  parcouru  successivement 
celte  série  de  poids  :  12,  16,  18,  28,  34  et  37  kilo- 
grammes par  mètre  courant.  Qu'on  ne  s'y  trompe  pas, 
un  semblable  remplacement  des  rails  entraîne  presque 
toujours  le  sacrifice  des  blocs,  des  coussinets,  des  clefs 
qui  servent  à  les  fixer. 

La  largeur  de  la  voie  était  originairement,  d'axe  en 
axe,  de  1".47.  Cette  largeur  a  paru  trop  restreinte. 
Sur  le  grand  chemin  de  Londres  à  Bristol,  l'ingénieur, 
M.  Brunel  fils,  vient  d'adopter  une  voie  de  2".  18. 

Le  but  qu'on  s'est  proposé  en  élargissant  aussi  consi- 
dérablement la  voie,  est  de  faciliter  l'emploi  de  machines 
de  plus  fortes  dimensions.  Avec  une  voie  de  2".  13,  il  y 
aura  place  entre  les  roues  pour  des  chaudières  plus  vastes; 
on  engendrera  plus  de  vapeur  dans  un  temps  donné  ;  on 
aura  plus  de  force  et  aussi  plus  de  vitesse,  si  toutefois  des 
difficultés  imprévues  ne  viennent  pas  à  se  manifester. 

L'élargissement  de  la  voie  permettra  d'agrandir  le  dîa- 


LES  CHEMINS  DE  FEIU  2S9 

mèlre  des  roues  adhérentes  des  locomotives.  Ces  roues , 
chez  nos  voisins,  ont  été  successivement  de  l'^-AT,  de 
1-.52,  de  1".68,  et  del-.Sâ.  Cette  dernière  dimension 
n'avait  jamais  été  dépassée.  Sur  le  chemin  de  Londres 
à  Bristol  on  verra  fonctionner  des  roues  de  2'".&&.  Avec 
de  telles  roues,  s'il  n'y  a  point  de  mécompte,  on  arrivera 
aux  plus  grandes  vitesses  sans  être  obligé  d'accroître 
encore  la  rapidité  déjà  excessive  des  oscillations  du  pis* 
ton,  et,  ce  qui  n'est  point  à  dédaigner  financièrement 
parlant,  après  avoir  évité  la  principale  cause  de  détériora- 
tion des  locomotives.  Si  l'on  pouvait  se  permettre  ici  une 
assimilation  quelque  peu  vulgaire,  nous  dirions  qu'aiH 
jourd'hui  la  vitesse  de  locomotion  résulte  de  la  succession 
extrêmement  rapide  de  petits  pas,  et  qu'on  arrivera  aux 
mêmes  résultats,  avec  des  roues  de  2"".  A&^  en  faisant  de 
grandes  enjambées. 

Les  changements  dans  les  roues  des  locomotives  en 
amèneront  d'analogues  dans  les  roues  des  wagons.  Il  y  a 
donc  à  prévoir  des  remplacements  complets  de  matériel 
sur  les  chemins  de  fer,  et ,  ce  qui  est  plus  grave  encore, 
des  élargissements  de  viaducs,  des  reconstructions  entières 
des  souterrains  ou  tunnels,  etc.,  etc. 

L'usage  de  plus  fortes  machines  permettra  certaine^ 
ment  de  sortir  des  limites  de  pente  dans  lesquelles  on 
renferme  aujourd'hui  le  tracé  des  chemins  de  fer,  alors 
même  que  l'emploi  de  quelqu'une  des  crémaillères  que 
les  ingénieurs  ont  proposées  ne  viendrait  pas  arracher 
l'art  à  une  sujétion  qui  déshérite  les  pays  montueux  ou 
même  seulement  un  peu  accidentés ,  du  nouveau  moyen 
de  communication. 


260  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Une  route  rectiligne ,  avec  les  voitures  actuellement  en 
usage,  a  des  avantages  incontestables  sur  une  route  sen- 
siblement courbe;  mais  ces  avantages,  on  les  achète 
quelquefois  à  des  prix  énormes.  Une  excellente  solution 
de  la  difficulté  vient  d'être  donnée  par  un  humble  ingé- 
nieur français,  M.  Laignel.  Des  solutions  d'une  autre 
espèce  sont  actuellement  à  Tétude.  Si  elles  réussissent, 
les  chemins  de  fer  subiront  dans  leur  tracé  les  plus  impor- 
tantes améliorations.  Ils  pourront  pénétrer  au  cœur  dés 
villes  sans  tout  renverser  devant  eux. 

Le  placement  des  rails  lui-même  a  donné  lieu  à  autant 
de  systèmes  différents  qu*il  y  a  de  constructeurs.  Ici  on 
emploie  de  faibles  dés  en  pierre  qui  n'ont  entre  eux  au- 
cune liaison  ;  là,  on  se  serf  de  simples  traversines  en  bois, 
et  Ton  cite  leur  élasticité  comme  un  avantage  précieux. 
Allez  plus  loin,  et  vous  rencontrerez  un  ingénieur  égale- 
ment habile  qui  remplace ,  toujours  d'après  d'excellentes 
raisons,  le  bois  par  le  granit. 

L'analyse  mathématique  va-t-elle  prochainement,  du 
moins,  s'emparer  de  ces  intéressants  problèmes?  Les  pre- 
miers éléments  numériques  lui  manquent.  Naguère  la 
force  nécessaire  au  tirage  d'une  voiture  sur  les  rails,  était 
évaluée  à  3^.5  par  tonne  de  1,000  kilogrammes,  et  voilà 
que  maintenant  on  paraît  vouloir  la  réduire  à  3M. 

Que  dire  de  la  machine  à  vapeur,  partie  capitale  des 
locomotives?  La  force  aérienne  irrésistible  qu'elle  élabore 
se  répand  et  circule  dans  les  organes  du  système,  tantôt 
par  petites  portions  et  tantôt  h  flots  pressés,  au  gré  de 
l'ingénieur.  De  là  ces  mouvements  si  lents,  ou  si  rapides: 
de  là  ces  variations  de  vitesse  ou  graduelles  ou  presque 


LES  CHEMINS  DE  FER.  261: 

instantanées  qui  feraient  croire ,  en  vérité ,  qu'on  assiste 
aux  évolutions  capricieuses  d'un  être  doué  de  vie  ej;  de 
volonté.  Tout  cela  est  à  merveille ,  Messieurs  ;  mais  per- 
çons Tenveloppe ,  et  nous  trouverons  un  appareil  qui  se 
dérange  sans  cesse,  qui  sans  cesse  est  en  réparation,  qui 
est  pour  les  compagnies  une  cause  de  ruine.  Voyons  ce 
que  le  combustible  consommé  renfermait  de  force  mo- 
trice ;  mesurons  d'autre  part ,  la  force  que  la  locomotive 
a  mise  en  action ,  et  de  nouvelles  imperfections  frappe- 
ront nos  yeux ,  comme  elles  ont  déjà  frappé  ceux  de  tous 
les  ingénieurs.  Le  mal  est -il  irréparable?  Gardons -nous 
de  le  croire.  Quand  on  se  rappelle  la  révolution  capitale 
que  notre  compatriote,  M.  Séguin  aine,  produisit  dans 
Tart  de  la  locomotion ,  le  jour  où  s' emparant  des  chau- 
dières tubulaires  de  ses  devanciers,  il  imagina  de  placer 
l'eau  dans  la  capacité  où  se  jouait  la  flamme,  et  de  lancer 
cette  flamme,  au  contraire,  dans  les  tubes  destinés  d'abord 
à  renfermer  l'eau;  quand  on  songe  à  tout  ce  qu'on  a 
gagné  sous  le  rapport  du  tirage ,  à  faire  dégager  par  la 
cheminée  de  la  locomotive,  la  vapeur  qui ,  après  avoir  agi 
dans  le  corps  de  pompe ,  semblait  ne  pouvoir  pas  rendre 
de  nouveaux  services  et  se  répandait  jadis  librement  dans 
l'air,  on  a  toute  raison  d'espérer  de  nouvelles  découvertes 
et  de  compter  sur  leur  simplicité. 

Doit- on  conclure  de  ces  doutes,  de  ces  incertitudes, 
de  ces  espérances,  qu'il  faudrait  aujourd'hui  s'abstenir 
tout  à  fait  de  construire  des  chemins  de  fer?  Non,  Mes- 
sieurs, mille  fois  non;  telle  n'est  pas  notre  pensée.  Les 
chemins  de  fer  d'aujourd'hui  ont,  quant  à  la  vitesse,  et 
pour  le  transport  des  voyageurs,  des  avantages  incontes- 


Ml  LES  CHEMINS  DB  FEIL 

tables  sur  les  autres  moyera  de  (xmimunication  connus  ; 
construisons  donc  des  chemins  de  ier. 

Nous  dirons  seulement  qu'on  serait  inexcusable  si ,  et 
sans  aucun  avantage  actuel,  on  adoptait  un  mode  de 
distribution  du  travail  qui  enlèverait  la  possibilité  de  faire 
usage  des  perfectionnements  dont  tout  le  monda  sent  le 
besoin,  que  les  esprits  éclairés  entrevoient,  que  les  prati- 
ciens sont  près  de  saisir,  et  qui  ne  tardercmt  pas  à  se  faire 
jour,  car  le  génie  de  Thomme  n*a  jamais  manqué  à  aucun 
besoin  social. 

Le  gouvernement  vous  demande  de  faire  travailler 
simultanément  à  quatre  lignes.  Pour  fixer  les  idées,  sup- 
posons qu'elles  soient  de  même  longueur  et  que  leur 
exécution  doive  durer  douze  an&  Les  têtes  de  chacune  de 
œs  quatre  lignes  seront  exécutées  d'après  les  idées, 
d'après  les  systèmes  adoptés  aujourd'hui. 

Pendant  la  seconde,  pendant  la  troisième,.  «.  pendant 
la  douzième  année ,  lié  par  les  premiers  travaux ,  le  con* 
structeur  se  trouvera  dans  l'impossibilité  de  profiter  des 
progrès  que  l'art  aura  faits  indubitablement  dans  un  si 
long  espace  de  temps;  les  quatre  routes  achevées  en 
1850  auront  toutes  les  imperfections  de  celles  de  1838. 

Admettons  un  autre  ordre  de  travail,  et  les  inconvé- 
nients de  celui  que  nous  venons  de  discuter  deviendront 
p^us  manifestes  encore. 

Portons  toutes  nos  rœsources,  tous  nos  nK>yens  d'exé- 
cution sur  l'une  des  quatre  lignes.  Trois  ans  suffiront  à 
son  achèvement  complet.  Quand  on  la  livrera  au  public, 
en  1841,  elle  sera,  comme  les  quatre  lignes  du  précé- 
dent système,  le  type  do  l'art  des  ingénieurs  en  1858  ; 


LBS  CHEMINS  DE  FBR.  S6d 

de  ce  côté,  rien  de  gagné.  Mais  qui  ne  voit  qu'en  com- 
mençant la  seconde  Ugne ,  on  pourra  profiter  de  toutes 
les  innovations  que  la  théorie  et  Tesq^érience  réunies 
auront  fait  éclore  dans  la  première  période  de  trois 
années;  que  six  années  de  recherches  et  de  pratique» 
concourront  à  Tamélioration  de  la  troisième  ligne  ;  que  la 
quatrième,  enfin,  arrivée  à  son  terme  en  1350,  ne  sera 
en  arrière  sur  Tétat  de  Tart  à  cette  époque,  que  de  trois 
ans,  durée  de  son  exécution  ? 

De  ces  simples  considérations,  résulte  déjà  avec  une 
entière  évidence,  Timpossibilité  d'adopter  le  projet  de  loi 
tel  qu'il  vous  est  soumis.  Il  eût  été  dès  lors  superflu  de 
chercher  à  découvrir  Torigine ,  nous  dirons  presque  la 
raison  suffisante,  d'un  système  qui,  au  premier  aspect, 
soulevait  d'aussi  insurmontables  objections.  En  tout  cas, 
et  quoi  qu'on  en  ait  pu  dire,  nous  n'eusaions  jamais  fait 
à  nos  honorables  collègues  l'injure  de  supposer  que  per- 
sonne ait  pu  douter  de  leur  parfaite  indépendance.  Le 
ministère  s'est  trompé,  nous  le  croyons  du  moins,  en 
proposant  l'exécution  simultanée  et  lente,  de  trop  de 
lignes  à  la  fois;  mais  ces  nombreux  traits  rouges,  figu- 
rant des  chemins  de  fer  qui,  sur  la  carte  qu'on  nous  a 
distribuée,  se  dirigeaient  vers  toutes  les  régions  du 
royaume,  n'étaient  pas  un  appel  à  l'esprit  de  localité; 
nous  rejetons  bien  loin  la  pensée  que  la  réunion  dans  un 
seul  et  même  projet  de  loi,  d'un  chemin  du  nord,  d'un 
chemin  de  l'ouest,  d'un  chemin  du  centre  et  d'un  chemin 
de  la  partie  la  plus  méridionale  du  royaume ,  doive  être 
envisagée  comme  un  moyen  de  séduction;  qu'on  ait 
espéré  nous  arracher,  à  l'aide  de  concessions  récipro- 


264  LES  CHEMINS  DE  FER. 

ques,  un  vote  favorable  qui  n'eût  point  été  dicté  par  nos 
consciences,  que  n'eussent  pas  réclamé  les  intérêts  bien 
entendus  du  pays. 

Section  deuiièxe.  —  Sur  les  résultats  à  attendre 
des  chemins  de  fer. 

Les  chemins  de  fer,  quand  on  les  combine  avec  les 
machines  locomotives,  constituent  certainement  une  des 
plus  ingénieuses  découvertes  de  notre  époque.  Là  se 
trouvent  réunis  à  un  degré  vraiment  inespéré ,  la  force 
et  tous  les  moyens  de  vitesse.  Les  résultats,  sous  ce 
double  rapport,  ont  été  déjà  si  étonnants,  que  Ton  pou- 
vait naguère,  devant  la  première  société  savante  de  la 
capitale,  sans  trop  encourir  le  reproche  d'exagération, 
parler  de  l'époque  où  t  les  riches  oisifs  dont  Paris  four- 
mille, partiront  le  matin  de  bonne  heure  pour  aller  voir 
appareiller  notre  escadre  à  Toulon ,  déjeuneront  à  Mar- 
seille, visiteront  les  établissements  thermaux  des  Pyré- 
nées, dîneront  à  Bordeaux,  et,  avant  que  les  vingt-quatre 
heures  soient  révolues ,  reviendront  à  Paris  pour  ne  pas 
manquer  le  bal  de  l'Opéra.  » 

Tout  compte  fait.  Messieurs,  l'imagination,  cette  folle 
du  logis,  comme  l'appelait  Malebranche,  avait  à  reven- 
diquer une  bonne  part  dans  ces  projets  de  voyage; 
l'expérience,  en  effet,  a  brutalement  jeté  au  travers  de 
ces  séduisantes  spéculations,  une  foule  d'éléments  que 
les  théoriciens  avaient  négligés  :  elle  a  parlé  d'inertie, 
de  ténacité  des  métaux,  de  résistance  de  l'air,  etc.  11  a 
bien  fallu  alors  resserrer  quelque  peu  le  cercle  qu'on 
croyait  avoir   conquis.    Les  vitesses  seront    grandes. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  265 

très  -  grandes ,  mais  pas  autant  qu'on  F  avait  espéré. 

11  y  aurait,  Messieurs,  un  travail  très-intéressant  à 
faire,  que  nous  recommanderons,  en  passant,  au  zèle  et 
à  la  sagacité  de  nos  jeunes  historiens  moralistes.  Ce 
serait  le  tableau  des  mille  et  mille  circonstances  capitales 
dans  lesquelles  les  hommes  les  plus  éclairés,  les  assem- 
blées délibérantes,  la  masse  du  public,  se  sont  laissé  gou- 
verner par  des  mots  sans  portée,  nous  dirons  même  par 
des  mots  entièrement  vides  de  sens.  Plusieurs  de  nos 
honorables  collègues  et  moi  nous  avons  été  au  moment 
de  subir  une  influence  de  cette  nature.  Les  mots  si 
souvent  répétés  par  M.  le  ministre  du  commerce,  de 
transit,  de  lignes  politiques,  de  lignes  stratégiques, 
n'avaient  pas  inutilement  frappé  nos  yeux  et  nos  oreilles. 
Faut-il  Tavouer ,  nous  étions  déjà  quelque  peu  enclins  à 
les  regarder  comme  les  vrais  symboles  de  l'avenir  indus- 
triel, commercial  et  militaire  de  la  France.  Toutefois, 
ramenés  bientôt  à  un  examen  sévère  des  choses,  à  leur 
appréciation  exacte,  il  nous  a  été  bien  facile  de  recon- 
naître que  nous  avions  trop  légèrement  cédé  à  un  pre- 
mier aperçu. 

Lisons  l'exposé  des  motifs  du  projet  de  loi ,  et  nous 
trouverons  :  t  C'est  surtout  en  vue  du  transit  qu'ils  sont 
destinés  à  créer  au  travers  de  la  France,  que  les  chemins 
de  fer  doivent  attirer  toute  notre  sollicitude.  »  A  la  page 
suivante,  ce  transit,  que  les  chemins  de  fer  ne  peuvent 
manquer  de  créer,  est  caractérisé  nettement  ;  il  se  com- 
posera :  c  De  la  plus  grande  partie  des  marchandises  qui 
passeront  du  midi  dans  le  nord  de  l'Europe  et  récipro- 
quement. »  Plus  loin ,  le  transit  se  représente  avec  de 


266  LES  CUBlimS  DE  FER. 

nouveaux  développements.  Il  s'empare  alors  de  tout  ce 
qui  doit  se  transporter  c  de  TOcéan  et  de  la  Méditer- 
ranée 9  sur  les  provinces  de  T Allemagne,  sur  la  Suisse  et 
ritalie.  » 

Il  a  bien  longtemps.  Messieurs,  que  le  tranât  est  en 
possession  d'exercer  parmi  nous  une  puissance  dont  la 
légitimité  n'a  jamais  été  démontrée.  Vous  rappelez-vous, 
par  exemi^e,  sous  combien  de  formes  il  nous  apparut 
quand  on  discuta  la  question  des  deux  entrepôts  de  Paris? 
Depuis,  on  n'en  a  plus  entendu  parler,  par  l'excellente 
raison  que  la  quantité  de  marchandises  qui  transite  au 
travers  de  ces  deux  grands  établissements  est  vraiment 
imperceptible.  Évitons,  s'il  se  peut,  de  pareils  mécomptes. 
JLe  vrai  moyen  pour  cela  est  d'aller  nous  saisir  des  chifires 
relatifis  au  transit,  dans  les  registres,  dans  les  statistiques 
de  la  douane. 

En  1836,  le  poids  total  des  marchandises  expédiées  en 
transit,  à  travers  la  France,  a  été  de  â&,Q25,000  kilogr. 

Le  parcours  moyen  de  ces  marchandises  s'est  élevé  à 
103  lieues. 

Par  le  roulage  ordinaire,  le  prix  du  transport  par  lieue 
et  par  tonne  de  1,000  kilogrammes,  est  de 0^80 

Le  montant  total  des  frais  de  transit,  dans  toute 
l'étendue  de  notre  territoire,  a  donc  été,  en  nombre 
rond,  de 2,803,000  fr. 

Si  tous  les  chemins  de  fer  étaient  exécutés ,  si  tout  le 
transit  s'effectuait  par  rails  et  locomotives,  les  2  millions 
803,000  fr. ,  dont  nous  venons  de  parler,  se  réduiraient, 

d'après  le  tarif  de 0'.30 

par  tonne  et  par  lieue,  à •  • .   1,051,000  fr. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  267 

Ce  serait  par  an  une  diminution  de*. .  l^TSâ^OOO  fr« 
Le  pays  perdrait  donc  environ  les  deux  tiers  de  la  dépense 
totale  qu'occasionne  aujourd'hui  le  mode  de  transport 
par  rouliers.  Ce  serait  près  de  deux  millions  de  francs 
que  le  commerce  de  nos  voisins  laisserait  de  moins  sur 
les  routes  de  France  que  parcouraient  ses  marchandises 
manufacturées  ou  à  Tétat  de  matières  premières.  Ce 
serait  deux  millions  de  capitaux  étrangers  qui  se  trouve- 
raient enlevés  annuellement  aux  commissionnaires,  aux 
rouliers,  aux  aubergistes,  aux  marchands  de  chevaux^ 
aux  charrcms,  etc. 

Sans  doute,  plus  de  célérité,  de  régularité,  d'économie 
dans  le  service  des  routes ,  augmenterait  la  masse  des 
transports.  £h  bien,  qu'on  triple  cette  masse,  et  alors^ 
nous  serons  seulement  revenus  à  l'état  présent  des  choses^ 
quant  aux  bénéfices  que  la  France  retire  du  passage 
qu'elle  donne^,  sur  son  territoire,  aux  marchandises 
étrangères  ;  qu'on  décuple,  si  Ton  veut,  le  transit  actuel, 
et  nous  ne  trouverons  encore,  au  profit  de  notre  pays, 
qu'une  augmentation  de  7,700,000  fr^ 

Ces  chiffres  dissiperont  bien  des  illusions.  Qu'on  le 
remarque,  cependant,  nous  n'avons  entendu  y  traiter,  à 
la  suite  de  l'exposé  des  motifs  du  projet  de  loi,  que  la 
question  du  transit  des  marchandises  appartenant  à  des 
étrangers  à  leur  arrivée  dans  nos  ports.  Celle  du  transit 
des  voyageurs,  celle  du  transit  des  marchandises  expédiées 
par  notre  commerce,  ont  une  tout  autre  importance.  Nous 
sentons  très-bien  ce  que  l'humanité,  ce  que  la  civilisation 
peuvent  attendre  de  moyens  de  transport  commodes,  éco- 
nomiques, rapides,  qui  rapprocheront,  qui  uniront  les 


268  LES  CHEMINS  DE  FER. 

peuples,  ou  devant  lesquels,  du  moins,  s'affaibliront  les 
haines  nationales,  les  préjugés  qui ,  durant  tant  de  siècles, 
ont  été  si  cruellement  exploités.  Nous  savons  très -bien 
aussi  que  là  où  vont  les  hommes  vont  les  affaires,  et  que 
dès  lors  le  commerce  a  tout  intérêt  à  voir  affluer  sur 
notre  territoire  un  très-grand  nombre  de  voyageurs.  Nous 
nMgnorons  pas  davantage  combien  les  mille  canaux  de  la 
Hollande  contribuèrent  jadis  à  faire  des  négociants  de 
de  ce  pays  les  facteurs  du  commerce  du  monde,  et  notre 
plus  vif  désir  serait  que  nos  concitoyens  du  Havre,  de 
Nantes,  de  Bordeaux,  etc.,  etc.,  trouvassent  de  sem- 
blables moyens  de  fortune  dans  les  nouvellss  communi- 
cations projetées  ;  efifin ,  Messieurs ,  c'est  parce  que  ces 
diverses  considérations  se  sont  offertes  à  nos  esprits  de 
bonne  heure,  c'est  parce  que  nous  les  avons  sérieusement 
méditées,  que  nous  sommes  partisans  des  chemins  de  fer. 
La  discussion  numérique  dans  laquelle  nous  avons  cru 
devoir  entrer,  relativement  au  transit,  avait  pour  unique 
but  de  débarrasser  le  terrain  d'un  él&nent  étranger,  ou 
qui  du  moins  n'y  doit  jouer  qu'un  rôle  secondaire. 

Nous  regrettons  beaucoup  que  la  question  stratégique 
ne  soit  pas  susceptible,  comme  celle  du  transit  des  mar- 
chandises, d'être  réduite  à  des  chiffres.  Des  chiffres, 
dans  leur  inflexible  raideur,  lui  feraient  certainement 
perdre  une  grande  partie  de  l'importance  qu'on  s'est 
complu  à  lui  donner. 

Personne  ne  doute  que  dans  des  cas  rares,  exception- 
nels, le  transport  très-rapide  de  quelques  milliers  de 
soldats  d'un  point  du  territoire  à  un  autre  point,  des 
régions  centrales  vers  la  circonférence,  ne  puisse  être 


■^ 


LES  CHEMINS  DE  FER.  269 

très-utile.  Mais  cela  n'autorise  nullement  à  supposer  que 
les  chemins  de  fer  deviendront  un  moyen  efficace  d'im- 
proviser sur  nos  frontières ,  avec  les  troupes  de  l'inté- 
rieur, des  armées  destinées  à  repousser  une  attaque 
imprévue,  ou  à  faire  une  irruption  subite  dans  les  con- 
trées ennemies.  L'opinion  que  nous  énonçons  ici  n'est 
pas  de  celles  qui  peuvent  être  établies  ou  renversées 
d'après  de  simples  aperçus.  Pour  la  juger  sainement,  il 
est  indispensable  de  descendre  jusqu'aux  détails.  Qu'on 
suppose,  par  exemple,  que  Strasbourg  soit  le  point  de 
réunion  d'une  armée  de  50,000  hommes,  à  la  formation 
de  laquelle  devront  concourir,  suivant  les  proportions 
voulues,  des  troupes  d'infanterie,  de  cavalerie,  d'artillerie, 
du  génie,  disséminées  dans  les  garnisons  ordinaires.  Sup- 
posez toutes  les  grandes  lignes  de  chemin  de  fer  exé- 
cutées ;  pourvoyez-les  des  locomotives,  des  wagons,  des 
plates-formes  nécessaires  au  service  habituel,  et  nous  nous 
trompons  fort  si,  avec  tout  cela,  vous  gagnez  plus  de 
trois  à  quatre  jours  sur  l'époque  où  l'armée ,  complète- 
ment organisée  et  suffisamment  approvisionnée,  pourra 
entrer  en  campagne.  Les  chemins  de  fer,  dans  un  certain 
rayon  à  partir  des  frontières,  ne  serviront  d'ailleurs 
qu'au  début  d'une  guerre.  Le  conflit  à  peine  commencé, 
l'ennemi  les  fera  détruire  sur  divers  points  par  des  affidés, 
par  des  partisans.  Si  la  chose  lui  paraît  en  valoir  la 
peine,  il  chargera  même  de  l'opération  quelques  esca- 
drons de  cavalerie  légère.  Et  qu'on  ne  nie  pas  la  possi- 
bilité de  former  de  pareils  détachements  en  pays  ennemi 
et  sur  les  derrières  d'une  grande  armée,  car  nous  rap- 
pellerions qu'en  1708,  une  poignée  de  cavaliers  hoUan- 


270  LES  CHEMINS  DE  FEB. 

dais  partit  de  Gourtrai,  s*avança  jusqu'au  pont  de  Sèvres 
(sous  Meudon),  où  elle  s^empara  de  M«  de  Beringhen, 
premier  écuyer  de  Louis  XIY,  croyant  se  saisir  du  dau- 
phin, père  du  duc  de  Bourgogne.  Si  la  citation  paraissait 
trop  ancienne,  nous  dirions  qu'en  i8i&,  pendant  que  le 
général  Maison  occupait  encore  la  Belgique,  un  petit 
corps  ennemi  de  cavalerie  légère  vint  dans  le  départe* 
ment  de  la  Somme  piller  Doulens*  L'armée  fera  certai- 
nement un  usage  utile  des  chemins  de  fer,  car  elle  pro- 
fite sans  cesse ,  avec  la  généralité  du  public ,  des  progrès 
des  arts  et  de  l'industrie;  mais,  de  là  à  de  prétendues 
réductions  de  moitié  ou  des  deux  tiers  dans  l'efTectif 
actuel  de  nos  troupes ,  il  y  a  une  distance  infinie ,  sur 
laquelle  nous  ne  pouvions  nous  taire. 

Militairement  parlant,  un  des  avantages  les  plus  imroé* 
diats  et  les  plus  prochains  des  chemins  de  fer,  sera  une 
diminution  considérable  dans  les  frais  qu'occasionnent 
les  changements  de  garnison.  Il  en  résultera  aussi  qu'une 
partie  de  la  population  pourra  être  affranchie  de  la  rude 
servitude  des  logements  militaires-  Nous  verrons  cepen* 
dant  à  l'user,  si  nos  généraux  ne  décideront  pas,  en 
définitive,  que  les  transports  en  wagons  auraient  pour 
résultat  d'efféminer  les  troupes  et  de  leur  faire  perdre 
cette  faculté  des  grandes  marches  qui  a  joué  un  rôle  si 
important  dans  les  triomphes  de  nos  armées. 

Nous  avons  déjà  dit  quelques  mots  de  l'influence  que 
les  chemins  de  fer  nous  paraissent  devoir  exercer  sur  les 
progrès  de  la  civilisation.  Nous  nous  associons  de  grand 
ccBur  aux  espérances  qu'on  a  manifestées  à  cet  égard, 
fussent- elles  quelque  peu  exagérées.  En  dehors  de  ces 


LES  CHEMINS  DE  FER.  274 

idées,  nous  ne  comprendrions  pas  la  signification  da  mot 
politique  appliqué  aux  voies  en  fer.  Nous  comprendrions 
encore  moins  comment  certaines  routes  auraient  le  privi- 
lège d^étre  politiques  à  Texclusion  de  toutes  les  autres* 
Des  hommes  graves  qui,  dans  leurs  écrits,  n'étaient  pas 
tenus  à  la  réserve  que  cette  tribune  commande,  ont 
imprimé  que  ces  démonstrations  n'auraient  qu'un  effet  : 
<  celui  d'embrouiller  la  question.  » 

Sicncni  noisiàxi.  —  On  rôle  de  TÉtat  et  des  compagnies 
dans  la  construction  des  chemins  de  fer. 

Vous  l'aurez  remarqué,  Messieurs,  le  premier  vote  de 
la  commission,  celui  dont  nous  avons  déjà  rendu  compte 
et  qui  reposait  sur  des  considérations  techniques,  ne  tou- 
chait qu'à  la  répartition  de  travail  proposée  par  le  gou- 
vernement. La  question  de  savoir  si  l'exécution  des 
grandes  lignes  de  chemin  de  fer  serait  exclusivement 
réservée  à  l'État  ou  abandonnée  à  des  compagnies,  restait 
encore  intacte.  C'était  là,  il  faut  se  hâter  de  le  dire,  le 
point  culminant,  le  point  délicat  de  la  tâche  qui  nous 
était  confiée.  Après  une  étode  approfondie  de  toutes  les 
faces  du  problème  ;  après  avoir  scrupuleusement  balancé 
les  avantages  et  les  inconvénients  des  deux  systèmes  en 
présence ,  la  commission  a  éprouvé  de  nouveau ,  à  une 
forte  majorité,  le  regret  de  ne  pouvoir  s'associer  à  la  pro- 
position ministérielle. 

Essayons  de  formuler  notre  opinion  dans  des  termes 
qui  ne  puissent  prêter  à  aucune  équivoque. 

Suivant  nous,  Messieurs,  il  faut  abandonner  l'exécution 
des  chemins  de  fer,  grands  ou  petits,  à  l'esprit  d' associa- 


272  LES  CHEMINS  DE  FER. 

tion ,  partout  où  il  a  produit  des  compagnies  sérieuses , 
fortement  et  moralement  constituées;  Taction  gouverne 
mentale  immédiate  doit  s'exercer  dans  les  seules  direc- 
tions où,  rintérét  national  des  travaux  étant  bien  con- 
staté, il  n'y  a  cependant  pas  de  soumissionnaires,  soit  à 
cause  de  Tmcertitude  des  produits,  soit  même,  carnous 
allons  jusque-là,  à  raison  de  leur  insuffisance  reconnue. 
Jamais  une  commission  honorée  de  votre  confiance  n'a 
pu  avoir  l'inqualifiable  pensée  de  subordonner  judaïque- 
ment  au  bon  vouloir  ou  au  caprice  des  compagnies  de 
capitalistes,  l'exécution  de  travaux  dont  le  bien-être  et  la 
sûreté  du  pays  pourraient  dépendre.  Autant  sur  ce  point 
nos  convictions  sont  arrêtées  et  profondes,  autant,  d'un 
autre  côté,  il  nous  semble  nécessaire  de  mettre  des 
bornes  à  l'esprit  de  monopole  qui  domine  trop  évidem- 
ment l'administration  française. 

Examinons,  au  surplus,  avec  le  soin  qu'une  aussi 
importante  question  commande,  si,  comme  le  ministère 
le  pense,  il  est  indispensable  de  confier  à  l'État,  non- 
seulement  l'exécution  des  longues  lignes  de  chemins  de 
fer,  mais  encore  celle  de  toutes  les  grandes  communica- 
tions par  terre  et  par  eau  t  qui  ont  pour  objet  de  rattacher 
entre  elles  les  extrémités  du  rovaume  ». 

Autant  que  faire  se  pourra,  nous  citerons  textuellement 
l'exposé  des  motifs  : 

tDans  un  grand  territoire,  comme  celui  de  la  France, 
il  faut,  vous  a  dit  M.  le  ministre  du  commerce,  que  les 
grandes  distances  puissent  être,  parcourues  à  bon  marché, 
sous  peine  de  rester  infranchissables,  sous  peine  d'isoler 
les  unes  des  autres  les  diverses  régions  dont  le  royaume 


LES  CHEMINS  DE  FER.  273 

se  compose.  ••  Sur  les  lignes  secondaires  et  les  lignes 
d'embranchement...  un  tarif,  même  un  peu  élevé,  peut 
5tre  facilement  payé  pour  une  faible  distance...  Il  faut 
ju'à  toute  époque  les  tarifs  puissent  être  modifiés...  Com- 
ment serait-41  possible  de  nous  mettre  d'accord  avec  la 
Belgique,  sur  la  fixation  mobile  des  tarifs,  si,  comme  elle, 
nous  ne  conservions  pas  la  libre  possession  et  la  souve- 
raine administration  de  nos  grandes  voies  de  fer?...  La 
libre  disposition  des  tarifs ,  la  faculté  de  les  modifier  sui- 
vant les  cas,  suivant  les  circonstances...  est  le  principal 
motif  qui  puisse  déterminer  à  demander  au  Trésor  les 
fonds  nécessaires  à  l'exécution  de  ces  immenses  travaux.  » 

Un  second  ordre  de  considérations  s'est  présenté  à 
H.  le  ministre  du  commerce  ;  t  il  ne  trouverait  pas  pru- 
dent d'abandonner  à  l'intérêt  privé  (quand  il  s'agit  des 
grandes  lignes),  des  moyens  de  communication  qui  doi- 
vent devenir  quelque  jour  des  lignes  essentiellement  poli- 
tiques et  militaires,  et  qu'on  peut  justement  assimiler, 
dit -il,  à  des  rênes  de  gouvernement.  » 

Le  gouvernement,  au  surplus,  ne  croit  pas  que  l'indus- 
trie privée  puisse  fabriquer  ces  rênes.  «  Les  exemples  sont 
là,  s'écrie-t-on,  pour  prouver  que  du  moment  qu'une 
entreprise  excède  une  somme  donnée,  les  capitaux  sérieux 
lui  manquent;  de  grandes  entreprises  ont  été  confiées 
depuis  quelques  années  aux  efforts  de  la  spéculation  et 
ne  sont  pas  même  commencées  aujourd'hui.  »  Souvent, 
ajoute  l'exposé  des  motifs,  «on  engage  l'affaire,  on  crée, 
on  émet,  on  jette  dans  le  public  des  actions;  »  viennent 
en3uite  «  des  bouleversements  de  fortune ,  des  malheurs 
privés  sans  nombre...  Le  gouvernement  ne  saurait  se  déci- 

V.—  II.  18 


274  LES  CHEMINS  DE  FER. 

dcr  à  offrir  à  l'agiotage,  à  cette  plaie  de  notre  époque, 
des  éléments  nouveaux  qui  lui  donneraient  la  plus  déplo- 
rable activité  et  la  plus  effrayante  extension.  » 

Quant  à  ceux  qui  pourraient  penser  que  TÉtat  est  im- 
puissant pour  se  lancer  dans  d'aussi  colossales  entreprises, 
M.  le  ministre  leur  recommande  «  de  jeter  uiï  regard  sur 
la  France  et  de  voir  si  tous  les  grands  travaux ,  si  tous 
ceux  qui  exigeaient  de  grands  efforts,  de  grands  capitaux, 
n'ont  pas  été  exécutés  par  T administration  publique,  » 

La  question ,  si  délicate ,  de  Texploîtation  des  chemins 
de  fer,  ne  pouvait  être  oubliée  par  M.  le  ministre  du 
commerce  ;  ajoutons  de  suite  qu'il  ne  la  tranche  pas. 

On  voit  bien  que  le  gouvernement  serait  fort  disposé 
à  exploiter  par  lui-même,  mais  il  n'ose  pas  Fannoncer 
positivement.  Le  mode  provisoire  d'exploitation  des  sec- 
tions successives  d'une  grande  ligne  serait  réglé  par 
ordonnance  royale.  Quant  à  la  ligne  tout  entière,  on 
ferait  des  essais,  des  tâtonnements,  avant  d'adopter  un 
parti  définitif;  une  loi  spéciale  le  sanctionnerait. 

Vous  le  voyez ,  Messieurs ,  les  arguments  que  le  gou- 
vernement produit  à  l'appui  du  projet  de  loi,  ne  sont  pas 
moins  remarquables  par  leur  variété  que  par  leur  nombre. 
Tour  à  tour  il  invoque  des  considérations  stratégiques, 
politiques ,  commerciales ,  économiques ,  industrielles , 
techniques.  Chacune  d'elles,  prise  isolément,  lui  paraît 
décisive;  réunies,  ne  dorvent-elles  pas  entraîner  un  assen- 
timent général  ? 

Une  seule  remarque.  Messieurs,  et  le  système  déve- 
loppé avec  tant  de  soin  dans  l'exposé  des  motifs  de  M.  le 
ministre  du  commerce ,  perdra  une  notable  partie  de  son 


LES  CHEMINS  DE  FElt  275 

importance.  Le  chemin  de  fer  de  Paris  en  Belgique,  dont 
l'exécution  par  des  compagnies  mettrait  en  danger  l'avenir 
commercial  de  la  France ,  nos  relations  avec  des  pays 
voisins,  notre  puissance  militaire,  peut-être  notre  tran- 
quillité intérieure;  ce  chemin  que  TÉtat  seul  pourrait, 
dit-on,  exécuter;  ce  même  chemin  de  fer,  de  Paris  en 
Belgique,  le  gouvernement,  disons  mieux,  le  ministre 
actuel,  l'avait  concédé  Tan  dernier  à  une  compagnie.  Les 
nombreuses,  les  insurmontables  difficultés  qu'on  nous 
signale  aujourd'hui,  n'étaient  cependant  ni  moins  iosur- 
montables  ni  moins  nombreuses  il  y  a  douze  mois.  Peut- 
être  prétendra -t- on  que  le  ministère  les  a  découvertes 
tout  récemment,  que  l'an  dernier,  il  ne  les  avait  point 
encore  aperçues.  11  ne  nous  appartient,  en  ce  moment, 
ni  d'admettre  ni  de  rejeter  l'explication. 

Nous  livrons  ces  remarques  à  l'appréciation  de  la 
Chambre.  Maintenant,  sans  rechercher  davantage  com- 
ment ce  qui  vous  était  proposé,  l'an  dernier,  est  devenu 
tout  à  coup  inadmissible,  impraticable;  comment  un 
mode  d'exécution  des  chemins  de  fer,  dûment  délibéré 
en  conseil  des  ministres,  et  soumis  à  votre  approbation, 
il  y  a  peu  de  mois,  serait  aujourd'hui  pour  le  pays  une 
.source  d'embarras,  de  malheurs,  de  calamités,  nous 
allons  examiner  en  elles-mêmes  les  considérations  diverses 
d'après  lesquelles  on  espère  obtenir  votre  assentiment. 

Le  gouvernement,  vous  dit-on ,  doit  rester  maître  des 
tarifs  sur  les  chemins  de  fer  ;  il  doit  pouvoir  les  modifier 
h  son  gré ,  d'après  les  besoins  de  l'intérieur,  ou  d'après 
ceux  de  nos  relations  avec  l'étranger.  C'est  à  merveille^ 
Messieurs  ;  mais  comme  le  mot  impossible  est  français^ 


276  LES  CHEMINS  DE  FER. 

quoi  que  jadis  on  en  ait  pu  dire,  à  peine  le  grand  prin- 
cipe est-il  proclamé,  qu'il  faut  reculer  devant  son  appli- 
cation absolue,  devant  Tiininensité  de  la  tâche. 

Que  fait-on  alors?  On  sacrifie  le^  embranchements;  on 
soutient  que  le  bas  prix  des  transports  n*a  d'importance 
que  sur  les  grandes  lignes  ;  là ,  le  gouvernement  veillera 
scrupuleusement  aux  intérêts  des  voyageurs  et  du  com- 
merce ;  sur  les  lignes  secondaires,  le  commerce  et  les 
voyageurs  seront  livrés  à  la  merci  des  compagnies  ! 

Avant  d'aller  plus  loin,  demandons- nous  à  quel  signe 
certain  l'embranchement  sera  distingué  de  la  ligne  prin- 
cipale? Dans  bien  des  cas,  nous  osons  l'afTirmer,  un 
botaniste  ne  serait  pas  plus  embarrassé  s'il  devait  dési- 
gner, parmi  tant  de  vigoureux  rameaux  qu'un  chêne 
séculaire  étale  dans  tous  les  sens,  celui  qu'il  faut  consi- 
dérer comme  le  prolongement  de  la  souche  I 

Supposons  le  réseau  du  nord  complètement  exécuté , 
tel  que  le  gouvernement  le  propose,  et  transportons-nous 
par  la  pensée  à  Amiens.  Le  chemin  s'y  bifurque  ;  une  des 
branches  se  dirige  sur  Lille  ;  la  seconde  va  à  Boulogne  ; 
elles  parcourent  l'une  et  l'autre  des  distances  à  peu  près 
pareilles;  mais  la  première  ayant  eu  l'heureuse  chance 
d'être  qualifiée  de  ligne  principale,  jouira,  aux  frais  de 
l'État,  de  tarifs  très- bas;  sur  la  seconde,  au  contraire, 
qui  avec  des  droits  égaux  à  la  même  faveur  se  trouvera , 
par  "hasard,  reléguée  dans  l'ordre  des  embranchements, 
le  tarif  y  sera  beaucoup  plus  élevé  ,  puisqu'il  aura  fallu 
le  calculer  sur  la  dépense  réelle  d'exécution  et  d'entretien. 
Eh  bien,  nous  le  demandons,  personne  pourra-t-il  s'expli- 
quer une  semblable  différence,  quand  elle  sera  du  fait  du 


LES  CHEMINS  DE  FER.  277 

gouvernement?  A  quel  titre  nos  communications  avec  la 
Belgique  seraient-elles  plus  favorisées  que  nos  communi- 
cations avec  l'Angleterre?  Et  s'il  arrivait,  comme  on  peut 
le  prévoir,  que  le  bas  tarif  artificiel  de  la  ligne  du  Nord , 
exécutée  par  l'État,  jetât  sur  cette  ligne  la  grande  masse 
des  voyageurs  anglais  ;  s'il  arrivait  qu'à  la  suite  des  tra- 
vaux et  des  arrangements  projetés ,  la  route  la  plus  éco- 
nomique de  Londres  à  Paris,  vînt  à  être  celle  d'Ostende, 
Gand  et  Lille;  si  même,  la  diminution  de  tarif  sur  la 
distance  de  la  frontière  du  Nord  à  Amiens,  ne  faisait  que 
favoriser  la  tendance  que  montrent  déjà  tant  d'Anglais  à 
venir  en  France  par  la  Belgique,  et  cela  au  grand  détri- 
ment de  Dunkerque ,  de  Calais,  de  Boulogne,  trouverait- 
on  dans  notre  langue  des  expressions  assez  sévères  pour 
caractériser  l'imprévoyance  de  l'administration  dont  les 
mesures,  mal  calculées,  auraient  amené  de  pareils  dépla- 
cements d'intérêts,  et  pour  stigmatiser  l'inattention  de  la 
Chambre  qui  les  aurait  sanctionnées?  Le  partage  récent 
de  la  France  en  zones  plus  ou  moins  favorisées  quant  à 
l'importation  des  charbons,  a-t-il  donc  amené  assez  peu 
d'embarras  et  de  réclamations,  pour  qu'on  doive  se  hâter 
de  soulever  des  débats,  des  froissements,  des  irritations 
toutes  pareilles  à  propos  de  chemins  de  fer? 

La  complète  disposition  des  tarifs,  la  faculté  de  les 
changer  à  chaque  instant ,  que  le  gouvernement  réclame 
avec  tant  de  vivacité ,  ne  lui  seraient  pas  plus  tôt  accor- 
dées, que  la  force  des  choses  l'obligerait  à  y  renoncer. 
Personne  n'a  cru  sérieusement  que  l'État  pût  se  charger 
lui-même  de  l'exploitation  si  compliquée,  si  minuti(îuse, 
d'une  longue  ligne  de  chemins  de  fer.  Les  chemins  une 


278  LES  CHEMINS  DE  PEIU 

fois  construits,  il  faudrait  iDévitablement  les  affermer; 
mais  qui  ne  voit  que  le  tarif  serait  la  clause  principale  du 
contrat?  O0  ne  traiterait,  dit -on,  que  pour  un  certain 
nombre  d'années.  Voilà  déjà  une  concession  bien  large,  si 
on  la  rapproche  des  espérances  qu'on  avait  d'abord  em- 
brassées. L'exploitation  ne  serait  jamais  concédée  que 
pour  un  terme  assez  court  I  Et  qui  peut  assurer  que  pour 
un  terme  assez  court  on  trouverait  jamais  une  compagnie 
qui  consentit  à  faire  exécuter  à  ses  frais  le  matériel  im- 
mense qu'exigerait  l'exploitation  de  la  ligne  de  Paris  à 
Marseille,  ou  même  seulement  l'exploitation  de  la  ligne 
de  Paris  à  Strasbourg?  Vous  le  voyez,  quand  on  ne  reste 
pas  dans  la  réalité  des  choses,  les  contriKiictions ,  les 
obstacles  surgissent  à  chaque  pas. 

L'exposé  des  motifs  prévoit  le  cas  où  il  faudrait  se 
mettre  d'accord  avec  la  Belgique  relativement  au  tarif  des 
chemins  de  fer,  et  c'est  pour  être  toujours  en  mesure  de 
négocier,  que  le  gouvernement  désire  rester  maître  absolu 
de  la  ligne  du  Nord. 

La  fixation  des  tarifs  en  ce  qui  concerne  le  territoire  de 
la  France  est,  ce  nous  semble,  une  affaire  d'administra- 
tion intérieure  dans  laquelle  les  puissances  voisines  ne 
doivent  jamais  avoir  à  s'immiscer.  Nous  ne  croyons  pas, 
en  effet ,  que  le  gouvernement  belge  ait  eu  même  la  pensée 
de  nous  consulter  quand  il  a  réglé  ses  prix  pour  les  che- 
mins de  Bruxelles  à  Anvei's,  à  Gand  ou  à  Liège.  £n  tout 
cas,  si  nous  sommes  dans  Terreur,  si  la  fixation  réci- 
proque des  tarifs  entre  deux  pays  vdsins  a  toute  l'im- 
portance que  M.  le  ministre  du  commerce  lui  attribue 
aujourd'hui,  hâtons -nous  de  déchirer  le  traité  qu'à  nous 


LES  CHEMINS  JOE  FER.  279 

présenta  naguère  en  faveur  de  M.  Kœchiin,  et  que  nous 
avons  adopté.  Par  une  de  ses  extrémités,  le  chemin  d'Al- 
sace se  termine  en  Suisse  ;  par  l'autre ,  il  peut  être  pro- 
longé jusqu'à  la  Bavière  rhénane.  La  Bavière  rhénane  et 
la  Suisse,  car  on  y  projette  des  chemins  de  fer,  voudront 
tût  ou  tard  être  traitées  comme  la  Belgique. 

Une  difficulté  plus  spécieuse  contre  le  libre  arbitre  des 
compagnies  en  matière  de  tarif,  a  été  fournie  au  gouver- 
nement par  l'obstination  de  certains  propriétaires  de 
canaux ,  qui ,  au  détriment  de  la  fortune  publique  et  de 
la  leur,  refusent  d'abaisser  les. droits  de  péage  que  l'auto- 
rité leur  concéda  jadis.  11  semble,  eu  efl'et,  naturel  de 
supposer  que  des  compagnies  de  chemins  de  fer  pourront, 
dans  l'avenir,  susciter  au  public  et  au  gouvernement  des 
embarras  du  même  genre.  Sans  parler,  pour  le  moment, 
d'une  double  disposition  du  cahier  des  charges,  à  l'aide 
de  laquelle  la  difficulté  perdrait  toute  sa  gravité ,  nous 
dirons  qu'elle  repose  sur  une  assimilation  dont  la  parfaite 
exactitude  est  susceptible  de  contestation. 

Ordinairement  les  propriétaires  ou  les  concessionnaires 
d'un  canal  perçoivent  seulement  un  droit  de  péage  sur 
leur  route  d'eau  :  les  barques,  les  moyens  de,  traction,  de 
locomotion  ne  leur  appartiennent  pas.  A  part  quelques 
frais  d'entretien  généralement  peu  considérables,  ces  pro- 
priétaires, ces  concessionnahres  ne  sont  grevés  d'aucune 
dépense  journalière.  Un  manque  à  (jagner  est  tout  ce  qui 
les  menace ,  lorsque  peu  au  fait  des  vrais  principes  de 
réconomie  industrielle,  ils  ne  comprennent  pas  qu'une 
diminution  de  droit  est  souvent  la  souixe  d'une  augmen- 
tation de  produit. 


280  LES  CHEMINS  DE  FER. 

L'administration  d'un  chennin  de  fer  est  dans  une  tout 
autre  position  ;  rien  ne  passe,  personne  ne  voyage  que  sur 
ses  plates- formes,  ses  wagons,  ses  voitures,  et  à  l'aide  de 
ses  moyens  de  traction;  les  frais  d'entretien,  nous  ne 
dirons  pas  seulement  des  rails,  mais  aussi  de  tous  les 
véhicules  et  des  locomotives ,  les  frais  de  combustible,  se 
trouvent  complètement  à  la  charge  des  exploitants.  Ces 
frais  sont  énormes,  même  quand  tout  marche  à  vide.  La 
compagnie  qui  ne  s'emparerait  pas,  à  l'aide  de  tarifs 
modérés,  d'une  grande  quantité  de  voyageurs,  serait 
bientôt  ruinée.  11  n'est  donc  pas  à  craindre  que  les  com- 
pagnies de  chemin  de  fer  amènent  jamais  à  cette  tribune 
les  plaintes  dont  elle  a  retenti  naguère  contre  certains 
propriétaires  de  canaux. 

Nous  avons  examiné  toutes  les  difficultés  relatives  aux 
tarifs,  en  elles-mêmes  et  comme  si  nous  supposions  que 
l'administration  restera,  à  cet  égard,  complètement  dés- 
armée vis-à-vis  des  compagnies.  Telle  n'est  pas,  cepen- 
dant, telle  n'a  pas  pu  être  l'opinion  de  la  commission.  Elle 
croit ,  au  contraire ,  que  le  droit  de  révision  des  tarifs 
devrait  être  formulé  catégoriquement  dans  tous  les  cahiers 
des  charges.  En  outre,  les  conditions  de  rachat  de  chaque 
chemin  de  fer  par  l'État,  formeraient  l'objet  d'une  stipu- 
lation spéciale.  On  simplifierait  ainsi  les  formes  de  l'ex- 
propriation, sans  limiter,  sans  affaiblir,  bien  entendu,  le 
droit  qui  résulte  de  la  loi  générale,  toutes  les  fois  que 
l'utilité  publique  a  parlé. 

Nous  ne  pouvions  pas  nous  dispenser  d'accorder  de 
grands  développements  à  la  question  des  tarifs,  puisque 
le  ministère  vous  avait  déclaré  qu'elle  serait  la  pierre 


LES  CHEMINS  DE  FER.  281 

angulaire  de  Tédifice  qu'il  vous  proposait  d'élever.  Nous 
croyons,  toutefois,  qu'on  s'est  trompé  en  donnant  le  pre- 
mier rang  à  cet  ordre  de  considérations.  Supposons,  en 
effet,  un  moment,  qu'il  soit  prouvé,  et  telle  est,  vous  le 
le  savez,  l'opinion  du  ministère,  qu'aucune  compagnie  en 
France  n'aurait  aujourd'hui  la  force  d'organisation  et  les 
capitaux  nécessaires  pour  exécuter  une  seule  des  grandes 
lignes  de  chemins  de  fer.  Ne  serait-il  pas  alors  puéril  de 
prolonger  le  débat?  Un  négociant  ne  s'occupe  des  détails 
d'armement,  de  distribution,  d'arrimage,  que  le  jour  où 
il  est  certain  d'avoir  un  navire.  Les  navires  auxquels  la 
commission  désirerait  confier  la  destinée  des  chemins  de 
fer,  existent-ils?  Ont-ils  de  la  force,  de  Tavenir?  Sont-ils 
constitués  de  manière  à  résister  à  quelques  orages? 

De  très-bons  esprits  ont  longtemps  douté  que  l'indus- 
trie privée  pût  trouver  en  France  les  capitaux  nécessaires 
à  l'exécution  des  grandes  lignes  de  chemins  de  fer.  Ce 
n'est  pas  que  ces  capitaux  n'existassent ,  car  une  compa- 
gnie, composée  de  banquiers  riches  et  justement  consi- 
dérés, offrait,  il  y  a  deux  ans,  de  se  charger  de  cette 
immense  entreprise ,  sous  la  seule  garantie  d'un  minimum 
d'intérêt  de  4  pour  100  pendant  46  ans. 

Les  propositions  de  la  compagnie  des  chemins  de  fer 
du  Nord  établissaient  à  la  fois  et  l'existence  des  capitaux 
et  le  peu  de  propension  qu'ils  avaient  à  se  porter  sur  de 
grands  travaux  d'utilité  publique.  Maintenant  il  faudrait 
fermer  tes  yeux  à  la  lumière  pour  ne  pas  voir  combien  les 
choses  sont  changées.  L'esprit  d'association  vient  à  peine 
de  naître,  et  déjà  il  a  reçu  des  dovcJoppements  remar- 
quables. De  toutes  parts  les  capitaux ,  grands  et  petits, 


2g2  LES  CHEMINS  DE  FEF. 

afflaent  vers  les  entreprises  indu^rielles.  Cette  tendance , 
quMl  faut  bien  soigneusement  distingua  du  déplorable 
agiotage  dont  la  Bourse  de  Paris  a  été  récemment  le 
théâtre,  ouvre  à  notre  pays  un  avenir  entièrement  nou- 
veau et  mérite  vos  encouragements.  C'est  cette  tendance 
qui  nous  a  inspiré  la  pensée  que  le  moment  était  venu  de 
sortir  des  vieux  errements,  et  de  fournir  à  l'association 
une  occasion  solennelle  d'essayer  ses  forces,  de  montrer 
sa  puissance  ;  c'jest  elle  aussi  qui  nous  a  persuadé  que  des 
compagnies  privées  pourront  exécuter  avec  leurs  propres 
ressources  et  sans  subvention  aucune,  la  plupart  des  che- 
mins prqetés. 

Appelé ,  comm'e  rapporteur,  à  soumettre  plus  particu- 
lièrement à  une  investigation  minutieuse  les  registres  que 
diverses  compagnies  nous  ont  présentés ,  il  me  sera  per- 
mis de  déclarer  ici  que  j'ai  aperçu  généralement  dans  les 
modes  de  souscription,  dans  les  noms  et  les  qualités  des 
souscripteurs,  aussi  bien  que  dans  le  montant  des  sommes 
souscrites,  tous  les  caractères  d'engagements  sérieux; 
que  les  diverses  classes  de  la  société  figurent  également 
dans  ces  registres  ;  que  les  départements ,  ceux  surtout 
que  les  chemins  doivent  parcourir,  y  occupent  une  large 
place;  enfin  que  des.  valeurs  considérables  viendront  de 
l'étranger  s'ajouter  à  celles  qui  doivent  être  fournies  par 
nos  propres  capitalistes. 

Ne  croyez  pas  cependant  que,  dominée  par  ces  impres- 
sions favorables,  la  commission  ait  voulu  laisser  la  société 
désarmée  en  présence  de  l'intérêt  privé.  A  cet  égard, 
ses  préoccupations  étaient  même  si  vives  que,  sans  s'ar- 
rêter à  l'idée  qu'elle  empiétait  quelque  peu  sur  les  atlri- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  283 

butions  de  la  commission  des  sociétés  commerciales,  elle 
a  rédigé,  relativement  à  l'organisation  des  compagnies 
et  aux  garanties  à  leur  imposer,  un  certain  nombre  d'arti- 
cles que  nous  allons  faii^e  connaître,  en  supprimant  toute- 
fois les  développements.  Ce  sacrifice,^  commandé  par  le 
désir  de  ne  point  abuser  aujourd'hui  de  votre  attention , 
n'empêchera  pas  que  pendant  le  débat  oral  les  membres 
de  la  commission  ne  viennent  à  cette  tribune  développer 
tout  ce  qu'il  y  a  d'important,  de  nécessaire  dans  les  réso- 
lutions qu'ils  vont  soumettre  à  votre  jugement. 

V  Les  compagnies  seraient  tenues  de  faire  un  caution- 
nement dont  elles  pourraient  toutefois  demander  la  resti- 
tution après  l'achèvement  de  la  cinquième  partie  des 
travaux  concédés. 

2*  Les  compagnies  pourraient  être  mises  en  déchéance, 
soit  en  cas  de  non -exécution  des  travaux  dans  le  délai 
déterminé,  soit  pour  un  manquement  grave  aux  condi- 
tions du  cahier  des  charges.  La  déchéance  ne  serait  pas 
une  confiscation  déguisée.  Une  adjudication  des  travaux 
commencés  aurait  lieu  au  profit  de  la  compagnie ,  selon 
le  mode  établi  à  l'article  32  du  cahier  des  charges  pour 
le  chemin  de  Bàle  à  Strasbourg.  La  dévolution  définitive 
à  l'État  ne  serait  prononcée  que  dans  le  cas  où,  après 
deux  épreuves  à  six  mois  de  distance ,  il  n'y  aurait  pas 
eu  d'acquéreur..  Le  chemin  ne  pourrait  être  continué  qu'en 
vertu  d'une  loi  qui  réglerait,  en  outre,  le  montant  de 
l'indemnité  à^  laquelle  les  adjudicataires  primitifs  pour- 
raient avoir  droit. 

3*  La  faculté  de  rachat  des  chemins  de  fer  par  l'Etat, 
stipulée  à  l'article  &&  du  cahier  des  charges  du  chemiu 


284  LES  CHEMINS  DE  FER. 

de  Bâle  à  Strasbourg ,  figurerait  désormais  dans  tous  les 
actes  analogues.  Le  revenu  serait  calculé  sur  les  dix  der- 
nières années. 

ft*  Les  gérants ,  administrateurs  et  directeurs  devraient 
posséder  une  portion  du  capital  social-,  assez  forte  pour 
répondre  de  leur  bonne  gestion.  Cette  portion ,  inalié- 
nable jusqu'à  l'entier  achèvement  des  travaux,  serait 
déposée  à  la  caisse  des  consignations. 

5*  Il  y  aurait  interdiction  absolue  de  Tattribution 
d'actions  industrielles  à  des  personnes  dont  on  voudrait 
rémunérer  les  services.  La  part  de  bénéfices  destinée  à 
récompenser  les  ingénieurs,  les  gérants,  et  à  exciter  leur 
activité,  deviendrait  toute  personnelle;  elle  ne  serait  sus- 
ceptible ni  de  négociation ,  ni  de  transfert. 

6*  Aucune  émission  et  négociation  de  titres,  mêmes 
provisoires,  ne  pourrait  avoir  lieu  avant  la  promulgation 
de  la  loi. 

7'  Le  cahier  des  charges  ne  serait  accepté  et  signé 
qu'après  que  des  engagements  dûment  souscrits ,  repré- 
senteraient un  capital  social  égal  au  moins  à  la  moitié  de 
l'estimation  de  la  dépense. 

8'  Avant  la  présentation  de  la  loi ,  la  Compagnie  de- 
vrait justifier  du  versement  en  espèces  d'un  dixième  du 
même  capital. 

Ces  garanties,  tout  utiles  qu'elles  soient,  n'ont  pas 
semblé  à  la  commission  rendre  superflu  un  examen  appro- 
fondi de  la  question  d'utilité  générale,  de  la  question 
d'art,  de  l'organisation  intime  des  compagnies,  et  même 
des  calculs  divers  sur  lesquels  elles  peuvent  fonder  leurs 
chances  de  profit.  Le  mode  actuel  est  très- vicieux.  Les 


LES  CHEMINS  DE  FER.  285 

Chambres  interviennent  au  début  de  l'affaire,  quand  les 
projets  sont  à  peine  rédigés,  quand  la  compagnie  n'a 
qu'une  existence  précaire.  Ce  qui  est  encore  pis,  on  les 
appelle  à  autoriser  une  adjudication  entre  des  compagnies 
qu'elles  ne  connaissent  même  pas,  autant  dire  à  donner 
un  blanc-seing  à  l'administration.  On  remettrait  les  choses 
dans  leur  ordre  naturel ,  si  l'on  décidait  : 

!•  Qu'hormis  des  cas  exceptionnels  fort  rares,  la  con- 
cession directe,  seul  moyen  d'apprécier  la  moralité  et  la 
solidité  des  compagnies,  serait  préférée  à  l'adjudication; 

2*  Que  les  projets,  avant  la  présentation  de  toute  pro- 
position de  concession  aux  Chambres,  devraient  être  assez 
étudiés  pour  donner  une  idée  des  frais  de  construction  et 
des  difficultés  d'art  à  vaincre  ; 

3"  Qu'à  la  même  époque,  la  compagnie,  complètement 
organisée,  devrait  avoir  soumis  ses  statuts  au  conseil 
d'État,  dont  l'avis  motivé  serait  joint  au  projet  de  loi, 
tout  aussi  bien  pour  les  sociétés  en  commandite  que  pour 
les  sociétés  anonymes. 

Alors,  les  commissions  des  Chambres  pourraient  se 
livrer  à  un  véritable  examen  des  statuts  de  chaque  compa- 
gnie, des  avantages  financiers  et  économiques  des  entre- 
prises, des  questions  d'art,  du  montant  présumé  des 
dépenses  d'exécution  et  d'entretien,  des  oppositions  do 
toute  nature  collectives  ou  individuelles,  etc.,  etc.  Dans 
ce  système,  l'intervention  législative  ferait  quelque  chose; 
la  loi  aurait  pour  les  compagnies  tous  les  effets  dont  l'or- 
donnance royale  jouit  aujourd'hui  à  l'égard  des  sociétés 
anonymes;  le  vote  des  Chambres  deviendrait  définitif, 
puisqu'il  porterait  sur  les  statuts,  sur  l'organisation  même 


286  LES  CHEMINS  DE  FER. 

des  associations,  ainsi  que  cela  se  iwatique,  au  reste,  de 
l'autre  côté  du  détroit 

Après  cette  sorte  de  (fisgressian  dont  la  Chambre ,  nous 
osons  Tespérer,  sentira  toirte  Topportunité ,  nous  repre- 
nons la  discussion  des  arguments  présentés  par  M.  le 
ministre  du  commerce. 

Dans  l'examen  comparatif  des  travaux  da  gouverne- 
ment et  de  ceux  des  compagnies,  l'exposé  des  motifs 
remonte  beaucoup  trop  haut.;  aussi  sommes-nous  peu 
embarrassés  de  cette  interrogation  ministérielle  :  t  Nous 
demanderons  quelles  sont  les  opérations  un  peu  vastes 
que  les  associations  particulières  ont  pu  conduire  heureu- 
sement à  leur  terme.  »  Notre  réponse  est  toute  prête  ;  elle 
sera  très- simple  :  En  France,  aux  époques  dont  parle 
l'exposé  des  motîfe,  les  compagnies  n'étaient  pas  encore 
néesl 

Oh  r  l'objection  aurait  une  grande  force,  si  on  avait  pu 
l'appliquer  aux  contrées  dans  lesquelles  l'e^rfl;  d'asso- 
ciation existe  depuis  longtemps  et  a  toujours  reçu  de 
l'autorité  encouragement  et  appui.  Mais,  comme  de  rai- 
son, la  France  seule  a  été  mise  en  scène.  Par  là  on  s'est 
soustrait  à  l'accablante  énumération  de  routes,  de  che- 
mins de  fer,  de  ponts,  de  canaux,  de  ports,  d'embar- 
cadères,  de  docks,  d'établissements  industriels  de  tout 
genre  qui,  dans  un  pays  voisi»,  démoatrent  à  chaque 
pas  que  l'association  est  le  plus  énergique  ressort  dont-les 
nations  modernes  puissent  faire  usage  poiir  accroître  leur 
bien-être.,  leur  richesse  et  leur  importance  politique. 

Sans  sortir,  au  surplus,  du  cerclo  étroit  qu'on  trace 
autour  de  nous,  serait- il  donc  bien  difficile  de  trouver 


LES  CHEMINS  DE  FER,  2g7 

dans  les  départements  de  France,  de  trouver  près  de 
Paris,  de  trouver  dans  Paris  même,  de  grands  travaux 
commencés  par  l'État,  sans  cesse  interrompus,  repris,  et 
dont  Fachèvement,  il  y  a  quelques  années,  a  été  définiti- 
vement dévolu  à  des  compagnies  décapita  listes? 

Le  gouvernement  admet  la  puissance  de  Findustrie 
privée ,  quand  ses  opérations  sont  renfermées  dans  cer- 
taines limites.  C'était  ici  ou  jamais  le  cas  de  fixer  ces 
limites  par  des  nombres.  Une  pareille  fixation,  nous 
devons  l'avouer,  eût  été  quelque  peu  difficile  ;  on  devait 
prévoir  le  cas  où  des  registres  de  souscriptions  person- 
nelles, authentiques,  seraient  venus  contredire  les  chiffres 
ministériels  ;  fallait- il  cependant  laisser  la  Chambre  dans 
la  conoplète  incertitude  où  la  place  cette  phrase  de  l'ex- 
posé des  motifs  :  «  Dans  l'opinion  du  gouvernement ,  les 
capitaux  sérieux  manquent  à  l'industrie  privée,  du  mo- 
ment qu'une  entreprise  excède  une  somme  donnée!»  Ces 
mots,  une  somme  donnée ,  seraient  au  besoin  trop  élasti- 
ques pour  que  nous  puissions  être  tentés  de  les  contester. 
Qui  ne  voit ,  toutefois,  qu'une  classification  des  chemins, 
basée  sur  le  maximum  de  dépense  qu'ils  doivent  entraîner, 
pouvait,  même  dans  le  système  ministériel ,  être  substituée 
avec  avantage  à  celle  qu'on  vous  présente,  d'embranche- 
ments, de  chemins  secondaires,  etc.,  etc.  Les  compagnies 
auraient  su  alors  nettement  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  inten- 
tions de  l'administration.  Aujourd'hui,  peuvent -elles  s'y 
reconnaître  quand  on  leur  refuse  une  ligne  principale 
évaluée  20  millions  de  francs,  et  qu'on  se  montre  disposé 
à  leur  accorder  un  embranchement  f celui  d'Amiens  à 
Boulogne)  qui  doit  en  coûter  /lO? 


288  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Venons  maintenant  aux  objections  qu'oppose  la  com- 
mission, à  l'intervention  directe  de  l'État  dans  l'exécution 
des  chemins  de  fer,  là,  et  là  seulement,  bien  entendu, 
où  de  puissantes  compagnies  se  présentent.  Afin  d'être 
moins  gênés  dans  l'expression  de  nos  doutes,  nous  com- 
mencerons par  rendre  un  hommage  sincère  aux  ingénieurs 
pleins  de  savoir,  de  conscience,  de  zèle,  de  dévouement 
et  d'honneur,  qui  forment  le  corps  des  ponts  et  chaussées. 
Notre  confiance  dans  le  succès  des  compagnies  s'est  accrue 
de  celle  que  ces  mêmes  ingénieurs  nous  inspirent,  lorsque 
nous  avons  appris  qu'ils  seraient  placés  à  la  tête  des 
grandes  entreprises  projetées,  pour  tout  ce  qui  concerne- 
rait les  travaux  d'art.  11  est  donc  bien  entendu  que  nos 
inquiétudes,  que  nos  critiques  concernent  exclusivement 
l'organisation,  suivant  nous  très -vicieuse,,  du  corps  des 
ponts  et  chaussées,  du  moins  en  ce  qui  touche  certaines 
natures  de  travaux.  Les  ingénieurs  eux-mêmes  sont  com- 
plètement en  dehors  du  débat.  Noqs  répéterions  cent  fois, 
s'il  le  fallait ,  que  nous  professons  pour  eux  la  plus  pro- 
fonde estime. 

Il  y  a  cinq  ans.  Messieurs,  l'industrie  particulière ,  qui 
depuis  n'a  cependant  pas  démérité,  trouvait  dans  les 
Chambres  beaucoup  plus  de  faveur  qu'aujourd'hui.  Pre- 
nez le  Moniteur  de  cette  époque,  et  vous  y  lirez  ces 
paroles  :  «  Elle  seule  (l'industrie  particulière)  a  le  secret 
du  juste  rapport  des  avantages  et  des  dépenses;  elle 
seule  sait  approprier  les  travaux  à  leur  fin  ;  elle  seule  sait 
éviter  les  folles  dépenses  où  entraîne  précisément  le  gran- 
diose dans  les  travaux  qui  ne  le  réclament  pas.  • 

Lorsque,  dans  le  débat  oral  qui  suivra  ce  rapport. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  2S9 

nous  viendrons  à  cette  tribune  vous  prémunir  contre  les 
folles  dépenses  que  l'administration  publique  ne  manque- 
rait pas  de  vouloir  faire ,  si  vous  lui  confiez  l'exécution 
des  chemins  de  fer  ;  lorsque  nous  vous  entretiendrons  du 
goût  ruineux  des  ingénieurs  du  gouvernement  pour  le 
grandiose,  M.  le  président  du  conseil  nous  prêtera  cer- 
tainement l'appui  de  son  autorité  ;  car,  il  faut  vous  l'ap- 
prendre, Messieurs,  le  passage  que  nous  avons  cité  est 
tiré  textuellement  d'un  discours  de  M.  le  comte  Mole  à  la 
Chambre  des  Pairs. 

Les  vues  générales,  applicables  à  toutes  les  natures  de 
travaux  possibles,  sur  lesquelles  se  fonde  l'opinion  de 
M.  le  président  du  conseil  en  faveur  des  compagnies, 
se  fortifient  de  considérations  non  moins  puissantes  quand 
il  est  spécialement  question  de  chemins  de  fer. 

Dans  un  chemin  de  fer,  en  effet,  il  ne  s'agit  pas  uni- 
quement de  nivellements,  de  tracés,  de  travaux  d'art; 
des  transactions  commerciales  y  jouent  un  rôle  important. 
Jusqu'ici  des  cours  de  commerce  n'ont  pas  figuré  parmi 
ceux  de  l'École  polytechnique  ou  de  l'École  des  ponts  et 
chaussées.  Mais  fussent-ils  créés  et  professés  depuis  long- 
temps, nous  n'en  devrions  pas  moins,  sous  ce  rapport, 
nous  défier  de  la  capacité  de  nos  ingénieurs.  Les  affaires, 
ainsi  qu'on  les  appelle  vulgairement,  supposent  une  nature 
d'esprit  toute  particulière;  il  faut,  pour  y  réussir,  un 
tact,  une  pénétration,  une  finesse  qui  ne  s'acquerront 
jamais  dans  les  amphithéâtres.  Rien,  en  ce  genre,  ne 
pourra  suppléer  à  une  longue,  à  une  constante  pratique 
des  hommes  et  des  choses.  Or,  qui  n'a  remarqué  combien, 
par  un  honorable  sentiment  de  délicatesse,  là  plupart  de 

V.  —  II.  19 


290  LES  CHEMINS  DE  FER. 

nos  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées  cherchent  à  se  tenir 
à  l'écart  de  toute  affaire  dont  la  conclusion  doit  être  un 
paiement?  N'en  doutons  pas,  Messieurs,  les  achats  de 
terrains,  de  rails,  de  machines  locomotives,  etc.,  se 
feraient  plus  mal  et  à  des  conditions  beaucoup  plus  oné- 
reuses, par  les  employés  de  l'État  que  par  ceux  des 
compagnies.  Enlacés  dans  une  multitude  de  formes  admi- 
nistratives, conservatrices,  si  l'on  veut ,  mais,  d'un  autre 
côté,  minutieuses,  compliquées  à  Textrême,  les  délégués 
du  gouvernement  ne  pourraient  presque,  dans  aucun  cas, 
leur  substituer  la  voie  prompte  et  souvent  économique  de 
la  transaction  privée.  De  là  d'incalculables  longueurs  et 
d*énonnes  difficultés.  Le  ministre  lui-même  Ta  si  bien 
prévu,  qu'il  parle  déjà,  dans  l'exposé  des  motifs,  de  la 
possibilité  de  simplifier  les  formes  actuelles. 

Si  cette  simplification  avait  pu  être  assez  radicale  poiu* 
ôter  tout  sujet  d'opposition  aux  partisans  des  compa- 
gnies, pourquoi  ne  l'a-t-on  pas  opérée  avant  de  présenter 
les  projets  de  loi  des  chemins  de  fer  et  des  canaux  ?  Puis- 
qu'on fait  espérer  des  améliorations,  il  eût  été  très-utile 
de  savoir,  par  exemple ,  si  l'administration  des  ponts  et 
chaussées  continuera,  en  matière  de  travaux  publics,  à 
être  juge  et  partie  ;  si  elle  seule  aura  le  contrôle  de  ses 
propres  actes.  Chacun  eût  voulu  apprendre  comment  elle 
échappera  désormais  au  besoin  que  l'esprit  de  corps  lui 
a  jusqu'ici  imposé,  de  jeter  un  voile  épais  sur  les  fautes 
de  ses  membres;  où  elle  trouvera  l'énergie  qui  lui  a  si 
souvent  manqué ,  même  lorsque  les  plus  graves  intérêts 
lui  criaient  sans  cesse  d'enlever  à  tel  ou  tel  ingénieur  sys- 
tématique ou  inhabile  la  direction  qui  lui  avait  été  confiée 


LES  CHEMINS  DE  FER.  291 

d'un  travail  capital  ;  à  quels  procédés  inusités  elle  recoiura 
pour  employer  chacun  suivant  sa  spécialité  ;  d'où  elle  fera 
surgir  la  multitude  de  piqueurs,  de  conducteurs  qu'exige 
ront  de  nouveaux  travaux ,  car  elle  satisfait  à  peine  à  la 
besogne  courante  ;  comment  enfin  elle  résistera  aux  in- 
fluences personnelles  qui  jusqu'ici  ont  paru  la  maîtriser, 
et  dont  on  pourrait  citer  de  nombreux  exemples. 

Toutes  068  questions,  Messieurs,  s'éclairciront  en 
temps  et  lieu.  Votre  commission  a  dû  prendre  les  choses 
dans  l'état  actuel.  En  partant  de  cette  base,  nous  trouvons 
très- naturel  que  M.  le  ministre  du  commerce  ait  prévu 
qu'on  lui  dirait  dans  cette  enceinte  :  «  Si  l'on  confie  d'aussi 
grands  travaux  à  l'État,  on  n'en  verra  jamais  la  fin,  et 
la  jouissance  si  désirée ,  si  attendue  de  ces  communica- 
tions nouvelles ,  sera  indéfiniment  retardée.  » 

Nous  laisserons,  pour  le  moment,  de  côté,  les  citations 
que  le  gouvernement  emprunte  aux  travaux  d'un  pays 
voisin ,  et  qui  lui  semblent  éminemment  favorables  à  son 
propre  système.  Ces  citations  ne  pouvaient  être  plus  mal- 
heureusement choisies.  Nous  les  emploierons  nous-mêmes 
en  temps  et  lieu ,  pour  combattre  le  projet  ministériel. 
Ici  nous  nous  bornerons  à  une  seule  remarque;  nous 
dirons  que  des  citations  cessent  d'être  des  arguments  de 
bon  aloi ,  dès  qu'elles  ne  sont  pas  complètes.  Ainsi  nous 
concevons  à  merveille  que ,  pour  donner  une  leçon  de 
sagesse,  de  patriotisme  à  votre  commission  et  même  aux 
Chambres,  le  Moniteur  du  3  avril  dernier  ait  soigneuse- 
ment enregistré  le  projet  de  loi  présenté  aux  États -géné- 
raux, et  en  vertu  duquel  le  gouvernement  hollandais 
aurait  exécuté  lui-même  des  chemis  de  fer  entre  Rotter- 


292  LES  CHEMINS  DE  FER. 

dam,  Amsterdam,  Utrecht  et  Arnheim,  Mais,  n'eût- il 
pas  été  convenable  de  nous  apprendre  plus  tard ,  par  la 
même  voie,  que  les  arguments  si  pleins  de  sens  et  de 
raison  qu'on  livrait  à  nos  méditations,  avaient  été  sans 
puissance,  et  qu'un  rejet  h  l'unanimité,  moins  deux  voix, 
dans  lesquelles  deux  voix  figurait  encore  celle  d'un  mi- 
nistre ,  fit  complète  justice  du  projet  tant  préconisé. 

Le  gouvernement  veut  se  charger  lui-même  des  che- 
mins de  fer,  afin  de  ne  pas  t  offrir  à  l'agiotage,  à  cette  plaie 
de  notre  époque ,  des  aliments  nouveaux  qui  lui  donne- 
raient la  plus  déplorable  activité  et  la  plus  effrayante 
extension.  • 

Rien  assurément  n'est  plus  digne  d'éloge ,  et  la  com- 
mission éprouve  un  véritable-  regret  de  ne  pouvoir  louer 
que  l'intention.  Mais  nous  aurions  peine  à  comprendre 
comment  les  chemins  de  fer  seraient  soustraits  à  l'agio- 
tage, si  agiotage  il  devait  y  avoir,  quand  le  gouverne- 
ment déclare  ne  se  réserver  que  les  1,100  lieues  de 
lignes  principales,  et  qu'il  destine  à  l'industrie  3  à  4  mille 
lieues  de  lignes  secondaires  et  d'embranchements.  Per- 
sonne assurément  n'oserait  soutenir  que  l'agiotage,  en 
s'exerçant ,  par  exemple ,  sur  les  20  millions  du  chemin 
principal  d'Orléans,  serait  plus  fâcheux,  plus  immoral, 
plus  menaçant  pouMes  fortunes  privées  que  celui  qui 
se  cramponnerait  aux  40  millions  de  l'embranchement 
d'Amiens  à  Boulogne. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  293 

SccTiox  QCATBiàiiE.  —  Du  budget  de  l'État  en  matière  de  travaux 

publics  extraordinaires. 

Passons  maintenant,  Messieurs,  à  la  partie  financière 
du  problème.  C'est  là  que  nous  trouverons  les  arguments 
peut- être  les  plus  décisifs  en  faveur  du  système  de  la 
commission.  Aussi ,  les  eussions-nous  développés  les  pre- 
miers ,  si  Tordre  d'idées  adopté  dans  l'exposé  des  motifs, 
n'avait  pas,  en  quelque  sorte,  tracé  notre  marche. 

Que  nous  demande  le  gouvernement?  L'exécution,  aux 
frais  de  l'État,  de  lignes  de  chemins  de  fer  qui,  d'après 
les  avant-projets ,  doivent  coûter  207  millions.  Ces  207 
millions,  avec  quelles  ressources  espère-t-on  y  faire  face? 
La  commission  a  entendu  à  ce  sujet  M.  le  ministre  des 
finances,  et  elle  a  appris  de  lui  : 

Qu'il  ne  pouvait  pas  être  question  d'un  emprunt  dont 
le  produit  serait  spécialement  affecté  aux  travaux  pro- 
jetés; qu'on  n'entendait  pourvoir  à  la  dépense  qu'avec  les 
excédants  de  recette  et  la  réserve  de  l'amortissement  ; 
qu'on  procéderait  par  allocations  annuelles,  afin  d'être 
toujours  en  mesure  de  s'arrêter  s'il  survenait  des  circon- 
stances  graves. 

Eh  bien.  Messieurs,  la  commission  a  considéré  que,  de 
notre  temps,  des  excédants  de  la  recette  sur  la  dépense 
sont  une  chose  rare  ;  que  la  réserve  de  l'amortissement 
l>eut  être  rendue  à  sa  destination  primitive  par  une  mul- 
titude de  causes.  Avec  des  ressources  aussi  éventuelles, 
il  ne  lui  semblerait  ni  prudent  ni  utile  que  l'État  s'enga- 
goîU  dans  les  travaux  dont  le  projet  de  loi  vous  a  fait 
connaître  la  vaste  étendue. 


294  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Nos  doutes  quant  à  Texistence,  ou  si  Ton  veut  quant  à 
l'importance  seulement  des  excédants  de  recelte  sur  les- 
quels le  ministère  compte  pour  Fexécution  des  chemins 
de  fer,  résultent  d'un  examen  attentif  des  engagements 
que  rÉtat  a  déjà  pris  ou  qu'on  vous  a  proposés,  et  qui  ne 
seront  pas  moins  sacrés  à  vos  yeux  que  des  engagements 
postérieurs.  Uachèvement  des  routes  royales,  Taméliora- 
tion  des  ports  et  des  rivières,  l'ouverture  ou  Tachèvement 
des  canaux,  doivent  absorber  une  somme  d'environ  300 
millions  qu'il  faudra  couvrir  par  des  crédits  annuels  et 
successifs.  Diverses  propositions  contenues  dans  le  budget 
extraordinaire  de  1839 ,  représentent  une  somme  de  3/i 
millions.  Des  lois  spéciales  vous  demandent ,  en  outre , 
11  millions  destinés  à  de  nouveaux  canaux,  et  k  millions 
226,000  fr.  pour  les  monuments  publics.  Lonsqu'il  semble 
si  difficile,  sans  rouvrir  le  livre  de  la  dette  publique,  de 
pourvoir  à  cette  charge  extraordinaire  de  49  millions  que 
le  pays  supportera  en  1839,  la  commission  pouvait-elle 
vous  proposer  de  nouvelles  dépenses?  Elle  ne  Ta  pas  cru, 
Messieurs.  Nous  avons  la  confiance  que  vous  partagerez 
notre  avis.  Comme  la  commission ,  vous  trouverez  qu'en- 
treprendre d'immenses  travaux  avec  des  ressources  insuf- 
fisantes et  mal  assurées,  serait  une  grande  faute.  Comme 
la  commission,  d'accord  en  cela  avec  M.  le  ministre  des 
finances,  vous  ne  voudriez  pas  aujourd'hui  suppléer  à 
cette  insuffisance  par  des  emprunts. 

Un  pays,  financièrement  parlant,  n'est  pas  dans  une 
position  normale,  lorsque  vingt-trois  années  de  paix  n'ont 
amené  aucune  dhninution  dans  sa  dette.  Accroître  cette 
dette  au  milieu  de  la  plus  profonde  tranquillité,  à  l'occa- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  295 

sien  de  travaux  dont  i' extrême  urgence  est  contestée ,  et 
qui  d'ailleurs  peuvent  être  exécutés  sans  que  F  État  s'en 
mêle,  ce  serait  un  acte  d'imprévoyance  sur  lequel  nous 
ne  pourrions  pas  nous  arrêter  plus  longtemps  sans  faire 
injure  à  la  Chambre. 

CONCLUSION& 

Nous  aurions  manqué  à  un  devoir  si  nous  n'avions  pas 
cherché  à  éclaircir  par  des  communications  verbales,  les 
points  que  les  documents  imprimés  laissaient  dans  l'obs- 
curité. MM.  les  ministres  des  affaires  étrangères,  des 
travaux  publics  et  des  finances ,  accompagnés  de  M.  le 
directeur  général  des  ponts  et  chaussées,  se  rendirent 
dans  le  sein  de  la  commission.  Pendant  cette  conférence, 
les  dispositions  principales  du  projet  de  loi ,  lem's  consé- 
quences prochaines  et  éloignées,  furent  soumises,  contra- 
dictoirement ,  à  une  discussion  minutieuse.  Toutefois,  à 
part  un  petit  nombre  de  considérations  empruntées  à  la 
politique  étrangère,  et  sur  lesquelles  nous  n'aurions  à  nous 
expliquer  que  dans  le  cas  où  M.  le  président  du  conseil 
ne  trouverait  pas  d'inconvénient  à  les  porter  à  cette  tri- 
bune, aucun  argument  nouveau  ne  surgit  du  débat. 

En  résultat ,  MM.  les  ministres  annoncèrent  l'intention 
de  défendre  le  projet  de  loi  dans  toutes  ses  parties.  Ce 
fut  alors  que  le  mot  de  transaction  sortit  de  la  bouche 
d'un  des  membres  de  la  commission  ;  ce  fut  alors  qu'un 
de  nos  honorables  collègues  fit  une  peinture  animée  de 
tout  ce  que  le  pays  pourrait  avoir  à  souffrir  d'un  dis- 
sentiment absolu,  inflexible,  entre  le  ministère  et  les 


396  LES  CHEMINS  DE  FER. 

commissaires  de  la  Chambre.  Le  même  membre  alla  jus- 
qu'à poser  nettement  cette  question  :  le  gouvernement 
consentirait-il  à  retirer  l'exclusion  radicale  qu'il  avait 
prononcée  contre  les  compagnies  en  tout  ce  qui  concer- 
nait les  lignes  principales ,  dans  le  cas  où  la  commission 
proposerait  l'exécution  par  l'État,  d'une  de  ces  grandes 
lignes  qui  n'avaient  pas  encore  trouvé  de  soumission- 
naires ? 

La  réponse  ne  fut  pas  aussi  nette  que  nous  l'aurions 
désiré.  Il  était  assez  évident  qu'une  transaction  n'aurait 
pas  répugné  à  M.  le  président  du  conseil  ;  mais  M.  le 
ministre  du  commerce  insistait  pour  l'entière  exécution  du 
projet.  En  tout  cas ,  il  fallut  bien  renoncer  à  l'ei^érance 
que  nous  avions  conçue ,  lorsque  M.  le  président  du  con- 
seil eut  déclaré,  en  termes  formels,  que  le  ministère  ne 
pourrait  pas  consentir  à  confier  à  une  compagnie  l'exécu- 
tion du  chemin  de  Belgique.  Après  avoir  posé  le  principe 
de  l'intervention  des  compagnies ,  la  commission  aurait- 
elle  pu  les  exclure  de  la  direction  où,  dit-on,  il  y  a  le  plus 
de  chances  de  réussite,  et  dans  laquelle,  s'il  faut  aussi 
en  croire  le  bruit  public ,  les  propositions  étaient  le  plus 
favorables  ?  Nous  ne  l'avons  pas  pensé. 

Nous  n'ajouterons  plus  qu'un  mot.  Messieurs,  et  vous 
connaîtrez  dans  tous  ses  détails  la  conférence  qui  a  été  si 
complètement  travestie,  et,  circonstance  fort  étrange,  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes ,  par  une  foule  de  jour- 
naux paraissant  le  même  jour  sur  les  points  les  plus  éloi- 
gnés du  pays. 

A  la  fin  de  cette  conférence,  M.  le  président  du  con- 
seil exprima  une  crainte  qui  nous  avait  nous-mêmes 


LES  CHEMINS  DE  FER.  297 

fortement  préoccupés;  comme  nous,  il  s'arrêta  tristement 
à  la  pensée  que  le  désaccord  de  la  commission  et  du 
gouvernement  pourrait  retarder  encore  d'une  année  des 
améliorations  que  tout  le  monde  réclame.  Il  croyait,  au 
reste ,  que  ce  retard  ne  saurait  être  imputé  au  ministère  ; 
que  la  responsabilité  en  retomberait  tout  entière  sur  la 
commission.  Eh  bien ,  nous  aussi ,  Messieurs ,  nous  nous 
en  rapporterons  avec  confiance  au  jugement  de  la  Chambre 
et  au  jugement  de  la  France  entière.  Non ,  personne  ne 
croira  que  dix -huit  députés  honorés  de  vos  suttrages, 
aient  voulu  arrêter  le  pays  dans  son  essor,  lorsque  nous 
avons  déjà  dit  à  satiété,  lorsque  nous  répéterons  encore 
ici,  que  des  compagnies  puissantes,  investies  de  la  con- 
fiance pubUque,  offrant  à  ce  qu'il  paraît  toutes  les  garan- 
ties désirables  de  moralité  et  de  savoir,  sollicitent  la 
concession  de  la  plupart  des  lignes  de  chemins  de  fer,  et 
que  nous  demandons  à  cor  et  à  cri  qu'on  examine  et 
qu'on  accueille,  s'il  y  a  lieu,  leurs  propositions.  Non! 
personne  ne  pourra  transformer  les  membres  de  la  com- 
mission en  adversaires  systématiques  de  ce  moyen  de 
communication  admirable,  lorsque  nous  ne  dénions  nulle- 
ment à  l'État,  partout  où  un  besoin  public  bien  constaté 
se  manifeste  et  que  des  compagnies  convenablement  orga- 
nisées ne  se  présentent  pas,  la  faculté  et  le  droit  d'exécuter 
lui-même  les  travaux  dans  la  limite  des  possibilités  tra- 
cées par  le  budget  ;  lorsque  de  nos  principes  découle,  par 
exemple,  la  conséquence  qu'aujourd'hui  même  le  gouver- 
nement pourrait  vous  demander  d'envoyer,  aux  frais  du 
Trésor,  des  ingénieurs,  des  conducteurs,  des  piqueurs  et 
des  milliers  de  terrassiers,  le  long  des  lignes  de  Paris  à 


S98  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Strasbourg  et  de  Marseille  à  Avignon ,  pour  lesquelles , 
dît -on,  il  ne  s'est  pas  présenté  de  compagnies  soumis- 
sionnaires. 

Se  préoccuper  de  Tétat  de  nos  finances;  désirer  fécon- 
der Tesprit  d'association  honnête,  moral,  sérieux,  à  l'aide 
duquel  nos  voisins  d'outre -Manche  ont  exécuté  de  si 
grandes  choses  et  que  les  projets  qu'on  nous  a  soumis 
viennent  de  faire  surgir  dans  notre  pays  ;  ne  point  s'aban- 
donner à  des  illusions,  même  en  matière  de  locomotives 
à  vapeur  ;  ne  pas  admettre ,  par  exemple ,  avec  l'exposé 
des  motifs,  que  deux  tringles  de  fer  parallèles  donneront 
une  face  nouvelle  aux  landes  de  Gascogne,  tels  étaient,  à 
ce  qu'il  nous  a  paru,  nos  devoirs,  et  nous  les  avons 
scrupuleusement  accomplis. 

Aucun  de  nous  n'a  pensé  que  ce  fût  là  entraver  le  gou- 
vernement, lui  lier  les  mains,  le  réduire  à  l'inaction.  Eli, 
grand  Dieu  !  qu'il  songe  au  fâcheux  état  d'un  bon  nombre 
de  routes  royales,  de  la  plupart  des  routes  départemen- 
tales, de  presque  toutes  les  routes  communales;  qu'il 
étudie  les  moyens  de  porter  remède  à  un  état  de  choses 
dont  tous  ceux  qui  rentrent  en  France  après  avoir  par- 
couru les  contrées  voisines ,  sont  vivement  peines  ;  que 
l'interminable  question  des  canaux  reçoive  une  solution 
définitive  à  laquelle  le  bien-être  de  plusieurs  départe- 
ments et  l'honneur  de  l'administration  sont  également 
intéressés;  que  sur  ces  canaux,  aujourd'hui  beaucoup 
trop  dédaignés  du  public,  on  cherche  à  étendre,  à  géné- 
raliser, à  perfectionner  les  moyens  de  locomotion  à  l'aide 
desquels  de  grands  bateaux  chargés  de  voyageurs  par- 
courent déjà  quatre  lieues  à  l'heure;  que  d'habiles  ingé- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  299 

lîieurs  enfin  soient  spécialement  préposés  à  Tétude ,  au 
perfectionnement,  à  l'entretien  de  nos  voies  de  commu- 
nications fluviales,  et  cet  ensemble  de  recherches,  de 
travaux,  suffira  pour  user  la  plus  ardente  activité.  Qui  ne 
voit,  d'ailleurs,  qu'en  opérant  de  telles  améliorations, 
dont  l'importance  n'est  pas  contestable,  dont  l'urgence 
frappe  tous  les  yeux ,  le  gouvernement  pourra  toujours 
compter  sur  le  concours  patriotique  des  Chambres  et  sur 
les  applaudissements  du  public. 

Nous  voilà  à  très -peu  près  parvenus,  Messieurs,  au 
terme  de  la  longue  carrière  que  vous  nous  aviez  tracée, 
11  ne  nous  reste,  en  effet,  qu'à  formuler  nos  conclusions, 
ou  mieux  encore,  nous  n'avons  plus  qu'à  les  réunir,  qu'à 
les  grouper,  car  déjà  elles  ont  été  nettement  indiquées 
dans  le  cours  de  la  discussion  que  vous  venez  d'entendre. 

Le  gouvernement  dût- il,  comme  il  vous  le  demande, 
rester  chargé  de  l'exécution  des  grandes  lignes  de  chemin 
de  fer,  vous  ne  pourriez  pas  donner  votre  assentiment  au 
mode  de  répartition  de  travail  tracé  par  le  projet  de  loi, 
puisque,  sans  aucun  avantage  réel,  il  entraînerait  l'im- 
possibilité de  profiter  des  améliorations,  des  perfectionne- 
ments, des  découvertes  dont  l'art  s'enrichira  certainement 
d'ici  à  quelques  années. 

Vainement  combattrait-on  cette  conclusion ,  en  disant 
que  l'exécution  actuelle  et  simultanée  de  plusieurs  lignes 
par  les  compagnies,  aurait  le  même  désavantage  ;  chacun 
verrait  en  effet  que,  dans  ce  dernier  cas,  l'inconvénient 
serait  racheté  par  une  plus  prompte  jouissance  du  nou- 
veau moyen  de  communication.  La  commission  répon- 
drait d'ailleurs  qu'elle  était  chargée ,  non  de  coordonner 


300  LES  CHEMINS  DE  FER. 

les  travaux  des  compagnies,  mais  d'examiner  si,  dans  le 
système  du  projet  de  loi,  les  fonds  de  l'État  seraient  dépen- 
sés avec  toute  l'intelligence,  avec  toute  l'utilité  possible. 

La  commission  a  appris,  de  la  bouche  même  de 
MM.  les  ministres,  que  des  compagnies  se  présentent 
pour  exécuter  à  leurs  frais,  sans  aucune  subvention ,  les 
lignes  de  chemins  de  fer  que  le  projet  de  loi  signale  comme 
les  plus  urgentes.  Ces  compagnies  semblent  sérieuses. 
Tout  concourt  à  prouver  qu'elles  réussiront,  ou  même 
qu'elles  ont  déjà  réussi  à  réunir  de  très-grands  capitaux. 
Les  inconvénients  attachés  aux  travaux  dirigés  par  l'inté- 
rêt privé ,  n'ont  pas  paru  avoir  toute  la  gravité  qu'on 
leur  attribue.  D'une  autre  part,  les  avantages  résultant 
des  travaux  exécutés  par  l'État,  sont  sujets  à  bien  des 
éventualités.  Les  exigences,  enfin,  de  notre  position  finan- 
cière,  ne  permettraient ,  pendant  plusieurs  années ,  d'af- 
fecter aux  chemins  de  fer  que  des  sommes  très -limitées. 
Dans  cet  état  de  choses,  la  commission  a  pensé  qu'il 
fallait  se  hâter  de  recourir  aux  compagnies,  et  elle  se  voit 
forcée  de  vous  proposer  le  rejet  du  projet  de  loi. 

Ce  rejet  pur  et  simple  était  malheureusement,  d'après 
la  forme  du  projet,  et  d'après  tous  les  usages  de  la 
Chambre,  la  seule  voie  qui  fût  ouverte*  à  la  commission 
pour  vous  faire  connaître  l'opinion  qu'elle  s'est  formée 
sur  la  nécessité  d'appeler  aujourd'hui  les  compagnies  à 
l'exécution  des  grandes  lignes  de  chemin  de  fer.  Elle  n'a 
trouvé,  à  regret,  aucun  moyen  de  saisir  directement  la 
Chambre  d'une  proposition  qui  eût  concerné  telle  ou 
telle  compagnie,  telle  ou  telle  des  lignes  projetées.  Le 
gouvcniement  s'empressera  sans  doute  d'user  de  son  ini- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  301 

tiative.  C'est  du  moins  dans  cette  espérance  que  la  com- 
mission a  désiré  vous  présenter  son  travail  sans  retard,  et 
que  le  rapporteur,  pour  répondre  au  vœu  de  ses  collè- 
gues, a  mis  entièrement  de  côté  toute  considération 
d'amour-propre.  Après  ces  éclaircissements,  on  ne  dira 
plus ,  nous  devons  le  croire,  que  les  efforts  de  la  commis- 
sion ont  abouti  à  une  pure  négation. 

Au  reste,  était-ce  bien  ainsi  que  devait  être  qualifiée  la 
ferme  volonté  qui  s'est  manifestée  parmi  nous  dès  nos 
premières  séances,  d'encourager,  de  développer,  de 
féconder  cet  esprit  d'association  qui  commence  si  heu- 
reusement à  poindre,  dont  la  France  a  tout  autant  besoin 
que  de  chemins  de  fer,  et  à  l'aide  duquel  d'ailleurs  les 
chemins  de  fer  et  tant  d'autres  grands  travaux  pourront 
être  exécutés  sans  grever  le  Trésor  de  l'État. 


IV 

IMPOSSIBILITE  DE   L'EXÉCUTION   DU   RÉSEAU   DES    CHEMINS    DE   FER 
FRANÇAIS  PAR  LE  GOUVERNEMENT   DANS   UN   DÉLAI  RAPIDE 

[Le  rapport  qu'on  vient  de  lire  a  été  discuté  dans  les  séances 
de  la  Chambre  des  députés  des  7,  8,  9  et  10  mai  1838.  M.  Arago, 
en  qualité  de  rapporteur  de  la  commission,  a  résumé  la  discussion 
et  défendu  son  opinion  le  9  mai ,  dans  un  discours  dont  la  fin  a 
été  renvoyée  au  lendemain  10  mai ,  et  que  nous  extrayons  du  Moni- 
teur universel.] 

1*  Séance  du  9  mai. 

M.  Arago  ,  rapporteur.  Je  demande  la  parole. 

M.  LE  Président.  M.  le  rapporteur  a  la  parole.  (Mouvement 
d'attention.  ) 

M.  Arago.  Messieurs,  la  Chambre  doit  comprendre 


302  LES  CHEMINS  DE  FER. 

qu'en  venant,  en  ma  qualité  de  rapporteur,  faire  en 
quelque  sorte  le  résumé  de  la  discussion;  je  laisserai 
entièrement  de  côté  quelques  circonstances  qui  pour- 
raient être  considérées  comme  personnelles.  Il  importe 
en  effet  extrêmement  peu  au  pays  de  savoir  si  M.  Mm^et 
de  Bort  a  voté  dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  parce 
qu'il  avait  lu  le  rapport,  ou  quoiqu'il  eût  lu  le  rapport. 
(On  rit.) 

M.  Muret  de  Bort.  Quant  à  moi,  U  m'importait  beaucoup  de  le 
lui  dire. 

M.  Arago.  Je  laisse  absolument  de  côté  cette  question, 
qui  ne  peut  intéresser  que  Tamour-propre  de  M.  Muret 
de  Bort  et  le  mien  (Rumeurs),  et  j'arrive  aux  objections 
qui  ont  été  présentées  et  qui  paraissent  attaquer  le  fond 
même  de  l'opinion  que  la  commission  a  exprimée. 

On  a  dit,  on  a  répété  à  peu  près  unanimement  ici  et 
ailleurs,  que  la  commission  et  son  rapporteur  avaient  eu 
la  pensée  de  faire  ajourner  l'exécution  des  chemins  de  fer 
jusqu'au  moment  où  la  science  de  la  mécanique  aurait 
réalisé  certains  perfectionnements  dont  il  a  été  question 
dans  le  rapport. 

Messieurs,  j'avoue  que  cette  objection  m'a  singulière- 
ment étonné.  Nous  avons  cherché ,  dans  le  rapport ,  à 
expliquer  notre  manière  de  voir  dans  les  termes  les  plus 
clairs,  les  plus  catégoriques  possibles ,  et  cependant,  par 
une  fatalité  singulière,  on  a  toujours  supposé  que  nous 
voulions  que  le  gouvernement  et  l'industrie  attendissent 
que  certains  perfectionnements  se  réalisassent 

Nous  avons  dit,  Messieurs,  tout  le  contraire  depuis  le 
commencement  du  rapport  jusqu'à  la  fm  ;  mais  que  voulez- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  303 

VOUS?  on  a  oublié  nos  paroles,  on  s'est  rappelé  certaines 
critiques  de  journaux  dans  lesquels,  il  est  vrai,  on  nous 
a  attribué  cette  opinion;  mais  cette  opinion,  la  commis- 
sion ne  Ta  point  eue. 

La  commission  était  en  présence  d'une  proposition  du 
gouvernement,  qu'il  faut  bien  vous  rappeler,  et  qui  nous 
mettait,  nous,  dans  l'obligation  d'examiner  si  le  mode 
de  répartition  du  travail  que  le  gouvernement  avait 
adopté ,  était  ou  n'était  pas  admissible. 

Le  gouvernement  proposait  d'exécuter  lui-même  quatre 
lignes.  Eli  bien,  nous  avons  supposé  un  moment  que 
vous  adhéreriez  à  cette  demande  ;  cela  posé ,  nous  nous 
sommes  demandé  si  le  système  de  travail  qu'il  proposait 
était  ou  n'était  pas  admissible,  et  nous  avons  dit  :  «  L'art 
des  chemins  de  fer  est  encore  dans  l'enfance;  il  y  a  non- 
seulement  des  améliorations  imprévues,  mais  des  amé- 
liorations que  tout  le  monde  entrevoit,  dont  la  science  se 
saisira,  et  dont  l'industrie  fera  certainement  son  profit. 
Faut-il  que  le  gouvernement  travaille  de  manière  à  se 
mettre  dans  l'impossibilité  de  profiter  de  toutes  ces  amé- 
liorations ?»  En  acceptant  la  question  telle  que  le  gouver- 
nement l'avait  posée ,  et  en  admettant  que  la  Chambre 
lui  aurait  accordé  la  faculté  d'exécuter  les  quatre  chemins 
à  la  fois,  il  nous  a  paru  que  le  gouvernement  ne  devait 
pas  travailler  à  tous  à  la  fois;  il  faut,  nous  disions-nous, 
qu'il  porte  l'ensemble  de  ses  forces,  tous  ses  moyens 
d'action,  d'abord  sur  un  des  chemins:  quand  ce  premier 
chemin  de  fer  sera  achevé,  il  travaillera  au  second;  après 
cela  on  passera  au  troisième;  on  n'arrivera  au  quatrième 
qu'après  achevé  les  trois  premiers. 


304  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Je  dis  que  cette  manière  de  distribuer,  entendez-vous, 
de  distribuer  le  travail ,  est  conforme  à  la  raison  :  il  n'y 
a  pas  un  millimètre  de  chemin  de  fer  de  moins  par 
année,  dans  le  système  que  nous  vous  proposons,  que 
dans  le  système  présenté  par  le  gouvernement;  mais 
notre  combinaison  avait  un  avantage  incontestable.  Uart 
des  chemins  de  fer  étant  encore  dans  Tenfance,  un  inter- 
valle de  trois  années  doit  faire  surgir  quelques  décou- 
vertes, quelques  améliorations;  dans  un  nouvel  inter- 
valle de  trois  années,  d'autres  perfectionnements  viennent 
s'ajouter  aux  précédents,  et  ainsi  de  suite.  Il  résultait  du 
mode  de  travail  que  nous  vous  proposions  de  substituer  à 
celui  que  le  gouvernement  vous  a  présenté,  cet  avantage  : 
que  le  premier  chemin  de  fer  étant  achevé ,  vous  étiez 
en  mesure,  lorsque  vous  commenciez  le  second,  de  pro- 
fiter de  toutes  les  améliorations  que  l'art  et  la  science 
auraient  obtenues  dans  l'intervalle  des  trois  premières 
années;  que,  quand  vous  commenciez  le  troisième  che- 
min^ vous  aviez  six  années  d'expériences,  d'études,  de 

recherches,  qui  vous  servaient  à  l'exécuter;  qu'enfin, 
lorsque  vous  arriviez  au  quatrième,  vous  aviez  neuf 
années  d'excellents  résultats  que  vous  pouviez  mettre  à 
profit. 

Comment  est-il  possible  qu'une  idée  aussi  claire,  que 
nous  avons  développée  dans  notre  rapport  avec  toute  h 
netteté  possible ,  ait  été  transformée  en  une  proposition 
d'un  temps  d'arrêt  dans  l'exécution  des  chemins  de  fer  ! 
Nous  avons  dit  qu'il  fallait  les  exécuter  sur-le  champ,  le 
plus  promptement  possible,  puisque  c'est  un  moyen  de 
locomotion  supérieur  aux  autres  moyens  connus;  mai? 


LES  CHEMINS  DE  FEP.  305 

nous  avons  seulement  ajouté  :  Ne  conomencez  pas  les 
quatre  chemins  en  même  temps  ;  tfabord  travaillez  exclu- 
sivement au  premier;  n'arrivez  au  second  que  lorsque  le 
premier  sera  fini ,  et  ainsi  de  suite. 

Voilà  notre  idée  tout  entière,  noas  n'en  avons  pas  eu 
d'autre;  et  prenez  la  peine  de  lire  le  rapport,  vous  verrez 
que  c'est  bien  là  le  système  de  la  commission ,  système 
raisonnable  et  que  je  défendrai  encore  s'il  est  attaqué  de 
nouveau. 

Nous  n'avons  pas  été  plus  heureux  sur  le  transit.  Cette 
question  avait  été  présentée  par  le  gouvernement  sous 
une  certaine  face.  Eh  bien,  guidés  par  les  hautes  lumières 
d'une  personne  fort  au  fait  des  affaires  commerciales,  et 
que  nous  avions  le  bonheur  de  compter  dans  la  commis- 
sion, nous  avons  examiné  si,  vu  du  point  de  vue  du 
ministère,  le  transit  avait  toute  l'importance  qu'on  lui 
avait  donnée;  nous  avons  calculé,  d'après  les  chiffres 
officiels,  d'après  les  chiffres  de  l'administration,  quels 
étaient  les  résultats  du  transit;  et  nous  avons  trouvé,  non 
pas  que  cela  devait  être  négligé,  mais  que  le  transit 
n'avait  pas  l'importance  qu'on  lui  avait  donnée. 

Après  avoir  examiné  la  question  sous  le  point  de  vue 
de  l'exposé  des  motifs,  nous  avons  ajouté  d'autres  consi- 
dérations. Eh  bien,  on  n'a  pas  lu  notre  rapport,  puisqu'on 
nous  reproche  de  ne  pas  avoir  été  plus  loin. 

Je  dois  dire,  à  cette  occasion,  que  j'ai  été  surpris  de 
lire  dans  le  discours  de  notre  honorable  collègue  M.  Jau- 
bert,  qu'il  était  inconcevable  qu'on  n'eût  traité  la  ques- 
tion du  transit  que  sous  un  seul  point  de  vue.  Ce  qu'il 
y  a  d'inconcevable  pour  moi,  de  la  part  d'un  homme 

V.— II.  20 


d<y6  LES  CHEMINS  DE  FER. 

d'un  caractère  aussi  loyal  que  M.  le  comte  Jaubert,  c'est 
que  s'il  a  aperçu  cette  lacune  dans  le  rapport,  il  ne  nous 
en  ait  pas  fait  part  dans  le  sein  de  la  commission  ;  il  sait 
combien  moi,  rapporteur,  j'ai  été  docile,  avec  quel  em- 
pressement j'ai  profité  de  toutes  les  observations  qui 
m'ont  été  faites;  si  M.  le  comte  Jaubert  avait  eu  la  bonté 
de  me  signaler  la  lacune  qu'il  trouve  inconcevable,  j'au- 
rais fait  tous  mes  efforts  pour  la  combler;  mais  je  me 
trompe,  la  lacune  n'existe  pas.  Écoutez,  s'il  vous  plaît, 
ce  passage  qui  vient  dans  notre  rapport  après  les  chiffres 
relatifs  à  l'examen  du  point  de  vue  spécial  que  le  gou- 
vernement paraissait  avoir  choisi  : 

«  Ces  chiffres  dissiperont  bien  des  illusions.  Qu'on  le 
remarque  cependant,  nous  n'avons  entendu  traiter,  à  la 
suite  de  l'exposé  des  motifs ,  que  la  question  du  transit 
des  marchandises  appartenant  à  des  étrangers  à  leur 
arrivée  dans  nos  ports.  Celle  du  transit  des  voyageurs, 
celle  du  transit  de  marchandises  expédiées  par  notre 
commerce,  ont  une  tout  autre  importance.  Nous  sentons 
très-bien  ce  que  l'humanité,  ce  que  la  civilisation  peu- 
vent attendre  des  moyens  de  transports  commodes ,  éco- 
nomiques, rapides,  qui  rapprocheront,  qui  uniront  les 
peuples,  ou  devant  lesquels  du  nwins,  s'affaibliront  les 
haines  nationales,  les  préjugés  qui,  durant  tant  de  siè- 
cles, ont  été  si  cruellement  exploités.  Nous  savons  très- 
bien  aussi  que  là  où  vont  les  hommes  vont  les  affaires,  et 
que,  dès  lors,  le  commerce  a  tout  intérêt  à  voir  affluer 
sur  notre  territoire  un  très -grand  nombre  de  voyageurs. 
Nous  n'ignorons  pas  davantage  combien  les  mille  canaux 
de  la  Hollande  contribuèrent  jadis  à  faire  des  négociants 


LES  CHEMINS  DE  FER.  307 

de  ce  pays,  les  facteurs  du  commerce  du  monde,  et 
notre  plus  vif  désir  serait  que  nos  concitoyens  du  Havre , 
de  Nantes,  de  Bordeaux ,  etc. ,  etc. ,  trouvassent  de  sem- 
blables moyens  de  fortime  dans  les  nouvelles  communi- 
tions  projetées.  » 

Vous  voyez.  Messieurs,  combien  tombent  à  faux  les 
reproches  qui  nous  ont  été  adressés;  nous  avions  parlé 
nous-mérae  de  l'influence  que  le  transit  pouvait  exercer 
sur  la  prospérité  de  nos  ports  et  sur  la  fortune  de  nos 
armateurs,  en  les  assimilant  aux  ports  et  aux  négociants 
de  Hollande. 

Je  dirai  maintenant.  Messieurs,  que  ia  principale  con- 
sidération  qui  ait  déterminé  le  vote  de  la  commission, 
quoiqu'elle  ne  l'ait  pas  placée  en  première  ligne,  et  cela 
seulement  parce  qu'elle  a  cru  qu'il  était  nécessaire,  dans 
la  rédaction  de  son  rapport,  de  suivre  pas  à  pas  l'exposé 
des  motifs,  que  sa  principale  considération  a  été  finan- 
cière. Avant  d'examiner  si  on  donnera,  ou  si  on  ne  don- 
nera pas  au  gouvernement  les  moyens  de  faire  les  che- 
mins de  fer,  il  fallait  s'assurer  si  l'état  des  recettes  et 
des  dépenses  le  permettrait. 

Eh  bien,  Messieurs,  en  cherchant  si  les  ressources  sont 
proportionnées  à  l'immense  travail  que  le  gouvernement 
propose  d'exécuter,  nous  sommes  arrivés  à  un  résultat 
négatif.  Ce  résultat  a  été  développé  avec  tant  de  supé- 
riorité par  notre  honorable  collègue  M.  Duvergier  de 
Hauranne  et  par  M.  BeiTyer,  dans  la  séance  d'hier,  que 
je  n'y  reviendrai  pas.  Cette  pensée  s'est  fortifiée  dans 
nos  esprits,  non  par  ce  que  M.  le  ministre  des  finances 
a  développé  à  la  tribune,  car  nous  devons  lui  rendre 


30»  LES  CHEMINS  DE  FER. 

cette  justice  qu'il  avait  dit  les  mêmes  choses  dans  le  sein 
de  la  commission,  mais  par  Texpression  même  dont  il 
a  fait  choix.  Nous  ne  prendrons  pas,  vous  a-t-il  dit, 
d'engagement  financier,  nous  prendrons  seulement  un 
engagement  moral.  Eh  bien,  quand  on  n'a  pas  pris  d'en- 
gagement financier,  quand  on  n'affecte  pas  à  une  nature 
de  travaux  un  fonds  spécial  auquel  on  s'impose,  dès 
l'origine,  l'obligation  de  ne  pas  toucher,  il  arrive  rare- 
ment que  les  travaux  s'achèvent.  Chaque  année  surgis- 
sent des  difficultés  pressantes,  des  intérêts  nationaux  qui 
vous  forcent  à  disposer  de  vos  ressources  autrement  que 
vous  ne  l'aviez  voulu.  Voici  dans  quels  termes  un  direc- 
teur général  des  ponts  et  chaussées,  M.  Becquey,  parlait 
de  ces  espèces  d'engagement  que  le  gouvernement  prend 
avec  lui-même.  Voici  ce  qu'il  disait  dans  un  rapport 
en  1828: 

t  La  résolution  prise  de  conduire  à  leur  fin  des  tra- 
vaux de  ce  genre,  pour  une  époque  fixée,  à  l'aide  des 
sommes  puisées  dans  le  Trésor,  n'est  jamais  un  enga- 
gement de  l'État  avec  lui-même;  l'État  est  libre  d'y 
renoncer,  et  il  y  renonce  toujours  si  des  nécessités  plus 
pressantes  réclament  les  ressources  dont  il  dispose.  » 
(Sensation  prolongée.  ) 

Voilà,  Messieurs,  une  phrase  qui  est,  en  quelque  sorte, 
l'horoscope  du  projet  des  chemins  de  fer,  tel  que  le  gou- 
vernement le  propose.  Du  reste,  si  la  phrase  de  M.  Bec- 
quey, résultat  d'une  expérience  consommée,  de  réflexions 
profondes,  ne  paraissait  pas  démonstrative,  nous  n'au- 
rions qu'à  citer  des  chiffres  pour  faire  voir  que  les  choses 
se  passent  ainsi.  Dans  les  œuvres  des  hommes,  et  surtout 


LES  CHEMINS  DE  FER.  309 

des  mêmes  hommes,  rien  ne  ressemble  plus  à  l'avenir 
que  le  passé. 

Le  canal  de  Bourgogne  a  été  commencé  en  1775, 
vous  savez  qu'il  a  fallu  plus  d'un  demi -siècle  pour  le 
terminer.  Le  canal  de  Saint-Quentin  a  été  commencé  en 
1769,  et  vous  savez.  Messieurs,  à  quelle  époque  il  a  été 
achevé,  ou  plutôt  vous  savez  à  quelle  époque  il  a  fallu  le 
retirer  des  mains  du  gouvernement  pour  le  donner  à  une 
compagnie  qui  l'a  achevé. 

11  semble,  en  vérité ,  à  entendre  certains  orateurs,  que 
la  commission  se  soit  rendue  coupable  d'une  hérésie,  en 
disant  que  les  machines  locomotives  n'étaient  pas  encore 
parvenues  au  degré  de  perfection  désirable. 

Je  prendrai  volontiers  celte  assertion  sous  ma  respon- 
sabilité personnelle.  Je  dirai  qu'il  y  a  dans  ces  machines 
des  causes  de  destruction  incessantes  qui,  peut-être,  dis- 
paraîtront demain.  Dans  l'état  actuel  des  choses,  on  est 
obligé  d'avoir  un  corps  de  pompes  très-peu  élevé,  dont 
le  piston  a  une  course  de  peu  d'étendue  :  il  est  donc 
nécessaire  de  les  soumettre  à  des  mouvements  trcs- 
rapidcs  de  va-et-vient,  ce  qui  est  une  cause  continuelle 
et  très-active  de  destruction  pour  tous  les  corps  solides 
qui  y  ont  été  soumis. 

Si,  au  lieu  d'un  mouvement  de  va-et-vient,  on  pouvait 
imprimer  au  piston  et  aux  pièces  qui  en  dépendent  un 
mouvement  de  rotation  continue;  si  le  piston  pouvait 
avoir  un  mouvement  circulaire ,  toujours  dans  le  môme 
sens,  cette  cause  de  destruction  aurait  disparu  en  grande 
partie.  Déjà  des  machines  à  vapeur  à  rotation  immédiate 
ont  été  essayées,  seulement  avec  plus  de  consommation 


340  LES  CHEMINS  DE  FER. 

de  combustible  que  les  machines  ordinaires.  Mais  la  ques- 
tion de  la  consommation  d'une  plus  ou  moins  grande 
quantité  de  charbon  dans  les  procédés  de  locomotion  n'est 
pas  la  principale;  ce  qu'il  faut  surtout  éviter,  c'est  que 
les  machines  se  détruisent  avec  une  trop  grande  rapidité. 
Supposez  que  Ton  parvienne  à  faire  une  machine  rotative 
immédiate,  et  je  le  répète,  il  y  a  des  ingénieurs  français 
qui  s*en  occupent,  qui  sont  en  voie  d'expérimenter,  et 
qui,  je  l'espère,  attacheront  par  la  découverte  de  cette 
machine  un  nouveau  fleuron  à  notre  gloire  nationale; 
si,  dis-je,  cette  machine  réussit,  vous  aurez  résolu  un 
problème  qui  changera  à  beaucoup  d'égards  le  problème 
de  la  locomotion  sur  les  chemins  de  fer.  Quelques  ora- 
teurs ne  croient  pas  aux  grandes  imperfections  dont  la 
commission  a  parlé.  Examinons  donc  ce  que  les  chemins 
de  fer  coûtent,  quelles  sont  les  réparations  à  faire  aux 
machines  et  aux  rails.  Nous  demanderons  ensuite,  non 
pas  aux  mécaniciens,  mais  aux  industriels  qui  exploitent 
les  chemins  de  fer,  si  l'on  peut  appeler  parfaite  une  ma- 
chine qui,  par  exemple  dans  un  seul  semestre  de  1833 
sur  les  chemins  de  Liverpool  à  Manchester,  a  exigé  pour 
les  réparations  des  locomotives  une  dépense  de  335,000 
francs,  et  l'intervalle  à  parcourir  n'est  que  douze  lieues. 
Et  savez-vous  quelle  est  la  masse  d'ouvriers  que  ces 
réparations  ont  exigée  ? 

Les  salaires  des  ouvriers  qui,  dans  l'intervalle  de  six 
mois,  ont  concouru  dans  les  ateliers  à  la  réparation  des 
locomotives  du  chemin  de  Manchester  à  Liverpool,  ont 
été  de  102,000  francs.  Et  encore  ne  croyez  pas  que  toutes 
ces  machines  aient  pu  être  réparées  dans  les  ateliers.  Elles 


XES  CHEMINS  DE  FER.  314 

se  déraogent  en  route,  on  est  obligé  de  les  réparer  sur 
place*  Eh  bien ,  ces  réparations  sur  place  ont  coûté  une 
somme  de  233,000  francs.  Enfin,  les  rails  ont  exigé  une 

« 

dépense  de  338,000  francs,  dans  Tintervalle  de  ce  même 
semestre. 

Messieurs,  il  nous  a  semblé  qu'il  était  nécessaire,  lors- 
que nous  avions  l'honneur  de  parler  devant  la  Chambre 
d^  députés  de  France,  lorsque  nous  étions  Torgane 
d'une  commission  choisie  par  elle,  de  ne  pas  nous  laisser 
entraîner  à  des  jeux  d'imagination,  à  des  mouvements 
d'enthousiasme.  Nous  nous  sommes  fait  un  devoir  d'aller 
au  fond  de  la  question.  Sans  doute  il  y  a  des  chances  de 
réussite  très-grandes ,  nous  les  avons  reconnues,  et  nous 
nous  sommes  empressés  de  les  proclamer  ;  mais  dans  le 
moment  où  nous  engagions  la,  Cliambre  de  s'adresser  à 
l'industrie  particulière,  il  était  de  notre  devoir  de  ne 
pas  nourrir  des  illusions  sur  des  chances  de  bénéfices 
que  peuvent  présenter  beaucoup  de  lignes,  mais  qui  ne 
doivent  pas  réaliser  tout  ce  qu'on  a  paru  croire.  Nous 
avons  dû  nous  placer  dans  la  réalité  des  choses,  nous 
avons  regardé  comme  un  devoir  de  dire  ce  que  les  che- 
mins de  fer  sont  au  vrai,  et  non  pas  ce  qu'ils  sont  dans 
la  tête  de  certaines  personnes  qui  les  voient  d'après  les 
yeux  de  l'imagination. 

Les  cliemins  de  fer  sont  très- utiles  pour  le  transport 
des  personnes;  dans  l'état  des  choses,  ils  sont  moins 
utiles,  quoiqu'ils  soient  utiles  encore,  pour  le  transport 
des  marchandises.  Si  on  pouvait,  sur  les  chemins  de 
fer,  transporter  les  marchandises  lentement,  ils  auraient 
d'immenses  avantages,  même  sous  ce  rapport;  mais, 


342  LES  CHEMINS  DE  FER. 

malheureuseroent,  cela  devient  à  peu  près  impossible  ou 
du  moins  très-dangereux  lorsque  la  même  voie  sert  aia 
voyageurs.  Transportez  les  marchandises  très-rapide- 
ment, et  vous  perdez  beaucoup  :  vous  ne  retrouverez  pas 
la  compensation  de  vos  dépenses ,  par  la  raison  que  vous 
ne  pouvez  pas  imposer  les  marchandises  comme  vous 
imposez  les  voyageurs. 

Les  canaux  ont  un  genre  d'utilité  que  ne  possèdent  pas 
les  chemins  de  fer.  Sur  les  chemins  de  fer,  à  moins  de 
renoncer  à  leur  principal  avantage,  il  faut  aller  vite;  il 
ne  faut  s'arrêter  en  route  qu'à  de  longs  intervalles  ;  les 
pays  intermédiaires  ne  peuvent  pas  en  profiter.  Un  canal, 
au  contraire,  profite  à  tous  les  propriétaires  riverains;  le 
fermier  peut  se  servir  d'un  simple  batelet  pour  trans- 
porter ses  denrées  au  marché  voisin  et  rapporter  au  gtte 
les  objets  qu'il  a  achetés. 

Quoique  je  sois  très -partisan  des  chemins  de  fer, 
quoique  je  désire  qu'on  en  fasse  en  France  très-promp- 
tement,  tout  de  suite,  et  cette  déclaration,  je  l'invoquerais 
au  besoin,  si  mon  opinion  n'était  clairement  consignée 
dans  tout  le  rapport;  cependant,  je  regarde  comme  un 
devoir  d'examiner  si,  par  exemple,  tout  ce  que  le  gou- 
vernement nous  propose  de  faire  a  dans  le  pays  des 
chances  pécuniaires  de  réussite.  Je  sais  qu'il  y  a  des 
cas  dans  lesquels  il  ne  faut  pas  s'arrêter  aux  chances 
pécuniaires;  il  y  a  telle  direction,  par  exemple,  dont  je 
parlerai  dans  un  moment,  et  où  je  voudrais,  moi,  faire 
un  chemin  de  fer  lors  même  qu'il  devrait  coûter  beau- 
coup et  produire  très-peu.  Mais,  en  général,  il  faut  sup- 
poser que  les  capitaux  consacrés  à  ces  grands  travaux 


LES  CHEMINS  DE  FER.  343 

rapporteront  un  certain  intérêt.  Voyons  s'il  y  a  proba- 
bilité que  le  réseau  du  gouvernement  produirait  5  p.  0/0 
d'intérêt. 

Sur  le  meilleur  des  chemins  de  fer,  sur  le  chemin  de 
Liverpool,  la  dépense  est  des  quarante  centièmes  de  la 
recette  brute. 

Le  gouvernement  vous  propose  une  série  de  chemins 
de  fer  qui  devraient  coûter,  dans  notre  opinion,  je  sais 
bien  que  le  gouvernement  a  contesté  ce  chiffre,  mais 
enfin,  dans  l'opinion  de  la  commission,  ils  devraient  coû- 
ter 2  milliards;  à  5  p.  0/0,  cela  ferait  100  millions. 
Puisque  la  dépense  est  des  quarante  centièmes  de  la 
recette  bmte,  il  faudrait  donc  250  millions  de  recettes 
brutes.  Quelle  est  la  recette  que  font  maintenant  toutes 
les  diligences?  Que  font  l'administration  des  postes  et 
les  relais  des  postes  pour  tous  les  voyageurs  qui  circulent 
en  France?  J'ai  cherché  dans  des  documents  irrécusables 
et,  abstraction  faite  du  transport  des  marchandises,  j'ai 
trouvé  qu'il  y  avait  52  millions  de  recette»  Je  ne  dis  pas, 
tant  s'en  faut,  que,  quand  la  facilité  des  communications 
sera  devenue  plus  grande^  on  ne  voyagera  pas  davantage  ; 
mais  c'est  à  vous  cependant  à  voir  si  vous  espérez  que 
le  nombre  des  voyageurs  quintuplera;  car  il  faut  qu'il 
quintuple  pour  que  vous  obteniez  5  p.  0/0  de  la  dépense 
qu'on  vous  propose.  Au  reste,  je  ne  veux  pas  cacher  que, 
dans  mon  opinion,  il  y  a  quelque  probabilité  que  l'aug- 
mentation sera  considérable,  et,  pour  le  prouver,  je  veux 
montrer  à  la  Chambre,  par  quelques  chiffres,  dans  quelle 
proportion,  à  mesure  que  la  facilité  des  communications 
est  devenue  plus  grande,  le  nombre  des  voyageurs  s'est 


3U  LES  CHEMINS  D£  FER. 

augmenté.  Mes  citations  seront  favorables  aux  personnes 
qui  croient  que  la  locomotion  par  les  chemins  de  fer 
multipliera  à  l'infini  le  nombre  des  voyageurs. 

En  1776,  il  n'y  avait  à  Paris  que  27  coches  :  il  partait 
tous  les  jours  par  ces  coches  270  voyageurs.  Aujourd'hui, 
il  y  a  300  voitures  et  3,000  voyageurs. 

Il  est  présuraable  que  l'exécution  des  chemins  de  fer 
conduira  à  des  résultats  analogues. 

En  1792,  la  ferme  des  messageries  était  de  600,000 fr. 
maintenant  la  taxe  sur  les  messageries  est  de  5,600,000 
francs  ;  c'est  presque  dix  fois  plus.  Si  dans  le  passage 
des  coches  aux  messageries  l'augmentation  a  été  aussi 
grande,  il  est  probable  que  dans  le  passage  des  mes- 
sageries aux  chemins  de  fer,  elle  ne  sera  pas  mdns 
considérable. 

En  1766,  on  allait  de  Paris  à  Lyon  pour  50  francs  en 
dix  jours;  on  y  va  maintenant  en  trois  jours. 

En  1766,  on  allait  de  Paris  à  Rouen  pour  15  francs  en 
trois  jours;  vous  savez  qu'on  y  va  maintenant  en  quel- 
ques heures. 

Les  facilités  de  la  locomotion,  les  conunodités  dans 
les  transports  augmentent  donc  le  nombre  des  voyageurs 
dans  une  proportion  telle,  que,  nonobstant  les  chiffres 
que  je  viens  de  vous  indiquer,  je  crois  que  l'exécution  des 
chemins  de  fer  conduira  à  des  résultats  très-importants 
quant  au  nombre  des  voyageurs  qui  parcourent  toutes 
les  parties  de  la  France. 

Arrivons  maintenant  à  la  question  de  savoir  si  les 
chemins  de  fer  une  fois  bien  classés,  doivent  être  faits 
par  le  gouvernement  ou  par  l'industrie  privée.  La  corn- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  315 

mission  pense  que  l'intérêt  privé  est  le  meilleur  juge  de 
ce  qu'il  convient  de  faire,  et  qu'il  aperçoit  des  possibilités 
là  où  la  science  et  le  zèle  dont  a  parlé  M.  le  directeur 
générai  des  ponts  et  chaussées,  science  et  zèle  que  je 
démentirai  moins  que  personne,  n'ont  rien  aperçu. 

Vous  vous  rappelez  que  la  question  du  chemin  fer  do 
Rouen  a  déjà  été  présentée  à  la  Chambre.  Il  fut  nonnné 
une  commission  dont  j'avais  l'honneur  de  faire  partie* 
M.  le  directeur  des  ponts  et  chaussées,  et  le  ministre  des 
travaux  publics  de  cette  époque,  accompagnés  d'un 
ingénier  de  mérite,  que  je  m'honore  d'avoir  eu  pour 
camarade  à  l'École  polytechnique ,  se  rendirent  dans 
le  sein  de  cette  commission.  Le  combat  était  comme  au- 
jourd'hui entre  le  chemin  de  la  vallée  et  le  chemin 
des  plateaux  ;  des  ingénieurs  au  service  des  compagnies 
dirent  qu'il  était  possible  de  passer  par  la  vallée.  Mais 
cette  possibiUté  fut  niée  d'une  manière  formelle  par 
M.  le  directeur  des  ponts  et  chaussées  et  par  l'ingé- 
nieur qui  l'accompagnait.  Ils  déclarèrent  positivement 
qu'il  n'était  pas  possible  de  passer  par  la  vallée;  qu'il  y 
avait  des  difficultés  insurmontables.  On  appoi'ta  la  carte 
de  France;  nous  examinâmes  la  hauteur  des  plateaux, 
et  ce  fut  sur  une  discussion  qui  s'était  élevée  entre  M.  Bel- 
lenger  et  M.  Defontaine ,  que  la  commission  suspendit 
son  travail. 

M.  Legrasd.  Nous  n'avons  jamais  dit  qn'il  fût  impossible  d'éta- 
blir un  chemin  de  fer  par  la  vallée  ;  ce  que  nous  avons  dit ,  c'est 
qu'il  était  difficile,  au  sortir  de  la  ville  de  Rouen,  de  s'élever  sur  le 
plateau. 

M.  ÂRAGO.  Il  n'était  pas  question  de  Rouen  à  cette 
époque;  il  était  question  d'un  chemin  de  fer  de  Paris  à 


i 


316  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Rouen ,  et  il  rfétait  pas  question  de  sortir  de  Rouen. 
(Bruit.) 

M.  LEGRANa  Le  projet  de  loi  était  de  Paris  au  Havre. 

M.  Arago.  C'était  une  question  des  environs  de  Paris, 
et  c'est  sur  une  proposition  formelle  que  la  discussion 
fut  ajournée. 

M.  Teste.  Ce  que  dit  M.  le  rapporteur  est  parfaitenient  conforme 
au  souvenir  que  j'ai  gardé  de  ce  qui  s'est  passé.  J'étais  président  de 
la  commission,  et  je  pourrais  trouver,  dans  les  notes  que  j'ai  con- 
servées, la  confirmation  littérale  de  ce  que  vient  de  dire  M,  le  rap- 
porteur. 

M.  Arago.  Le  fait  est  parfaitement  exact,  et  je  re- 
mercie M.  Teste  d'avoir  ajouté  son  témoignage  au  mien. 

M.  Legrand.  Je  m'inscris  contre  cette  déclaration. 

M.  Aràgo.  Nous  ne  pouvons  nous  tromper  deux. 

Je  voulais  faire  voir  que  là  où  des  ingénieurs  de  mé- 
rite n'avaient  pas  vu  la  possibilité  de  faire  un  chemin, 
l'intérêt  privé  l'avait  aperçue.  L'administration  elle-même 
a  reconnu  depuis  cette  possibilité,  car  elle  a  fait  faire 
deux  projets  par  la  vallée. 

Messieurs,  l'intérêt  privé,  que  l'on  suppose  si  impuis- 
sant, trouve  les  moyens  de  résoudre  des  questions  qui 
paraissent  insolubles  à  l'administration. 

Je  vais  citer  un  fait,  et  j'espère  que  M.  le  directeur 
des  ponts  et  chaussées  ne  dira  pas  qu'il  est  inexact,  car 
j'ai  apporté  un  certificat  signé.  (On  rit.) 

Un  ingénieur  de  l'administration ,  ingénieur  de  beau- 
coup de  mérite,  a  été  chargé  de  faire  un  chemin  de  fer; 
c'était  un  de  ceux  qui  vous  sont  proposés.  Il  rencontre 
sur  sa  route  un  parc  (vous  savez  que  l'administration  ne 
veut  pas  qu'on  marche  dans  les  cjurbes,  quoiqu'un  ingé- 


LES  CHEMINS  DE  FEH.  317 

iiieur  civil,  M.  Laignel,  ait  trouvé  le  moyen  de  le  faire); 
l'ingénieur  du  gouvernement  trouve  devant  lui  un  parc 
qui  appartient  à  une  personne  extrêmement  riche.  Ne 
croyant  pas  à  la  possibilité  de  traverser  le  parc,  ima- 
ginant que  les  résistances  du  riche  capitaliste  seraient 
insurmontables,  M.  l'ingénieur  traverse  une  large  rivière, 
s'avance  un  peu  sur  la  rive  droite,  et  pour  revenir  sur  la 
rive  gauche ,  il  projette  un  second  pont. 

Eh  bien,  ce  chemin,  une  compagnie  se  présente  pour 
l'exécuter.  Le  principal  concessionnaire  va  trouver  le 
propriétaire  du  parc,  et  lui  demande  passage. 

Le  capitaliste  répond  :  «  Est-ce  une  compagnie  parti- 
culière? —  Oui.  —  Je  vous  laisserai  passer;  je  vous  don- 
nerai même  le  terrain;  je  vous  impose  seulement  une 
condition,  c'est  que  vous  me  referez  mon  saut-de-Ioup.  » 

Voilà  le  problème  que  l'administration  n'avait  trouvé 
le  moyen  de  résoudre  qu'en  faisant  deux  ponts.  (  Rires 
et  agitation.) 

M.  le  président  du  conseil  vous  disait  hier  qu'il  ne 
fallait  pas  s'arrêter  au  plaisir  de  mettre  les  membres  du 
gouvernement  en  désaccord  avec  eux-mêmes.  Les  mem- 
bres du  gouvernement  ont  donné  si  souvent  cette  satis- 
faction à  leurs  adversaires  dans  cette  session -ci,  qu'en 
vérité  je  dirai  que  le  conseil  de  M.  le  comte  Mole  est  bon 
à  suivre.  Aussi  n'est-ce  pas  pour  le  plaisir  futile  de 
mettre  les  membres  de  l'administration  en  désaccord 
avec  eux-mêmes,  que  je  viens  de  citer  M.  le  président 
du  conseil. 

M.  le  président  du  conseil,  à  une  époque  où  il  con- 
naissait parfaitement  toutes  les  ressources  de  l'adminis- 


318  LES  CHEMINS  DE  FEIL 

tratlon  publique,  toutes  les  ressources  du  corps  des  ponts 
et  chaussées,  a  été  Tun  des  plus  chauds  comme  des  plus 
habiles  avocats  des  compagnies  particulières.  Il  me  per- 
mettra donc  de  citer  à  l'appui  de  l'opinion  de  la  com- 
mission quelques  extraits  des  excellents  rapports  qu'il 
et  en  1828,  lorsque  le  gouvernement  voulut  examiner 
comment  on  se  tirerait  de  l'interminable  affaire  des 
canaux. 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  COHSEIL.  Maîs  co  que  j'aî  dît  alors,  c'est  ce 
que  j'ai  répété  hier. 

M.  Aragc  Je  dirai  que  les  opinions  de  M.  le  président 
du  conseil  étaient  tout  à  fait  du  goût  de  l'administration 
des  ponts  et  chaussées  à  cette  époque.  M.  Becquey  ré- 
pondit au  rapport  de  M.  le  comte  Mole,  au  rapport 
de  1828.  Voici  dans  quels  termes  il  fonnulait  son  opinion 
et  l'opinion  du  corps  des  ponts  et  chaussées  : 

t  Tout  le  monde  sera  d'accord  avec  M.  le  comte  Mole 
sur  la  solution  de  la  question  suivante  :  Vaut-il  mieux 
livrer  l'exécution  des  canaux  (il  n'était  question  que  de 
canaux  alors)  aux  soins  de  l'industrie  particulière,  ou 
laisser  l'État  l'entreprendre  à  Taide  â! emprunts  faits  à  des 
capitalistes?  Posée  dans  ces  termes,  la  question  ne  peut 
pas  être  un  instant  douteuse;  je  m'en  suis  moi-même 
expliqué  dans  bien  des  circonstances.  » 

Vous  voyez.  Messieurs,  que  si  l'administration  des 
ponts  et  chaussées  a  aujourd'hui  un  autre  système,  le 
système  de  la  commission,  le  système  qu'on  a  tant  com- 
battu, contre  lequel  on  a  tant  argumenté,  vous  voyez  que 
ce  système  a  été  celui  de  l'administration  des  ponts  et 
chaussées  elle-même* 


LES  CHEMINS  DE  FEB.  319 

Quant  à  M,  le  comte  Mole,  voici  ce  qu'il  disait  des 
compagnies  : 

tCe  que  demande  avant  tout  l'industrie  particulière 
(et  ce  qu'on  ne  lui  acx^ordait  pas,  comme  cela  ressort  de 
toutes  les  autres  parties  du  rapport),  c'est  qu'on  la  laisse 
maîtresse ,  indépendante,  libre  dans  son  essor.  Le  gou- 
vernement lui  a  toujours  imposé  ses  plans,  ses  ingénieurs, 
ses  conditions,  et  l'environne  d'entraves  dont  elle  s'effraie 
d'autant  plus  que  les  erreurs  des  devis  rédigés  pour  le 
compte  de  l'administration  semblent  presque  inséparables 
de  tout  ce  qu'elle  entreprend,  » 

M.  le  comte  Mole  ne  voyait  qu'un  moyen  d'amener 
l'affaire  des  canaux  à  une  solution  satisfaisante  :  c'était 
d'abandonner  à  l'industrie  particulière  la  proposition  des 
travaux  et  toutes  les  initiatives, 

11  a  été  souvent  question  de  la  fixité  des  tarifs,  de  la 
nécessité  de  les  modifier,  des  abus  qui  peuvent  résulter 
de  la  persistance  peu  éclairée  des  compagnies  à  main- 
tenir des  tarifs  exagérés  alors  qu'une  diminution  leur 
procurerait  de  grands  bénéfices. 

Voici  ce  que  disait  M.  MoIé,  car  toutes  les  questions 
relatives  à  l'organisation  du  corps  des  ponts  et  chaus- 
sées, que  nous  avons  eu  à  examiner  dans  la  commis- 
sion ,  ont  été  traitées  par  M.  Mole  avec  une  supériorité 
très -grande  dans  le  rapport  dont  nous  donnons  quel- 
ques extraits,  et  je  regrette  beaucoup  de  n'avoir  pas 
connu  tous  ces  passages  lorsque  j'ai  rédigé  mon  rap- 
port ;  je  n'aurais  pas  manqué  de  les  y  placer  avec  des 
guillemets.  (Hilarité.) 

On  a  parlé  des  tarifs  uniformes,  on  veut  établir  des 


320  LES  CHEMINS  DE  FER. 

tarifs  uniformes  dans  les  localités  les  plus  dissemblables; 
dans  les  localités  où  les  chemins  coûteront  des  sommes 
tout  à  fait  différentes,  on  veut  les  mêmes  tarifs.  Eh  bien, 
M.  le  comte  Mole  disait  :  <  Il  est  indispensable  Ce  varier 
les  tarifs  selon  les  localités.  » 

Après  avoir  annoncé  que  les  erreurs  dans  les  devis  de 
Tadministration  semblaient  inséparables  de  tout  ce  qu'elle 
entreprend,  M.  le  comte  Mole  citait  des  cas  dans  lesquels 
Tadministration  s'était  trompé.  Je  ne  les  citerais  pas 
moi-même  si  M.  Legrand,  en  racontant  les  fautes  faites 
en  Angleterre,  en  en  faisant  une  juste  critique,  n'avait 
dit  que  l'administration  française  se  trompait  très-rare- 
ment. Voici  des  chiffres,  je  les  prends  dans  le  rapport  de 
M.  le  comte  Mole;  je  crois  qu'il  les  tenait  d'un  ingénieur 
qui  faisait  partie  de  la  commission  (M.  Tarbé). 

Dans  le  canal  de  Monsieur  et  dans  le  canal  d'Arles  à 
Bouc,  l'erreur  était  seulement  d'un  huitième;  dans  le 
canal  du  Nivernais  l'erreur  était  un  peu  plus  forte,  c'était 
cinq  huitièmes. 

Dans  le  canal  latéral  de  la  Loire  (j'en  demande  pardon 
à  la  Chambre,  on  ne  met  pas  ordinairement  un  entier  sous 
la  forme  d'une  fraction),  l'erreur  était  de  sept  sixièmes. 
(Hilarité.) 

La  question  des  tarifs  a  joué  un  si  grand  rôle  dans  la 
discussion,  et  paraît  destinée  à  avoir  tant  d'influence  sur 
le  vote  de  la  Chambre,  qu'il  est  nécessaire  de  répéter 
toutes  les  phrases  dans  lesquelles  M.  le  comte  Mole  a 
caractérisé  cette  question. 

Il  avait  dit  :  «  Le  principe  de  l'unité  pour  les  tarifs 
doit  être  abandonné.  »  C'était  une  idée  fixe  ;  M.  le  comte 


LES  CHEMINS  DE  FER.  324 

Molé  y  revenait  tour  à  tour,  tandis  qu'aujourd'hui  c'est  la 
fixation  par  l'administration,  qui  devient  la  pierre  angu- 
laire du  projet  du  gouvernement. 

Voici  une  dernière  phrase  prise  à  la  page  9  du  rap- 
port ;  elle  dit  que  «  quant  à  la  révision  des  tarifs,  le  gou- 
vernement doit  s'en  rapporter  aux  compagnies.  »  Vous 
le  voyez,  M.  le  comte  Molé...  (Mouvement  au  banc  des 

m 

ministres.)  Ce  n'est  pas  pour  mettre  M.  le  président  du 
conseil  en  opposition  avec  lui-même  que  je  poursuis  ces 
citations. 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  Je  VOUS  pHe  de  vous  rappeler  que 
je  n'ai  pas  dit  hier  un  mot  qui  soit  en  contradiction  avec  ce  que 
vous  rapportez  ici. 

M.  ÂRAGO.  Je  ne  sais,  mais  j'ai  cru  devoir  m'appuyer 
de  votre  opinion  de  1828. 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  Vous  pouvlcz  prendre  tout  aussi  bien 
mon  discours  d'hier;  il  ne  contient  pas  un  mot  qui  ne  soit  dans  le 
nièine  esprit. 

M.  Arago.  Les  membres  de  la  commission  sont  heu- 
reux de  vous  trouver  comme  auxiliaire... 

M.  LE  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL.  Au  contraire,  je  suis  son  adversaire 
très-décidé. 

M.  Arago.  Le  système  de  la  commission  était  telle- 
ment dans  le  vrai,  que  nous  sommes  arrivés  aux  mômes 
conclusions  par  des  voies  dissemblables  :  l'un  était  plus 
frappé  par  une  considération,  et  l'autre  par  une  autre 
coiîsidération  :  moi,  j'ai  été  très -préoccupé  de  quelques 
inconvénients  qui  me  paraissent  attachés  à  l'organisation 
actuelle  des  ponts  et  chaussées:  ces  inconvénients,  je 
los  ai  développés  devant  la  commission;  je  ne  les  aurais 

V.  — IL  21 


322  LES  CHEMINS  DE  FER. 

pas  discutés  devant  la  Chambre  si  M.  le  ministre  du  com- 
merce, dans  son  discours  de  l'autre  jour,  ne  m'eût  pré- 
senté comme  l'adversaire  des  ingénieurs  des  ponts  et 
chaussées.  Eh  !  mon  Dieu,  M.  le  ministre,  les  ingénieurs 
des  ponts  et  chaussées  sont  vos  subordonnés;  ils  vous 
sont  attachés  par  des  liens  respectables;  mais  je  leur 
suis  attaché,  moi,  par  des  liens  d'une  autre  nature  et 
tout  aussi  précieux  :  ils  sont  presque  tous  mes  élèves.  Ce 
n'est  pas  moi  qui  critiquerai  les  ingénieurs  des  ponts  et 
chaussées  ;  ils  ont  été  les  plus  habiles  parmi  les  habiles 
de  l'Ecole  polytechnique. 

Ce  dont  je  me  plains,  c'est  que,  par  des  circonstances 
indépendantes  d'eux  et  par  un  manque  de  bonne  orga- 
nisation dans  le  corps  des  ponts  et  chaussées,  ils  ne  fas- 
sent pas  tout  ce  qu'on  peut  attendre,  je  ne  dirai  pas  de 
leur  zèle  et  de  leur  honneur,  mais  de  leur  science ,  d'une 
science  laborieusement  acquise.  Ce  que  je  voudrais,  c'est 
que  les  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées,  attachés  à  des 
compagnies,  pussent  se  créer  de  grandes  positions  comme 
celles  qu'ont  acquises,  en  Angleterre,  certains  ingénieurs 
que  M.  Legrand  connaît  bien  ;  comme  celles  de  Brindley, 
de  Smeaton,  de  Rennie,  de  Telfort. 

Que  devient  un  ingénieur  chez  nous?  Quand  il  a  fait 
un  travail ,  il  est  amorti ,  non  avec  intention  de  la  part 
de  l'administration,  mais  en  résultat.  On  le  fait  venir  à 
Paris,  et  il  fait  des  rapports. 

M.  Legrand.  Il  faut  bien  que  les  rapports  soient  faits  par  des 
hommes  habiles. 

M.  Arago.  Moi,  j'aime  mieux  que  l'ingénieur  habile 
fasse  des  ponts  ou  des  canaux  ;  j'aime  mieux  qu'au  lieu 


LES  CHEMINS  DE  FER.  3?3 

d'examiner  les  travaux  des  autres,  il  travaille  par  lui- 
même;  c'est  ainsi  que  Ton  doit  un  grand  nombre  de 
constructions  importantes  aux  ingénieurs  d'Angleterre; 
c'est  ainsi  que  Telfort  a  exécuté,  sous  des  compagnies, 
à  lui  seul ,  une  plus  grande  masse  de  travaux  que  dix 
ingénieurs  en  France  qui  valent  autant  que  lui,  ou  du 
moins  qui  vaudraient  autant  s'ils  étaient  en  position  de 
faire  valoir  leurs  talents,  de  faire  valoir  leur  génie,  de 
faire  valoir  leur  zèle.  Ce  que  je  regrette  extrêmement, 
précisément  à  cause  de  la  haute  opinion  que  j'ai  d'eux, 
c'est  de  ne  pas  voir  leurs  moms  attachés  aux  découvertes 
qui  honorent  l'art  et  l'industrie  dans  ces  derniers  temps. 
Sur  la  question  des  chemins  de  fer,  quel  est  l'ingénieur 
des  ponts  et  chaussées  dont  le  nom  rappelle  quelque 
chose  d'important?  Vous  trouverez  au  contraire  beaucoup 
d'ingénieurs  civils  dans  l'histoire  des  voies  ferrées  jusqu'à 
ce  jour. 

La  machine  locomotive,  c'est  la  chaudière;  elle  n'existe 
pas  dans  ce  petit  mécanisme  qu'admirent  les  personnes 
peu  instruites,  elle  est  dans  un  moyen  prompt,  efficace, 
d'engendrer  toute  la  vapeur  dont  la  machine  a  besoin 
pour  marcher.  Eh  bien,  c'est  l'œuvre  d'un  ingénieur 
civil  français,  de  M.  Séguin.  Les  Anglais  ne  peuvent  le 
contester.  Un  brevet  d'invention  bien  caractérisé,  publié 
en  France,  avait  devancé  la  machine  de  Stephenson. 

Vous  savez  que,  pour  engendrer  dans  une  machine  à 
vapeur  une  grande  quantité  de  vapeur,  il  faut  établir  là 
une  ventilation  active. 

Vous  ne  pouvez  l'obtenir  qu'avec  une  immense  chau- 
dière ou  avec  une  immense  cheminée.  Vous  savez  ce  que 


324  LES  CHEMINS  DE  FER. 

serait  une  immense  cheminée  avec  les  tunnels  multipliés, 
et  quelle  oscillation  cela  donnerait  à  tout  le  mécanisme 
de  la  machine.  Eh  bien,  qui  a  inventé  le  moyen  de  se 
servir  d'une  vapeur  perdue  pour  augmenter  le  tirage  et 
pour  remplacer  l'immense  cheminée  dont  on  avait  eu  la 
pensée  de  se  servir  d'abord?  c'est  un  ingénieur  civil, 
un  médecin  de  Paris,  M.  Pelletan. 

Vous  savez  que  les  ingénieurs  ont  eu  à  résoudre  un 
problème  important,  celui  de  parcourir  avec  une  cer- 
taine rapidité  les  courbes  d'un  certain  rayon.  C'est  en- 
core un  ingénieur  civil,  et  non  un  ingénieur  des  ponts 
et  chaussées,  qui  l'a  résolu.  N'allez  pas  croire.  Messieurs, 
que  je  ne  fasse  pas  beaucoup  de  cas  des  ingénieurs  des 
ponts  et  chaussées.  Je  les  considère,  au  contraire,  je  le 
répète,  comme  l'élite  de  T École  polyteclmique,  comme 
des  hommes  hors  de  ligne;  s'ils  ne  font  pas  tout  ce 
qu'on  peut  attendre  de  leurs  talents,  c'est  à  cause  de 
l'organisation  vicieuse  du  corps;  c'est  qu'on  ne  cherche 
pas  à  créer  des  spécialités;  c'est  que  chaque  homme 
n'est  pas  appliqué  à  la  direction  d'idées  qui  s'est  mani- 
festée en  lui. 

Je  parle  de  spécialité.  Pennettez-moi  de  me  servir 
d'une  comparaison  qui  paraîtra  peut-être  étrange,  mais 
qui  est  juste.  Que  diriez-vous  d'une  armée  dans  laquelle 
on  vous  annoncerait  que  chaque  ofTicier  commande  tour 
à  tour  l'infanterie,  la  cavalerie,  l'artillerie  et  les  sapeurs? 
Vous  n'auriez  pas  une  trop  bonne  opinion  de  cette  armée. 
Eh  bien,  il  en  est  ainsi  pour  les  ponts  et  chaussées.  Quand 
un  ingénieur  s'est  occupé  des  questions  hydrauliques  rela- 
tives à  la  canalisation  ou  à  l'amélioration  des  fleuves,  on 


LES  CHEMINS  DE  FER.  325 

renvoie  faire  des  ponts  :  celui  qui  sait  faire  des  ponts, 
(lui  a  acquis  de  Texpérience  dans  cette  spécialité,  s'il  y 
a  un  port  à  améliorer,  on  l'y  enverra.  Je  dis  que  c'est 
là  un  défaut  très-grave  ;  et  pour  le  faire  ressortir,  per- 
mettez-moi de  vous  citer  un  ou  deux  cas  où  des  spécia- 
lités ,  ayant  été  laissées  à  leurs  travaux  de  prédilection 
dans  les  ponts  et  chaussées,  ont  produit  des  résultats 
admirables. 

Je  citerai  les  phares.  M.  Becquey  était  très-bien  in- 
tentionné pour  le  corps  des  ponts  et  chaussées,  il  institua 
une  commission  des  phares;  je  faisais  partie  de  cette 
commission,  et  je  m'étais  chargé  des  expériences.  Bientôt 
je  vis  qu'une  seule  personne  ne  pourrait  pas  suffire  à 
cette  tâche.  Ma  correspondance  avec  un  ingénieur  des 
ponts  et  chaussées  m'avait  démontré  qu'il  y  avait  dans 
ce  corps  une  personne,  un  hoinme  de  science,  un  homme 
de  génie  pour  cette-  spécialité,  je  priai  M.  Becquey  de 
l'attacher  au  service  des  phares.  C'était  à  Paris  que  l'on 
faisait  ces  expériences.  Mais  telles  sont  les  exigences  du 
corps  des  ponts  et  chaussées,  que  le  savant  dont  je  parle, 
M.  Fresnel,  l'un  des  hommes  les  plus  considérables  de 
la  science  que  la  France  ait  jamais  produits,  ne  put  être 
attaché  à  la  commission  qu'en  travaillant  du  matin  au 
soir  au  pavé  de  Paris.  Il  faisait  le  toisé  du  pavé  de  Paris, 
<»n  même  temps  qu'on  le  chargeait  de  faire  des  expé- 
riences sur  les  phares. 

Voulez-vous  une  autre  exemple  de  spécialité? 

De  toutes  parts.  A  demain,  il  (»st  six  lieuros  I 

M.  LE  Président.  M.  Arago  continuera  demain  son  résumé. 


32G  LES  CHEMINS  DE  FER. 

2*  Séance  du  10  mai. 

M.  LE  Président.  L'ordre  du  jour  est  la  suite  de  la  discussion  dti 
projet  de  loi  sur  les  chemins  de  fer. 
M.  le  rapporteur  a  la  parole  pour  la  continuation  de  son  résumé. 

M.  Arago.  Messieurs,  en  commençant  hier,  au  nom 
de  la  commission,  le  résumé  de  la  discussion  générale, 
il  m'a  paru  qu'il  était  convenable  de  répondre  en  quelques 
mots  à  des  difDcultés  qui  nous  avaient  été  adressées  de 
toutes  parts  et  qui  ne  nous  semblaient  pas  fondées. 

Nous  avons  montré  que  Tintention  de  la  commission 
n'avait  jamais  été  d'empêcher  le  gouvernement,  ou  d'em- 
pêcher les  compagnies  de  travailler  tout  de  suite,  de  tra- 
vailler activement  à  la  confection  des  lignes  de  chemins 
de  fer.  La  commission  n'avait  discuté  que  la  question  de 
sayoir  si  l'on  devait  travailler  à  toutes  les  lignes  à  la  fois, 
ou  s'il  ne  fallait  pas  porter  toute  la  force  d'action,  sur  une 
ligne  particulière,  de  manière  à  profiter  des  améliorations 
et  des  perfectionnements  que  tout  le  monde  attend,  que 
tout  le  monde  désire ,  et  que  certainement  l'art  et  l'in- 
dustrie nous  fourniront  d'ici  à  peu  de  temps. 

Nous  avons  aussi  traité  succinctement  la  question  du 
transit;  après  l'avoir  examinée,  comme  on  l'avait  dit, 
sous  le  point  de  vue  un  peu  restreint  que  le  gouvernement 
avait  adopté,  nous  nous  sommes  aussi  attachés  à  la  traiter 
dans  des  vues  générales  et  h  voir  l'influence  qu'elle  pou- 
vait avoir  sur  la  prospérité  de  notre  commerce. 

Quelques  phrases  du  discours  de  M.  le  ministre  des 
travaux  publics  m'avaient  amené  à  toucher  un  autre  sujet, 
celui  de  savoir  si  le  corps  des  ponts  et  chaussées,  dont 


LES  CHEMINS  DE  FER.  327 

personne  ne  conteste  le  mérite,  dont  tout  le  monde,  au 
contraire,  reconnaît  la  haute  capacité,  était  organisé  de 
manière  à  pouvoir  suffire  aux  grands  travaux  qui  vous 
sont  présentés. 

Cette  question,  je  n'ai  fait  que  Teffleurer;  j'y  revien- 
drai, si  cela  est  nécessaire,  dans  une  autre  occasion. 
Cependant  il  est  bon  que  je  réponde  à  une  ou  deux  asser- 
tions de  M.  le  directeur  général ,  et  à  une  ou  deux 
phrases  de  l'exposé  des  motifs ,  parce  qu'elles  me  sem- 
blent de  nature  à  exercer  quelque  influence  sur  la  déter- 
mination de  la  Chambre. 

Lorsque  nous  avons  contesté  à  l'État  la  possibilité  de 
faire  très- vite  et  économiquement  des  chemins  de  fer, 
surtout  quand  ces  chemins  doivent  occuper  de  très-grands 
espaces,  on  nous  a  cité  la  Belgique.  Eh  bien,  si  les  be- 
soins de  la  discussion  nous  y  amènent,  nous  prouverons 
que  cet  exemple  est  très-mal  choisi,  que  les  chemins  de 
Belgique  ont  été  mal  exécutés,  qu'ils  ont  été  faits  avec 
une  légèreté  telle  que  certainement  ils  ne  doivent  pas 
servir  de  modèles.  Je  suis  étonné  de  voir  que  M.  le  direc- 
teur général  des  ponts  et  chaussées,  qui  sans  doute  con- 
naît tous  les  défauts  de  cette  constmction  par  les  rensei- 
gnements qu'il  a  dû  recevoir,  se  soit  appuyé  de  cette 
exécution  imparfaite  pour  dire  qu'un  corps  organisé 
comme  le  corps  des  ponts  et  cliaussées  de  Belgique  ferait 
d'excellents  chemins  de  fer.  Nous  avons  cité  des  chemins 
exécutés  en  Angleterre  par  des  compagnies;  on  a  dit 
que  les  pays  ne  se  ressemblaient  pas  ;  que  les  capitaux 
n'étaient  pas  en  France  réunis  dans  un  petit  nombre  de 
mains;  que  les  propriétaires  des  terrains  que  devaient 


328  LES  CHEMINS  DE  FBH. 

traverser  les  chemins  ne  se  prêtaient  pas  à  Texécution 
des  travaux ,  et  enfin  mille  difficultés  de  ce  genre. 

Nous  avons  cité  les  Etats-Unis ,  où  les  compagnies  par- 
ticulières exécutent,  comme  vous  savez,  des  chemins  avec 
beaucoup  de  rapidité  et  d'économie.  Eh  bien,  aux  États- 
Unis,  il  est  venu  une  fois  au  gouvernement  central  la 
pensée  de  faire  un  chemin  de  fer  ;  il  en  a  fait  un ,  un  seul , 
celui  de  Cumbertend.  Il  a  fallu  l'abandonner.  C'est  le 
seul  qui  n'ajt  pas  réussi  ;  tous  ceux  qui  ont  été  confiés  à 
des  compagnies  sont  en  pleine  jwospérité  ;  ils  sont  par- 
courus chaque  jour  par  une  immense  quantité  de  voya- 
geurs. Celui-là  on  ne  Ta  pas  achevé,  celui-là  il  a  fallu, 
pour  l'amener  à  bon  terme,  l'abandonner  à  une  com- 
pagnie. 

M.  le  minfstre  des  travaux  publics  a  dit,  dans  son 
exposé  des  motifs,  que  le  corps  des  ponts  et  chaussées 
exécutait  quelquefois  longuement,  il  l'a  reconnu;  mais 
il  a  ajouté  que  cela  avait  lieu  seulement  quand  les  fonds 
manquaient. 

Je  suis  bien  fâché  de  le  dire,  mais  cela  n'est  pas  exact. 
Le  corps  des  ponts  et  chaussées  n'exécute  pas  avec  rapi- 
dité, alors  même  qu'il  a  des  fonds,  alors  que  tous  les 
moyens  de  travail  sont  dans  ses  mains. 

Ce  fait  a  été  éclairci  dans  une  circonstance  impor- 
tante, dans  une  discussion  relative  à  l'exécution  des  ca- 
naux; le  corps  des  ponts  et  chaussées  a  eu  des  discus- 
sions très- vives  avec  les  compagnies  de  prêteurs  qui 
avaient  fourni  l'argent  à  l'aide  duquel  on  a  fait  les  canaux 
de  1821  et  de  1822.  Dans  une  réponse  aux  exigences 
des  compagnies,  l'administration  déclara  que  les  travaux 


LES  CHEMINS  DE  FER.  3*29 

n'avaient  pas  marché  avec  beaucoup  de  rapidité,  parce 
que  les  fonds  avaient  manqué.  Cette  assertion  se  trouve 
renouvelée  dans  Texposé  des  motifs. 

Voici  la  réponse,  Messieurs  : 

«  Au  mois  de  mai  1825,  trois  années  après  la  signature 
du  cahier  des  charges,  les  compagnies  avaient  versé  pour 
le  canal  latéral  à  la  Loire,  i, 125,000  francs.  La  dépense 
faite  par  le  corps  des  ponts  et  chaussées  à  cette  même 
époque  était  de  53,000  francs. 

«  Pour  le  canal  du  Nivernais,  la  compagnie,  trois  années 
après  la  signature  du  cahier  des  charges,  avait  déposé 
3,142,857  francs;  le  corps  des  ponts  et  chaussées  avait 
dépensé  iOO,000  francs.  » 

Vous  voyez  donc  qu'il  n'est  pas  exact  de  dire  que  les 
travaux  du  corps  des  ponts  et  chaussées  ne  marchent  len- 
tement que  parce  que  les  fonds  manquent;  les  travaux 
marchent  lentement,  parcequ'il  est  de  la  nature  de  cette 
administration  de  marcher  lentement. 

M.  le  ministre  a  dit  qu'on  fçrait  des  changements,  des 
améliorations,  des  perfectionnements,  et  que  ces  perfec- 
tionnements permettraient  de  marcher  plus  rapidement. 
Attendons  l'effet  de  ces  perfectionnements,  mais  pre- 
nons les  choses  dans  l'état  actuel;  je  maintiens  que, 
dans  l'état  actuel ,  les  travaux  se  font  avec  beaucoup  de 
lenteur. 

Dans  un  discours  très-élégant,  très-éloquent,  comme 
tous  les  discours  qui  sortent  de  la  bouche  de  M.  de  Lamar- 
tine, l'honorable  orateur  vous  a  dit  que  la  pensée  d'aliéner 
de  grands  travaux ,  de  grandes  lignes  de  communication , 
de  grands  chemins,  ne  serait  jamais  venue  à  Napoléon. 


330  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Je  suis  fâché  de  répondre  à  M.  de  Lamartine  par 
une  chose  qui  sera  très- peu  poétique,  par  un  fait.  En 
1809,  Napoléon  ordonna  que  tous  les  canaux  ou  même 
toutes  les  portions  de  canaux  appartenant  à  rÉt<it  fus- 
sent vendus. 

Il  y  a,  Messieurs,  une  question  qui  a  occupé  beaucoup 
de  place  dans  ce  débat,  c'est  la  question  de  l'agiotage. 
On  a  dit  que,  si  l'on  concédait  les  chemins  à  des  com- 
pagnies, on  fournirait  à  l'agiotage,  à  cette  plaie,  a-t-on 
dit,  des  temps  modernes,  de  notre  époque,  un  nouvel 
aliment. 

Mais  l'administration  vous  a  déclaré,  dès  l'origine; 
elle  vous  a  déclaré  hier  encore  par  la  bouche  de  M.  le 
directeur  général  des  ponts  et  chaussées,  que  l'on  vou- 
lait concéder  aux  compagnies  une  longueur  de  chemins 
de  fer  trois  fois  plus  grande  que  la  longueur  que  le  gou- 
vernement se  réserve.  Et  je  vous  le  demande,  est-ce  que 
l'agiotage  ne  s'exercera  pas  sur  ces  ramifications  comme 
sur  le  chemin  principal?  Et  ne  croyez  pas  d'ailleurs  que 
ce  qu'on  appelle  des  rameaux,  cejsoit  chose  insignifiante. 
Le  chemin  de  Belgique,  projeté  par  le  gouvernement, 
doit  passer  par  Amiens  et  aboutir  à  Lille.  Arrivé  à  Amiens 
vous  rencontrez  un  autre  chemin  qu'on  appelle  arbitrai- 
rement un  rameau  ;  cette  portion,  tout  aussi  longue  que 
celle  qui  va  d'Amiens  à  Lille,  irait  d'Amiens  à  Boulogne. 
A  combien  l'a-t-on  estimée?  40  millions.  Si  j'en  crois 
les  déclarations  des*personnes  intéressées,  entre  autres 
celle  du  maire  de  Boulogne,  le  gouvernement  veut  con- 
céder ce  rameau,  cet  embranchement  à  une  compagnie 
particulière.  Eh  bien,  est-ce  que  la  spéculation  ne  pourra 


LES  CHEMINS  DE  FER.  334 

pas  agioter  sur  les  40  millions  de  rembranchement 
d'Amiens  à  Boulogne  comme  sur  la  portion  principale 
qui  va  joindre  Amiens  à  Lille? 

S'il  doit  y  avoir  agiotage,  il  y  en  aura  tout  aussi  bien 
sur  les  ramifications  que  sur  les  lignes  principales.  Le 
gouvernement  a  déclaré  que  la  portion  des  embranche- 
ments doit  être  beaucoup  plus  étendue,  et  par  conséquent 
plus  coûteuse  que  les  lignes  principales  ;  il  est  donc  cer- 
tain que  l'agiotage  aura  un  large  champ  sur  lequel  il 
pourra  s'étendre  et  se  développer. 

Est-il  vrai,  d'ailleurs,  que  les  chemins  de  fer  prêtent 
beaucoup  à  l'agiotage? 

Quant  à  nous,  nous  avons  voulu,  autant  qu'il  a  dépendu 
de  la  commission,  que  ce  champ  d'agiotage  fût  restreint, 
fût  circonscrit  ;  .at  c'est  pour  cela  que  nous  avons  voulu 
présenter  la  question  des  chemins  de  fer  dans  son  véri- 
table jour,  que  nous  avons  voulu  qu'il  n'y  eût  rien  d'exa- 
géré, que  nous  avons  voulu  réduire  les  avantages  que  les 
chemins  de  fer  peuvent  promettre  au  pays  à  leur  valeur 
réelle,  et  non  pas  à  leur  valeur  d'imagination.  C'est  pour 
cela  que  nous  n'avons  pas  donné  notre  adhésion  à  une 
assertion  de  l'exposé  des  motifs,  par  laquelle  le  ministère 
tendrait  à  faire  croire  que,  par  exemple,  le  chemin  de 
fer  du  Havre  à  Marseille,  qui  est  en  projet,  deviendrait 
un  moyen  de  communication  de  l'Amérique  avec  le 
Levant. 

Je  vous  avoue,  Messieurs,  que  nous  n'avons  pu  nous 
persuader  que  des  marchandises,  venant  de  la  Nouvelle- 
Orléans,  par  exemple,  ne  tiendraient  aucun  compte  du 
détroit  de  Gibraltar  et  de  la  Méditerranée,  pour  avoir  la 


332  LES  CHEMINS  DE  FER. 

satisfaction  de  décharger  leurs  marchandises  au  Havre, 
et  de  les  faire  voyager,  en  les  transbordant  plusieurs  fois, 
sur  le  chemin  de  fer  du  Havre  à  Marsçille, 

Nous  croyons  que  les  chemins  do  fer  ont  un  immense 
avenir;  mais  celui  que  leur  prédit  l'exposé  des  motifs 
n'est  pas  fondé. 

Je  disais  ^que  la  commission  avait  cherché  à  placer  la 
question  des  chemins  de  fer  dans  son  véritable  jour  ;  nous 
avons  voulu  nous  garantir  de  toute  exagération ,  de  tout 
mouvement  d'enthousiasme  ;  nous  avons  voulu  que  chacun 
sût  ce  qu'il  y  avait  de  réel  dans  cette  spéculation,  ce  qu'il 
pouvait  en  espérer  ;  nous  avons  voulu,  en  un  mot,  qu'elle 
fût  débarrassée  de  ces  nuages  qui  enveloppent  tant  d'au- 
tres spéculations  dont  a  parlé  M.  le  ministre  des  fmances. 

Il  y  a  des  chemins  de  fer  qui  sont  en  voie  de  prospérité, 
qui  sont  dans  une  position  très-favorable  ;  par  exemple 
le  chemin  de  fer  de  Manchester  à  Liverpool  ;  il  est  im- 
possible de  trouver  dans  lé  monde  une  localité  plus  avan- 
tageusement située  que  celle-là;  Liverpool  est,  après, 
Londres,  le  port  le  plus  riche  et  qui  fait  le  plus  d'affaires 
du  monde  ;  Manchester  est  la  ville  manufacturière  où  l'on 
travaille  le  plus.  A  Liverpool  arrivent  les  matières  brutes, 
h  Manchester  on  les  travaille.  11  n'y  a  pas,  dans  l'univers, 
des  villes  plus  favorablement  placées  que  celles-là  pour 
servir  de  têtes  à  un  chemin  de  fer. 

Eh  bien,  qu'a  rapporté  ce  chemin  de  fer  de  Liver- 
pool? Il  a  rapporté,  au  maximum,  10  p.  0/0;  par  consé- 
quent ,  les  personnes  qui  croient  que  les  chemins  de  fer 
produiront  30  et  40  p.  0/0,  se  trompent  volontairement. 
Les  chemins  de  fer  sont  une  grande  commodité  pour  le 


LES  CHEMINS  DE  FER.  333 

pays ,  pour  les  voyageurs  ;  il  est  nécessaire  d'en  faire  ; 
faisons-en  tout  de  suite  ;  mais  ne  disons  pas  aux  spécula- 
teurs que  ce  sera  là  une  source  de  richesse  immense. 
C'est  un  bon  placement  dans  quelques  directions,  j'en 
suis  convaincu;  mais,  je  le  répète,  il  faut  se  mettre  à 
Tabri  de  toute  exagération. 

La  question  de  l'agiotage  a  d'ailleurs  vivement  inté- 
ressé la  commission  ;  elle  a  cherché  tous  les  moyens  qui 
étaient  en  son  pouvoir  de  le  refréner,  et  c'est  pour  cela 
qu'elle  vous  a  présenté  une  sorte  de  code  relatif  à  l'orga- 
nisation des  compagnies,  et  qui  ferait  disparaître  ce  qu'il 
y  a  de  plus  hideux  dans  l'agiotage ,  je  veux  parler  des 
actions  industrielles.  La  commission  (je  prie  la  Chambre 
de  vouloir  bien  se  le  rappeler  )  a  proposé  la  suppression 
complète,  radicale,  des  actions  industrielles;  et  par  là 
elle  a  fait  disparaître  ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux  dans 
l'organisation  actuelle  des  compagnies.  Il  n'y  a  pas  long- 
temps qu'à  la  Bourse  on  vous  disait  :  t  Donnez-moi  une 
idée  et  un  journaliste  qui  veuille  la  faire  valoir,  je  vous  la 
paie  100,000  fr.  »  (Mouvement.  ) 

Il  y  a.  Messieurs,  dans  la  presse  des  hommes  d'hon- 
neur, de  savoir,  qui  emploient  tout  leur  talent  à  faire  pré- 
valoir une  opinion  consciencieuse;  ces  personnes-là ,  je 
les  respecte ,  je  les  estime  ;  j'en  connais  beaucoup ,  et  je 
m'honore  de  leur  amitié;  mais  il  en  est  d'autres  qui  font 
de  leur  plume  trafic  et  marchandise,  qui  parlent  de  che- 
mins de  fer,  de  canaux  ou  de  tout  autre  travail  à  l'occa- 
sion d'un  vaudeville,  à  Toccasion  d'une  course  de  che- 
vaux. Ces  personnes-là  se  montrent  dans  les  compagnies 
comme  agents,  comme  gérants.  Quand  on  leur  demande  : 


33i  LES  CHEMINS  DE  F£B. 

Quel  est  votre  apport  dans  la  société?  Fournissez- vous 
des  rails?  fournissez-vous  des  machines?  avez-vous quel- 
ques idées  nouvelles?  Rien  de  cela  :  ils  sont  les  historio- 
graphes des  chemins  de  fer.  (Rires  approbatifs.  ) 

Ce  sont  ces  personnes  que  nous  avons  voulu  atteindre, 
parce  qu'on  les  solde  avec  des  actions  industrielles. 

La  commission  s'est  tellement  préoccupée  de  l'agiotage 
que,  sans  s'inquiéter  des  clameurs  que  sa  décision  ne 
devait  pas  manquer  de  soulever  et  dont  on  a  déjà  pu  voir 
quelques  échantillons,  elle  a  demandé  la  suppression  radi- 
cale des  actions  industrielles. 

Elle  a  fait  son  devoir,  Messieurs,  et  si  la  Chambre  entre 
dans  cette  voie,  elle  aura  rendu  un  véritable  service  au 
pays  et  à  l'industrie.  (Approbations.  ) 

Il  faut  dire,  au  surplus,  pour  être  juste,  que  l'agiotage 
dont  le  pays  a  été  témoin ,  qui  a  si  profondément  affligé 
les  hommes  honnêtes,  n'a  cependant  pas  eu  tout  le  déve- 
loppement dont  on  a  parlé.  Parmi  les  entreprises  qui, 
dans  ces  derniers  temps,  ont  été  cotées  à  la  Bourse  à  des 
prix  excessifs  relativement  aux  prix  d'émission,  il  en  est 
une  qui  s'était  produite  dans  le  monde  de  la  manière  la 
plus  honorable  en  passant  par  la  filière  de  l'Académie  des 
sciences;  c'est  pourquoi  j'avais  eu  à  m'en  occuper. 

Je  vis  avec  regret  qu'une  chose  bonne  (je  ne  saurais 
dire  si  elle  est  bonne  industriellement  parlant,  je  ne  le 
dirais  pas  dans  mon  cabinet ,  à  plus  forte  raison  à  la  tri- 
bune), qu'une  chose  bonne,  quant  aux  résultats  pratiques 
tjue  les  arts  pourraient  en  obtenir,  fût  devenue  l'occasion 
d'un  agiotage  effréné.  Je  priai  les  personnes  honorables 
xpû  sont  à  la  tôte  de  cette  entreprise  de  rechercher  si  te 


LES  CHEMINS  DE  FEB.  333 

mal  avait  été  aussi  grand  que  les  journaux  le  disaient •  On 
alla  aux  enquêtes,  les  enquêtes  furent  faites  soigneuse- 
ment. Les  actions  étaient  passées  en  peu  de  temps  de 
1,000  fr.  à  3,000fr. 

C'était  exorbitant,  c'était  déraisonnable,  c'était  de  la 
folie.  Eh  bien,  toute  vérification  faite ,  il  se  trouva  qu'on 
avait  vendu  douze  de  ces  actions,  et  il  n'était  pas  démon- 
tré que  les  vendeurs  et  les  acheteurs  ne  fussent  pas  les 
mêmes  personnes.  (  On  rit.  ) 

Une  voix.  C'est  le  fer  galvanigô  I 

M.  Arago.  Messieurs,  vous  avez  remarqué  dans  l'ex- 
posé des  motifs  toute  l'importance  qu'on  a  donnée  à  la 
question  stratégique.  La  question  stratégique  touche  h  la 
nationalité  du  pays,  elle  devait  donc  nous  préoccuper 
vivement;  aussi,  i'avons-nons  examinée  autant  que  le 
permettaient  les  lumières  des  membres  de  la  commission  ; 
nous  avons  cru  aussi  devoir  faire  un  appel  à  des  personnes 
expérimentées ,  et  la  Chambre  ne  trouverait  pas  étonnant 
que  nous  nous  servissions  de  cette  épithctc,  s'il  nous  était 
permis  de  nommer  ces  personnes;  nous  nous  sommes 
adressés,  enfin,  aux  généraux  les  plus  habiles  dont  s'ho- 
nore notre  pays.  Eh  bien,  je  dirai  que  le  résumé  que  nous 
avons  fait  dans  notre  rapport  de  l'importance  stratégique 
des  chemins  de  fer,  est  l'exposé  formel  de  leur  opinion. 
Au  lieu  de  nous  abandonner  à  des  idées  générales  qui 
trompent  toujours,  nous  nous  sommes  placés  dans  des  cas 
particuliers  ;  nous  avons  cherché  à  nous  rendre  compte 
des  avantages  qui  pourraient  résulter  de  l'usage  des  che- 
mins de  fer  pour  le  transport  des  armées;  nous  avons 
reconnu  qu'il  y  aurait  en  effet  des  avantages,  qu'il  ne  fal- 


33G  LES  CHEMINS  DE  FER. 

lait  pas  les  négliger,  et  c'était  une  raison  de  plus  à  ajouter 
à  toutete  celles  que  nous  avions  fait  valoir  pour  demander 
qu'il  y  eût  des  chemins  de  fer;  mais  nous  avons  reconnu 
que  les  avantages  que  les  chemins  de  fer  pouvaient  pré- 
senter sur  le  point  de  vue  militaire  avaient.été  exagérés 
outre  mesure. 

M.  Demarçay.  Ils  seraient  môme  nuisibles  en  temps  de  paix. 

M.  Aaago.  Oui,  général;  nous  n'avons  indiqué  œ 
point  de  vue  particulier  qu'en  termes  vagues,  vu  notre 
manque  de  spécialité;  mais  indépendamment  de  cela, 
nous  croyons  que  les  avantages  que  les  chemins  peuvent 
présenter  en  temps  de  guerre  ont  été  fort  exagérés. 

Remarquez  d'ailleurs  que  la  question  en  litige,  que  la 
question  de  savoir  si  l'État  ou  les  compagnies  feront  les 
chemins  de  fer,  est  tout  à  fait  désintéressée  ici  ;  que  les 
chemins  de  fer  aient  été  faits  par  l'État  ou  exécutés  par 
les  compagnies,  l'armée,  si  elle  en  doit  tirer  avantage, 
s'en  servira  de  la  même  manière.  On  ose  dire  qu'on  serait 
arrêté  devant  la  question  des  tarifs  ;  mais  le  transport  des 
soldats,  en  temps  de  guerre,  sur  les  chemins  de  fer,  sera 
stipulé  dans  tous  les  cahiers  des  charges  ;  il  ne  le  serait 
pas,  qu'on  n'en  serait  pas  pour  cela  plus  embarrassé  ;  on 
sait  bien  qu'en  temps  de  guerre  on  n'est  jamais  gêné 
pour  s'emparer  d'une  maison  qui  embarrasse  une  vilfe  do 
guerre  :  on  s'empare  de  la  maison ,  et  quelquefois  même 
des  habitants.  Si  donc  les  chemins  de  fer  sont  exécutés 
par  les  compagnies,  l'armée  en  profitera  tout  aussi  bien 
que  si  le  gouvernement  les  avait  faits.  Ainsi  la  difficulté 
disparaît.  Sous  le  rapport  militaire ,  il  y  a  des  questions 
qui  sont  plus  urgentes  que  celle-là. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  337 

Il  y  a  des  travaux  pour  lesquels  on  pourrait  venir 
demander  à  la  Chambre  des  fonds  avec  plus  de  raison 
que  pour  des  chemins  de  fer  ;  envisagés  sous  le  point 
de  vue  stratégique,  il  y  a  des  points  de  nos  côtes  qui 
sont  complètement  ouverts  et  qui  devraient  être  défendus. 
Vous  n'avez  pas  relevé  les  fortifications  d'IIuningue  : 
supposons  que  pour  ce  point  vous  vouliez  respecter  les 
déplorables  traités  signés  dans  des  circonstances  malheu- 
reuses, en  arrière  de  ce  point  il  y  a  d'autres  positions  : 
il  y  a  Thann,  il  y  a  Sainte-Marie,  où  tous  les  ofliciers  du 
génie  vous  diront  qu'il  serait  très -important  de  faire  des 
fortifications  :  pourquoi  ne  les  faites-vous  pas? 

Vous  avez  un  port  dans  la  Manche,  dans  lequel  vous 
entassez  millions  sur  millions;  c'est  le  port  de  Cherbourg, 
Eh  bien,  il  n'y  a  absolument  rien  pour  défendre  l'entrée 
de  la  ville  de  Cherbourg,  et  ne  croyez  pas  que  les  étran- 
gers n'y  aient  pas  fait  attention.  Un  prince  anglais,  en 
1815,  parcourut  toutes  nos  côtes  avec  une  autorisation 
du  duc  de  Feltre  ;  il  visita  tous  nos  ports,  et  il  disait  hau- 
tement et  à  tout  le  monde,  à  son  retour  :  «  Si  nous  avions 
su  l'état  de  vos  ports,  nous  vous  eussions  fait  une  visite 
pendant  la  guerre.  Il  y  avait  dans  ces  mots  fanfaronnade 
et  vérité.  Quant  à  la  fanfaronnade,  on  lui  répondit  sur- 
le-champ  que  les  Bretons  et  les  Normands  auraient  fait 
aux  Anglais  une  réception  un  peu  bruyante  ;  mais  ce  qui 
est  vrai,  c'est  que  le  port  de  Cherbourg  n'est  pas  défendu  : 
si  l'on  y  faisait  une  descente,  on  n'y  resterait  pas,  je  le 
dis  le  premier;  mais  on  détruirait  tous  vos  établisse- 
ments, (Chuchotements.  ) 

On  a  parlé  de  transit,  de  statégie,  on  a  vanté  les  che- 

V.— II.  22 


338  LES  CHEMINS  DE  FER. 

mins  de  fer  sous  le  rapport  da  transit  ;  on  a  dît  que  sous 
le  rapport  stratégique  ils  devaient  produire  des  mer- 
veilles; on  a  dit  que  sous  le  rapport  de  la  civilisation 
ils  produiraient  des  effets  dont  le  monde  serait  étonné. 
Cependant  à  Toccasion  d'une  phrase  d'un  membre  de  ia 
commission  par  laquelle  se  trouvait  indiquée  la  pensée 
que  la  commission  ne  demandait  pas  mieux  cjue  d'ac- 
corder au  gouvernement,  si  les  finances  le  permettaient, 
si  des  compagnies  ne  se  présentaient  pas,  le  chemin  de 
Strasbourg  à  Paris  et  par  conséquent  de  Strasbourg  au 
Havre ,  M.  le  ministre  des  affaires  étrangères,  président 
du  conseil,  vous  a  répondu  :  «  Vous  ne  nous  donnez  que 
ce  qui  ne  vaut  rien.  » 

Comment  ce  qui  ne  vaut  rien  ?. .  c  Le  transit  ne  vaut 
donc  rien  sur  la  route  de  Strasbourg?  Comment  !  les  consi- 
dérations stratégiques  dans  cette  direction  ne  sont  rien  ?. . . 

M.  LE  Ml^'ISTR£  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Lc  transit  sera  fait  par  le 
canal. 

M.  Arago.  Oui,  dans  vingt  ans. 

Bf.  LE  MmisTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Comment,  dans  vingt  ans? 

M.  Arago.  Ah  !  vous  croyez  que  cela  sera  fait  plus 
tôt,  je  ne  demande  pas  mieux,  j'en  prends  note,  mais  je 
ne  le  crois  pas.  Toujours  est-il  qu*on  a  dit  que  cela  ne 
valait  rien. 

M.  LE  Ministre  des  travaux  publics.  Comme  produit. 

M.  Arago.  Nous  le  reconnaissons;  mais  vous  avez  dit 
que  ce  n'était  pas  pour  le  produit  que  vous  vouliez  faire 
des  chemins  de  fer  ;  vous  avez  déclaré  que  c'était  dans 
un  intérêt  national. 

Si  c'est  dans  un  intérêt  national,  Strasbourg  doit  ap- 


LES  CUEttINS  DE  FEtt.  309 

peler  votre  attention,  tant  aussi  bien  que  la  frontière  de 
Belgique.  Dans  la  question  da  eherain  de  fer  de  Stras- 
bourg, il  y  a  des  questions  de  transit ,  des  questions  stra 
tégiques,  des  questions  nationales,  tout  aussi  importantes 
que  les  considérations  que  vous  pouvez  invoquer  pour 
b  route  de  Belgique. 

Messieurs,  j'avoue  que  je  ne  comprends  pas  comment 
on  a  pu  dire  qae  le  chemin  de  Strasbourg  ne  vaut  rien. 
D'ailleurs,  que  le  chemin  soit  fait  par  le  gouvernement, 
ou  par  une  compagnie,  peu  importe  :  je  répéterai  cela  à 
la  An  de  la  discussion  de  toutes  les  questions  que  le  projet 
soulève  :  Les  avantages  pour  le  pays  seraient  absolun}erft 
les  mêmes. 

On  vous  a  dit,  Messieurs,  qu'il  fallait  montrer  l'admi- 
nistration dans  toute  sa  splendeur  aux  populations  éton- 
nées. Eh  !  mon  Dieu,  Messieurs,  je  ne  demande  pas  mieux  ; 
mais  la  proposition  que  le  gouvernement  vous  a  faite, 
dans  les  bornes  où  il  Ta  circonscrite,  ae  produira  pas  ce 
résultat.  Le  gouvernement  ne  veut  maintenant  travailler 
qu'au  chemin  de  Belgique;  il  n'y  aurait  donc  qu'une 
partie  de  la  population,  celle  du  nord  de  la  France  qui 
verrait  le  gouvernement  dans  toute  sa  splendeur  ;  au 
Midi ,  ce  ne  serait  plus  le  gouvernement,  mais  des  com- 
pagnies particulières.  Ainsi,  ce  motif  ne  devait  pas 
être  bien  puissant  pour  le  gouvernement,  puisqu'il  y  a 
renoncé  pour  la  plus  grande  partie  des  populations. 

11  y  a  une  considération  qu'on  a  formulée  en  ces 
termes: 

tLe  gouvernement  serait  à.  la  remorque  des  compa- 
gnies. »  Non,  Messieurs,  le  goavernement  ferait  ce  que 


340  LES  CHEMINS  DE  FER. 

les  compagnies  ne  font  pas.  Il  y  a  des  chemins  qui  peu- 
vent avoir  une  immense  utilité  nationale,  et  pour  lesquels 
des  compagnies  ne  se  présentent  pas,  le  gouvernement 
ferait  ces  lignes-là  ;  de  plus,  le  gouvernement  fera  d'au- 
tres travaux.  Est-ce  que  nos  routes  ordinaires  ne  sont 
pas,  sur  plusieurs  points,  dans  un  état  déplorable?  (Mou- 
vements divers.) 

Je  crois  apercevoir  une  dénégation  (  Très-bien  !  )  je 
citerai  des  faits,  je  citerai  une  route  royale,  une  des  routes 
qui  conduisent  à  Londres,  où  la  diligence  a  été  obligée 
d'abandonner  un  grand  bourg  et  de  passer  à  travers  des 
jardins,  et  cela  pendant  six  mois  ! 

Je  citerai  la  route  de  Châlons  à  Sainte-Menehould,  où 
il  est  presque  impossible  de  voyager  Thiver. 

M.  PÉRI6N0N.  Rien  n'est  plus  vrai  I 

M.  Arago.  Où  Ton  est  obligé  d'atteler  dix  chevaux 
aux  diligences,  où  les  voitures  versent  sans  que  les  car- 
reaux se  brisent  dans  la  boue,  tant  la  route  est  liquide. 

M.  Roul.  La  route  de  Bordeaux  à  Bayonne,  dans  les  grandes 
Landes,  est  abandonnée  depuis  quarante  ans. 

M.  Arago.  J'étais  bien  certain  de  ne  recevoir  sur  ce 
point  des  dénégations  d'aucune  partie  de  la  Chambre. 

M.  Legrând,  commissaire  du  roi.  Pas  même  de  ma  part;  je  ne 
nie  pas  qu'il  n'y  ait  quelques  parties  de  route  en  mauvais  état,  mais 
ce  sont  là  des  points  isolés  et  de  pures  questions  d'argent 

M.  Arago.  Eh  bien,  il  faut  songer  à  cela.  Les  ingé- 
nieurs sous  votre  direction  rendront  au  pays  un  service 
immense  en  s'occupant  de  l'amélioration  de  ces  routes, 
qui  sont  en  général  les  routes  communes ,  les  routes  les 
plus  usuelles,  les  plus  habituelles. 


LBS  CHEMINS  DE  FER.  311 

Lorsqu*en  1822  on  proposa  à  la  Chambre  la  loi  sur 
les  canaux,  un  membre  de  la  Chambre  dit  à  M.  le  direc- 
teur général  des  ponts  et  chaussées  :  <  Mais  il  me  semble , 
M.  le  directeur,  que  vous  présentez  la  loi  à  rebours  :  il 
faudrait  s'occuper  des  rivières  avant  de  s'occuper  des 
canaux;  vos  canaux  seront  très -peu  utiles  si  vous  ne 
travaillez  pas  d'abord  à  TaméHoration  des  rivières  et  des 
fleuves  !  » 

M.  le  directeur  général  répondit  :  c  Cela  est  vrai  ;  mais 
si  je  demandais  de  Targçnt  pour  les  rivières  d'abord, 
on  ne  m'en  donnerait  pas.  Cest  afin  qu'on  m'en  donne 
pour  les  rivières  que  je  commence  par  faire  les  ca- 
naux I  • 

Les  canaux  sont  faits  ou  à  peu  près  faits ,  excepté  ceux 
qui  n'auront  pas  d'eau,  et  qu'on  doit  alimenter  par  des 
puits  artésiens,  comme  on  le  disait  l'autre  jour.  (Rire 
général.)  La  navigation  étant  interrompue  dans  les 
rivières,  les  canaux  n'auront  pas  d'utilité.  Il  faut  donc 
s'occuper  des  rivières.  Et  qu'on  ne  vienne  pas  dire  que 
le  corps  des  ponts  et  chaussées  restera  désœuvré  et 
pourra  se  croiser  les  bras.  Non;  il  n'a  qu'à  s'occuper 
de  cette  question,  à  s'en  occuper  avec  tout  le  savoir, 
tout  le  talent,  toute  l'activité  que  tout  le  monde  connaît 
aux  individus,  aux  personnes  de  cette  administration,  et 
l'on  rendra  d'immenses  services  au  pays. 

Mais  à  présent,  on  ne  veut  s'occuper  que  de  ce  qui 
marche  vite;  on  ne  veut* travailler  qu'à  ce  qui  vole  avec 
une  extrême  rapidité. 

'    Eh  !  Messieurs,  on  peut  aller  très- vite  sur  les  ri- 
vières, on  peut  y  aller  presque  aussi  vite  que  sur  les 


ut  LES  CHEMINS  DE  FER. 

chemins  de  fer^  Je  vouô  dirai  même  qu'en  Amérique 
la  vitesse  des  bateaux  à  vapeur  est  égale  à  la  vitesse 
moyenne  des  wagons,  des  kocoraotives.  Il  y  a  en  Amé- 
rrque,  quoiqu'on  y  soit  très -aventureux  et  très-dédai- 
gneux des  accidents  qui  peuvent  arriver,  il  y  a  cependant 
des  personnes  qui  ne  veulait  s'embarqua:  sur  les  che- 
mins de  fer  qu'à  la  omlition  de  ne  pas  sauter.  C'est 
pour  cela  qu'on  a  imposé  à  certaines  compagnies  l'obli» 
gàtion  de  ne  pas  parcourir  plus  de  six  ou  sept  lieues  à 
l'heure  ;  or,  les  bateaux  à  vapeur,  en  Amérique,  vont  à 
peu  près  avec  cette  vitesse^  avec  la  vitesse  de  six  lieues 
&  l'hemie.  Vous  voyez  donc  quesi  v^is  perfectionnez  la 
navigation  à  vapeur  sur  nos  rivières,  vous  aurez  résolu 
utt  problème  de  vitesse,  puisque  c'est  la  coosîdération 
de  la  vitesse  qui  semble  vous  déterminer. 

Sur  les  canaux,  il  y  a  aussi  des  pi!oblèmes  très-dignes 
de  l'attention  la  plus  sérieuse  de  MM«  les  ingénieurs  des 
ponts  et  chaussées. 

Pendant  très-longtemps  on  s'est  arrêté  à  une  vitesse 
mesquine,  insuffisante  sur  les  canaux  ;  on  s'est  arrêté  à 
cette  vitesse ,  non  par  voie  expérimentale ,  mais  par  des 
considérations  théoriques.  On  avait  cru  que  la  théorie 
mettait  ceilaines  limites  à  la  vitesse*  Eh  bien,  cette  vitesse 
a  été  énormément  dépassée  ;  elle  Ta-  été  à  tel  peint  que , 
sur  des  canaux  que  je  pourrais  citer,  dans  des  localités 
favorisées,  on  parcourt  cinq  lieues  à  l'heure.  Vous  voilà 
bien  près  de  la  vitesse  des  cheiuins  de  fer  ;  et,  comme  je 
le  disais  hier,  les  canaux  ont  des  avantages  d'une  autre 
nature  :  ils  servent  à  tout  le  monde  ;  ils  servent  sur  tous 
les  points,  et  non  pas  seulement  aux  points  de  départ 


Les  CHEMINS  DE  FEB.  343 

et  d'arrivée.  Si  vous  leur  donnez  les  avantages  de  la 
vitesse,  vous  aurez  doté  le  pays  d'un  moyen  de  coinjnu- 
nication  qui  ne  fera  naître  de  difficultés  dans  l'esprit  de 
personne;  vous  vous  serez  occupés  encore  d'une  question 
de  vitesse. 

Vous  voyez,  je  le  répète,  qu'il  n'est  pas  exact  de 
dire  qae  si  les  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées,  en  tant 
que  copps  constitué,  travaillaient  moins  à  l'exécution  des 
chemins  de  fer,  ils  seraient  condamnés  à  rester  les  bras 
croisés.  Le  corps  des  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées 
a  d'immenses  travaux  à  faire  ;  les  rivières  et  les  canaux 
sont  deux  champs  d'expérience  et  de  travail  qui  doivent 
tout  à  &it  exciter  son  zèla  et  exercer  sa  sagacité. 

J'arrive,  Messieurs,  à  la  question  des  compagnies^ 
Y  a-t-il  des  compagnies?  N'avons-nous  pas  discuté  sur 
un  rêve?  N'avons-nous  pas  fait  à  l'administration  des 
difficultés  qui  n'auraient  pas  des  fondements-  réels? 

Je  regrette  de  n'avoir  pas  qu  ,  pour  l'examen  auquel 
je  me  suis  livré,  toute  la  perspicacité  qu'un  de  nos  hono- 
rables collègues  aurait  voulu  trouver  dans  le  rapporteur, 
la  perspicacité  d'un  régent  de  la  Banque;  cette  perspica- 
cité, je  ne  l'ai  pas,  je  le  reconnais.  Mais  aussi  dans  l'exa- 
men que  j'ai  fait  des  registres  des  compagnies,  n'ai-jc 
je  pas  eu  besoin  des  connaissances  d'un  régent  de  la 
Banque  ;  tout  ce  à  quoi  j'ai  dû  me  borner,  c'a  été  de 
rechercher  quelles  étaient  les  classes  de  la  société  qui 
avaient  souscrit,  de  rechercher  si,  dans  les  noms  des 
souscripteurs,  il  n'y  avait  pas  des  noms  que  je  connusse  ; 
queHe  était  la  portion  de  la  population  qui  s'intéressait 
à  l'exécution  des  chemins  de  fer  par  les  compagnies  ; 


34i  LES  CHEMINS  DE  FER. 

cette  investigation  était  la  seule  que  je  pusse  me  per- 
mettre ,  la  seule  qui  fût  en  mon  pouvoir  et  à  ma  portée. 
Eh  bien»  je  le  dis,  elle  a  donné  les  résultats  les  plus  satis- 
faisants, et  je  vais  les  faire  CQnnaltre  à  la  Chambre. 

Pour  le  chemin  d'Orléans,  une  compagnie  s'est  formée. 
On  ne  dira  pas  qu'on  a  voulu  faire  de  l'agiotage  ;  il  n'a 
pas  été  publié  un  article  au  nom  de  celui  qui  se  pré- 
sentait comme  le  principal  soumissionnaire,  pas  un  article 
n'a  été  inséré  dans  les  journaux,  pas  une  annonce  n'a  été 
affichée  à  la  Bourse,  et  cependant  30  millions  ont  été 
réunis;  la  promesse  formelle  et  avec  signature  de  âO 
millions,  a  été  fournie. 

J'ai  vu  toute  la  correspondance,  j'ai  vu  le  nom  det 
flouscripteurs,  et  je  puis  citer  le  nom  du  créateur  de  cette 
société  :  c'est  M.  Casimir  Lecomte^  Il  a  obtenu,  je  le 
répète,  des  promesses  de  souscriptions  pour  une  somme 
de  30  millions  dans  le  cercle  des  connaissances  de  ses 
amis,  sans  faire  une  annonce  dans  les  journaux,  sans 
faire  une  affiche  à  la  Bourse.  Cette  souscription  n'a  pas 
été  faite  seulement  à  Paris.  On  vous  a  dit  qu'il  était 
désirable  que  les  riverains  du  chemin  s'intéressassent  à 
sa  confection.  Eh  bien,  cette  condition  est  ici  remplie  ; 
vous  trouverez  dans  la  souscription  dont  je  parle,  des 
souscripteurs  d'Orléans  et  d'Étampes,  pour  une  somme 
de  2  millions,  avec  le  regret  formel  exprimé  dans  les 
termes  les  phis  vifs,  de  ce  que  M.  Casimir  Lecomte  ne 
pouvait  pas  accepter  des  souscriptions  pour  une  somme 
plus  forte. 

M.  Casimir  Lecomte  a  demandé  30  millions  de  sou^ 
criptions.  Vous  voyez  que  c'est  une  somme  qui  va  bien 


LBS  CHEMINS  DE  FER.  315 

au  delà  de  l'évaluation  qui  pour  ce  chemin  avait  été 
donnée  par  l'administration  des  ponts  et  chaussées.  Peut- 
être  que  M.  Casimir  Lecomte  se  trompe,  que  les  sous* 
cripteurs  sont  dans  l'erreur  ;  mais  cela  prouve  qu'ils  ont 
cru  que  les  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées  avaient 
fait  une  évaluation  trop  faible. 

Il  y  a  pour  ce  même  chemin  d'autres  souscriptions 
ouvertes  chez  des  banquiers  par  MM.  Gaillard,  Rampon, 
Lemoine,  Delchet  ;  et  pour  le  dire  en  passant,  deux  de  ces 
personnes  ont  fait  faire  des  études  très-sérieuses  sur  cette 
ligne  de  Paris  à  Orléans,  études  qui  n'ont  pas  été  inu- 
tiles à  radmmLsitration  des  ponts  et  chaussées  ;  car  elle  a 
profité  de  quelques  améliorations  qui  avaient  été  indiquées 
par  les  ingénieurs  de  la  compagnie. 

La  souscription  est  complète  ;  je  le  tiens  de  notre  hono- 
rable collègue  M.  Laffitte,  qui  me  l'a  déclaré,  qui  m'a 
dit  que  si  ces  souscriptions  étaient  insuffisantes,  sa  maison 
les  remplirait. 

Quant  à  Rouen  et  au  Havre,  il  existe  aussi  une  com- 
pagnie. Messieurs,  je  n'entends  pas  dire  que  l'adminis- 
tration doit  admettre  les  compagnies  dont  je  parle  ;  mais 
on  a  dit  qu'il  n'y  en  avait  pas  ;  il  faut  que  je  dise  ce  que 
j'ai  fait  et  examiné  au  nom  de  la  commission.  Ceci  n'est 
pas,  du  reste,  une  recommandation  pour  les  compagnies 
que  je  cite  ;  il  y  en  a  peut-être  d'autres  qui  sont  meilleures, 
mais  toujours  est-il  que  celles-là  existent,  et  qu'il  y  a  des 
souscriptions  formées.  Pour  le  chemin  de  Paris  à  Rouen 
et  au  Havre ,  il  y  a  sur  les  listes  de  souscriptions,  des 
signatures  de  toute  espèce,  appartenant  aux  différentes 
villes  que  le  chemin  doit  traverser.  Les  signatures  de 


3i6  LES  CHEMINS  DE  FER. 

banquiers  de  Paris  les  plus  en  réputation,  de  beaucoup 
de  députés  (j'ai  parcouru  les  noms) ,  de  niagistrats, 
d'hommes  les  plus  haut  placés  dans  la  société,  et  qui  se 
sont  engagés  pour  des  sommes  considérables.  La  sous- 
cription est  énorme  dans  cette  direction,  71  miltionsl 
Eh  bien,  cette  souscription  est  remplie  de  signatures;  Je 
ne  dis  pas  que  toutes  se  transformeront  en  écus;  raais 
la  grande  masse  est  sérieuse;  d'après  ce  que  je  puis 
savoir  toucliant  les  personnes  qui  se  sont  engagées,  il 
y  a  toute  raison  pour  croire  que  la  souscription  est  bien 
fondée. 

On  a  dit  :  En  Angleterre  il  y  a  des  possibilttés  qui 
sTexistent  pas  en  France*  Les  fortunes  ao&t  colossales, 
les  propriétaires  se  prêtent  à  l'exécution  des  chemins  de 
fer,  tandis  qtf en  France  ils  s'y  opposeut. 

On  se  trompe.  Messieurs;  en  Angleterre-, -les  grands 
propriétaires  s'opposent  à  l'exécution  des  chemins  de  fer. 
Ils  ne  s'opposent  pas,  je  le  reconnais,  à  l'exécution  des 
canaux,  mais  les  chemins  de  fer  leur  déplaisent;  ils 
cherchent  à  les  éloigner  de  leurs  demeures  dans  des 
circonstances  que  je  suis  loin  d'approuver.  Je  citerai, 
à  ce  sujet,  un  fait  qui  est  à  ma  connaissance  persomielle. 

Un  de  mes  amis,  qui  porte  un  nom  éminemment  célt»- 
bre  dans  la  mécaniqae,  possède  près  de  Birmingham  un 
magnifique  parc  que  devait  traverser  le  chemin  de  fer, 
mais  à  une  telle  distance  du  château  que  Je  n'y  voyais 
pas,  quant  à  moi ,  d'inconvénient.  Eh  bien ,  mon  ami  a 
plaidé  contre  la  compagnie ,  il  a  plaidé  avec  une  telle 
persistance  que  les  frais ,  quoiqu'il  ait  eu  gain  de  cause , 
ont  été  de  70,000  fr.  Voilà  un  des  exemples  de  l'intérêt 


LES  CHEMINS  DE  FER.  3i7 

qu'en  Angleterre  les  grands  propriétaires  portent  à  Texé- 
cution  des  chemins  de  fer. 

Passons  à  une  autre  considération.  En  Angleterre ,  un 
petit  nombre  de  personnes  suffit  pour  remplir  les  plus 
larges  souscriptions.  C'est  encore  une  erreur  qui  tombe 
devant  les  faits,  devant  la  statistique.  Examinez  sur  un 
total  de  396  millions  qui  ont  été  réunis  par  les  compa- 
gnies de  chemins  de  fer,  combien  il  y  a  de  souscripteurs 
pour  une  somme  de  plus  de  250,000  fr.,  vous  n'en  trou- 
verez que  149  ;  c'est  14  pour  cent  du  total ,  et  la  moyenne 
de  la  souscription^  de  ces  149  souscripteurs  n'est  que  de 
370,000  fr. 

En  France,  pour  le  chemin  de  Paris  à  Rouen ,  combien 
y  a-t-il  de  souscripteurs  pour  une  somme  au-dessus  de 
500,000  fr.  ?  11  y  en  a  9  ;  de  401,000  à  500,000  fr.,  il  y 
en  a  6;  de  301,000  à  400,000  fr.,  il  y  en  a  4;  de 
201,000  à  300,000  fr.,  il  y  en  a  14,  et  de  101,000  à 
200,000  fr. ,  il  y  en  a  39;  vous  voyez  avec  quelle  rapidité 
nous  approchons  du  nombre  des  souscripteurs  qui ,  pour 
la  totalité  des  travaux  de  l'Angleterre,  ont  donné  des 
sommes  un  peu  fortes.  Ne  disons  donc  plus  qu'il  y  a  une 
différence  éwrme  entre  la  nature  des  souscriptions  an- 
glaises et  celles  que  nous  pouvons  espérer  en  France. 
Dans  notre  pays  l'esprit  d'association  s'est  assez  déve- 
loppé, a  déjà  assez  d'activité  pour  que  vous  puissiez 
espérer  que  les  capitalistes  prendront  un  intérêt  très-vif  à 
l'exécution  de  ces  grands  travaux. 

Il  y  a  une  considération  importante  que  vous  ne  devez 
pas  perdre  de  vue ,  c'est  la  considération  des  fonds  étran- 
gers. Si  le  gouvernement  fait  les  chemins ,  vous  ue  serez 


348  LES  CHEMINS  DE  FER. 

pas  aidés  par  un  seul  capitaliste  étranger  ;  si  ce  sont  des 
compagnies ,  vous  pouvez  espérer  que  les  fonds  de  nos 
voisins  viendront  concourir  à  l'amélioration  de  notre  sol 
et  de  nos  voies  de  communication,  pour  des  sommes 
importantes.  Dans  la  souscription  pour  le  chemin  de  Paris 
au  Havre,  je  trouve  8  millions  de  souscriptions  venant 
de  rétranger;  je  trouve  dans  les  départemens  en  dehors 
des  chemins  de  fer,  â  millions,  et  sur  la  ligne  du  che- 
min de  la  Vallée,  plus  de  A.  millions;  pour  les  ban- 
quiers de  Paris,  6  millions,  et  enfin,  de  négociants, 
d'agents  de  change,  de  rentiers  de  Paris,  chacun  avec 
sa  signature,  des  engagements  pour  &9  millions.  Les 
étrangers  entrent  dans  le  total  pour  une  part  très-consi- 
dérable à  laquelle  il  faudrait  renoncer,  si  vous  mainteniez 
le  système ,  que  les  chemins  de  fer  doivent  être  exécutés 
par  le  gouvernement. 

11  y  a  une  compagnie  pour  le  chemin  de  fer  de  Paris 
à  Tours,  ce  chemin  n'était  pas  proposé  par  le  gouverne- 
ment ;  il  ne  figure  pas  dans  l'exposé  des  motifs  ;  par  con- 
séquent je  n'ai  pas  vérifié  les  registres  de  souscription» 

Arrivons  au  chemin  de  Belgique  pour  lequel  on  a  dit 
catégoriquement  qu'il  n'y  avait  pas  de  souscription; 
Messieurs,  il  y  en  a  une  ouverte  à  Paris,  chez  notre 
honorable  collègue  M.  Fould,  et  qui  est  arrivée  à  40  mil- 
lions. A  sa  tête,  comme  gérants,  comme  soumission- 
naires principaux,  figurent  des  personnes  honorables, 
MM.  Blacque,  Brouillard  et  Maurçncq.  Peut-on  dire,  dans 
les  circonstances  actuelles,  avec  l'opinion  si  prononcée 
du  gouvernement  contre  la  concession  du  chemin  de 
Belgique  à  une  compagnie,  que  ce  soit  peu  de  chose 


LES  CHEMINS  DE  FER.  S49 

d'avoir  obtenu  40  millions  en  peu  de  jours ,  lorsqu'il  est 
évident  que  les  souscripteurs  qui  veulent  avoir  un  place- 
ment réel  doivent  être  retenus  par  la  déclaration  formelle 
du  gouvernement.  Qui  oserait  soutenir  que  le  jour  où  le 
gouvernement,  cédant  à  l'influence  de  la  Chambre,  décla- 
rera que  ce  chemin  sera  exécuté  par  une  compagnie ,  la 
souscription  ne  serait  pas  totalement  remplie? 

Un  grand  capitaliste  étranger,  un  grand  manufacturier, 
M.  Cockerill ,  a  été  cité  dans  la  discussion.  M.  le  direc- 
teur général  a  déclaré  qu'il  ne  l'avait  pas  vu  récem- 
ment. 

Puisque  M.  le  directeur  général  Ta  dit,  le  fait  doit  être 
vrai.  Mais  je  ne  crois  pas  que  M.  le  ministre  des  travaux 
publics  fasse  la  mêiine  réponse. 

M.  LE  Ministre  des  travaux  publics.  C'est  vrai;  je  Tai  vu. 

M.  Arago.  Eh  bien ,  M.  Cockerill  a  déposé  une  sou- 
mission le  12  avril,  une  soumission  formelle,  acceptable 
ou  non  acceptable ,  je  ne  décide  rien  ;  peut-être  y  a-t-il 
des  modifications  à  faire  ;  peut-être  en  demanderais-je  si 
elle  m'était  présentée  et  si  j'avais  à  l'apprécier  comme 
membre  de  la  Chambre;  toujours  est-il  qu'il  y  a  une  sou- 
mission formelle. 

Le  fait  cependant  avait  été  nié;  M.  le  président  du 
conseil  avait  dit  qu'il  n'y  avait  pas  de  soumission  pour  le 
chemin  de  Belgique.  Puisque  le  fait  n'est  plus  nié  main- 
tenant, je  ne  lirai  pas  cette  soumission  dont  un  de  nos 
collègues  m'a  donné  copie. 

M.  Cockerill  s'impose  deux  conditions  auxquelles  il  ne 
demande  pas  mieux  que  de  souscrire  au  gré  du  ministère, 
et  qui  doivent  éloigner  toute  pensée  d'agiotage,  alors 


350  LES  CHEMINS  DE  FER. 

même  que  le  cafraetère  de  M.  Cockerill  ne  serait  pas  une 
garantie  suffisante^de  Tîntention  la  plus  prononcée  d'exé- 
cuter le  chenjîn  de  fer  et  de  Texécuter  avec  tout  le  soin 
possible.  Ces  conditions,  les  voici: 

En  cédant  à  la  préoccupation  très-juste,  et  à  laquelle 
f applaudis,  qu'avaient  fait  naître  les  scandales  de  la 
Bourse,  les  scandales  de  Tagiotage,  on  a  cru  un  moment 
que  toute  soumission  était  une  spéculation  et  devait  donner 
lieu  à  un  agiotage  effréné.  Eh  bien,  M.  €ockeriîl  a  pris 
soin  de  rassurer  l'administration.  Il  lui  a  dît  :  t  Si  vous 
craignez  qu'on  ne  veuille  faire  de  ma  soumission  un  objet 
d'agiotage,  j'exécuterai  le  chemin  de  fer  avec  des  fonds 
tous  pris  à  l'étranger;  je  ne  prendrai  pas  un  sou  en 
France.»  Cependant,  comme  le  chemin  de  Belgique  est 
un  chemin  qui  doit  donner  des  produits  avantageux,  il  a 
ajouté  :  «  J'accorderai  aux  capitalistes  français  le  montant 
de  la  souscription  que  vous  voudrez  bien  m' assigner;  ce 
sera  le  quart ,  la  moitié  ou  les  trois  quarts ,  mais  si  voué 
craignez  tellement  l'agiotage  que  vous  ne  vouliez  pas 
laisser  exécuter  le  chemin  avec  des  fonds  français ,  je  le 
ferai  tout  entier  avec  des  fonds  étrangers.  » 

S'agit-il  de  savoir  à  quel  point  est  arrivée  maintenant 
sa  souscription  ;  M.  Cockerill  m'a  fait  savoir  avant-hier 
qu'il  avait  déjà  104  millions  de  souscriptions  condition- 
nelles, dont  on  justifiera  au  besoin;  mais  toujoui*s  est-il 
que  je  suis  loin  de  prétendre  que  vous  deviez  admettre 
cette  soumission  sans  examen,  sans  discussion;  je  vou- 
lais seulement  prouver,  contrairement  à  l'assertion  de 
M.  le  président  du  conseil,  qu'il  existe  au  moins  deux 
compagnies  poiu*  le  chemin  de  Belgique. 


V 


LES  CHEMINS  DE  FER.  SM 

Ce  chemin  de  Belgique,  qui  est  la  pierre  d'achoppe- 
ment, examinons-le  en  face,  et  voyons  au  vrai  ce  qu'il 
faut  en  penser. 

Hàtons-nous,  nous  dit-on,  faisons  le  chemin  de  Bel- 
gique, ne  perdons  pas  de  temps;  si  nous  perdons  un 
instant,  tout  est  fini. 

Mais,  est-ce  que  la  Belgique  s'est  beaucoup  préoccupée 
de  ses  communications  avec  la  France?  La  Belgique  s'est 
occupée  d'elle-même,  s'est  occupée  de  ses  relations  inté- 
rieures, de  ce  qui  la  concernait,  et  non  pas  de  ce  qui 
concernait  un  pays  voisin.  Eh  bien,  faisons  comme  elle; 
imitons  la  Belgique  en  ce  point ,  occupons-nous  de  nos 
intérêts,  de  nos  intérêts  les  plus  vifs,  et  ne  nous  préoccu- 
pons pas  de  ce  que  peut  faire  la  Belgique  ;  vous  allez  voir 
que  là  on  nous  a  présenté  des  difficultés  qui  s'évanouissent 
lorsqu'on  les  examine  de  front. 

Je  disais  que  la  Belgique  n'avait  pas  beaucoup  songé 
à  ses  communications  avec  la  France.  En  eff'et,  il  n'y  a 
rien  de  commencé  dans  la  direction  de  Gand  et  de 
Bruxelles  à  notre  frontière. 

A  entendre  les  orateurs  qui  ont  parlé  dans  le  sens  du 
gouvernement,  on  aurait  pu  croire  que  de  notre  fron- 
tière on  allait  toucher  de  la  main  les  chemins  belges.  Eh 
bien  ,  on  n'y  a  pas  encore  travaillé.  On  fait  un  chemin 
d'Ostende  à  Bruxelles  et  de  Bruxelles  à  Liège  ;  les  autres 
n'ont  pas  été  faits.  On  a  présenté  comme  fait  un  che- 
min qui  doit  aller  de  Bruxelles  à  Aix-la-Chopelle,  et 
cependant  il  n'y  a  presque  rien  d'exécuté  ;  je  m'en  suis 
informé;  et  c'est  si  \Tai,  que  les  ingénieurs  belges  étaient 
encore,  il  y  a  peu  de  temps,  dans  la  forêt  d'Aix-la-Cha- 


352  LES  CHEMINS  DE  FER. 

pelle  à  chercher  la  direction  dans  laquelle  passerait  le 
tunnel.  Il  n'y  a  donc  pas  de  chemin  avancé,  il  n'y  a  pas 
même  de  projet  arrêté. 

Hàtons-nous  cependant  de  faire  le  chemin  de  Belgique, 
car  je  demande  qu'on  fasse  les  chemins  de  fer  le  plus 
promptement  possible  ;  mais  qu'on  ne  vienne  pas  nous 
prêcher  l'urgence,  lorsque  les  Belges  n'ont  rien  fait  dans 
les  directions  de  Gand  et  de  Bruxelles  à  la  France. 

M.  le  ministre  des  travaux  publics  vous  a  dit  que  Tan 
dernier  il  avait  abandonné  les  idées  qui  le  maîtrisaient, 
qu'il  professe  encore  cette  année,  afin  de  se  conformer  à 
l'opinion  présumée  de  la  chambre.  Il  croyait  l'an  der- 
nier ,  avant  de  présenter  la  loi ,  que  le  gouvernement  ne 
devait  laisser  faire  les  chemins  que  par  des  compagnies; 
et  il  lui  paraissait  telleinent  urgent  de  faire  les  chemins 
de  fer,  que,  contre  ses  principes,  contre  ses  convictions , 
il  avait  proposé  de  faire  faire  le  chemin  de  Belgique  par 
une  compagnie. 

Mais  il  a  été  articulé  ici,  par  l'honorable  M.  Berrycr, 
un  fait  très  -  grave  sur  lequel  il  semble  qu'il  est  néces- 
saire que  le  gouvernement  s'explique.  Est -il  vrai  que 
le  gouverment  a  eu  la  pensée  de  doter  le  pays  de  che- 
mins de  fer  avec  une  telle  vivacité,  qu'il  ait  abandonné 
toutes  ses  convictions,  et  dans  ce  cas  comment  se  fait-il 
qu'il  n'ait  pas  fait  disparaîtra  la  seule  difficulté,  j'ose  le 
dire,  qui  l'année  dernière  a  empêché  de  concéder  le  che- 
min de  la  Belgique  à  M.  Cockerill?  Cette  difficulté,  c'était 
la  subvention  ;  tout  le  monde  se  rappellera  que  c'était 
parce  que  le  gouvernement  proposait  de  donner  vingt 
millions  à  M.  Cockerill,  que  la  Chambre  rejeta  le  chemin. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  353 

Eh  bien,  avant  la  fin  de  la  discussion,  M.  Gockcriil  pré- 
senta au  ministère  une  déclaration  telle  que,  avec  une 
modification  du  tarif,  il  consentait  à  renoncer  aux  vingt 
millions.  Or,  cette  modification  n'a  pas  été  communiquée 
à  la  Chambre.  Je  demande  d'après  cela  s'il  est  bien  vrai 
que  l'année  dernière  le  gouvernement  ait  voulu  à  tout 
prix,  même  contre  ses  convictions,  doter  la  France  d'un 
chemin  de  fer? 

On  nous  a  dit  que  si  nous  ne  faisions  pas  promptement 
le  chemin  de  Belgique,  la  Belgique  se  dégoûterait! 

Se  dégoûterait!  et  de  quoi?  Gomment  I  la  Belgique  se 
dégoûterait?  Est-ce  nous  qui  sommes  un  allié  incommode 
pour  la  Belgique?  Comment!,  elle  est  envahie  par  les 
Hollandais,  et  aussitôt  une  armée  française  vient  à  son 
secours  ;  une  de  ses  villes  est  dans  les  mains  de  ses  enne- 
mis, et  nous  faisons  le  siège  de  la  citadelle,  et  nous  nous 
en  emparons  pour  la  restituer  à  la  Belgique!  Des  bûcherons 
hollandais  paraissent  dans  une  forêt,  et  M.  le  ministre  de 
la  guerre  de  France  nous  a  déclaré  qu'il  n'a  pas  dormi 
pendant  toute  une  nuit  en  entendant  le  bruit  des  bûche- 
rons ;  et  la  Belgique  se  dégoûterait  de  nous?  (  Rires 
d'assentiment.) 

II  y  a  des  personnes  en  France  qui  se  serviraient  avec 
plus  de  raison  de  l'expression  de  M.  le  comte  Mole,  en 
l'appliquant  à  la  Belgique.  Que  fait-elle  pour  nous  la  Bel- 
gique? A-t-elle  essayé  de  mettre  un  terme  à  cette  fabrique 
de  contrefaçon  qui ,  à  Bruxelles ,  opère  la  ruine  de  tout 
notre  commerce  de  librairie?  Quelle  est  la  concession 
qu  elle  nous  a  faite  ?  Le  ministère ,  dans  des  vues  aux- 
quelles j'applaudis,  a  cherché  à  établir  un  contrat  entre 
v.-n.  23 


354  LES  CHEMINS  DE  FER. 

toutes  les  nations  de  T  Europe  pour  que  cet  inqualifiable 
brigandage  cessât  d'exister.  Je  n'ai  pas  entendu  dire  que 
la  Belgique  se  montrât  très-empressée  à  entrer  dans  cette 
coalition  honorable,  dans  cette  coalition  littéraire  et  scien- 
tifique que  toutes  les  nations  de  TEurope  paraissent  dis- 
posées à  former  contre  de  véritables  forbans.  L'Angle- 
teiTe,  à  <5et  égard,  s'est  montrée  très-libérale;  mais, 
quant  à  la  Belgique,  elle  continue  son  système  d'exploita- 
tion, au  détriment  de  notre  commerce,  de  notre  librairie; 
et  d'ici  à  peu  de  temps,  pour  peu  que  les  choses  continuent 
sur  ce  pied,  vous  verrez  toute  notre  librairie  complète- 
ment ruinée.  {  Nombreuses  marques  d'assentiment.  ) 

La  Belgique  se  dégoûtera,  si  nous  ne~  lui  faisons  pas 
un  chemin  de  fer  1  Quel  est  donc  son  intérêt  ? 

Le  transit  ?  Mais  si  nous  le  prenons  comme  le  gouver- 
ment  avait  voulu  Fenvisager,  sous  un  pomt  de  vue  res- 
treint ,  le  transit  est  sans  importance  et  la  Belgique  ne 
se  dégoûtera  pas  pour  cela.  Si  vous  l'envisagez  sous 
le  rapport  de  l'influence  qu'il  exercera  sur  les  ports  de 
mer,  vous  ne  devez  pas  le  favoriser  ;  car  ce  sera  tout  au 
profit  de  la  ville  d'Anvers,  et  par  conséquent  au  détri- 
ment de  nos  ports  de  la  Manche,  au  détriment  du  Havre, 
de  Dunkerque,  de  Calais  et  de  Boulogne.  Si  donc  c'est 
dans  la  vue  de  favoriser  ce  transit  que  vous  exécutez  le 
chemin  de  fer  de  Paris  à  la  frontière  de  Belgique ,  je  dis 
que  la  Chambre  ne  doit  pas  s'associer  à  vos  Tues. 

Les  voyageurs  ?  Eh  I  mon  Dieu,  quand  ils  auront 
dépassé  la  frontière  belge,  je  serais  étonné  que  le  gouver- 
nement  belge  leur  portât  une  telle  tendresse ,  une  telle 
sollicitude,  qu'il  se  fâchât  contre  nous,  si  nous  ne  les  fiai- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  355 

sîons  pas  voyager  jusqu'à  Paris  sur  un  chemin  de  fer.  Ils 
nous  abandonneront  1  et  où  iront-ils  donc  ?  peut-être  au 
lieu  de  venir  entendre  l'Opéra  de  Paris,  ils  iront  à  l'Opéra 
de  Cologne.  { Rires  et  bruits.  )  Je  ne  crois  pas  que  nous 
ayons  rien  de  pareil  à  redouter. 

Messieurs,  examinez  la  question,  examinez- la  sous 
toutes  ses  faces  ;  examinez  quel  est  Fintérêt  que  la  Bel- 
gique peut  avoir  à  ce  que  vous  exécutiez  tout  de  suite  le 
chemin  de  fer  de  Paris  à  la  frontière  belge ,  et  vous  ver- 
rez que  cet  intérêt  est  très-minime  pour  elle.  Et  cela  est  si 
vrai  que,  quand  on  interroge  les  Belges  sur  l'importance 
de  ce  chemin,  ils  vous  répondent  qu'ils  ne  la  comprennent 
pas. 

Depuis  que  la  question  est  en  discussion  ,  nous  avons 
voulu  savoir,  puisque  le  gouvernement  ne  s'expliquait 
pas  avec  plus  de  clarté,  ce  qu'il  y  avait  au  fond  de  la 
question,  et  ceux  d'entre  nous  qui  ont  des  relations  avec 
la  Belgique  ont  écrit  dans  ce  pays  pour  connaître  l'opinion 
des  Belges  eux-mêmes.  La  réponse  a  été  à  peu  près  una- 
nime :  on  a  dit  qu'on  ne  savait  pas  où  était  la  question 
intéressante  qui  se  trouvait  au  fond  d'une  proposition  que 
le  gouvernement  faisait  si  grosse  d'importance;  qu'on 
ferait  bien  d'avoir  un  chemin  de  la  frontière  belge  à 
Paris,  mais  que  ce  n'était  pas  là  un  objet  qui  les  intéres- 
sât à  tel  point  qu'ils  se  brouillassent  avec  nous,  si  nous  ne 
l'exécutions  pas. 

Au  surplus,  quand  il  serait  vrai  que  la  Belgique  pût  se 
dégoûter  de  son  alliance  avec  la  France ,  dans  le  cas  où 
nous  ne  ferions  pas  le  chemin  de  fer,  nous  pouvons  répon- 
dre que  nous  ne  voulons  pas  la  priver  de  ce  chemin  de 


356  LES  CHEMINS  DE  FER. 

fer.  Est-ce  qu'un  chemin  de  fer  exécuté  par  une  compa- 
gnie ne  portera  pas  les  voyageurs ,  comme  s'il  était  exé- 
cuté par  le  gouvernement?  Est-ce  qu'un  chemin  de  fer 
exécuté  par  une  compagnie  ne  portera  pas  les  marchan- 
dises comme  s'il  était  exécuté  par  le  gouvernement? 
Toutes  les  propriétés  du  chemin  de  fer  exécuté  par  le 
gouvernement  sont  applicables  au  chemin  exécuté  par  les 
compagnies  (Approbation  à  gauche.  ),  et  par  conséquent 
la  Belgique  ne  se  dégoûtera  pas,  pour  revenir  encore 
une  fois  sur  cette  expression,  puisque  la  commission  pro- 
pose de  faire  exécuter  le  chemin  de  fer  :  seulement  elle  ne 
croit  pas  que  le  gouvernement  doive  l'exécuter,  quand  il 
y  a  des  compagnies  qui  se  présentent,  et  j'espère  avoir 
prouvé  qu'il  y  en  a. 

En  résumé,  Messieurs,  la  commission  a  reculé  surtout 
devant  des  considérations  financières  :  elle  n'a  pas  trouvé 
que  les  voies  et  moyens  proposés  par  le  gouvernement 
fussent  en  rapport  avec  l'immensité  des  projets  qui  étaient 
présentés  ;  elle  n'a  pas  trouvé  que  les  voies  et  moyens 
dont  a  parlé  M.  le  ministre  des  fmances,  assurassent 
Texécution  des  chemins  de  fer;  par  conséquent,  je  viens 
eu  son  nom  persister  dans  ses  conclusions.  (Approbation 
à  gauche.  ) 

[Après  une  réponse  de  M.  Martin  (du  Nord),  ministre  des  travaux 
publics,  le  projet  du  gouvernement  a  été  mis  aux  voix  et  rejeté  par 
196  voix  contre  69.] 


LES  CHEMINS  DE  FER.  357 


SUR    LES    PETITES    DES    CHEMINS    DE    FER 

[A  Toccasion  de  la  discussion  du  projet  de  loi  sur  la  concession 
(lu  chemin  de  fer  de  Paris  à  Rouen ,  dans  la  séance  de  la  Chambre 
des  députés  du  16  juin  18^0,  M.  Arago  a  été  conduit  à  prononcer 
quelques  paroles  sur  les  difficultés  que  les  pentes  des  jchemins  de 
fer  peuvent  faire  naître.  Nous  extrayons  ses  paroles  du  Moniteur 
du  17  juin.  ] 

On  a  parié  des  difficultés  de  sortie  de  Rouen,  on  a 
parlé  de  pentes  excessives,  des  difficultés  que  ces  pentes 
pourraient  faire  naître.  Messieurs,  la  science  des  chemins 
de  fer  a  fait  de  tels  progrès  que  Ton  peut  évaluer  les 
vitesses  à  la  montée  et  à  la  descente  avec  une  approxi- 
mation qui  donne  exactement  les  chiffres  des  dixièmes. 

Je  suppose  que  vous  marchez  horizontalement  avec 
une  vitesse  de  10  lieues  à  l'heure.  Voyons  ce  qui  arrivera 
en  montant. 

Avec  une  pente  de  1  millimètre  1/2,  un  train  do 
50  tonnes  vous  donnera  une  vitesse  de  9  lieues  ;  avec  une 
pente  de  2  millimètres,  la  même  machine  vous  donnera 
une  vitesse  de  8  lieues. 

Avec  une  pente  de  7  millimètres ,  et  M.  le  secrétaire 
général  des  ponts  et  chaussées  vient  de  me  dire  que  la 
pente  pour  le  chemin,  au  sortir  de  Rouen,  n'excédera  pas 
5  millimètres;  avec  une  pente  de  7  millimètres,  la  vitesse 
ne  sera  réduite  qu'à  6  lieues. 

Je  suppose  que  la  machine  continue  à  fonctionner,  et 
que  par  un  mouvement  descendant  elle  agisse  sur  les 
wagons  comme  elle  agissait  sur  le  train  en  montant. 


358  KES  CHEMINS  DE  F£B. 

Horizontalement  vous  avez  toujours  la  vitesse  de  10  lieues; 
avec  une  pente  de  1  milliraètre  1/2,  vous  aurez  11  lieues; 
avec  2  millimètres  de  pente,  12  lieues  ;  avec  6  millimètres 
de  pente,  16  lieues.  Remarquez  bien  que  dans  ces  cal- 
culs les  limites  demandées  pour  les  wagons  ne  sont  pas 
dépassées. 

On  voyait  un  corps  tomber  de  Fatmosphère  avec  une 
vitesse  prodigieuse  et  l'on  avait  pensé  qu*un  wagon  tom- 
berait avec  la  même  rapidité. 

On  avait  négligé  une  chose  impcartante  et  capitale,  la 
résistance  de  Tair.  KL.  de  Pamboisr^  dont  le  nom  fait 
autorité  en  cette  matière»  .a  fait,  des  expériences»  il  a 
déterminé  quel  était  le  maximum  possible  des  vitesses 
d'un  chemin  très-incliné  »  et  vous  allez  voir  que  ce  maxi* 
miuD  est  td^  sur  les  chemins  h^zontaux. 

Supposez  que  vous  abandonniez  un  tsaôn  de  100"  tonnes 
à  lui-inéme  ;  avec  5  millimètres  de  pente,  vous  aurez  jxm 
vitesse  qui  ne  dépassera  pas  10  lieues.  Supposez  que  vous 
abandonniez  des  wagons  sur  une  pente  de  7 millimètres, 
vous  n'aurez  jamais  une  vitesse  supérieure  à  lA.  lieues. 
Supposez  enfin  que  vous  abandonniez  un  train  de  1:00 
tomies  sur  une  pente  de  10  millimètres,  vous  ii*aurez 
jamais  une  vitesse  plus  grande  que  19  lieues.  Or,  cette 
vitesse  est  tolérée  sur  un  terrain  horizontal.  Pîar  consé* 
quent»  vous  n'avez  pas  plus  de  sujet  de  cramte  sur  une 
pente  de  10  millimètres  que  sur  un  chemin  horizontal. 

J'espère  que  ces  chiffres  feront  disparaître  les  préjugés 
de  dangers  extraordinaires  qu'on  prétait  aux  pentes  des 
chemins  de  fer. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  359 

[Dans  la  séance  du  15  juillet  iSkà^  à  l^occaslon  de  la  discussion 
du  projet  de  loi  sur  le  cliemin  de  fer  d'Orléans  à  Bordeaux,  M.  Arago 
est  revenu  sur  la  question  des  pentes  des  chemins  de  fer.  Nous 
reproduisons  les  paroles  qu'il  a  prononcées  pour  appeler  l'attention 
sur  les  économies  que  procurerait  l'adoption  de  pentes  plus  fortes 
que  celles  admises  par  l'administration.  ] 

M.  Arago.  J'ai  cru  entendre  tout  à  l'heure  M.  le  mi- 
nistre des  travaux  publics  dire  qu'il  n'y  avait  sur  le 
chemin  de  Bordeaux  aucune  difficulté  de  tracé.  Je  lui 
demanderai  alors  d'avoir  la  bonté  de  ra'expliquer  la  cir- 
constance suivante.  Il  y  a  un  promontoire  entre  Libourne 
et  Bordeaux ,  entre  la  Dordogne  et  la  Garonne.  Ce  pro- 
montoire, il  faut  le  franchir  pour  aller  d'une  rivière  à 
l'autre.  L'ingénieur .  qui  a  été  chargé  de  ces  travaux  a 
suivi  les  errements  de  M.  le  ministre,  qui  ne  voulait  pas, 
dépasser  une  pente  de  3  millimètres.  Eh  bien ,  il  en  est 
résulté  que  la  dépense  pour  cet  intervalle  de  12  kilo- 
mètres sera  de  16  à  18  millions. 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Pour  la  totalité  do  la  dé- 
pense à  la  charge  de  l'État,  la  voie  de  fer  comprise. 

M.  Arago.  Il  en  résulterait  que  le  kilomètre  coûterait 
500,000  fr.  à  peu  près.  Lorsqu'on  songe  que ,  dans  ces 
intervalles ,  il  n'y  a  pas  de  terrains  d'une  haute  valeur, 
qu'il  y  a  très-peu  de  propriétés  bâties  ;  cette  dépense  est 
énorme.  Je  demande  si ,  lorsqu'on  a  dit  qu'il  n'y  avait 
pas  de  difficulté  sur  le  tracé ,  on  a  toujours  entendu  que 
la  pente  serait  de  3  millimètres. 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  La  ponto  proposée  est  de 
3  millimètres;  mais  il  y  a  des  terrains  très-marécageux,  c'est  la 
plus  grande  cause  de  la  dépense. 

M.  Arago.  Le  terrain  marécageux,  à  raison  du  tracé 
8ur  une  pente  de  â  millimètres  »  exige  des  aqueducs. 


360  LES  CHEMINS  DE  FER. 

M.  Legrand.  Il  faut  en  faire  partout  pour  Técoulemeut  des  eaux. 

M.  Arago.  Je  demande  si  Ton  s'est  déterminé  dans  ce 
projet  pour  une  pente  de  3  millimètres. 

M.  Legraisd.  Non. 

M.  Arago.  Vous  avez  donc  modifié  votre  projet? 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAvx  PCBLIG8.  U  y  a  deux  projets,  Ton 
coûterait  il  millions  et  Tantre  16  millions. 

M,  Arago.  Seize  millions!  Dans  Tun  on  passerait  par 
le  bec  d*Ambez,  dans  l'autre  on  aborderait  directement. 
Dans  Tun  et  Tautre  projet  il  en  coûterait  16  millions. 
(Non  I  non  !  )  Cette  dépense  est  énorme. 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Jc  puis  douner  satlsfactiou 
à  rhonorable  M.  Arago  ;  nous  pouvons  atteindre  au  but  d'une  ma- 
nière moins  dispendieuse  en  admettant  des  pentes  de  8  millimètres. 

M.  Arago.  Vous  feriez  une  économie  d'un  quart,  si 
vous  alliez  seulement  à  7  millimètres. 


VI 

NécESsrrÉ  de  soumettre  a  l'expérience  les  nouveaux 

SYSTÈMES   de  CHEMINS  DE   FER 

[Dans  la  discussion  du  projet  de  loi  relatif  au  chemin  de  fer 
de  Paris  à  Strasbourg,  le  2  juillet  18M,  M.  Arago  avait  présenté 
rarticle  additionnel  suivant  : 

«  Le  ministre  des  travaux  publics  est  autorisé  à  accepter  la  pro- 
position qui  lui  a  été  soumise  par  la  compagnie  des  canaux  de  Paris, 
de  faire  sur  la  berge  droite  du  canal  de  TOurcq,  de  Paris  à  Bondy, 
et  sous  rinspection  des  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées  désignés 
à  cet  effet  par  le  gouvernement,  un  essai  du  système  atmosphé- 
rique combii^é  avec  le  système  de  voitures  articulées  de  M.  Charles 
Arnoux. 

«  L'expérience  devra  être  complétée  avant  Touverture  de  la  pro- 
chaine session. 

«  Les  dépenaes  relatives  &  cette  expérience  resteront  à  la  charge 


LES  CHEVINS  DE  FER.  364 

de  cette  compagDie,  si  elle  devient  concessionnaire  de  la  ligne  de 
TEst. 

«  bans  le  cas  contraire,  le  montant  de  ces  dépenses,  réglé  par 
les  ingénieurs  du  gouvernement,  sera  remboursé  à  la  compagnie 
des  canaux  de  Paris,  soit  par  la  compagnie  adjudicataire  de  ladite 
ligne,  soit  par  TÉtat  s'il  reste  chargé  de  son  exploitation.  » 

M.  Arago  a  développé  son  opinion  dans  le  discours  suivant  :  ] 

Messieurs ,  depuis  quelques  semaines  on  a  beaucoup 
parlé  à  cette  tribune,  de  compagnies,  d*agiotage,  de  la 
puissance  financière  du  gouvernement ,  de  la  puissance 
financière  des  associations,  de  la  direction  générale  à 
donner  à  tel  ou  tel  chemin  de  fer.  Ces  questions  sont 
épuisées. 

Mon  point  de  vue  est  entièrement  différent.  Je  désire 
porter  Inattention  de  la  Chambre  sur  la  partie  technique 
du  problème  ;  j*examinerai  si  les  conditions  de  tracé  que 
l'administration  s'impose,  sont  en  harmonie  avec  l'état 
actuel  de  l'art  et  de  la  science;  s'il  n'y  a  pas,  sous  ce 
rapport,  plus  d'un  anachronisme  à  signaler  dans  les  pres- 
criptions qui  aujourd'hui  servent  de  règle  à  nos  très- 
habiles  ingénieurs. 

Mes  remarques  pourront  paraître  tardives.  Peut-être , 
néanmoins ,  leur  accordera-t-on  quelque  attention ,  si  je 
parviens  à  prouver  que  sans  changer  en  rien  les  tracés 
généraux  adoptés,  les  modifications  que  je  proposerai 
dans  les  détails  de  construction  et  dans  les  systèmes, 
produiraient  seulement  sur  les  terrassements  et  les  ou- 
vrages d'art  relatifs  aux  4,000  kilomètres  de  chemins 
projetés,  une  économie  de  200  à  300  millions.  (Mouve- 
ment d'étonnement  et  d'hilarité.  ) 

Je  sais  que  j'ai  à  justifier  ce  chiffre  ;  je  n*y  manquerai 


362  LES  CHEMINS  DE  FER. 

pas.  Aussi ,  je  me  permettrai  de  dire  en  ce  moment,  rira 
bien  qui  rira  le  dernier. 

La  considération  d'économie  n'est  pas  la  seule  que  je 
veuille  invoquer.  Les  développements  auxquels  je  vais  me 
livrer,  démontreront,  j'espère,  que  le  mot  impossible  ne 
sera  plus  une  réponse  valable  aux  demandes  des  députés 
qui,  comme  l'honorable  M.  Boudousquié,  viendront  à 
cette  tribune  solliciter  des  chemins  de  fer  pour  les  régions 
monUieuses  du  territoire.  Si  je  n'ai  pas  gazé  ce  qu'il  y  a 
d'étrange  dans  mon  thème,  c'est  que  je  suis  certain  d'allé 
jusqu'à  la  démonstration. 

Je  crois  que  nous  avons  suivi  une  mauvaise  marche  m 
votant  les  lois  sur  les  chemins  de  fer,  et  le  reproche 
s'adresse  bien  plus  à  nous  députés  qu'au  gouvernement  ; 
je  crois  que  nous  n'aurions  pas  dû  commencer  tant  de 
chemins  à  la  fois  ;  je  crois  qu'il  aurait  été  sage,  pour  ne 
pas  engager  l'avenir,  de  porter  toutes  nos  ressources  sur 
un  seul  chemin,  de  l'achever  et  de  n'en  entreprendre  un 
second  que  quand  le  premier  serait  arrivé  à  son  terme. 
De  cette  manière,  vous  auriez  pu  profiter  des  progrès  de 
l'art  et  de  la  science. 

Mais  est- il  vrai  que  les  progrès  de  l'art  de  la  locomo- 
tion à  la  vapeur  soient  aussi  rapides  qu'on  le  prétend  ?  Si 
vous  consentez  à  m' écouter  pendant  cinq  à  six  minutes, 
vous  verrez  ce  qu'était  l'art  il  y  a  quelques  années  et  ce 
qu'il  est  aujourd'hui;  vous  reconnaîtrez  qu'aucune  branche 
de  la  mécanique  ne  s'est  jamais  développée  avec  autant 
de  vigueur  et  de  sûreté. 

Les  machines  à  vapeur  n'ont  été,  pendant  longtemps, 
que  des  pompes  d'épuisement,  des  pompes  destinées  à 


^ 


LES  CHEMINS  DE  FBfi.  363 

élever  de  l'eau  ;  on  les  appelait  alors  pompées  à  feu.  On 
n'a  guère  commencé  à  songer  à  la  transformation  de  ces 
machines  en  moteurs,  que  dans  l'année  1769«  Cette  idée, 
comme  tant  d'autres  sur  la  matière ,  appartient  à  Watt. 

Vous  serez  étonnés,  j'ajoute  même  sans  crainte  de  me 
tromper,  que  vous  serez  satisfaits  d'apprendre  que  l'idée 
d'employer  une  machine  à  vapeur  comme  moteur  d'une 
voiture ,  est  née  dans  notre  pays  ;  qu'elle  y  a  été  réalisée 
dès  l'année  1778.  On  ignore  généralement  ce  fait,  ou  on 
ne  s'en  vante  pas  assez;  disons-le  tout  haut  à  cette  tribune^ 
la  première  voiture  locomotive  a  été  exécutée  en  France. 
Malheureusement  son  auteur,  M.  Cugnot,  officier  du 
génie,  la  destinait  aux  chemins  ordinaires,  et  ce  fut  là 
peut-être  l'unique  cause  de  l'insuccès.  La  machine,  on 
la  conserve  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire  des  arts 
et  métiers,  était  loin  de  manquer  de  puissance;  elle  en 
avait  même  trop. 

Dans  un  essai  fait  à  l'Arsenal ,  on  ne  sut  pas  la  modé- 
rer; la  machine  se  précipita  contre  un  mur  et  le  renversa. 

De  1778  à  1802  il  ne  se  fit  rien  d'utile  sur  la  locomo- 
tion à  la  vapeur.  En  1802,  un  ingénieur  anglais,  dont  le 
nom  occupe  une  place  assez  considérable  dans  l'histoire 
des  machines  à  vapeur,  Trevithick  exécuta  une  véritable 
locomotive,  mais  en  partant  d'une  idée  fausse  qui  eut  une 
influence  fatale  sur  les  progrès  de  l'art.  Trevithick  croyait 
qu'une  roue  unie  ne  pourrait  pas  monter  sur  des  rails 
unis.  Il  plaça  donc  des  clous  sur  les  jantjes  ;  il  fit  des  rai^ 
nures  sur  les  rails  plats  dont  il  se  servait^  Les  rails  se 
détérioraient  dans  un  temps  fort  court,  aussi  bien  que  les 
jantes.  La  machine  fut  abandonnée. 


864  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Toujours  préoccupés  de  Tidée  qu'une  roue  lisse  ne 
réussirait  pas ,  les  constructeurs  recoururent  aux  engre- 
nages. En  1811,  nous  voyons  un  ingénieur,  Blenkinsop, 
placer  une  crémaillère  intérieure  sur  le  bord  du  rail ,  et 
marcher  à  l'aide  d'une  roue  dentée  que  la  machine  met- 
tait en  mouvement.  Le  moindre  glissement  rendait  l'en- 
grenage vicieux  dans  les  grandes  vitesses.  Ce  fut  encore 
une  idée  avortée. 

Chapmàn  plaça ,  sans  plus  de  succès,  une  chaîne  dans 
le  milieu  de  la  voie.  Brunton,  en  1813,  construisit  une 
voiture  qui  portait  à  l'arrière  un  mécanisme  semblable 
aux  jambes  du  cheval ,  et  qui  agissait  comme  elles. 

Enfin,  en  181/i.,  Blackett  imagina  qu'il  pouvait  y  avoir 
erreur  dans  l'idée  que  des  corps  lisses  ne  sauraient  pren- 
dre leur  point  d'appui  l'un  sur  l'autre;  il  fit  une  expé- 
rience, et  il  découvrit  qu'il  y  a  un  véritable  engrenage, 
plus  intime  qu'on  ne  le  croyait,  entre  les  corps  que  nous 
appelons  unis  ;  que  ces  corps  sont  couverts  d'aspérités  et 
de  cavités  qui  s'emboîtent  les  imesdans  les  autres,  qui 
produisent  ce  qu'on  a  appelé  depuis  un  engrenage  naturel, 
un  engrenage  à  l'aide , duquel  on  pourrait  faire  marcher 
une  voiture  à  jantes  lisses  sur  un  rail  non  denté. 

Voilà  le  point  capital  d'où  l'on  est  parti  pour  arriver 
aux  admirables  locomotives  que  tout  le  monde  connaît. 

Le  père  du  très-célèbre  ingénieur  Robert  Stephenson 
est  le  premier  qui  ait  exécuté  avec  succès  des  machines 
locomotives  en  profitant  des  expériences  de  Blackett.  Ces 
machines  traînaient  des  poids  considérables,  l'engrenage 
naturel  suffisait  pour  cela  ;  mais  on  ne  pouvait  obtenir  de 
grandes  vitesses. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  365 

Lorsqu'en  1825,  à  l'époque  où  Ton  s'occupait  du  che- 
min de  Liverpool  à  Manchestet*,  chemin  qui,  par  paren- 
thèse, n'était  guère  projeté  que  pour  transporter  des 
marchandises;  lorsqu'en  1825  le  président  de  la  commis- 
sion d'enquête  de  la  chambre  des  communes,  demanda  à 
George  Stephenson  s'il  espérait  qu'on  pourrait  exécuter 
une  machine  locomotive  marchant  avec  la  vitesse  de 
deux  lieues  à  l'heure,  il  imaginait  avoir  posé  une  ques- 
tion extraordinaire  ;  le  mécanicien  répondit  affirmative- 
ment. Le  président,  enhardi,  répéta  la  question,  mais  en 
parlant  cette  fois  d'une  vitesse  de  quatre  lieues  à  l'heure. 
Stephenson  répondit  encore  que  oui ,  mais  de  manière  à 
dégoûter  d'aller  plus  loin.  Quatre  lieues  à  l'heure  sem- 
blaient les  limites  de  l'art. 

Vous  savez  que,  sur  le  chemin  de  Londres  à  Bristol, 
on  a  parcouru,  un  jour  d'expérience,  jusqu'à  25  lieues  à 
l'heure. 

Je  n'ai  plus  que  deux  ou  trois  faits  à  citer  pour  épuiser 
cette  première  partie  de  la  question. 

Quelle  était  la  circonstance  qui  déterminait  George 
Stephenson  à  fixer  si  bas  la  vitesse  maximum  des  loco- 
motives? C'est  qu'en  marchant  avec  beaucoup  de  rapi- 
dité, il  devenait  nécessaire  d'avoir  une  chaudière  énorme 
pour  suffire  à  la  consommation  considérable  de  vapeur 
que  la  machine  faisait. 

Se  transporter  elle-même  était  alors  le  maximum  d'effet 
de  la  machine  ;  elle  ne  pouvait  entraîner  à  sa  suite  ni 
voyageurs  ni  marchandises  :  le  problème  de  la  locomo- 
tion rapide  n'était  pas  résolu. 

Tout  en  restant  scrupuleusement  fidèles  à  la  vérité  dans 


366  LES  CHEMINS  DE  FER. 

cet  aperçu  historiqne,  ne  laissons  pas  nos  voisins  s'attri- 
buer la  chose  peQt<-étre  la  plus  capitale  que  renferment 
les  locomotives,  au  détriment  d'un  Français;  rinvention 
dont  je  veux  parler  appartient  à  M.  S^uiiv. 

Le  fait  est  parfaitement  reconnu  aujourd'hui;  un  brevet 
est  d'ailleurs  là  pour  le  prouver  sans  réplique  ;  c'est 
IL  Séguin  qui  le  premier  a  très-îngénieusement  trouvé 
ie  moyen  de  consiruire  des  chaudières  d'ua  poids  et  d'une 
dimension  médiocres,  à  l'aide  desquelles  cependant  on 
pût  fournir  à  la  consommation  énorme  de  vapeur  qu^exi* 
gent  les  locomotives  rapides. 

Ce  moyen,  te  roici  en  deux  mots. 

On  avait ,  avant  M.  Séguin ,  imaginé  des  chaudières 
tubulaires,  des  chaudières  composées  d'xm  très -grand 
nombre  de  cylindres  remplis  d'eau  et  autour  desquels 
circulait  la  flamme  provenant  du  foyer. 

M.  Séguin ,  sans  changer  matériellement  la  fonne  de 
rappareil ,  lui  a  donné  de  nouvelles  propriétés;  il  a  placé 
l'eau  où  était  jadis  la  flamme,  et  la  flamme  dans  les  tubes 
qu'occupait  l'eau.  Tel  est  l'artifice  qui  a  rendu  possible  et 
avantageuse  la  locomotion  rapide. 

Ainsi ,  Mesaeurs,  ne  vous  laissez  pas  fasciner  par  tous 
les  noms  anglais  qu'on  lit  sur  les  locomotives;  quand 
vous  voyez  passer  une  de  ces  admirables  machines,  dites- 
vous  sans  scrupule,  dites -vous  hardiment  :  Ce  qu'elle 
renferme  de  plus  capital  est  l'œuvre  d'un  coropatricrte. 
(Très-bien!) 

Souffler  le  feu  était  aussi  un  moyen  d'augmenter  la 
production  de  vapeur. 

Ben  moyens  se  présentaient  z  on  poirvait  xm  bien 


LES  CHEMINS  DE  FER.  367 

mettre  derrière  la  machine  un  véritable  souflflet,  mais 
cela  eût  absorbé  une  portion  notable  de  la  force  motrice  ; 
ou  bien  détermiiier  un  fort  tirage  dans  la  cheminée. 

C'est  un  physicien  français,  M.  Pelletan,  qui,  le  pre- 
mier, a  pensé  à  produire  ce  tirage  en  lançant  dans  la 
cheminée  la  vapeur  qui  vient  de  produire  son  effet  dans 
les  cylindres. 

Robert  Stephenson ,  dont  vous  voyez  figurer  le  nom 
dans  presque  toutes  les  compagnies  de  chemins  de  fer, 
est  un  mécanicien  d'un  mérite  éminent.  Il  a  beaucoup 
contribué  au  perfectionnement  des  locomotives  par  une 
foule  de  combinaisons  bien  entendues,  mais  au  fond  elles 
n'offrent  aucun  organe  mécanique  nouveau. 

L'ère  capitale  des  chemins  de  fer  a  commencé  en  1830  : 
c'est  à  partir  de  1830  qu'on  arriva,  sur  le  chemin  de  fer 
de  Liverpool  à  Manchester,  à  donner  aux  locomotives  une 
rapidité  inespérée,  à  l'aide  de  la  chaudière  de  M.  Séguin 
et  des  combinaisons  mécaniques  de  M.  Stephenson. 

Depuis  on  a  fait  plus  ;  et,  j'en  demandé  pardon  à  l'ad* 
ministration,  ce  plus  on  n'en  tient  pas  assez  compte. 

En  1840,  on  est  arrivé,  par  un  artifice  aussi  simple 
qu'il  est  ingénieux,  à  réduire  de  moitié  la  consommation 
des  locomotives.  Le  combustible  qu'on  brûle  actuellement 
est  la  moitié  de  celui  qu'on  brûlait  en  1830  pour  une 
force  égale.  Ce  résultat  a  été  obtenu  par  l'emploi  de  la 
détente. 

La  détente  fournit  encore  le  moyen  de  donner  à  la  ma- 
chine une  force  variable,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de 
modifier  l'élasticité  de  la  vapeur  dans  la  chaudière,  sans 
courir  les  risques  d'explosion.  Remarquez  cela.  Messieurs, 


3Gd  LES  CHEMINS  DE  FER. 

car  je  vais  en  tirer  parti  pour  arriver  à  l'économie  de  tracé 
dont  je  parlais  en  débutant. 

Je  ne  dirai  rien  des  rails  ;  les  modifications  de  poids 
qu'on  leur  a  fait  subir  ne  doivent  pas  figurer  dans  cette 
discussion. 

J'arrive  aux  pentes.  Ici  on  a  marché  longtemps  à 
tfttons.  Le  conseil  des  ponts  et  chaussées  adopta ,  sinon 
une  règle  explicite ,  du  moins  une  sorte  de  charte  tacite , 
fondée  sur  des  considérations  qui ,  vraies,  mathématique- 
ment parlant  9  péchaient  par  un  point  capital  :  c'est  qu'on 
n'avait  pas  tenu  compte  de  toutes  les  conditions  physiques 
du  problème. 

Ainsi  9  naguère  on  aurait  regardé  comme  un  mauvais 
tracé  celui  où  il  se  serait  trouvai  des  pentes  de  plus  de 
â  ou  4  millimètres  par  mètre. 

Ces  limites  avaient  été  introduites  par  la  considération 
de  ce  qu'on  appelle  en  mécanique  l'angle  de  frottement. 
C'est  sans  doute  une  chose  intéressante  que  l'angle  de 
frottement,  mais,  dans  la  question,  mieux  valait  une 
expérience.  Or  l'expérience  a  montré  qu'on  pouvait  tolé- 
rer, non- seulement  des  pentes  de  5,  de  6,  mais  même 
des  pentes  de  10  à  12  millimètres  par  mètre. 

Vous  trouverez  dans  un  rapport  récent  de  l'ingénieur 
Brunel  fils,  ces  paroles  catégoriques  : 

t  Le  temps  est  passé  où  les  ingénieurs  croyaient  que 
des  pentes  de  10  millimètres  étaient  dangereuses.  » 

Je  viens  de  prononcer  le  mot  dangereux;  deux  mots 
expliqueront  pourquoi  des  pentes  de  10  millimètres  sem- 
blaient dangereuses. 

La  théorie  nous  apprend  que  si  un  corps  qui  descend 


LES  CHEMINS  DE  FER.  369^ 

dans  le  vide ,  par  l'action  de  la  pesanteur,  parcourt  un 
espace  1  dans  la  première  seconde  de  sa  chute ,  il  par- 
courra un  espace  3  dans  la  deuxième  seconde,  un  espace 
5  dans  la  troisième,  et  ainsi  de  suite. 

Dès  qu'une  pente  a  une  grande  étendue,  on  arrive, 
d'après  cette  série,  à  des  vitesses  finales  très- considéra- 
bles. Il  fallait  donc  proscrire  les  pentes.  Mais  on  avait 
oublié  un  point  essentiel,  on  avait  oublié  l'action  d'un 
frein  toujours  présent ,  toujours  agissant,  d'un  frein  qui 
ne  saurait  casser  :  ce  frein ,  c'est  l'atmosphère  ;  on  n'avait 
pas  tenu  compte  de  la  résistance  de  l'air,  qui,  croissant 
avec  rapidité,  finit  par  faire  équilibre  à  l'action  accéléra- 
trice de  la  pesanteur  ;  on  n'avait  pas  songé  qu'un  train 
de  voitures  glissant  sur  une  pente  de  10  à  12  millimètres 
devait  arriver  à  une  vitesse  uniforme,  et  que,  tout  compte 
fait,  cette  vitesse  serait  inférieure  aux  vitesses  qu'on 
tolère  sur  les  lignes  horizontales.  Or,  qui  ne  voit  que 
pour  les  voyageurs  le  danger  dépend  de  la  vitesse  abso- 
lue ,  soit  qu'elle  provienne  de  la  déclivité  du  chemin  ou 
de  l'action  de  la  machine? 

L'administration  des  ponts  et  chaussées  s'est  un  peu 
relâchée,  quant  aux  pentes,  de  cette  rigueur  extrême,  mais 
elle  n'a  pas  marché  aussi  vite  que  la  science  et  l'art.  Au 
premier  coup  d'œil  il  peut  sembler  peu  important  d'adop- 
ter des  pentes  de  5 ,  de  6  ou  de  7  millimètres.  Mais  ces 
différences  linéaires,  en  apparence  si  petites,  correspon- 
dent dans  le  budget  à  des  différences  représentées  par  des 
millions.  En  Angleterre,  on  accorde  sans  aucune  difficulté 
des  pentes  de  10  millimètres.  Ici  l'administration  ne  va 
jusque-là  que  dans  des  cas  spéciaux  et  très-rares.  Les 
v.— n.  2à 


370  LES  CHEMINS  DE  FER. 

ingénieurs,  lorsqu'ils  présentent  leurs  projets  à  Tadminis- 
tratîon,  sont  parfaitement  accueillis  s'ils  n'ont  admis  que 
des  pentes  très-*faibles  et  des  rayons  de  couf'bure  très- 
grands  :  celui  qui  aurait  résolu  le  problème  en  recourant 
aux  pentes  adoptées  sans  difficulté  en  Angleterre,  crain- 
drait des  reproches.  Cet  état  de  choses  est  fâcheux  ;  nos 
finances  en  souflrent  considérablement. 

Après  les  pentes  viennent  les  courbes.  Permettez -moi 
d'en  dire  quelques  mots. 

Les  courbes  sont  une  cause  active  de  détérioration  des 
cJiemins,  et  une  cause  incessante  de  dangers.  Sur  une 
courbe,  la  force  qu'on  appelle  centrifuge  tend  à  faire 
sortir  les  wagons  de  la  voie  ;  ceux-ci  ne  sont  retenus  que 
par  un  bourrelet  intérieur  :  Uexistence  du  frottement  du 
bourrelet  sur  le  rail  ri'est  que  trop  bien  attestée  par  la 
quantité  de  limaille  de  fer  qu'il  engendre. 

On  a  découvert  un  moyen  certain  d'éviter  ces  incon- 
vénients, à  l'aide  d'une  nouvelle  liaison  établie  entre  les 
voitures  et  les  rails.  Ce  moyen  est  déjà  ancien,  et  l'admi- 
nistration ne  l'a  jamais  eu  en  vue  dans  aucun  de  ses  tracés. 
Cependant  il  avait  été  examiné  très-sérieusement  par  une 
connnission  de  l'Académie  des  sciences.  Quand  il  s'agît 
de  la  vie  des  hommes  surtout ,  les  commissions  y  regar- 
dent à  deux  fois  ;  son  rapport,  nonobstant  cela,  fut  entiè- 
rement favorable.  J'en  dirai  autant  du  rapport  d'une 
commission  d'inspecteurs  des  ponts  et  chaussées,  qui 
avait  pour  organe  M.  Lefebvre,  un  des  ingénieurs  les 
plus  distingués  dont  notre  pays  puisse  s'honorer. 

L'expérience  aussi  avait  prononcé.  Elle  avait  été  faite 
sur  une  grande  échelle  à  Saint -Mandé.  Dans*les  essais 


LES  CHEMINS  DE  FER.  371 

succesaifs,  Te^pace  total  parcouru  n'était  pas  resté  au- 
dessous  de  300  à  400  lieues.  Pour  les  courbes,  on  était 
descendu  aux  plus  extrêmes  limites.  Je  me  rappelle  avojr 
circulé  à  Saint-Mandé,  avec  un  convoi,  sur  une  courbe 
de  18  mètres  de  rayon.  Eh  bien,  je  ne  sais  pas  si  l'admi- 
niôtration  adopterait  une  courbe  de  moins  de  800  mètres. 

A  quels  résultats  financiers  ces  différences  dans  tes 
courbes  et  dans  les  inclinaisons  peuvent-elles  conduire? 
Vous  allez  le  voir. 

Il  a  été  question ,  dans  la  discussion  du  chemin  de  Pans 
à  Strasbourg,  de  la  partie  qui  va  de  Paris  à  Château- 
Thierry.  Devinez  à  quelles  conditions  cet  espace  est  fran- 
chi? La  Marne  est  traversée  sept  fois.  Il  faudra  donc  sept 
ponts,  et  chaque  pont  coûtera  en  moyenne  quatre  à  cinq 
cent  mille  francs. 

M.  D020IV.  100,000  fr.i 

M.  ÂRAGO.  "Si  vous  dites  vrai,  les  ponts  seront  con- 
struits irès-économiquement.  La  vallée  sera  partiellement 
barrée  sept  fois:;  il  en  résultera  dans  les  crues  un  chan- 
gement dans  le  régime  des  eaux  qui  probablement  don- 
nera lieu  à  des  réclamations  fondées. 

Sortez  maintenant  de  ces  conditions  rigoureuses  ;  per- 
n^ettez-vous  des  pentes  semblables  à  celles  qui  sont  ad- 
mises en  Angleterre  ;  de  Tordre  des  pentes  que  les  ingé- 
nieurs les  plus  prudents,  que  M.  Cubitt  ne  craint  pas 
d'adopter  dans  ses  tracés  ;  des  courbes  analogues  aux 
courbes  que  le  système  articulé  de  M.  Amoux  comporte, 
combien  de  fois  traverserez-vous  la  Marne  avec  un  dév^ 
loppement  d'à  peu  près  la  même  longueur?  Une  fois,  pas 
davantage. 


372  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Vous  le  voyez ,  Messieurs ,  il  est  temps ,  grandement 
temps,  de  s'occuper  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  possible,  de 
raisonnable ,  d'acceptable  dans  le  tracé  des  chemins  de 
fer. 

Les  pentes  limites  que  l'administration  des  ponts  et 
chaussées  admet  aujourd'hui ,  les  courbes  en  deçà  des- 
quelles elle  ne  consentirait  pas  qu'aucun  tracé  fût  établi , 
étaient  peut-être  naturelles  il  y  a  quelques  années;  elles 
ne  sont  plus  défendables  à  présent.  L'expérience  a  pro- 
Qoncé;  on  peut  opérer  hardiment  sur  une  plus  large 
échelle.  Notre  budget  en  sera  considérablement  allégé. 

J'ai  consulté  plusieurs  ingénieurs  pour  savoir  quelle 
économie  résulterait  de  l'adoption  de  nouvelles  courbes 
et  de  nouvelles  pentes  largement  acceptables.  Leur  déci- 
sion a  été  unanime.  On  a  porté,  en  moyenne,  l'économie 
sur  les  terrassements  et  les  ouvrages  d'art  à  50,000  fr. 
par  kilomètre.  Vous  avez  décrété  l'exécution  de  4,000 
kilomètres  de  chemins  de  fer;  à  50,000  fr.  d'économie 
par  kilomètre,  cela  fait  200  millions,  et  je  n'ai  pas  atteint, 
tant  s'en  faut,  tous  les  avantages  qui  résulteraient  des 
courbes  de  M.  Arnoux. 

Je  sais  bien  qu'on  me  dira  :  Si  vous  avez  des  pentes 
considérables,  il  faudra  que  les  machines  partent  des 
gares  avec  toute  la  force  qu'elles  devront  avoir  dans  les 
points  difficiles.  Dans  les  parties  de  niveau,  il  y  aura 
donc  une  grande  perte  de  force  ;  vous  vous  servirez , 
passez- moi  l'expression,  d'un  cheval  de  renfort  pour  toute 
la  route,  tandis  que  vous  n'en  auriez  vraiment  besoin  que 
là  où  il  existerait  un  surcroît  de  pente. 

L'objection  est  spécieuse;  mais  en  pareille  matière  il 


LES  CHEMINS  DE  FER.  373 

faut  toujours  recourir  à  rexpérience.  Or  rexpérîence  a 
montré  que  la  machine  ne  part  jamais  avec  une  pleine 
charge;  elle  a  tQujours  un  excédant  de  force.  Cette  force 
excédante,  vous  pourriez  l'employer  à  franchir  des  pentes 
fort  supérieures  à  celles  que  vous  admettez. 

Cela  s'est  réalisé  dans  tous  nos  chemins.  Y  a-t-il  dans 
les  lignes  qui  nous  entourent  quelque  chose  de  plus  dis- 
semblable que  le  chemin  de  Saint- Germain  et  le  chemin 
de  Versailles?  L'un  est  presque  de  niveau  ;  dans  l'autre  il 
y  a  des  pentes  sensibles.  Les  frais  dé  locomotion  y  sont 
cependant  à  peu  près  les  mêmes. 

Voilà  une  première  réponse.  Il  en  est  une  autre  qui  me 
sera  fournie  par  ce  que  j'ai  dit  des  progrès  qu'on  a  faits 
depuis  18&0  sur  le  meilleur  emploi  de  la  vapeur  motrice. 

Quelquefois,  pour  franchir  une  grande  pente,  on  aug- 
mente la  force  des  machines  en  chargeant  les  soupapes , 
en  donnant  plus  de  force  élastique  à  la  vapeur;  mais 
le  moyen  est  dangereux;  il  peut  y  avoir  une  explosion. 

Ce  danger  n'existe  pas  si  on  fait  varier  la  force  de  la 
machine  par  voie  de  détente. 

Les  travaux  d'art  et  les  terrassements  forment  sur  tous 
les  chemins  une  part  considérable  de  la  dépense  totale. 
Sur  un  développement  de  92  kilomètres,  dans  la  première 
section  du  chemin  de  fer  de  Strasbourg^  la  dépense  de 
terrassements,  de  souterrains  et  des  travaux  d'art  est  de 
16  millions.  Dans  la  deuxième  section ,  sur  une  longueur 
h  peu  près  égale ,  la  môme  dépense  est  de  4  millions. 

Mettez  de  côté  les  conditions  léonines  qui  vous  dirigent, 
et  vous  arriverez  à  des  différences  insignifiantes  entre  la 
première  et  la  deuxième  section. 


374  Les  GHBMINS  DB  FEB.. 

Je  citerai  un  autre  exemple  :  Le  ch^nin  de  Malaunay 
à  Dieppe. 

Axec  le&  courbes  et  les  pentes  afiicielles,  la  dépense  est 
de  ik  millions. 

La  circulation,  sur  cette  voie,  ne  permettrait  peut- 
être  pas  une  si  forte  dépense. 

En  augmentant  un  peu  le&  pentes  et.  en.  poctant  1(» 
rayons  des  courbes  à.  AOO  mètrea,.  la  dépasse  se  rédtdt  à 
12  millions. 

Des  courbes  de  150;  mètrsa,  sua  augmentation  de 
pentes,  abaisseraient  la  di^ense  à  10' ou  même  à  9  mil- 
lions. 

Si  vous  voua  obstiniezidonc  à  faira^  entrer Malaunay  et 
Dieppe  un  chemin  monumental  dhna. des  conditions  nul* 
lement  nécessaires^  n^ajoutantpreesque:  rien  à  la  célérité 
et  à  la  sûreté ,  voua  augmenteriezi  leù  dépensede  moitié  en 
sus  de  la' dépense  nécessaiœ.. 

De  telles  considërationd ,  si  je  ne  me  trompe,  doivent 
fixer  Tattention  de  l?administration  et  de: la  Chambre. 

Je  remercie  M.  le  ministre  des  trâvaux.publics  d'avoir 
présenté  aujourd'hui  un  (HKijet  de  loi  pour  un  chemin  de 
fer  qui  devra  être  dessa*vi^  par  un  matériel  exécuté  sui^ 
vant  le  système  Arnoux.  Ce  système  a  été  essayé  très  en 
grand,  mais  T expérience  nouvelle  ne  nuira  pas.  Le  nou<» 
veau  chemin  servira  aux  personnes  qui  fréquentent  le 
marché  de  Sceaux,  ou  qui  vont  se  délasser  dans  les  envi- 
rons de  ce  bourg.  Ce  chemin  résoudra,  je  l'espère,  défini- 
tivement la  question  des  courbes^ 

Remarquez  que  cette  grande*  question  des  courbes 
implique  celle  des  pentes.  Depuis  Bourg-la-Reine  jusqu'à 


\ 


LBS  CHBMINS  DB  FBR..  375 

Sceaux,  le  nouveau  système  sera  appliqué  sur  une  pente 
moyenne  de  15  millimètres^  M.  Arnoux  ne.veut  pas  par- 
courir cette  pente  directement;  je  crois  qu'il  a  tort;  uiais 
je  conçois  ses  motifs.  M.  Arnoux  rachètera  la  différence, 
de  niveau  moyenne  de  15  millimètres,  .en  faisant,  comnoe 
dans  les  routes  ordinaires,  autant  de  zigzags,  ^^utant  de. 
lacets  qu'il  en  faudra.  On  verra  ainsi  qu'il  est  possible, 
de  porter  des  voies  de  fer  sur  les  régions  les  plus  élevées^ 
du  territoire. 

J'arrive  à  une.  dernière  invention,  faite  depuis  peu 
d'années.  £lle  pjaraitdevoir  offrir  de. telles  facilités  dans 
le  tracé ,  de  telles  possibilités  dans  la  circulation  sur  les 
pentes,  qu'il  n'y  aura  pas.de  pays  au  monde  qui  doive 
renoncer  à  la  satisfaction  d'avoir  des  voies  de  fer. 

Le  système  qui  possède  ces  précieuses  propriétés  est 
celui  qu'on  appelle  le  système  atmosphérique.- 

Vous  savez  tous.  Messieurs,  que  l'atmosphère  pèse 
d'un  poids  énorme;  que  nous  en  serions  écrasés,  si,  en 
même  temps  qu'elle  agit  sur  notre  corps  de  bas  en  haut,, 
elle  ne  nous  soulevait  pas  avec  une  force  égale,  si  son 
action  ne  s'exerçait  pas  dans  tous  les  sens. 

Mettez  un  piston  dans  ua  tube  horizontal,  il  en  sera 
autant  poussé  de  gauche  à  droite  que  de  droite  à  gauche.^ 
Supposez  que  ce  piston  ferme  hermétiquement  le  tube; 
enlevez  l'air  renfermé  dans  le  compartiment  de  gnucbe, 
aussitôt  le  piston  sera  pressé  vers  cette  région,  c'est-à- 
dire  de  droite  à  gauche^avec  une  force  considérable,  avea 
une  force  dont  on  se  fera  une  idée  exacte  en  se  figprant 
un. moment  que  le  tube  est  vertical,,  et  qu'il  est  chargé 
d'une  colonne  de  mercure  de  76  centhnètres  de  haut. 


376  LES  CHEMINS  DE  FBB. 

Le  piston  du  tube  horizontal,  poussé  par  cette  énorme 
force,  marchera  inévitablement. 

Pour  tirer  parti  de  cette  force  dans  l'intéi'ét  de  la  loco- 
motive ,  il  reste  à  la  communiquer  extérieurement  à  des 
voitures  ;  là  était  la  difficulté.  On  a  imaginé  des  commu- 
nications magnétiques;  mais  c'étaient  des  rêves.  On 
pourrait  produire  ainsi  des  effets  insignifiants  propres  à 
figurer  dans  des  cours  de  physique,  rien  de  plus. 

Pour  que  le  piston  puisse  entraîner  une  voiture,  il  est 
nécessaire  qu'une  tiçe  rigide  aille  d'une  de  ses  parties  au 
dehors.  Il  faut  donc  qu'il  existe  une  fente  longitudinale 
sur  le  tube. 

11  faut  que  cette  fente  se  ferme  à  nfiesure  que  la  tiçe  a 
passé ,  afin  que ,  par  un  vide  à  droite ,  le  piston  puisse 
revenir,  c'est-à-dire  se  mouvoir  en  sens  inverse  de  sa 
première  marche  et  conduire  un  autre  train. 

Il  semblait  diflicile  de  faire  dans  le  tuyau  une  fente  le 
long  de  laquelle  pût  passer  une  tige  métallique  assez 
grosse  pour  entraîner  un  train  de  voitures,  et  qui ,  immé- 
diatement après ,  se  fermât  de  manière  à  ne  pas  donner 
passage  à  l'air  extérieur. 

•  Ce  problème  a  été  résolu  :  nous  devons  dire  qu'à  l'ori- 
gine l'inventeur,  M.  Clegg,  apporta  son  système  en  France; 
chacun  ici  doit  lui  savoir  gré  de  cet  acte  de  déférence. 

On  prétend  que  l'appareil  de  M.  Clegg  est  trop  méca- 
nique, comme  si  les  locomotives  n'étaient  pas  une  com- 
binaison mécanique  très- compliquée. 

On  a  cru  que  le  système  était  impraticable  ;  plusieurs 
expériences  ont  prononcé;  la  première,  celle  des  envi- 
rons de  Londres ,  a  eu  pour  témoin  et  pour  appréciateur 


LES  CHEMINS  DE  FER.  377 

un  jeune  homme  qui  s'est  dévoué  avec  un  grand  zèle  à 
l'étude  de  toutes  ces  questions  ardues  et  qui  avait  les 
connaissances  nécessaires,  car  il  était  sorti  de  l'École 
polytechnique.  M.  Teisserenc  en  a  rendu  un  compte 
favorable, 

La  seconde  expérience  a  été  faite  en  Irlande,  sur  une 
plus  grande  échelle,  de  Kingstown  à  Dalkey. 

M.  le  rapporteur  s'est  trompé  en  disant  de  ^'expé- 
rience  irlandaise  qu'elle  avait  embrassé  l'espace  compris 
entre  Dublin  et  Kingstown.  Si  tel  était  le  cas ,  de  nou- 
velles expériences  seraient  superflues.  Le  tube;}ro/;«/sewr, 
pour  me  servir  de  l'expression  consacrée,  ne  va  que  de 
Kingstown  à  Dalkey;  il  n'a  que  trois  quarts  de  lieue, 
qu'environ  trois  kilomètres  de  long ,  mais  il  parcourt  la 
contrée  la  plus  défavorable  du  monde,  sous  le  rapport  dos 
courbes  et  des  pentes. 

M.  le  rapporteur  a  cité  deux  ingénieurs,  l'un  favo- 
rable et  l'autre  défavorable  au  système  atmosphérique. 
Ce  dernier  est  M.  Stephenson,  fabricant  de  locomo- 
tives. En  rapportant  celte  circonstance,  je  n'entends 
pas  faire  une  épigramme;  il  est  naturel  qu'aux  yeux  de 
celui  dont  la  vie  tout  entière  s'est  passée  au  milieu  de 
locomotives,  les  diflicultés  des  autres  systèmes  grandis- 
sent outre  mesure.  Mais  à  l'opinion  de  M.  Stephenson  on 
peut  opposer  celle  de  M.  Brunel ,  qui  propose,  lui,  d'exé- 
cuter un  chemin  atmosphérique  pour  joindre  Chatam  à 
d'autres  villes.  M.  Brunel  a  dû  songer  que,  s'il  se  trom- 
pait, que,  s'il  engageait  des  capitalistes  dans  une  mau- 
vaise entreprise,  sa  carrière  d'ingénieur  serait  gravement 
compromise.  Dans  de  telles  circonstances,  le  témoignage 


»78  L£S  CHfiMINS  DB  FBfi. 

de  M.  Brunel  devait  l'emporter  sur  celui  de  Ui  Stephen^ 
Sun.  Il  est  d'ailleurs  un  autre  ingénieur  dont  on  n'a  pas 
parlé,  Tun  des  plus  habiles^  des  plus expériinentéa<et  des 
plus  prudents  de  T  Angleterre^  M.  GubitL  ML  Gubitt  a  de- 
mandé et  obtenu  du  parlement,  après  enquête,  la  permis- 
sion de  faire  un  chemin  atmosphérique  qui  ira  à.Epsom. 
M.  Yignolles  ne  va-t-il  pas  lui-même  exécuter  des.-  ohe?- 
mins  atmosphériques  en  Irlande?  N'y  avait -il  pas  aussi 
des  ingénieurs  français  à  citer  :  et  M.  TeisBenenc,.  et 
M«  Mallet,.  et  M4  Ynigoer  dont,  tout  le  monda,  oonnalt 
rhabileté?  Un  seul  ingénieur^  M.  Stephenson^.  ne.  saurait 
contre -balancer  tant  d'opinions  favorables  au  système 
atmosphérique,  lorsqu'on  songe  surtout  que. les.- expé- 
riences qu'il  a  discutées  n'ont,  pa»  été.  faites^  par  lui-- 
même. 

Frappés  de  l'énorme  vitesse  qu'on  a  obtenue  en  Angle- 
terre sur  le  chemin  de  Londres  à  Bristol:,  d'une  vitbsse 
de  2li  lieues  à  l'heure ,  d'honorables  membres  me  de- 
mandaient si  le  système  atmosphérique  pourrait  aller 
jusque-là. 

Je  vais  les  satisfaire,,  en  indiquant  la  vit^^se  que  la 
locomotion  pneumatique,  ne  pourrait  dépasser. 

Nous  avons  vu  que  le  principe  moteur  dans  ce  système 
est  l'air  se  précipitant  dans  le  vide. 

Eh  bien,  l'air  se  précipite  dans  le  vide  avec  une  vitesse 
de  kOO  mètres  à  la  seconde;  c'est  une  lieue  en  dix  se- 
condes, 6  lieues  à  la  minute,  et  360  lieues  à  l'heure.  (On 
rit.  )  Je  ne  suppose  pas  que  personne  ait  envie  de  voyager 
avec  cette  rapidité.  (Nouveaux  rires.) 

Il  est  bien  entendu  que  j'ai,  indiqué,  une  limite,  de 


LES^  CHEMINS  DB  FER.  379 

vitesse  qu'on  n'obtiendrait  pas,  car  on  ne  marcherait 
jamais  contre  le  vide  absolu,  qu'il  ne  faudrait,,  en  tout 
cas,  jamais  atteindre  ;  mais  il  sera  aisé  de  dépasser  les 
vitesses  les  plus  considérables  des  locomotives  ordinaires^ 
Cela  n'est  point  douteux, 

M.  Stephenson  a  dit  que  l'air  se  perdait  par  la  soupape 
longitudinale  de  MM.  Clegg  et  Samuda.  11  s'en  perd  un 
peu,  j'en  conviens;  mais  s'il  ne  s'en  perdait  pas,  il  n'y 
aurait  pas  de  discussion  possible  contre  la  supériorité 
du  système  .atmosphérique ,  comparé  au  système  actuel. 
D'ailleiurs,  il  y  a  une  méthode  nouvelle  de  fermeture  que 
nousdevons  à  M.  Hallette,  un  de  nos  plus  habiles  construc- 
teurs. L'expérience  en  a  été  faite  tout  récemment  à  Arras. 
Le  tube  armé  des  deux  parties  que  M.  Hallette  appelle 
les  lèvres,  n'a  pas  laissé  rentrer  l'air,  L'Académie  d' Arras 
tout  entière  a  été  témoin  de  ce  succès  important.  Ce  sera 
là,  peut-être,  la  solution  des diûicultés  devant  lesquelles 
on  s'est  arrêté. 

On  a  beaucoup  argumenté,  dans  le  rapport  et  ailleurs,, 
d'une  opinion  dont  on  ne  s'est  pas  rendu  un  compte  exact. 
On  a  dit  avec  M.  Stephenson  que  les  chemins  atmosphé- 
riques ne  pourront  jamais  servir  que  dans  les  cas  d'une 
circulation  très -active.  Cela  est  vrai,  à  un  certain  point 
de  vue. 

Supposez  que  le  chemin  de  Rouen  soit  fait  d'après  ce 
système,  et  qu'un  seul  convoi  doive  le  parcourir  chaque 
jour.  Le  moyen  actuel  exigera  la  mise  en  action  d'une 
seule  machine  à  vapeur. 

Dans  le  système  atmosphérique,  au  contraire,  il  fau- 
drait mettre  en  action  toutes  les  machines  fixes  destinées 


380  LES  CHEMINS  DE  FER. 

à  faire  le  vide  dans  le  tube  ;  or,  comme  lem-  éloîgnement 
serait  de  2  lieues  au  pUis,  ce  serait  quinze  à  seize  machines 
contre  une ,  sous  lesquelles  il  faudrait  allumer  du  feu.  En 
ce  cas,  et  dans  le  cadre  que  nous  nous  sommes  tracé ,  le 
système  atmosphérique  nç  serait  pas  bon. 

Supposez  maintenant  deux  convois.  Le  système  actuel , 
sans  tenir  compte  des  locomotives  de  secours,  exigera 
deux  machines.  A  seize  convois ,  il  y  aura  plus  de  loco- 
motives que  de  machinçs  fixes,  à  quoi  il  faut  ajouter  que 
les  machines  fixes  ont  de  très- grands  avantages  sur  les 
machines  mobiles,  car  celles-ci  se  dérangent  à  ce  point, 
qu'après  chaque  parcours  de  25  lieues,  on  doit  les  envoyer 
à  Tatelier  de  réparations  ;  car  il  faut  les  chauffer  avec  du 
charbon  de  choix  ou  avçc  du  coke. 

'  A*-t-on  songé  d'ailleurs  aux  énormes  avantages  qu'une 
grande  distribution  de  machines  fixes  à  vapeur,  sur  tous 
les  points  du  territoire ,  amènerait  inévitablement? 

Telle  machine  n'a  pas  besoin  de  travailler  toute  la 
journée  pour  faire  le  vide  dans  le  tube  propulseur  ;  vous 
vous  en  servirez  comme  d'un  moteur  pour  moudre  le  blé, 
pour  alimenter  d'eau  les  villages  voisins  qui  en  sont  privés, 
pour  les  irrigations,  etc.,  etc.  Je  ne  doute  pas  que  les 
machines  affectées  au  double  service  ne  doivent  produire 
dans  notre  pays  des  résultats  importants.  (  Bruit.  ) 

Ce  que  j^annonce  arrivera  tôt  ou  tard,  et  peut-être 
dans  un  temps  fort  court. 

Je  viens  de  parler  de  la  très- ingénieuse  invention  de 
M.  Hallette.  Je  ne  dois  pas  oublier  qu'un  nouveau  chemin 
atmosphérique  vient  de  voir  le  jour.  Celui  -ci  est  dû  à  un 
mécanicien  du  plus  rare  mérite ,  à  M.  Pecqueur, 


LES  CHEMINS  DE  FER.  384 

Je  puis  rendre  témoignage  de  tout  ce  que  cette  in- 
vention renferme  de  subtil ,  d'inattendu.  Ses  propriétés 
économiques  me  sont  moins  connues.  M.  Pecqueur  et  sei^ 
associés,  en  la  comparant  à  la  locomotion  actuelle ,  por- 
tent l'économie  à  32  p.  0/0. 

Toutes  ces  inventions  méritent  assurément  d'être  véri- 
fiées, d'être  étudiées  avec  le  plus  grand  soin.  Elles  peu- 
vent exercer  une  influence  énorme  sur  le  tracé  de  nos 
chemins  de  fer,  elles  peuvent  réduire  la  dépense  d'un 
nombre  considérable  de  millions. 

J'entends  qu'on  me  demande  dans  quelles  limites  de 
pentes  les  chemins  atmosphériques  devraient  rester  ren- 
fennés. 

Ma  réponse  sera  courte  :  il  n'y  a  pas  de  limites.  Si  vous 
le  voulez ,  vous  monterez  tout  droit  aux  tours  de  Notre- 
Dame.  Vous  pourrez  au  moins  monter  sur  la  croupe  de 
toutes  les  montagnes  où  l'on  a  tracé  des  routes  ordinaires. 

M.  Legrand,  sous-secrétaire  d*État  des  travaux  publics.  Et 
pour  descendre? 

M.  Arâgo.  Rien  de  plus  facile ,  puisqu'on  anéantit  le 
vide  en  avant  quand  on  veut,  en  ouvrant  une  shnple 
soupape. 

(M.  le  sousHsecrétaire  d'État  fait  un  geste  d'incrédulité.) 

Je  vois,  M.  le  sous- secrétaire  d'État,  que  vous  êtes 
encore  sous  l'impression  de  la  série  de  l'École  polytech- 
nique, 1,  3,  5,  7,  etc.  Il  y  a  la  résistance  de  l'air  qui  est 
une  cause  d'amortissement  notable.  Au  reste,  si  vous 
m'attaquez  sur  les  tours  de  Notre-Dame,  j'en  descendrai 
en  me  servant  d'un  frein  et  de  quelques  autres  artifices 
qu'il  serait  superflu  de  décrire  ici  en  détail.  (On  rit.  ) 


383  liES  CHEMINS  DE  FER. 

J'abandonne  les  tours  de  Notre-Dame,  mais  non  les 
pays  montueux  dont  patlait  M.  Boudousquié. 

Pour  rejeter  ma  proposition  on  a  dit  -qu'on  ferait  des 
expériences  en  Angleterre. 

Il  me  semble,  Messieurs,  que  la  France  doit  toujours 
prendre  sa  part  dans  les  perfectionnements  de  tous  genres 
qui  s'opèrent  dans  le  monde.  Suivant  moi ,  quand  elle 
n'est  pas  sur  le  premier  rang,  c'est  qu'elle  a  perdu  sa 
place.  (Très- bien!) 

Je  ne  m'arrête  donc  pas  à  cette  remarque  ;  d'ailleurs, 
l'expérience  anglaise  serait  tardive.  L'année  prochaine, 
quand  nous  reviendrons  dans  cette  enceinte,  nous  n'au- 
rions pas  des  éléments  suffisants  pour  nous  prononcer  sur 
les  tracés  qu'on  nous  présentera. 

J'ai  pensé  que  la  compagnie  des  canaux  de  Paris  pour- 
rait faire  les  expériences  désirables  sur  la  berge  du  canal 
de  TOurcq. 

Le  motif  qui  m'a  décidé  à  présenter  l'offre  de  cette 
compagnie,  avec  laquelle,  je  dois  le  dire,  je  n'ai  de  rela- 
tions d'aucun  genre,  c'est  que  la  compagnie  s'engage  à 
faire  les  expériences  dans  le  très-court  intervalle  de  six 
mois.  Si  le  délai  n'avait  pas  été  si  court,  je  ne  l'aurais  pas 
appuyé.  Mon  plus  vif  désir  serait  qu'à  l'ouverture  de  la 
session  prochaine,  nous  sussions  exactement  à  quoi  nous 
en  tenir  sur  tes  systèmes  Samuda,  Hallptte  et  Pecqueur. 

La,  berge  du  canal  de  TOurcq  est-elle  favorable?  On  le 
conteste.  Moi  j'affirme  qu'elle  est  extrêmement  favorable^ 
et  il  me  serait  facile  de  le  prouver. 

Le  gouvernement  doit-il  faire  l'expérience  hii- même? 
Pour  moi  je  craindrais  qu'elle  ne  durât  longtemps. 


LES  CHEMINS  DE  FBB,  383 

Au  surplus,  la  compagnie  dont  je  parlais  tout  à  l'heure 
est  prête  à  offrir  sa  berge  si  Paduiinistration  le  désire.  On 
remarquera  que  toutes  les  conditions  de  sûreté  étaient 
offertes,  puisque  Texpérience  aurait  marché  sous  l'inspec- 
tion des  ingénieurs  du  gouvernement. 

Quand  pour  la  première  fois  on  m'a  parlé  de  la  pro- 
position de  la  compagnie,  elle  m'a  étonné.  J'ai  demandé 
où  pouvait  être  son  intérêt  ;  on  m'a  répondu  naïvement  : 
Nous  sommes  seuls  autorisés  ànous  servir  de  ce  chemin 
atmosphérique  breveté  de  M.  Samuda  sur  le  chemin  de 
fer  de  Paris  à  Strasbourg.  Si  l'expérience  réussit ,  lors  de 
la  mise  en  adjudication ,  nous  pourrons  .nous  présenter 
au  concours  en  offrant  des  conditions  plus  favorables.  De 
tout  côté  surgit  le  grand  intérêt  qu'il  y  aurait  à  autoriser 
les  expériences. 

M.  Qrandin.  Et  la  sécurité  Î 

M.  Arago.  J'entends  parler  de  sécurité. 

M.  Qrandin.  C'est  pour  que  vous  en  parliez, 

M.  Arago.  Les  chemins  atmosphériques,  combinés 
avec  les  voitures  de  M.  Arnoux ,  rendront  tout  déraille- 
ment impossible. 

Ceux  qui  se  rappellent  encore  la  terrible  catastrophe 
du  8  mai  1842  doivent  comprendre  quel  avantage  il  y  a 
à  ne  point  traîner  du  feu  après  soi.  Dans  le  système 
atmosphérique,  deux  convois  ne  sauraient  marcher  en 
sens  contraires  sur  la  même  voie.  Les  rencontres  de  trains 
sont  donc  impossibles. 

Dans  le  système  actuel ,  si  vous  voulez  un  grand  effet, 
vous  êtes  obligé  de  donner  aux  voitures  un  poids  énorme. 
Or,  on  peut  arrêter  aisément  une  voiture  légère,  mais  on 


3SI  LES  CHEMINS  DE  FER. 

n'arrête  pas  de  même  une  voiture  lourde.  Au  reste,  quant 
à  la  sécurité,  M.  Stephenson  lui-même  s'est  prononcé 
d'une  manière  favorable. 

Les  conditions  présentées  par  la  compagnie  sont  nette- 
ment indiquées  dans  l'amendement  ;  je  vais  d'ailleurs  les 
rappeler  : 

La  compagnie  s'engage  à  faire  l'expérience  dans  Tes- 
pace  de  six  mois. 

11  n'en  résultera  aucune  obligation  ni  sur  l'entrée  ni 
sur  la  sortie  du  chemin  définitif. 

L'expérience  ne  donnera  aucun  droit  à  la  compagnie; 
ce  sera  stipulé  dans  l'amendement  si  on  le  juge  nécessaire. 

Si  la  compagnie  restait  adjudicataire,  elle  prendrait 
l'expérience  à  son  conupte. 

Dans  le  cas  où  elle  ne  pourrait  profiter  des  résultats, 
les  frais  seraient  à  la  charge  de  la  compagnie  rivale  ;  les 
ingénieurs  de  l'administration  les  régleraient. 

Si  le  gouvernement  faisait  la  voie  et  l'exploitait,  ce 
serait  lui  qui  supporterait  ces  frais  d'après  l'estimation 
des  ingénieurs. 

11  m'a  semblé  que  ces  conditions  étaient  acceptables, 
raisonnables.  J'ai  cru  faire  une  chose  utile  en  les  propo- 
sant à  la  Chambre.  (Nombreuses  marques  d'approbation.  ) 

M.  LE  Président.  Avant  de  donner  la  parole  à  M.  le  ministre  des 
travaux  publics,  qui  Ta  demandée  pour  répondre  à  M.  Arago,  Je 
donne  lecture  de  Tamendement  : 

«  Le  ministre  des  travaux  publics  est  autorisé  à  accepter  la  pro- 
position qui  lui  a  été  soumise  par  la  compagnie  des  canaux  de  Paris, 
do  faire  sur  la  berge  droite  du  canal  de  rourcq,  de  Paris  à  Bond5% 
et  sous  rinspection  des  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées  désignés 
&  cet  effet  par  le  Gouvernement,  un  essai  du  système  atmosphé- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  385 

rique  combiné  avec  le  système  de  voitures  articulées  de  M.  Charles 
Arnoux. 

«  L'expérience  devra  être  complétée  avant  l'ouverture  de  la  pro- 
chaine sessîoa. 

«  Les  dépenses  relatives  à  cette  expérience  resteront  à  la  charge 
de  cette  compagnie,  si  elle  devient  concessionnaire  de  la  ligne  de 
l'Est- 

«  Dans  le  cas  contraire,  le  montant  de  ces  dépenses,  réglé  par 
les  ingénieurs  du  Gouvernement ,  sera  remboursé  à  la  compagnie 
des  canaux  de  Paris,  soit  par  la  compagnie  adjudicataire  de  ladite 
ligne,  soit  par  l'État  s'il  reste  chargé  de  son  exploitation.  » 

M.  LE  Ministre  des  travaux  publics.  Messieurs,  avant  de  m'ex- 
pliquer  sur  l'amendement  de  M.  Arago,  je  demande  à  la  Chambre  la 
permission  de  lui  présenter  quelques  observations  en  réponse  à 
quelques  critiques  adressées  par  l'honorable  préopinant  à  l'admi- 
nistration des  ponts  et  chaussées,  (C'est  juste!  —Parlez I) 

M.  Akago.  m.  le  ministre  veut-il  me  permettre  de  lui 
dire  un  mot...? 

M.  LE  Ministre.  L'honorable  M.  Arago  s'est  mépris  sur  le  sens 
de  mes  paroles... 

M.  Arago Pour  que  mes  critiques  ne  blessent  pas 

les  ingénieurs  dont  je  viens  de  parler.  Ils  ont  été  presque 
tous  mes  élèves,  je  les  honore,  je  les  estime,  je  les  regarde 
comme  les  premiers  ingénieurs  du  monde.  (Mouvement.  ) 

M.  LE  Ministre.  Je  suis  loin ,  Messieurs ,  d'avoir  la  pensée  de  me 
plaindre  des  observations  que  l'honorable  préopinant  a  présentées  ; 
je  sais  qu'elles  ont  été  présentées  avec  bienveillance  et  modération. 
Mais  comme  il  a  cru  que  l'administration  des  ponts  et  chaussées 
suivait  des  errements  depuis  longtemps  abandonnés,  il  m'a  semblé 
qu'il  était  juste  pour  l'administration  et  ses  ingénieurs,  que  l'hono- 
rable préopinant  s'honore  avec  raison  d'avoir  élevés ,  de  présenter 
quelques  observations  en  réponse  à  celles  que  vous  avez  entendues. 
Je  demande  à  la  chambre  la  permission  de  rétablir  les  choses  sur 
leur  véritable  terrain,  et  de  dire  quelle  est,  en  matière  de  travaux 
publics  et  de  chemins  de  fer,  la  jurisprudence  actuelle  dos  ponts  et 
chaussées. 

L'honorable  préopinant,  dans  les  développements  pleins  d'intérêt 

V.— II.  25 


386  LES  CHEMINS  DE  FER. 

que  la  chambre  a  entendus  avec  une  religieuse  attention ,  avait 
raison  de  dire  qu'il  y  a  deux  points  essentiels  sur  lesquels  de  grandes 
économies  peuvent  être  obtenues  dans  les  tracés,  c'est  dans  Taggra- 
vation  des  pentes,  autant  que  peut  le  permettre  la  sûreté  des  voya- 
geurs, et  dans  la  réduction  des  rayons  de  courbure. 

L'honorable  M.  Arago  attribue  au  conseil  général  des  ponts  et 
chaussées  sur  ces  deux  points  des  exigences  qui  sont  depuis  long* 
temps  abandonnées.  Le  conseil  des  ponts  et  chaussées  a  dû ,  à  Tori- 
gine  de  la  construction  des  chemins  de  fer,  se  préoccuper  des 
•onditions  de  sécurité  publique ,  et  je  crois  que  Thonorable  préq[)i- 
nant  ne  contestera  pas  qu'il  y  a  dans  la  raideur  des  incUnaisoiis,  et 
surtout  dans  la  brièveté  des  rayons  de  courbure,  des  chances  de 
danger  considérables  que  l'on  devait ,  avant  des  expériences  rassu- 
rantes, tenir  en  très -grande  considération.  Il  est  très- vrai  que, 
dans  le  principe ,  on  calcula  mathématiquement  pour  ainsi  dire  le 
maximum  des  penteis.  Mais  les  exigences  des  trac^  nous  ont  forcés 
d'année  en  année,  et  si  Ton  peut  parler  ainsi ,  de  chemin  de  fer 
en  chemin  de  fer,  de  dépasser  ce  maximum  ;  on  s'était  arrêté  à 
3  millimètres  1/2  en  commençant,  et  à  mesure  qu'on  a  vu  par 
expérience  que  des  pentes  plus  raides  n'offraient  pas  de  dangers 
sérieux,  on  a  élevé  ce  maximum  ;  les  pentes  de  5  et  6  nulllmètres 
par  mètre  sont  des  pentes  courantes  dans  le  tracé  même  sur  lequel 
vous  délibérez  en  ce  moment  ;  on  va  jusqu'à  8  millimètres,  et  il  y 
a  au  sortir  du  souterrain  de  Hommarting  des  pentes  de  10  milli- 
mètres. 

Dans  le  tracé  de  Lyon ,  l'administration  a  déclaré  qu'elle  n'était 
pas  effrayée  de  9  millimètres,  et  même  de  10  millimètres  par  mètre* 

U  y  a  bien  longtemps  que  le  conseil  général  des  ponts  et  chaus- 
sées suivait  les  avertissements  que  lui  adressait  tout  à  l'heure  l'ho- 
norable préopinant.  La  chambre  me  permettra  de  lui  rappeler  que 
ce  conseil  des  ponts  et  chaussées,  conseil  d'art  et  en  môme  temps 
d'expérience,  composé  d'hommes  pratiques,  qui  sont  à  la  fois  à  la 
tête  des  études  mathématiques  dans  le  pays ,  ce  conseil  a  fait  tout 
ce  qu'il  était  possible  de  faire  pour  allier  le  perfectionnement  de 
l'art  avec  les  intérêts  de  la  sécurité  publique  ;  en  ce  qui  concerne 
la  question  des  pentes,  notamment,  il  n'a  négligé  aucune  des  amé- 
liorations qui  pouvaient  amener  un  allégement  des  charges  de  l'État. 

J'en  dirai  autant  pour  ce  qui  concerne  les  rayons  de  courbure. 
L'honorable  préopinant  a  expliqué  cette  question  devant  la  chambre. 
Je  n'ai  pas  l'intention  de  reprendre  un  sujet  sur  lequel  il  est  si 
compétent  et  si  écouté. 

Mais  je  dois  ajouter  que  radmlnlstration  des  ponts  et  chaussées 


LES  CHEMINS  DE  FER.  387 

se  préoccupe,  avant  la  question  d^économie,  de  la  question  de  la 
sécurité  publique.  Elle  a  cru  quMl  ne  fallait  s'engager  dans  aucune 
invention  nouvelle  qu'après  s'être  assuré  par  Texpérience  que  le 
danger  est  moindre  qu'on  ne  l'avait  cru. 

C'est  par  ce  motif  qu'après  avoir  exigé  d'abord  dfes  courbes  à 
grand  rayon,  elle  a  successivement  réduit  le  rayon  de  ces  courbes, 
et  dans  ce  moment  le  minimum  des  courbes  n'est  pas,  comme  le 
disait  M.  Arago,  de  800  à  1,000  mètres,  mais  de  500  à  600.  11  n'y  a 
pas  de  tracé ,  et  la  commission  peut  s'en  assurer,  où.  le  rayon  des 
courbes  excède  600. 

Quant  au  p'^rfectionnement  des  appareils,  il  n'y  a  pas  de  reproches 
à  adresser  à  l'administration.  Les  appareils  locomoteurs  n'appar- 
tiennent pas  à  l'administration.  L'administration  n'exploite  pas;  elle 
n'est  chargée  que  de  l'exploitation  de  quelques  tronçons  de  peu 
d'importance  ;  le  reste  revient  à  Tindustrie  privée. 

L*admini8tration  a  suivi  avec  beaucoup  d'intérêt,  elle  a  fait  exa- 
miner avec  beaucoup  de  soin  tous  les  perfectionnements  qui  lui  ont 
été  communiqués ,  et  peut-être  l'approbation  qu'elle  leur  a  donnée 
a-t-elle  contribué  à  la  propagation  des  inventions  nouvelles  dont  a 
parlé  l'honorable  M.  Arago. 

Voilà  ce  que  j'avais  à  dire  sur  les  observations  de  l'honorable 
orateur  en  ce  qui  concerne  le  conseil  des  ponts  et  chaussées.  Je 
tenais  à  établir  devant  la  Chambre  que  le  conseil  des  ponts  et 
chaussées ,  dans  lequel  le  ministre  des  travaux  publics  puise  de  si 
grandes  lumières,  quelque  attaché  qu'il  soit  à  des  conceptions  sans 
reproche,  quelque  disposé  qu'il  soit  à  considérer  l'intérêt  de  l'avenir 
avant  l'intérêt  économique  du  présent,  sait  cependant  concilier  ce 
qu'exige  l'économie  avec  la  science,  et  qu'il  a  suivi  tous  les  perfec- 
tionnements des  appareils  des  chemins  de  fer  avec  prudence,  mais 
avec  résolution.  ( Très-bien  I) 

L'honorable  préopinant  exposait  tout  à  Theure  deux  inventions 
nouvelles,  dont  Tune  a  été  surtout  Tobjet  de  l'attention  publique, 
et  l'autre  n'a  pas  été  moins  remarquée ,  bien  qu'elle  n'ait  pas  été 
produite  avec  autant  d'éclat  ;  je  veux  parler  du  système  des  voitures 
articulées  de  M.  Arnoux. 

L'administration  des  ponts  et  chaussées  s'occupe  depuis  long- 
temps de  l'expérimentation  des  voitures  articulées.  Le  danger  des 
appareils  actuels  de  locomotion  Ty  engageait.  Un  convoi  lancé  à 
toute  vitesse,  s'il  rencontre  une  courbe  trop  courte,  est  sujet  à  un 
df'^raillement  et  à  tous  les  dangers  qui  en  sont  la  suite, 

M.  Arnoux  a  inventé  un  système  dont  je  n'oserais  pas  à  cette  tri- 
bune donner  l'explication  complète.  Avec  des  essieux  mobiles  et 


388  LES  CHEMINS  DE  FER. 

des  roues  également  mobiles  autour  des  fusées  des  essieux,  il  a 
composé  une  machine  susceptible  de  se  prêter  aux  inflexions  courbes 
quel  que  soit  leur  rayon  :  des  galets  placés  en  avant  de  la  voiture, 
par  leur  contact  avec  les  courbes,  font  prendre  aux  essieux  la  posi- 
tion nécessaire  pour  quMls  soient  toujours  perpendiculaires  à  la 
courbe.  Voilà  en  quoi  consiste  cette  invention...  Elle  a  pour  elle  la 
science  et  une  expérience  qui  n*a  pas  encore  été  faite  en  grand, 
mais  qui  est  aussi  complète  que  possible.  Plusieurs  membres  de 
cette  Chambre  ont  pu  être  témoins  d'une  expérience  qui  a  été  faite 
à  Saint-Mandé  sur  un  chemin  de  fer  construit  par  M.  Amoux.  Ce 
chemin  présente  des  courbes  d'un  rayon  très-raccourci,  et  permet 
d'expérimenter  le  système  des  voitures  articulées.  Ainsi  que  le  disait 
rhonorable  M.  Arago,  sur  ce  chemin  d'un  petit  parcours  il  a  été 
parcouru  des  distances  immenses,  car  on  a  expérimenté  longtemps. 

Il  s'agit  de  savoir  si  ces  moyen3  nouveaux  supporteront  l'applica- 
tion en  grand,  sMls  pourront  de  Texpérience  passer  à  l'exploitation. 

Le  gouvernement  s'est  empressé  de  seconder  l'ingénieux  inven- 
teur et  de  chercher  un  chemin  sur  lequel  puisse  se  faire  l'applica^ 
tion  de  son  système.  Celui  de  Sceaux  a  paru  favorable.  En  sortant 
de  Paris,  ce  système  aurait  l'avantage  d'éviter  les  propriétés  bâties, 
les  parcs,  les  maisons  de  luxe,  tout  ce  qui  pourrait  faire  obstacle 
ou  rendre  l'expérience  coûteuse.  On  peut,  en  effet,  dans  ce  sys- 
tème, quand  on  rencontre  un  obstacle,  l'éviter  par  une  courbe  & 
petit  rayon. 

Arrivé  à  Bourg-la-Reine ,  il  aurait  à  franchir  la  montagne  de 
Sceaux,  qu*il  franchirait,  non  par  une  pente  directe,  ce  qui  pour- 
rait présenter  des  inconvénients,  mais  en  faisant  des  courbes  à  petit 
rayon,  puis  il  arriverait  à  Sceaux.  L'expérience  de  M.  Arnoux  serait 
donc  appliquée  sur  le  chemin  de  Sceaux;  j'ai  arrêté  avant-hier 
seulement  les  conditions  avec  M.  Arnoux.  J'ai  obtenu  du  roi  la  per- 
mission de  présenter  un  projet  de  loi  à  la  Chambre,  et  quelque 
avancée  que  soit  la  session ,  j'espère  que  les  recommandations  que 
ce  projet  a  reçues  à  la  fois  de  la  science,  de  l'honorable  préopinant 
et  de  l'administration,  lui  assureront  les  suffrages  de  la  Chambre. 

Quant  au  système  atmosphérique,  il  convient  certainement  de 
l'essayer;  le  gouvernement  apprécie  rutillté  qu'il  pourrait  pré- 
senter dans  l'exécution  des  chemins  de  fer.  Il  s'était  concerté  avec 
deux  commissions  pour  se  réserver,  dans  l'exécution  des  chemins 
de  Lyon  et  de  Strasbourg,  le  droit  d'imposer  aux  compagnies  con- 
cessionnaires l'application  du  système  atmosphérique  où  il  le  croi- 
rait utile  et  avantageux.  Si ,  dans  l'exécution  des  trois  chemins  de 
Lyon,  de  Strasbourg  et  de  Rennes,  le  gouvernement  trouve  la  pos- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  389 

sibilité  d'essayer  le  système  atmosphérique,  il  le  fera  sans  doute 
avec  empressement. 

C'est  ici  que  j'ai  quelques  observations  à  faire  sur  la  proposition 
de  M.  Arago.  Je  ferai  remarquer  d'abord  que  l'expérience  ne  se  ferait 
peut-être  pas  dans  les  circonstances  les  plus  favorables. 

En  ce  qui  concerne  le  chemin  atmosphérique ,  l'honorable  préo- 
pinant rappelait  avec  raison  les  grands  avantages  qu'on  attend  de 
ce  système,  qui  donne  la  possibilité  de  franchir  les  pentes  qui 
effraieraient  les  ingénieurs  les  plus  intrépides.  Il  me  semble  juste 
de  l'essayer  dans  les  circonstances  où  il  pourra  rendre  les  plus 
grands  services.  Or,  le  chemin  sur  lequel  il  s'agirait  de  l'essayer  est 
le  chemin  qui  est  parallèle  au  canal  de  l'Ourcq,  puisqu'il  s'agit  do 
se  servir  de  Tune  des  berges  de  ce  canal  ;  or,  ce  canal,  on  le  sait, 
est  de  niveau  ou  à  peu  près ,  il  n'y  a  que  la  pente  de  la  rivière  qui 
est  dérivée  dans  le  canal  ;  il  n'ofifrirait  donc  pas  ces  accidents  de 
terrain  dont  a  parlé  M.  Arago  pour  le  chemin  de  Dalkey  ;  tout  ce 
qu'on  pourrait  faire,  ce  serait  de  descendre  de  la  berge  dans  la 
plaine,  et  de  remonter  de  la  plaine  sur  la  berge;  le  chemin  ne  fran- 
chirait donc  pas  des  pentes  considérables. 

J'aurais  à  présenter  une  autre  considération  à  la  Chambre  sur  les 
Inconvénients  qui  résultent  du  mélange  de  l'expérience  scientifique 
avec  la  concession  du  chemin  dé  Strasbourg. 

La  compagnie  qui  offre  de  faire  l'expérience  est  en  môme  temps 
une  des  compagnies  concurrentes  pour  la  concession  du  chemin  de 
Strasbourg  ;  elle  offre  de  faire  l'expérience  sur  un  point  déterminé, 
sur  la  berge  du  canal  de  l'Ourcq,  c'est-à-dire  que  l'expL^rience 
résoudra  dès  le  premier  moment  une  question  encore  controversée, 
celle  du  point  de  départ  du  chemin  de  Strasbourg. 

Le  gouvernement  a  pensé  que  le  chemin  de  Strasbourg  avait  son 
point  de  départ  naturel  dans  le  voisinage  du  chemin  du  nord. 

î>es  réclamations  très-vives  et  très-dignes  dMntérèt  se  sont  élevées 
dans  le  conseil  municipal  de  la  ville  de  Paris;  le  conseil  municipal 
a  demandé  que,  dans  l'intérêt  d'égalité  de  la  dissémination  de  la 
population  sur  la  ville  de  Paris ,  la  gare  du  chemin  de  Strasbourg 
fût  placée  dans  le  8*  arrondissement  (Bruits  divers.  ) 

Il  a  fait  valoir  le  bon  marché  des  terrains,  et  indépendamment  de 
Tavantage  purement  municipal ,  qui  est  celui  dont  je  viens  de  par- 
ler, mais  un  avantage  municipal  d'une  si  grande  importance,  qu'on 
peut  dire  qu'il  ressemble  à  un  intérêt  général;  indépendamment  de 
cet  avantage,  il  a  fait  valoir  l'intérêt  de  l'État,  en  ce  qui  concerne 
Tiicquisition  des  terrains.  (Interruption.) 

Voulez-vous  me  permettre  d'aller  jusqu'au  bout? 


390  LES  CHEMINS  DE  FER. 

L'administration  des  ponts  et  chaussées  n'a  pas  dû  être  insensible 
à  la  réclamation  du  conseil  municipal  de  la  ville  de  Paris  ;  elle  Ta 
été  d'autant  moins  qu'elle  s'est  préoccupée,  depuis  quelque  temps, 
de  la  possibilité  d'établir  la  gare  du  chemin  de  Lyon  dans  le  voisi- 
nage de  la  gare  du  chemin  de  Strasbourg  ;  de  créer  une  gare  com- 
mune pour  les  deux  têtes  de  chemins;  et  alors  il  est  évident  que  ce 
n'était  pas  dans  le  voisinage  du  chemin  du  Nord  que  la  gare  com- 
mune devait  être  établie. 

J'ai  exprimé,  dans  le  projet  de  loi,  l'opinion  du  gouvernement; 
j'ai  exprimé  un  doute  grave,  qui  ne  peut  être  éclairci  qu'après  un 
examen  attentif  de  la  question. 

L'adoption  de  l'amendement  aurait  pour  inconvénient  de  résoudre 
une  question  qui  n'est  pas  résolue,  de  déterminer  le  point  de  départ 
du  chemin  de  Strasbourg,  quand  il  est  encore  incertain. 

Un  inconvénient  encore  bien  grand,  ce  serait  de  créer  entre 
rÉtat  et  une  compagnie  un  engagement  qui  ne  serait  pas  irrévo- 
cable, sans  doute,  mais  qui  cependant  gênerait  quelque  peu  sa 
liberté,  quand  il  s'agirait  de  concéder  le  chemin  de  Strasbourg.  Je 
suppose,  en  effet,  que  le  gouvernement  ne  jugeât  pas  convenable 
d'accepter  les  résultats  de  l'expérience  :  la  compagnie  concession- 
naire du  chemin  qu'elle  aura  construit  à  ses  frais  aura  établi  le 
commencement  d'un  chemin  de  Paris  à  Meaux.  La  Chambre  s'y  est 
refusée  jusqu'ici  ;  elle  a  cru  que  le  chemin  de  Paris  à  Strasbourg  ne 
devait  pas  rencontrer  la  concurrence  d'un  chemin  de  Paris  à  Meaux, 
et  cette  concurrence  vous  l'auriez  implicitement  créée. 

Je  crois  donc  qu'il  y  a  quelque  inconvénient  dans  cette  espèce 
d'engagement  pris  par  le  gouvernement  avec  une  compagnie,  et  qui 
gênerait  le  gouvernement,  s'il  ne  jugeait  pas  convenable  d'accepter 
les  résultats  de  l'expérience.  Je  crois  d'ailleurs  qu'il  y  a  quelque 
inconvénient  pour  le  chemin  de  Paris  à  Strasbourg,  dans  la  création 
d'un  chemin  en  concurrence  de  Paris  à  Meaux. 

Il  y  a  peut-être,  Messieurs,  quelques  autres  inconvénients  encore, 
qu'à  cette  heure  avancée  de  la  séance  je  ne  prends  pas  la  liberté  de 
présenter  à  la  Chambre. 

Je  résume  mes  observations  en  disant  que  l'administration  des 
ponts  et  chaussées  ne  demande  pas  mieux  que  d'entrer  dans  la 
voie  des  expériences,  des  études  ;  qu'elle  en  a  donné  la  preuve  par 
la  proposition  que  j'ai  l'honneur  de  vous  soumettre  aujourd'hui.; 
qu'elle  en  donnerait  une  nouvelle  preuve,  en  acceptant  l'amen- 
dement de  l'honorable  M.  Arago,  s'il  n'avait  pas  les  inconvé- 
nients administratifs  que  je  viens  de  discuter  devant  la  Chambre.  Je 
souhaite  qu*une  autre  proposition ,  dégagée  de  ces  laconvéoients. 


LES-  CHEMINS  DE  PB1L  391 

paisse  ôtre  présentée  au  gouvernement;  il  Taccepterait  avec  recon- 
naissance, mais  il  ne  peut  accepter  Tamendement  tel  qu'il  est 
proposé. 

J*ai  eu  l*honneur  de  dire  encore  à  la  Chambre  que  si ,  dans  les 
chemins  de  fer  qui  vont  être  construits,  il  y  en  ^  qui  paraissent 
offrir  au  gouvernement  des  occasions  utiles  d'essayer  le  système 
atmosphérique,  il  s^empressera  de  le  faire.  Une  portion  du  chemin 
de  l^ris  à  Chartres  peut  présenter  cette  occasion  ;  il  y  a  entre  Ver- 
sailles et  le  plateau  de  Saint  Cyr  une  côte  très-élevée  à  franchir; 
la  question  n'^a  pas  été  assez  étudiée  pour  que  je  puisse  prendre  un 
engagement,  mais  TesBai  pourrait  y  être  fait  trèsutHement.  Les 
crédits  que  la  Chambre  accorde  au  gouvernement  lui  permettent 
d^étudier  la  question  avec  toute  l'attention  qu'elle  comporte,  et  il 
se  sentira  encouragé  par  l'assentiment  de  la  Chambre  à  faire  Texpé- 
rience  le  plus  tût  qu'il  pourra.  (Très-bien,  très-bien  l) 

M.  Arago.  Je  demande  à  dire  quelques  mots  de  ma 
place;  je  serai  très-court.  M.  le  ministre  n'a  rien  dit 
relativement  à  une  considération  que  j'ai  fait  valoir  et 
qui  m'a  déterminé  à  devenir  devant  la  Chambre  le  patron 
de  l'amendement.  Cette  considération  la  voici  :  l'expé- 
rience serait  faite,  en  supposant  qu'on  adoptât  ma  propo- 
sition, dans  six  mois.  A  l'ouverture  de  la  session  pro- 
chaine nous  en  connaîtrions  les  résultats. 

M.  le  ministre  nous  a  dit  que  le  terrain  n'est  pas  favo- 
rable ;  il  s'est  trompé. 

Si  on  le  voulait ,  on  placerait  le  tube  propulseur  entre 
la  berge  et  la  plaine,  sous  des  inclinaisons  de  45  degrés  ; 
on  essaierait  les  courbes  des  plus  petits  rayons. 

M.  le  ministre  a  présenté  des  difficultés  que  j'ai  ressen- 
ties moi-même  tout  à  l'heure,  et  voici  pour  le  rassurer  les 
modifications  que  j'apporterai  à  la  fin  de  l'amendement  : 

t  L'expérience  du  canal  de  l'Ourcq  ne  préjuge  en 
aucune  manière  ni  la  question  du  tracé  définitif  de  la 
Ugne  de  l'Est,  ni  la  question  de  l'entrée  à  Faris^  » 


39t  LES  CHEMINS  DE  FER. 

II  est  évident  qu'avec  cette  modification,  toutes  les 
difficultés  qu*a  présentées  M.  le  ministre  disparaissent* 
On  voit  qu'on  ne  s'engage  nullement  envers  la  compa- 
gnie ;  néanmoins  je  retire  l'amendement  tout  de  suite  si 
le  gouvernement  déclare  que  dans  l'intervalle  de  six  mois 
il  aura  fait  une  expérience  lui-même. 

M.  le  ministre  disait  que  sur  le  chemin  de  Chartres 
il  pourrait  disposer  du  tracé  de  manière  à  employer  le 
système  atmosphérique.  Pour  moi ,  je  ne  recommande 
pas  ce  système  pour  un  établissement  définitif.  J'attendrai 
les  résultats  des  expériences  que  je  provoque. 

J'insiste  pour  l'adoption  de  l'amendement  avec  le 
changement  que  je  viens  d'y  faire. 

M.  LuNEAU.  La  commission  s'est  préoccupée  de  la  question.  Elle 
a  cru  que  les  faits  seraient  plus  forts  que  toutes  les  restrictions 
portées  dans  un  amendement,  et  quoique  son  plus  grand  désir  soit 
de  faire  expérimenter  le  système  atmosphérique,  elle  n*a  pu  se 
dissimuler  les  inconvénients  qu'il  y  aurait  à  Tadoption  de  Pamen- 
dement  pour  la  tête  du  chemin  de  Strasbourg. 

M.  LE  MINISTRE  9ES  TRAVAUX  PUBLICS.  Je  ne  crois  pas  que  M.  Arago 
ait  détruit  les  observations  administratives  que  j*ai  eu  Thonneur  de 
faire.  Je  n'ai  pas  l'intention  d'élever  d'objections  contre  les  propo- 
sitions d'expériences  scientifiques  qu'il  a  faites.  J'ai  dit  que  si 
l'administration  des  ponts  et  chaussées  avait  les  moyens  d'expéri- 
menter le  système  atmosphérique,  elle  le  ferait  avec  empressement, 
et  probablement  avec  utilité. 

M.  ÂRAGO.  Je  ne  demande  pas  mieux.  Je  transforme 
mon  amendement,  et  je  demande  qu^on  vote  2  millions 
pour  faire  les  expériences. 

M.  LE  MINISTRE.  J'accepte  avec  empressement  le  concours  que 
m'offre  M.  Arago  ;  mais  il  faut  que  ce  concours,  pour  être  accepté, 
soit  offert  dans  une  forme  régulière.  Je  crois  qu'il  y  a  un  inconvé- 
nient assez  grave  à  ce  que,  dans  une  loi  spéciale  sur  le  chemin  de 
Strasbourg,  on  introduise  un  crédit  ayant  pour  objet  d'expérimenter 


LES  CHEMINS  DE  FER.  393 

le  système  atmosphérique,  probablement  ailleurs  que  sur  le  chemin 
de  fer  de  Strasbourg. 

L'approbation  que  la  Chambre  a  donnée  aux  développements  dans 
lesquels  M.  Arago  est  entré  me  déterminera  à  me  concerter  avec 
mes  collègues  pour  prendre  les  ordres  du  roi  afin  de  demander  un 
crédit  spécial.  (Très-bien  1  très-bien  1) 

M.  Arago.  Il  me  semble  que  je  puis  considérer  les 
dernières  paroles  de  M.  le  ministre  comme  un  enga- 
gement qu'il  sera  fait  promptement  des  expériences. 
C'est  tout  ce  que  je  demandais.  Dieu  veuille  qu'elles 
arrivent  promptement  et  qu'on  puisse  en  profiter  pour 
rétablissement  de  tant  de  chemins  de  fer. 

[  Les  projets  de  loi  sur  Fessai  des  trains  articulés  et  sur  celui  du 
système  atmosphérique  ayant  été  présentés  »  ainsi  que  la  promesse 
en  avait  été  faite,  M.  Arago  a  été  nommé  rapporteur  des  commis- 
sions de  la  Chambre  des  députés.  Les  rapports  qu*U  a  rédigés  & 
cette  occasion  sont  placés  ci-après.] 

VII 

SYSTÈME    DE   CHEMIN    DE    FER    A    TRAINS   ARTICULÉS 

[M*  Arago  a  envisagé  le  système  de  chemin  de  fer  à  trains  arti- 
tlculés  inventé  par  M.  Arnoux,  sous  deux  points  de  vue  différents, 
dans  deux  Rapports  faits,  Tun  à  l'Académie  des  sciences,  Tautre 
à  la  Chambre  dés  députés.  Dans  le  premier  Rapport,  M.  Arago  s'est 
occupé  de  la  partie  technique  de  Tinvention;  dans  le  second,  il  a 
surtout  considéré  les  avantages  économiques  promis  par  le  système 
de  M.  Amoux.  Ces  deux  Rapports  sont  réunis  ici  dans  leur  ordre 
chronologique.  ] 

1*  Rapport  à  V Académie  des  Sciences  *. 

M.  Arnoux  présenta  à  l'Académie ,  il  y  a  deux  ans,  un 
Mémoire  relatif  au  système  qu'il  avait  imaginé  pour  faci- 

l  Ce  Rapport  a  été  lu  dans  la  séance  du  20  Juillet  18/iO  de  TAca- 
démie  des  sciences,  au  nom  d*une  commission  composée  de  MM.  Sa- 


304  LES  CHEMINS  IXE  FEIL 

liter  le  passage  des  locomotives,  des  voitures  et  des  wagons 
sur  les  chemins  de  fer  de  toute  courbure.  Un  modèle 
parfaitement  exécuté  accompagnait  le  Mémoire.  UAca- 
demie  n*a  pas  oublié  le  savant  rapport  *,  honoré  de  son 
approbation,  dans  lequel  M.  Poncelet  apprécia  avec  tant 
de  mesure  et  de  lucidité  tout  ce  que  les  nouvelles  dispo- 
sitions présentaient  de  hardi,  d'ingénieux,  de  plausible. 
Elle  doit  se  souvenir  aussi  que  ses  commissaires  en 
appelaient  à  des  essais  en  grand,  pour  corroborer  ou 
infirmer  les  espérances  que  la  théorie  permettait  de  con- 
cevoir.  Ces  expériences,  M.  Arnoux  s'est  empressé  de 
les  faire,  et  sur  une  échelle  vraiment  inusitée  :  elles  n'ont 
pas  coûté  moins  de  150,000  francs.  Tous  les  obstacles 
à  la  locomotion,  tels  que  pentes  et  contre-pentes,  croi- 
sements de  voies,  lignes  droites  raccordées  par  des 
courbes,  lignes  courbes  en  sens  opposés  se  succédant 
sans  intermédiaire,  courbes  de  très-petits  rayons,  se  sont 
trouvés  réunis  dans  un  chemin  qui  existe  encore  à  Saint- 
Ifandé^  et  dont  le  développement,  égal  à  14&2  mètres, 
forme  un  circuit  fermé.  Cette  disposition  permettait  de 
revenir  au  point  de  départ  autant  de  fois  qu*on  le  voulait 
sans  s'arrêter  ni  là,  ni  ailleurs.  Aussi^  en  un  seul  jour, 
a-t-on  parcouru  60  kilomètres;  aussi  la  totalité  du  che- 
min que  les  wagons  ont  fait  dans  ce  champ-clos,  pendant 
toute  la  durée  des  expériences,  s'élève-t-elle  à  600  kilo- 

nry,  Goriolis,  Gambey,  et  Arago  rapporteur;  il  était  intitulé  :  Bap- 
part  stur  Us  diverses  dispositions  proposées  par  Jtf,  Arnoux  pour 
faire  marcher  librement  les  locomotives  et  les  wagons  des  chemins 
de/er^  le  long  des  courbes  de  toutes  sortes  de  rayons. 

L  Goo^neB-readus de  rAcadâmiadesaolBiioes,  t.  YI,  p. â02. 


LES  CHEMINS  DE  f^R.  39(^ 

mètres,  c'est^i-dire  aux  pr(^K)rtions  du  long  voyage  de 
Paris  à  Lyon.  Il  ne  fallait,  au  reste,  rien  moins^  pour 
autoriser  à  parler  du  système  de  M.  Amoox,  sous  le  rap- 
port  de  la  solidité^  de  la  détérioration  des  rails,  de  la 
durée  des  roues  et  des  nouveaux  mécanismes  destinés  à 
donner  aux  essieux  les  directions  convenables.  Ajoutons, 
qu'afin  de  pouvoir  étudier  lleffet  des  courbes  sur  la  loco* 
motion,  même  au  delà  des  limites  qu'un  ingénieur  n'aura 
jamais  besoin  d'atteindre  dans  le  tracé  des  chemins  de 
fer,  un  petit  cercle  de  18  mètres  de  raycm,  complètement 
fermé,  se  rattachait  au  chemin  principal  par  deux  bran- 
ches de  courbes  de  30  mètres  de  rayon,  et  qu'une  fois 
entré  dans  ce  cercle,  le  convoi  pouvait  le  parcourir  indé- 
finiment* 

Le  convoi  se  composait  ordinairement  de  la  locomotive, 
du  tender,  de  quatre  voitures  de  quatre  ou  six  roues  et 
d*une  plate-forme.  L'évaluation  précise  des  résistances 
a  été  obtenue  par  des  appareils  dynamométriques.  M.  le 
capitaine  Morin,  qui  a  une  si  grande  habitude  de  ces 
machines,  qui  en  a  fait  de  si  nombreuses,  de  si  utiles, 
de  si  ingénieuses  applications,  a  bien  voulu  mettre  lui* 
même  en  action  les  excellents  dynamomètres  qu'il  a  tant 
perfectionnés,  relever  tous  les  résultats  et  en  former  des 
tableaux.  La  commission  ne  saurait  assez  reconnaître  à 
quel  point  le  zèle  éclairé  et  infatigable  die  M.  Morin  lui 
a  été  utile. 

Lorsque  pour  obtenir  une  comparaison  directe  des 
tractions  nm  les  rails  ordinaires  avec  celles  qu'exigent, 
toutes  circonstances  égales,  les  rails,  à  petite  courbes  de 
M.  Amoux,  on  transporta  les  appareils  dynamométriqoes 


396  LES  CHEMINS  DE  FER. 

sur  les  chemins  de  Versailles,  ce  fut  encore  M.  Morin 
qui  présida  aux  mesures. 

Notre  objet  doit  être  maintenant  d'exposer  les  résul- 
tats, de  les  rapprocher,  d'en  tirer  les  conséquences  qui, 
aujourd'hui,  nous  sembleraient  pouvoir,  sans  inconvé- 
nient, être  sanctionnées  par  l'Académie.  Ces  consé- 
quences ne  seraient,  au  reste,  ni  bien  comprises,  ni 
convenablement  appréciées,  si  nous  ne  posions  pas  de 
nouveau  le  problème  en  termes  précis  ;  si  nous  négligions 
de  rappeler  succinctement  les  idées  qui  ont  conduit 
les  mécaniciens  au  système  de  wagons  actuellement  en 
usage ,  et  celles  dont  le  système  de  M.  Amoux  offre  la 
réalisation. 

Avant  d'entrer  dans  ces  détails,  nous  croyons  toute- 
fois devoir  informer  l'Académie,  que  la  commission  s'est 
abstenue,  à  dessein,  de  toucher  aux  questions  de  priorité 
qui  lui  ont  été  soumises,  non  qu'elles  lui  parussent  dif- 
ficiles, mais  seulement  parce  que  les  tribunaux  en  sont 
actuellement  saisis.  Nous  ajouterons  que  la  commission 
s'est  vue  à  regret  dans  l'impossibilité  de  rendre  compte 
ici  d'une  invention  ingénieuse  de  M.  Renaud  de  Vilback, 
tendant  au  même  but  que  le  système  de  M.  Amoux.  Le 
fragment  de  chemin  construit  à  Charenton,  d'après  les 
idées  de  M.  de  Vilback,  avait  de  trop  petites  dimensions 
pour  qu'on  pût  y  tenter  des  expériences  vraiment  démons- 
tratives. Ce  chemin ,  d'ailleurs ,  fut  détruit  avant  que  la 
commission  en  corps  y  eût  vu  fonctionner  le  wagon  isolé 
qui  le  parcourait  par  l'action  de  la  pesanteur.  Le  seul 
commissaire  auquel,  dans  le  temps,  les  circonstances  per- 
mirent de  se  rendre  à  l'usine  de  Charenton  et  d'y  assister 


LES  CHEMINS  DE  FER.  397 

h  une  ou  deux  épreuves  du  nouveau  chemin,  n'ayant  fait, 
n'ayant  pu  faire  aucune  expérience  précise,  aucune  me- 
sure, n'oserait  émettre  une  opinion  décidée  ;  ne  pourrait 
pas,  en  tout  cas,  se  substituer  à  la  commission  entière, 
alors  même  que  ses  confrères  voudraient  bien  le  per- 
mettre et  que  le  règlement  ne  s'y  opposerait  point.  Nous 
espérons  que  cette  déclaration  mettra  fin  à  une  polémique 
dont  nous  avons  déjà  trouvé  les  traces  dans  quelques 
écrits,  et  qui  désormais  n'aurait  plus  de  prétexte. 

Les  caractères  essentiels  du  système  de  M.  Arnoux 
sont  l'indépendance  absolue  des  roues  montées  sur  un 
même  essieu,  et  leur  mobilité  autour  des  fusées  qui  les 
portent;  la  liberté  qu'ont  les  essieux  de  changer  de  direc- 
tion dans  un  plan  horizontal  autour  de  chevilles  ouvrières 
sur  lesquelles  la  charge  repose  ;  enfin  la  liaison  complète, 
de  voiture  à  voiture ,  par  des  timons  rigides  articulés , 
engagés  à  chaque  extrémité  dans  les  chevilles  ouvrières 
et  s'articulant  sur  Taxe  même  du  chemin.  Par  la  der- 
nière disposition,  le  convoi  entier  est  comme  une  longue 
chaîne,  inextensible,  mais  parfaitement  flexible  dans 
toutes  ses  parties. 

Les  deux  premières  conditions  sont  indispensables  pour 
qu'une  voiture  puisse  ne  pas  éprouver,  sur  une  voie 
courbe,  une  résistance  beaucoup  plus  forte  que  sur  un 
chemin  tracé  en  ligne  droite.  Il  faut,  en  effet,  pour  qu'il 
en  soit  ainsi,  qu'à  chaque  instant  les  essieux  prennent 
des  directions  normales  aux  courbes  parcourues,  et  qu'en 
même  temps  les  roues  extérieures,  roulant  sur  la  courbe 
dont  le  développement  est  le  plus  grand,  prennent  la  plus 
grande  vitesse. 


398  LES  €HEBilN6  DB  FBE. 

Il  ne  suffit  pas  »  néanmoins ,  que  ces  condhioDs,  re- 
marquées de  tout  temps,  puissent  être  satisfaites  :  elles 
doivent  Tétre  nécessairement;  il  est  indispensable  que 
tous  les  essieux  soient  constamment  guidés^ 

Aussi,  les  premiers  essais  de  chemins  en  bois  et  en  fer 
dans  les  galeries  de  mines ,  offrirent-ils  divers  moyens 
pour  donner  à  des  essieux  mobiles  la  direction  eonve- 
nable.  C'était,  par  exemple,  une  crosse  fixée  perpendi- 
culairement au  premier  essieu  et  qui,  armée  quelquefois 
à  son  extrémité  inférieure  d'un  galet  horizontal^  pénétrait 
dans  une  rainure  creusée  entre  les  deux  directrices  courbes 
de  la  voie.  On  a  vu  plus  tard  les  galets  horizontaux,  mais 
pour  une  application  toute  spéciale,  dans  quelques-uns 
des  petits  chariots,  à  voie  extrêmement  étroite,  destinés 
au  jeu  des  Montagnes  Russes. 

Pourquoi  donc,  dans  le  grand  problème  de  la  loco- 
motion sur  chemins  de  fer,  a-t-on  bientôt  abandonné  les 
anciennes  tentatives?  Pourquoi  s'esi-on  jeté  dans  un  sys- 
tème tout  différent? 

C'est  que  les  premiers  moyens  de  direction  n'étaient 
pas  admissibles  dès  qu'on  voulait  augmenter  la  vitesse; 
c'est  qu'avec  des  essieux  mal  guidés  ou  libres,  les  wagons 
sortiraient  à  chaque  instant  de  la  voie,  malgré  l'obstacle 
qu'opposent  aux  rebords  des  roues  les  bourrelets  ou  les 
plans  verticaux  des  rails;  c'est  qu'en  effet,  le  frottement 
même  de  ces  bourrelets  et  de  ces  rebords,  en  retardant 
le  mouvement  de  la  roue  frottante,  tendrait  à  faire 
pivoter  l'essieu  et  la  voiture  entière  autour  du  point 
d'arrêt. 

Dans  les  parties  droites  d'une  voie,  les  essieux  doivent 


LES  CHEMINS  DE  FEB.  399 

rester  invariablement  perpendiculaires  à  Taxe  des  wagons. 
On  chercha  donc  avant  tout  à  établir  cette  perpendicu- 
lai'ité  d'une  manière  permanente.  Après  ce  premier  pas, 
il  n'y  avait  plus  que  de  l'avantage  à  faire  les  autres:  à 
rendre  les  essieux  solidaires  avec  les  roues,  et  tournant 
sur  eux-mêmes  dans  des  boites  fixées  à  la  caisse  môme 
de  la  voiture. 

Par  là  les  roues  se  trouvent  parfaitement  maintenues 
dans  des  plans  verticaux,  et  la  charge  se  transmettant 
aux  essieux  par  des  parties  situées  près  de  leurs  points 
d'appui,  les  fat^ue  moins  que  lor^u'elle  repose  direc- 
tement sur  le  milieu  de  leur  longueur. 

Tel  est  le  système  actuel.  Il  est  parfait  pour  les  lignes 
droites ,  mais  tout  se  trouve  sacrifié  à  ces  lignes. 

Dans  les  courbes ,  en  effet ,  le  parallélisme  des  essieux 
est  un  défaut;  la  liaison  qui  oblige  les  roues  à  prendi*e 
des  vitesses  égales,  un  autre  défaut.  La  nécessité  même 
de  ne  pas  exagérer  ces  inconvénients,  réagit  sur  les  par- 
ties droites  du  chemin,  en  empêchant  d'augmenter  la 
largeur  de  la  voie  et  d'assurer  par  là,  de  plus  en  plus, 
la  stabilité  des  voitures. 

Sans  doute  on  a  remédié,  du  moins  en  partie,  aux 
inconvénients  que  nous  venons  de  rappeler,  par  d'ingé- 
nieux artifices ,  par  les  roues  à  jantes  coniques,  par  les 
roulements  des  roues  extérieures  sur  la  circonférence  de 
leurs  rebords,  ce  qui  constitue,  comme  on  le  sait,  le  pro- 
cédé de  M.  Laignel  ;  mais  ces  moyens  ne  peuvent  remé- 
dier qu'aux  défauts  qui  résultent  de  la  dépendance  des 
roues.  Les  inconvénients  attachés  au  parallélisme  des 
(jxes  subsistent  encore. 


400  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Donnera -t- on  d'avance,  et  à  dessein,  du  jeu  pour 
rendre  possible  un  certain  degré  de  convergence  î  On  Ta 
fait  en  Angleterre  et  avec  désavantage ,  en  Tabsence  de 
moyens  de  guider  les  essieux  :  résultat  que  Ton  pouvait 
prévoir  par  des  raisons  précédemment  indiquées. 

On  est  donc  inévitablement  conduit,  dès  qu'on  s*écarle 
du  système  des  wagons  ordinaires,  à  chercher  des  moyens 
de  donner  aux  essieux  la  direction  convenable. 

Examinons  comment  M.  Âmoux  satisfait  à  cette  con- 
dition : 

Son  système  se  expose  de  trois  parties  distinctes.  Il 
faut  y  signaler  en  effet  : 

D'abord  le  moyen  particulier,  spécial,  de  diriger  le 
premier  essieu  de  la  première  voiture  ; 

Ensuite  le  moyen  commun  de  diriger  le  premier  essieu 
de  chacune  des  voitures  suivantes; 

Enfin  le  moyen  de  subordonner,  dans  chaque  voiture, 
à  la  direction  déjà  déterminée  du  premier  essieu,  celle 
du  second. 

Chacun  de  ces  points  exige  quelques  détails. 

Le  premier  essieu  du  convoi  porte,  à  l'extrémité  de 
fourches  recourbées,  quatre  galets,  mobiles  dans  des 
plans  à  peu  près  horizontaux,  légèrement  inclinés  de  haut 
en  bas,  du  dedans  au  dehors,  et  qui  s'appuient,  en  rou- 
lant, contre  les  bourrelets,  ou  mieux,  contre  les  plans 
verticaux  des  rails.  Ces  galets  n'éprouvent,  lorsqu'ils  pnt 
bien  ajustés,  aucune  autre  résistance  que  celle  qui  naît 
du  roulement,  puisque  l'essieu  qui  les  soutient  les  em- 
pêche de  jamais  porter  par  leurs  faces  horizontales*  Le^ 
centres  des  galets  se  trouvent  maintenus  ainsi  aux  quatre 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i04 

Bommets  d'un  rectangle  engagé  entre  les  rails,  avec  une 
très-petite  quantité  de  jeu.  Les  déviations  des  côtés  de  ce 
rectangle,  par  conséquent  les  déviations  de  l'essieu  pa- 
rallèle aux  côtés  transversaux  et  compris  entre  eux  ;  ces 
déviations,  disons-nous,  ne  peuvent  être  que  de  l'ordre 
de  grandeur  exprimé  par  le  rapport  du  jeu  à  la  largeur 
du  rectangle  même. 

Un  pareil  système  de  guides  est  excellent.  Il  n'a  rien 
de  commun  avec  les  roulettes  verticajes  antérieurement 
proposées.  Est-il  besoin  de  dire,  en  effet,  que  des  galets 
ne  peuvent  servir  de  guides  que  par  rapport  au  plan  sur 
lequel  ils  roulent ,  et  que  les  rebords  verticaux  des  rails 
sont  ici  les  plans  relativement  auxquels  il  faut  guider  le 
mouvement? 

Les  galets- guides  de  M.  Arnoux  auraient  plus  d'ana- 
logie avec  le  galet  unique  de  certains  chariots  des  usines. 
On  pourrait  croire  la  ressemblance  plus  grande  encore 
en  prenant  le  terme  de  comparaison  dans  quelques-uns 
des  galets  imaginés  pour  les  montagnes  russes.  Quant  à 
ces  derniers,  cependant,  une  différence  frappe  tout  de 
suite  l'attention  :  leur  objet  est  plutôt  de  diminuer  un 
glissement  que  d'assurer  une  direction  aux  essieux.  En 
effet,  avec  une  voie  aussi  étroite  la  direction  convergente 
des  essieux  n'avait  pas  d'importance  ;  il  suffisait  que  les 
galets  fussent  portés  par  la  caisse  des  chariots.  On  les  voit 
même  engagés  quelquefois  dans  des  rainures  latérales 
pour  écarter  toute  chance  de  projection.  Rien  de  sem- 
blable ne  pourrait  avoir  lieu  sur  une  grande  échelle. 

Examinons  maintenant  si  les  galets  de  M.  Ârnoux 
n'auraient  pas,  avec  les  avantages  qui  leur  appartiennent, 

V.  — H.  26 


i02  LES  CHEMINS  DE  FER. 

qui  les  distinguent  de  tout  ce  que  Ton  avait  proposé  pour 
le  même  objet,  quelque  inconvénient  grave. 

L'expérience  semble  avoir  prononcé.  Jamais  les  galets 
n'ont  présenté  de  tendance  à  dérailler;  jamais,  dans  la 
voie,  il  n'y  a  eu  de  rupture;  la  surface  s'usait  un  peu 
rapidement ,  mais  alors  seulement  que  les  galets  étaient 
en  fonte  douce,  et  que  les  aspérités  des  rails  étaient 
encore  vives.  Depuis,  avec  des  galets  garnis  d'un  cercle 
d'acier,  il  n'y  a  plus  eu  d'usure  appréciable. 

On  a  voulu  s'assurer  si  tous  étaient  indispensables  à  la 
direction  du  convoi.  Avec  un  galet  de  moins  il  a  été  im- 
possible de  marcher.  Les  wagons  se  sont  arrêtés  dès  les 
premiers  instants  ;  mais  aussi  quelques  instants  suffisent 
pour  remplacer  le  galet  qui  manque. 
-  Un  accident  qui  ne  tient  nullement  à  la  nature  du  sys- 
tème, a  donné  lieu  à  une  remarque  qui  mérite  d'être 
conservée. 

Dans  un  changement  de  voie  une  aiguille  était  restée 
fermée.  La  locomotive  et  le  convoi  abandonnèrent  donc 
les  rails;  dès  lors  les  galets  se  trouvant  forcés  de  labourer 
le  sol ,  un  d'eux  se  brisa  ;  mais  la  pointe  de  la  fourche 
qui  le  portait  continuant  de  pénétrer  dans  la  terre ,  con- 
tribua promptement  et  à  coup  sûr  fort  heureusement  à 
détruire  la  vitesse  acquise. 

En  voyant  les  galets  d'une  première  voiture  assurer, 
d'une  part,  la  direction  en  s'encadrant  dans  les  rails,  et, 
d'autre  part,  transfornœr  en  frottement  de  roulement  le 
glissement  du  rebord  des  roues  contre  les  bourrelets ,  on 
se  demande  s'il  ne  conviendrait  pas  d'appliquer  un  sys- 
tème semblable  à  chacun  des  essieux  suivants.  Cette  idée 


LES  CHEMINS  DE  FER.  403 

s'était  présentée  dès  Torigine  à  M.  Arnoux.  L'élévation 
des  prix  d'établissement  et  d'entretien  qui  en  résulterait, 
suffirait  pour  la  faire  rejeter,  si  la  difficulté  de  maintenir 
constamment  ajustés  à  une  hauteur  convenable  tous  ces 
galets,  n'était  une  objection  plus  grave  encore. 

Aussi,  restreignant  l'emploi  des  galets  au  premier  axe 
du  convoi,  et  peut-être,  ce  que  la  commission  serait  tout 
à  fait  disposée  à  approuver,  au  dernier  essieu,  M.  Arnoux 
adopte-t-il,  pour  diriger  les  essieux  intermédiaires,  Uû 
système  tout  difféi:ent.  Ce  système  comprend  deux  parties 
distinctes. 

D'abord  vient  la  liaison  du  second  essieu  de  chaque 
voiture  avec  le  premier  :  elle  est  analogue,  quant  aux  effets, 
à  ce  que  présentent  les  voitures  de  l'amiral  Sidney  Smith, 
de  M.  Diez,  et  même  à  ce  qu'offrent  des  essais  plus  an- 
ciens, mais  présentant  des  dispositions  moins  parfaites; 
elle  se  distingue  par  une  solution  nouvelle. 

Dans  chaque  voiture,  chaque  essieu  porte  au  milieu  de 
sa  longueur  une  couronne  que  traverse  une  cheville  ou- 
vrière; deux  chaînes  à  mailles  plates  embrassant  les 
couronnes  et  se  croisant  dans  l'intervalle  qui  les  sépare^ 
s'attachent  à  leur  circonférence  ;  les  seconds  essieux  se 
trouvent  ainsi  dirigés  :  car,  pour  une  voiture  dœinée,  si 
le  premier  essieu  tourne  dans  un  sens,  le  second  tourne  en 
sens  contraire  et  de  la  même  quantité. 

Les  deux  essieux  d'une  même  voiture  ainsi  liés  entre 
eux,  demeurent  complètement  indépendants,  au  moins 
quant  à  une  action  directe ,  des  essieux  de  la  voiture  qui 
précède  et  de  celle  qui  suit.  Il  reste  donc,  et  cette  partie 
du  système  de  M.  Arnoux  est  entièrement  neuvef  il  reste 


404  LF5  CHEMINS  BE  FER. 

à  déterminer,  dans  chaque  voiture,  la  direction  du  pre- 
mier essieu.  M.  Amoux  la  fait  dépendre  uniquement  de 
l'angle  que  le  timon  rigide  de  cette  voiture  fait  avec  la 
flèche  de  la  voiture  qui  précède.  A  l'arrière  de  cette  flèche, 
pour  établir  la  liaison  voulue,  est  fixée  une  petite  couronne 
concentrique  à  la  couronne  du  second  essieu ,  dont  elle  est 
indépendante.  Cette  petite  couronne  conduit,  par  des 
chaînes  croisées,  la  première  couronne  d'essieu  de  la  voi- 
ture suivante.  Quant  à  l'effet  de  traction ,  il  se  transmet 
tout  entier  par  les  timons;  les  chaînes  n'ont  qu'à  faire 
tourner  les  couronnes  sur  leurs  sellettes. 

Pour  que  les  deux  essieux  de  la  voiture  qui  précède  et 
le  premier  essieu  de  la  voiture  qui  suit  convergent  vers  le 
centre  du  cercle  qui  passe  par  leurs  trois  chevilles  ou- 
vrières, il  faut  que  le  rayon  de  la  petite  couronne  fixée  à 
la  flèche ,  soit  aux  rayons  des  couronnes  d'essieu  dans  le 
rapport  de  la  longeur  du  tinion  à  la  somme  des  longueurs 
de  ce  timon  et  de  la  flèche  qbi  le  conduit. 

La  solution  n^est  rigoureuse  que  lorsque  le  timon  et  la 
flèche  ont  des  longueurs  égales.  Mais  elle  est  tellement 
approchée,  pour  un  rapport  différent  de  l'égalité,  dès 
que  le  rayon  de  la  voie  courbe  surpasse  dix  fois  la  lon^ 
gueur  d'une  voiture,  que  la  différence  est  pratiquement 
négligeable.  11  y  a  plus,  la  solution  approchée  pourra  bien 
avoir  quelque  avantage,  en  permettant  de  diminuer  la 
longueur  des  timons,  et  en  devenant  par  là  même  moins 
inexacte  au  passage  d'une  courbe  à  une  autre,  au  pas- 
sage d'une  partie  droite  à  une  voie  courbe,  et  réci- 
proquement. 

Au  surplus,  le  mérite  de  la  solution  n'est  pas  dans  une 


LBS  CHEMINS  DE  FER.  405 

rigueur  géométrique  que  Tapplication  ne  réalise  jamais. 
Il  consiste  à  empêcher  les  fausses  directions  de  dépasser 
des  limites  très- étroites,  à  guider  ainsi  d'une  manière 
continue,  sans  âr^oups;  de  telle  sorte  que  les  déviations 
se  compensent  et  se  neutralisent ,  pour  ainsi  dire,  sur  la 
longueur  du  convoi  entier. 

Si  l'on  voulait  un  exemple  de  la  supériorité  de  certaines 
solutions  approximatives  sur  des  solutions  exactes,  il 
suffirait  de  citer  le  parallélogramme  de  Watt,  substitué 
aux  engrenages  dans  les  machines  à  vapeur. 

L'expérience  a  montré,  du  reste,  que  la  liaison  con- 
tinue du  système  était  le  premier  avantage  de  l'idée  de 
M.  Arnoux.  On  a  pu,  dans  les  essais  de  Saint-Mandé, 
pour  tirer  parti  de  pièces  toutes  faites,  appliquer  les  mêmes 
couronnes  à  des  flèches  et  à  des  timons  de  longueurs  très- 
inégales,  sans  qu'il  en  résultât  un  grave  inconvénient. 
Les  résistances  ont  dû,  cependant,  en  être  un  peu  aug- 
mentées. 

Il  est  évident  toutefois  qu'il  conviendra  toujours  de 
s'assujettir  aux  proportions  les  plus  avantageuses. 

Une  remarque  semblable  doit  être  faite  relativement 
au  tracé  des  courbes  sur  le  terrain. 

A  Saint-Mandé  on  passe  presque  sans  intermédiaire, 
d'une  courbe  de  100  mètres  de  rayon  à  une  courbe 
de  30  mètres,  ou  à  une  ligne  droite  ;  mais  ce  n'est  pas 
sans  qu'un  peu  de  raideur  se  fasse  sentir  aux  points  de 
jonction. 

Il  est  évident  que  dans  la  pratique,  sans  rien  sacrifier 
des  avantages  du  système,  on  pourra  toujours  adoucir 
les  raccords  en  passant  graduellement  d'une  courbe  à 


406  I.ES  CHHIMINS  DE  FER. 

une  autre.  Peu  importe  que  Ton  marche  dans  un  arc  de 
cercle  parfaitement  régulier  pu  dans  une  suite  d'arcs  de 
cercle,  pourvu  que  l'un  quelconque  de  ces  arcs,  pro- 
longé de  la  longueur  d'une  flèche  ou  d'un  timon,  ne 
s'écarte  pas,  perpendiculairement  à  sa  courbure,  de 
celui  qui  le  précède  ou  le  suit,  d'une  quantité  plus 
grande  que  le  jeu  nécessaire  entre  les  rebords  des  roues 
et  les  bourrelets  des  rails. 

Il  est  des,  cas  où  la  douceur  des  raccords  dont  on 
vient  de  parler  a  moins  d'importance,,  où  l'on  pourra, 
comme  à  Saint-Mandé,  rattacher  l'une  à  l'autre,  presque 
sans  transition ,  des  courbes  de  rayons  très-différents.  Il 
en  sera  ainsi  pour  une  gare  d'évitement  que  l'on  voudra 
lier  à  la  voie  principale  du  chemin*  La  vitesse  à  l'entrée, 
par  conséquent  la  force  centrifuge,  ne  seront  jamais  assez 
grandes  pour  qu'un  changement  un  peu  rapide  de  direc- 
tion ait  une  influence  bien  nuisible. 

Le  petit  cercle  de  18  mètres  de  rayon,  à  Saint-Mandé, 
est  un  exemple  d'une  gare  d'évitement  comprise  dans  un 
espace  resserré,  et  offrant  cela  de  particulier,  qu'un  con- 
voi, de  quelque  côté  qu'il  arrive,  pourra  toujours  s'y 
engager  et  en  sortir  ensuite,  soit  pjour  continuer  sa  route, 
soit  pour  revenir  sur  ses  pas. 

Par  là  tombe,  en  grande  partie  au  moins,  une  dos 
principales  objections  élevées  contre  le  nouveau  système: 
celle  qui  porte  sur  la  difficulté ,  l'impossibilité,  pour  cer- 
tains cas,  de  faire  reculer  un  train.  En  ligne  droite,  le 
recul  est  certainement  possible  ;  à  Saint-Mandé  on  a  re- 
culé de  plus  de  50  mètres.  Mais  en  courbe,  dès  que  le 
rayon  est  petit,  on  ne  peut  rétrograder.  Ce  n'est  pas  à 


LES  CHEMINS  DE  FEA.  407 

l'obliquité  de  l'effort,  en  elle-même,  que  cette  impossi- 
bilité doit  être  attribuée;  elle  tient  à  ce  que  la  direction 
ne  se  transmet  pas,  dans  ce  sens,  aux  essieux,  et  rien 
ne  prouve  plus  clairement  que  cette  transmission  est 
indispensable. 

Au  demeurant,  il  ne  faut  pas,  quand  il  s'agit  de  recul, 
transporter  au  nouveau  système  les  idées  auxquelles  l'an- 
cien a  nécessairement  conduit.  Avec  le  système  ordinaire, 
le  retournement  d'une  seute  voiture  exigerait  l'emploi 
d'une  plate-forme,  si  cette  voiture  n'était  pas  parfaite- 
ment semblable  en  avant  et  en  arrière ,  et  par  là  disposée 
à  se  mouvoir  aussi  bien  dans  un  sens  que  dans  l'autre. 
Avec  le  système  proposé,  l'emploi  des  plates-formes  n'est 
jamais  indispensable,  puisqu'à  l'aide  d'un  cercle  de  très- 
petit  rayon,  un  train  entier  revient  sur  lui-même  et  rentre 
dans  la  voie  qu'il  avait  quittée. 

Reste  donc,  pour  la  nécessité  du  recul  immédiat,  le 
seul  cas  d'un  accident  survenu  à  la  voie.  Mais  alors  ce 
n'est  pas  à  quelques  instants  perdus  qu'on  doit  atta- 
cher une  grande  importance.  Il  suffira,  par  exemple, 
pour  transformer  le  convoi  et  l'approprier  à  la  direction 
rétrograde  qu'il  doit  prendre,  que  chaque  flèche  porte  à 
l'avant,  comme  à  l'arrière,  une  petite  couronne  sur 
laquelle  on  ajustera,  par  le  serrage  de  quelques  écrous, 
les  chaînes  nécessaires  à  la  direction  des  essieux. 

Une  nouvelle  objection  se  lie  à  ce  qui  vient  d'être  dis- 
cuté. Ces  chaînes  si  indispensables,  seront-elles  fréquem- 
ment sujettes  à  se  rompre?  D'abord  il  est  facile  de  voir 
qu'elles  ne  supportent  qu'un  effort  assez  faible  :  cet  effort 
se  borne  à  faire  tourner  les  couronnes;  l'impulsion  qui 


408  LES  CHEMINS  DE  FER. 

cniratne  le  convoi  se  transmet  tout  entière  par  les  timons 
et  les  flèches. 

Admettons,  cependant,  qu'un  accident  ait  lieu,  qu'une 
chatne  se  rompe  ou  se  détache.  Le  cas  s'est  présenté 
dans  les  expériences  de  Saint -Mandé,  pour  une  des 
chaînes  reliant  Tune  à  l'autre  les  deux  couronnes  d'une 
même  voiture.  La  chaîne  détachée  pendait  sans  que  l'on 
s'en  fût  aperçu.  On  fit  un  tour  entier  avant  que,  du  dehors 
on  avertît  les  personnes  qui  menaient  le  convoi  d'arrêter 
la  marche.  Cette  circonstance  prouve  que  si  l'ensemble 
des  moyens  de  direction  est  nécessaire,  ces  moyens  peu- 
vent, sans  inconvénient  grave,  être  supprimés  sur  un 
point  intennédiaire.  La  solidarité  de  toutes  les  parties  du 
système  maintient  alors  dans  la  voie  le  seul  essieu  qui  ne 
soit  plus  guidé.  Un  semblable  accident,  au  reste,  est 
réparé  en  quelques  instants. 

C'est  un  avantage  notable  de  ce  moyen  de  direction, 
que  le  peu  de  causes  d'altération  qu'il  présente.  Cet  avan- 
tage est  dû  à  la  douceur  des  mouvements,  à  ce  qu'ils 
s'exécutent  sans  grande  vitesse,  par  conséquent  sans 
chocs.  Le  mouvement  rapide  des  galets  directeurs  pour 
chaque  essieu  donnerait  lieu  à  des  altérations  bien  plus 
promptes;  aussi  M.  Arnoux  ne  les  emploie-t-il  que  là  où 
ils  sont  indispensables. 

Après  avoir  discuté  ce  qui  se  rapporte  seulement  à  des 
cas  particuliers,  à  des  accidents,  si  l'on  examine  ce  qui 
se  passe  dans  la  locomotion  ordinaire,  il  faut  reconnaître 
d'abord  qu'au  départ  d'un  train  la  difficulté  de  l'ébranler, 
dans  le  nouveau  système,  sera  plus  grande  que  dans  les 
convois  ordinaires,  où  chaque  voiture  commence  à  se 


LES  CHEMINS  DE  FER.  409 

mouvoir  isoléraent  avant  d'entraîner,  par  la  tension  des 
chaînes,  celle  qui  la  suit.  Nous  ne  croyons  pas  toutefois 
qu'il  puisse  jamais  résulter  de  là  un  inconvénient  grave. 
Cette  question,  au  surplus,  a  déjà  été  discutée  dans  le 
rapport  de  M.  Poncelet. 

Il  ne  faut  pas  négliger  une  circonstance  qui,  au  dé- 
part, est  à  l'avantage  des  trains  articulés  et  inexten- 
sibles de  M.  Amoux  :  c'est  l'absence  des  chocs  que  l'on 
éprouve,  dans  les  trains  ordinaires,  au  moment  où  les 
chaînes  se  tendent. 

Quant  au  point  essentiel,  aux  résistances  qu'il  faut 
vaincre,  une  fois  le  convoi  lancé ,  pendant  toute  la  durée 
du  mouvement,  y  a-t-il,  dans  le  système  proposé,  des 
causes  qui  puissent  en  définitive  accroître  leur  valeur 
moyenne?  Si  l'on  a  diminué  ces  résistances  dans  les 
courbes,  les  a-t-on  augmentées  dans  les  parties  droites, 
qui  seront  toujours  les  plus  étendues? 

Avant  de  citer  les  expériences,  examinons,  sous  ce 
rapport,  les  données  de  la  question. 

C'est  relativement  au  frottement  des  essieux  qu'il  peut 
y  avoir  incertitude. 

Dans  le  nouveau  système  d'essieux  mobiles,  la  charge 
porte  au  milieu  de  leur  longueur.  Cette  disposition,  jointe 
à  l'élargissement  de  la  voie,  vers  lequel  on  doit  tendre, 
semble  entraîner  une  augmentation  dans  le  diamètre  dos 
fusées  d'essieux,  par  suite  une  augmentation  de  résis- 
tance. 

Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  il  est  très-vrai  que  dans 
les  wagons  actuels,  c'est  un  avantage  que  de  faire  repo- 
ser la  charge  près  des  extrémités  des  essieux.  On  est  dons 


440  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Tusage  de  donner  aux  boîtes  dans  lesquelles  ces  ei^eox 
tournent,  un  diamètre  de  O^^.OSS. 

Quant  aux  grosses  diligences  des  routes  ordinaires,  oii 
la  charge  est  portée  au  centre  des  essieux,  comme  dans 
les  wagons  de  M.  Arnoux ,  les  fusées  ont  xm  centimètre 
de  plus  (0".  065  )• 

M.  irnoux,  dans  les  wagons  d'abord  soumis  aux  expé- 
riences, avait  adopté  cette  dimension ,  et  il  doit  évidem- 
ment en  résulter  un  excès  de  résistance  pour  le  frottement 
des  fusées. 

Mais  en  considérant  que  les  diligences  éprouvent  sur 
les  routes  ordinaires  des  chocs  souvent  assez  violents  qui 
n'existent  pas  sur  les  chemins  de  fer ,  M.  Arnoux  n'a  pas 
douté  que  les  essieux  de  ses  voitures  ne  pussent  être 
réduits  au  même  diamètre  que  ceux  des  wagons  de  son 
convoi  d'essai. 

On  pourra  dire  alors  qu'une  réduction  plus  grande 
serait  applicable  aux  wagons  à  axes  parallèles,  et  qu  en 
définitive,  l'avantage  leur  resterait  sous  ce  rapport. 

A  ce  point,  la  question  ne  peut  guère  être  résolue  avec 
certiLude  ;  elle  finit  par  être  une  question  de  durée  : 
surtout  si  l'on  a  égard  à  la  grande  longueur  que  l'on 
peut  donner,  dans  le  système  de  M.  Arnoux,  aux  boîtes 
des  roues  indépendantes. 

Cette  longueur  est  une  garantie  contre  les  déviations 
du  plan  dans  lequel  tournent  les  roues.  11  ne  semble  pas 
que  ce  plan  soit  moins  bien  maintenu  dans  le  système 
des  roues  libres  que  dans  celui  des  roues  solidaires,  du 
moins  pour  la  durée  que  ces  roues  peuvent  avoir. 

Cette  durée,  dans  le  système  actuel,  n'est  pas  grande. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  ii\ 

On  sait  avec  quelle  exactitude  les  roues  en  fonte,  soli- 
daires avec  les  essieux,  doivent  être  tournées.  On  sait 
aussi  avec  quelle  rapidité  les  rebords  verticaux  de  ces 
roues  se  détruisent  par  le  frottement  contre  les  bourrelets 
des  rails  dans  les  courbes. 

Le  système  de  M.  Arnoux  fait  disparaître  ces  résis- 
tances. H  donnera  donc  aux  roues  plus  de  durée  ou 
permettra  de  les  établir  avec  moins  de  perfection  et  de 
solidité. 

Ainsi,  dans  les  expériences  de  Saint-Mandé,  les  roues 
étaient  de  simples  roues  en  bois,  cerclées  en  fer,  et,  du 
moins  au  commencement,  non  tournées.  Les  rebords,  au 
lieu  de  faire  corps  avec  les  jantes ,  étaient  des  cercles 
en  fer  posés  à  plat  et  fixés  au  corps  de  la  roue  par  des 
vis  à  bois. 

Cependant  le  long  de  courbes  si  variées,  d'un  rayon 
si  petit,  dans  un  parcours  total  d'une  si  grande  étendue, 
aucun  de  ces  cercles,  si  légèrement  établis,  n'a  été  arra- 
clîé,  n'a  présenté  même  d'altération  sensible. 

Si  les  altérations  peuvent  jusqu'à  un  certain  point 
servir  de  mesure,  n'est-ce  pas  une  preuve  qu'une  cause 
énorme  de  destruction,  difficilement  appréciable  d'une 
manière  directe,  a  disparu  presque  entièrement? 

N'est-on  pas  aussi  fondé  h  croire  que  celte  diminution 
fera  phis  que  compenser  l'augmentation,  si  toutefois  il  y 
en  a  une,  du  frottement  des  essieux? 

Une  preuve  du  même  genre  que  celle  dont  nous  venons 
de  parler,  une  preuve  matérielle,  vient  encore  établir 
que  les  roues  sont  parfaitement  maintenues  et  les  axes 
parfaitement  dirigés. 


412  LES  CHEMINS  DE  FEIL 

Jamais,  pendant  ces  longues  expériences ,  on  n'a  res- 
senti d'une  manière  marquée  ces  mouvements  si  com- 
muns, si  destructeurs,  si  incommodes  que,  dans  les 
chemins  de  fer  actuels,  on  désigne  sous  le  nom  de  mou- 
vements de  lacet. 

A  de  très-grandes  vitesses,  la  seule  remarque  que  Ton 
ait  pu  faire  a  été  relative  à  l'inclinaison,  assez  faible 
d'ailleurs,  des  caisses,  provenant  de  la  force  centrifuge. 
Encore  aurait-il  été  possible  d'atténuer  cet  effet  en  éle- 
vant un  peu  le  rail  extérieur. 

Venons  maintenant  à  l'évaluation  des  résistances  totales 
h  l'aide  des  dynamomètres. 

Ces  résistances  proviennent  du  mouvement  propre  dont 
l'air  est  animé  ;  du  choc  des  wagons  sur  ce  même  air 
immobile;  du  frottement  des  essieux  à  leur  circonfé- 
rence ;  du  roulement  des  roues  sur  les  rails  ;  du  glisse- 
ment de  leurs  rebords  sur  les  bourrelets;  des  à-coups; 
des  accélérations  ou  des  retards  dans  la  marche  des 
convois,  que  le  meilleur  conducteur  ne  saurait  éviter, 
et  dont  l'influence  devient  considérable  à  cause  de  la 
grandeur  de  la  masse  en  mouvement.  Or  tout  cela  est 
susceptible  de  varier  avec  le  serrage  des  écrous ,  le  grais- 
sage des  boîtes,  l'état  hygrométrique  de  l'air,  l'établis- 
sement plus  où  moins  solide  des  rails.  Il  sufQrait,  quant 
à  cette  dernière  influence,  de  rappeler  les  belles  figures 
d'acoustique  que  le  passage  des  wagons  fait  naître  sou- 
vent sur  le  sable  dont  les  rails  sont  entourés. 

La  première  question  à  résoudre  était  naturellement 
colle -ci: 

Avec  le  système  de  M.  Arnoux,  la  résistance  est-elle 


LES  CHEMINS  DE  FER.  443 

sensiblement  la  même  sur  les  parties  droites  et  sur  les 
parties  courbes  du  chemin? 

Dans  une  première  expérience,  avec  des  roues  non 
tournées  et  une  vitesse  d'environ  4  mètres  par  seconde  ; 
sur  l'ensemble  du  chemin  principal,  composé  de  parties 
droites  et  de  parties  courbes  de  50  et  de  150  mètres  de 
rayon,  on  trouva,  pour  le  rapport  de  la  résistance  à  la 
charge,  la  fraction  1/175% 

Dans  une  autre  expérience,  avec  les  mêmes  roues, 
une  charge  différente  et  une  vitesse  à  peu  près  uniforme 
de  3"*.  8  par  seconde,  la  résistance,  dans  le  petit  cercle 
de  18  mètres  de  rayon,  se  trouva  être,  d'après  une 
moyenne  de  plusieurs  tours,  de  1/175*  à  1/177"  ;  c'est  le 
nombre  trouvé  précédemment  pour  l'ensemble  du  chemin. 

Lorsque  les  roues  eurent  été  tournées,  la  moyenne 
résistance  sur  l'ensemble  du  chemin,  descendit  à  1/204% 
la  vitesse  étant  toujours  d'environ  16  kilomètres  à  l'heure. 
Le  frottement  des  parties  droites  se  trouva  égal,  dans  ces 
expériences,  à  celui  des  parties  circulaires  de  50  mètres 
de  rayon  ;  la  fraction  qui  l'exprimait  était  1/215*. 

Avec  les  mêmes  roues  tournées,  mais  un  galet  touchant 
légèrement  les  chairs,  la  résistance  s*éleva  à  1/193*. 
Les  parties  droites  comparées  aux  parties  courbes  de  50 
mètres  de  rayon,  donnèrent  respectivement  les  fractions 
1/200*  et  1/202*. 

La  première  question  paraît  donc  résolue.  La  cour- 
bure de  la  voie  n'ajoute  rien  aux  résistances. 

Les  expériences  mettent  aussi  en  évidence  combien  il 
est  nécessaire  que  les  roues  soient  tournées  et  les  galets 
exactement  ajustés. 


41i  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Il  n'est  sans  doute  pas  besoin  de  dire  que  tous  les 
nombres  cités  représentent  des  résistances  réduites  à 
r  horizon. 

Quoique  ces  nombres  différassent  peu  de  ceux  qu'on 
admet  communément,  la  commission  jugea  convenable 
d'appliquer  les  instruments  dynamométriques  aux  che- 
mins de  fer  ordinaires.  Les  ingénieurs  de  Saint-Germain 
et  de  Versailles  en  fournirent  les  moyens  avec  un  empres- 
sement, avec  ime  obligeance  sans  bornes. 

Le  résultat  moyen  de  deux  séries  de  valeurs  obtenues 
le  3  mars  de  cette  année,  sur  le  chemin  de  Saint-Gennain 
avec  des  vitesses  peu  différentes  de  celles  de  Saint-Mandé, 
par  un  vent  dirigé  dans  le  sens  de  la  marche,  mais  ayant 
à  peu  près  la  vitesse  du  convoi  ;  ce  résultat,  disons-nous, 
conduit  à  une  résistance  horizontale  de  d/aOû*,  comme 
dans  les  épreuves  de  Saint-Mandé. 

Si  Ton  prend  une  expérience  pendant  laquelle  un  vent 
oblique  contrariait  légèrement  la  marche,  on  trouve 
1/170*.  Par  un  vent  favorable  et  les  boîtes  nouvellement 
lubrifiées,  le  coefficient  descend  à  1/252*. 

La  moyenne  serait  enfin  plutôt  au-dessus  qu'au-dessous 
<le  1/215\ 

Ces  expériences,  malgré  leurs  résultats  concordants, 
sont  sans  doute  bien  loin  de  résoudre  dans  toutes  ses  par- 
ties la  question  si  complexe  de  la  résistance  sur  les  che- 
mins de  fer.  Mais  nous  devons  remarquer  qu*il  n'était 
question ,  pour  nous ,  que  de  la  comparaison  entre  deux 
systèmes,  faite  dans  des  circonstances  aussi  semblables 
qu'il  était  possible  et  avec  les  mêmes  appareils.  Il  faut 
ajouter,  à  l'avantage  du  système  de  M.  Amoux ,  que  les 


LES  CHEMINS  DE  FER.  415 

grosses  fusées  des  essieux  de  toutes  ses  voitures  auraient 
pu,  sans  inconvénient,  être  ramenées  à  des  diamètres  de 
55  millimètres,  et  qu'alors,  d'après  un  coefficient  de 
frottement  plutôt  trop  faible  que  trop  fort,  la  résistance 
moyenne,  sur  le  chemin  rentrant  de  Saint-Mandé,  se 
serait  trouvée  réduite  à  1/230% 

En  résumé  : 

L'égalité  de  frottement,  de  résistance,  sur  les  partie.^ 
courbes  et  droites  des  chemins  de  fer,  quand  les  voitures 
sont  construites  suivant  le  système  de  M.  Arnoux  >  et  que 
les  vitesses  ne  dépassent  pas  certaines  limites ,  est  com- 
plètement établie  par  les  expériences  de  Saint-Mandé. 

Ces  expériences,  si  cela  pouvait  être  nécessaire,  vien- 
draient donc  à  l'appui  des  considérations  théoriques  déve- 
loppées dans  le  rapport  de  M.  Poncelet  ;  elles  prouve- 
raient, pratiquement,  que  la  convergence  des  essieux  est 
la  condition  indispensable  d'un  bon  service  de  locomotion 
sur  les  rails  courbes;  elles  établiraient  aussi  que  les  pro- 
cé'^^'és  dont  l'auteur  fait  usage  pour  établir  cette  conver- 
gence, ont  toute  la  précision  désirable. 

Si  nous  sommes  un  peu  moins  affîrmatifs,  quant  aux 
frottements  du  nouveau  système  comparés  h  ceux  de 
l'ancien ,  c'est  que  la  commission  n'a  pas  eu  les  moyens 
de  multiplier  suffisamment  les  épreuves  sur  les  chemins 
ordinaires;  c'est  qu'il  était  très-difficile  de  rendre  les 
circonstances  exactement  pareilles.  La  parfaite  identité  de 
circonstances  ne  paraîtra  certainement  à  personne  un  raf- 
finement d'exactitude,  si  nous  disons  qu'un  convoi  aban- 
donné à  lui-même,  c'est-à-dire  à  Taction  de  la  pesanteur, 
descendit  un  jour  de  Versailles  à  Asnières ,  avec  la  vitesse 


446  LES  CHEMINS  DB  FER. 

moyenne  de  quatre  lieues  à  Theure,  tandis  que  peu  de 
jours  auparavant ,  et  peut-être  par  la  seule  influence  d'un 
graissage  différent  ou  de  Tétat  des  rails ,  le  même  convoi 
s'arrêta  en  route.  Nous  devons  cependant  rappeler  que, 
sans  même  attribuer  aucune  influence  défavorable  à  la 
faiblesse  des  rails  dont  on  a  fait  usage  en  construisant  le 
chemin  de  M.  Arnoux,  à  la  faiblesse  des  coussinets  et  au 
petit  échantillon  des  traverses;  que  par  la  seule  réduction 
légitime  du  diamètre  des  essieux  à  55  millimètres,  le  frot- 
tement déduit  de  Tenseçible  des  expériences  de  Saint- 
Mandé,  s'est  trouvé  au-dessous  de  l/SâO",  résultat  qui 
probablement  n'a  jamais  été  dépassé  dans  le  service  ordi- 
naire d'aucun  chemin  de  fer. 

Les  possibilités  de  rupture  des  galets  destinés  à  diriger 
la  locomotive  et  des  chaînes  qui  opèrent  la  convergence 
des  axes,  les  accidents  qui  pourraient  en  résulter,  ont 
été  appréciés,  dans  ce  qui  précède,  tant  à  priori  que 
d'après  les  résultats  des  expériences.  Il  ne  nous  semble 
pas  qu'on  doive  s'en  préoccuper  sérieusement. 

Ainsi,  le  système  de  M.  Arnoux  n'imposerait,  autan! 
qu'il  a  été  possible  d'en  juger,  aucune  augmentation 
appréciable  de  frais  de  traction.  Sous  le  rapport  de  la 
sûreté,  ce  système  paraît  aussi  devoir  satisfaire  les  esprits 
les  plus  timides.  M.  Arnoux  semble  donc  avoir  complète- 
ment résolu  le  problème  difficile  qu'il  s'était  proposé. 
Désormais  les  ingénieurs  craindront  moùis,  dans  leurs 
tracés  de  chemins  de  fer,  de  s'écarter  très-notablement  de 
la  ligne  droite,  de  tourner  les  obstacles  de  toute  nature 
dont  aujourd'hui  ils  se  voient  forcés  de  demander  la  démo- 
lition. Les  dispendieux  souterrains  seront  moins  souvent 


L£S  CHEMINS  DE  FER.  M 

nécessaires;  on  multipliera  enfin  les  gares  d'évitement, 
et  par  ce  moyen  les  chemins  à  une  seule  voie  deviendront 
peut-être  suffisants  dans  bien  des  localités  où,  d'après  les 
méthodes  actuelles,  deux  voies  seraient  indispensables. 

Si  une  longue  expérience  des  nouvelles  voitures  ne  fait 
pas  surgir  des  difficultés  imprévues,  le  nom  de  M.  Arnoux 
ira  se  placer  très-honorablement  à  côté  des  noms  de  deux 
de  nos  compatriotes  qui ,  par  l'invention  des  chaudières 
tubulaires  et  du  tirage  à  l'aide  de  la  vapeur  perdue ,  ont 
rendu  usuelles,  sur  les  chemins  de  fer,  des  vitesses  qu'à 
l'origine  personne  ne  se  serait  flatté  d'atteindre ,  même 
dans  de  simples  expériences.  Quant  à  la  commission, 
après  un  examen  long  et  consciencieux,  elle  croit,  dès  ce 
moment,  devoir  proposer  à  l'Académie  d'accorder  son 
approbation  à  l'ingénieux  système  de  locomotives  et  de 
voitures  articulées  que  M.  Arnoux  lui  a  présenté. 

[  Dans  la  séance  de  l'Académie  des  sciences  qui  a  suivi  l'adop- 
tion du  rapport  qui  précède,  M.  Renaud  de  Vilback  a  réclamé  l'idée 
de  l'indépendance  des  roues  et  de  la  convergence  des  essieux, 
remploi  des  galets  directeurs;  il  s'est  plaint  qu'on  n'eût  pas  rendu 
compte  d'un  moyen  de  son  invention  supérieur,  suivant  lui,  aux 
moyens  dont  M.  Arnoux  fait  usage.  M.  Vilback  a  déclaré  que  «  ses 
expériences  étaient  suffisantes  pour  obtenir  un  rapport  ».  Ce  rap- 
port, M.  de  Vilback  le  demandait  avec  d'autant  plus  d'insistance 
que  «  la  commission  n'a  pas  cru  devoir  l'admettre  au  concours  du 
prix  de  mécanique,  et  que  ce  prix  a  été  accordé  à  son  heureux 
concurrent.  »  M.  Arago  a  répondu  à  cette  réclamation  dans  les 
termes  suivants  :  ] 

Je  relèverai  d'abord  une  confusion  dans  laquelle  est 

tombé  M.  de  Vilback.  La  commission ,  sur  le  rapport  de 

laquelle  le  prix  de  mécanique  de  la  fondation  Monthyon 

a  été  accordé  à  M.  Arnoux,  est  différente  et  de  celle  qui 
v.— n.  27 


4f8  LES  CHEMINS  DE  FEE. 

vient  de  rendre  compte  des  expériences  de  Saint-Mandé, 
et  de  la  commission  qui  devait  examiner  le  bout  de  chemin 
de  Charenton,  Les  questions  de  priorité  ont  été  à  peine 
effleurées  (Voir  p.  396)  dans  le  rapport  dont  M.  de  Vil-" 
back  se  plaint ,  afin  de  laisser  aux  tribunaux  leur  pleine  et 
CTtière  action.  Mais  on  s'est  trompé  en  supposant  que  les 
commissaires  s'étaient  abstenus  d'examiner  ce  point  dé- 
licat. Ils  avaient  parfaitement  reconnu,  par  exemple,  que 
le  galet  directeur  dont  parle  M.  de  Vilback,  ne  peut,  en 
aucune  manière,  être  assimilé  aux  galets  de  la  première 
voiture  de  M.  Arnoux.  Quant  au  principe  de  l'indépen- 
dance des  roues,  et  de  la  convergence  des  essieux,  on  le 
trouve  déjà  dans  Edgeworth  ;  Sidney  Smith  l'avait  d'ail- 
leurs mis  en  pratique  sur  une  voiture  que  tout  le  monde 
a  pu  voir.  Ce  que  la  commission  a  cru  devoir  particuliè- 
rement approuver  dans  le  système  de  M.  Arnoux,  c'est  le 
moyen  d'opérer  la  convergence,  soit  des  premiers,  soit 
des  seconds  essieux  de  chaque  voiture ,  sans  secousses , 
sans  à-coups;  ce  sont  les  galets  de  la  locomotive;  c'est  un 
ensemble  de  dispositions  à  l'aide  duquel  (l'expérience  a 
prononcé),  le  frottement  n'est  pas  plus  fort  dans  les 
courbes  que  sur  les  parties  droites  des  raiFs.  Je  suis  le 
seul  des  commissaires  de  l'Académie  qui  ait  vu  fonction- 
ner des  wagons  sur  le  bout  de  chemin  de  fer  de  Charen- 
ton, et  je  déclare,  contrairement  à  l'opinion  de  M.  de  Vil- 
back, non -seulement  que  les  expériences  n'étaient  pas 
«  suffisantes  pour  obtenir  un  rapport  »,  mais  encore  qu'il  y 
aurait  eu  impossibilité  de  faire  des  essais  concluants  dans 
une  pareille  localité,  et  avec  des  rails  si  courts. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i\9 

2*  Rapport  à  la  Chambre  des  députés  *. 

Les  rails  de  tous  les  chemins  de  fer  soi>t  aujourd'hui 
fixés  au  sol,  ou  en  ligne  droite,  ou  suivant  des  courbes 
de  très -grands  rayons.  Ce  dispositif  est  une  conséquence 
nécessaire  du  parallélisme  rigoureux  et  invariable  que  les 
constructeurs  ont  cru  devoir  établir,  sur  tous  leurs  véhi- 
cules, entre  Tessieu  des  roues  de  devant  et  l'essieu  des 
roues  de  derrière.  A  son  tour,  ce  parallélisme  a  conduit  à 
priver  les  roues  de  la  mobilité  dont  elles  jouissent,  dans 
les  voitures  ordinaires,  autour  des  fusées  qui  les  portent; 
à  les  rendre,  par  couples,  solidaires  les  unes  des  autres; 
à  les  fixer  aux  essieux  comme  elles  le  sont  encore  dans 
les  charrettes  les  plus  communes  du  centre  de  la  France. 

L'obligation  de  n'employer,  pour  le  tracé  d'un  chemin 
de  fer,  que  des  lignes  droites  ou  presque  droites,  fait 
surgir  à  chaque  pas,  dans  les  régions  un  peu  accidentées 
et  surtout  dans  les  vallées  étroites,  des  difficultés  dont 
l'ingénieur  le  plus  habile  ne  triomphe  qu'en  s'imposant 
d'énormes  dépenses. 

Rien  de  plus  propre  à  établir  la  vérité  de  cette  asser- 
tion ,  que  ce  passage  d'un  ancien  rapport  des  gérants  et 
des  commissaires  du  chemin  de  fer  de  Saint- Etienne  à 
Lyon  : 

«  Si  l'on  considère  surtout  les  augmentations  de  dépense 
qui  ont  été  la  suite  inévitable  de  la  rectification  du  pre- 

1.  Ce  rapport  a  été  déposé  le  10  juillet  iSliU,  au  nom  d'une  com- 
mission chargée  de  Taxamen  d'un  projet  de  loi  tendant  à  autoriser 
kl  concession  d'un  chemin  de  fer  de  Paris  à  Sceaux  pour  Tappiica- 
tion  du  système  des  trains  articulés  de  M.  Amoux. 


4!0  LES  CHEMINS  DE  FER. 

mier  projet  présenté  à  M.  le  directeur  général ,  où  des 
courbes  de  500  mètres  oiit  été  substituées  à  celles  de 
1 50  mètres  et  même  de  1 00  que  nous  avions  primitive- 
ment adoptées,  on  ne  sr^ra  pas  étonné  que  des  dépenses 
(sur  les  acquisitions  de  terrains)  que  nous  avions  évaluées 
à  8  millions,  se  soient  élevées  jusqu'à  10.  Le  nombre  des 
percements  qui,  à  cette  époque,  ne  devait  être  que  de 
six,  s'est  trouvé  porté,  parla  nouvelle  rectification,  à 
quatorze,  formant  une  étendue  de  4,000  mètres,  qui  ont 
coûté  plus  de  1,800,000  fr.  Un  grand  nombre  de  points 
qui ,  dans  le  premier  projet,  n'auraient  présenté  que  peu 
de  difficultés ,  tels  que  la  montagne  de  Saint-Lazare ,  les 
grands  remblais  d'Issieux,  etc.,  etc.,  sont  tout  à  coup 
devenus  de  grands  obstacles,  par  les  sommes  qu'ils  ont 
coûtées  et  le  temps  qu'il  a  fallu  pour  les  vaincre.  • 

11  fallait  de  bien  puissants  motifs  pour  décider  les  ingé- 
nieurs d'une  compagnie  à  remplacer  des  courbes  de  150 
mètres  par  des  courbes  de  500  mètres ,  lorsque  le  chan- 
gement devait  amener  de  tels  surcroîts  de  dépenses.  Ces 
motifs,  les  voici  en  peu  de  mots. 

Avec  le  matériel  actuel,  avec  des  voitures  à  essieux 
invariablement  parallèles,  il  y  a,  dans  les  tournants  pro- 
noncés, un  accroissement  considérable  de  résistance, 
une  destruction  rapide  des  rails  et  des  roues,  des  chances 
de  rupture  des  essieux  notablement  plus  nombreuses  que 
sur  les  lignes  droites,  et,  quand  les  vitesses  sont  consi- 
dérables, de  sérieux  dangers  de  déraillement. 

On  voit  maintenant  ce  qui  a  fait  rejeter  les  courbes  de 
moins  de  500  mètres  de  rayon  dans  les  tracés  de  chemins 
destinés  à  être  parcourus  avec  de  grandes  vitesses  ;  on 


LES  CHEMINS  DE  FER.  424 

sait  pourquoi  de  telles  courbes  ne  sont  admises  qu'aux 
abords  des  stations  où  les  convois  arrivent  et  d'où  ils  par- 
tent très-lentement.  On  comprend  encore  qu'on  ait  fait  de 
grands  efforts  dans  la  vue  d'échapper  à  un  assujettisse- 
ment si  ruineux. 

Parmi  les  dispositifs  qui  ont  été  proposés  pour  donner 
aux  locomotives,  aux  diligences  et  aux  wagons  la  faculté 
de  circuler  sur  des  courbes  d'un  faible  rayon,  sans  aug- 
mentation appréciable  de  résistance  et  sans  chances  sen- 
sibles de  déraillement,  celui  de  M.  Arnoux  a  particuliè- 
rement fixé  l'attention  des  ingénieurs.  Les  principes  sur 
lesquels  il  repose  sont  parfaitement  clairs,  mais  leur 
énoncé  figurerait  mal  dans  ce  rapport.  La  commission 
a  pensé  qu'il  n'y  avait  pas  d'explications  qui  pussent 
remplacer  l'expérience.  Aussi ,  avant  la  discussion  de  la 
loi ,  nous  soumettrons  à  l'appréciation  des  membres  de  la 
Chambre  un  modèle  complet  du  nouveau  système.  Chacun 
prendra  alors  une  idée  exacte  de  l'artifice  à  l'aide  duquel 
les  essieux  doivent  toujours  et  inévitablement  se  placer 
peiT)endiculairement  à  la  courbe  parcourue  ;  chacun  verra 
l'ingénieux  mode  de  liaison  rigide  que  l'inventeur  a  établi 
entre  les  diverses  voitures  d'un  convoi;  chacun,  enfin, 
aura  sous  les  yeux  un  train  articulé,  construit  sur  l'échelle 
du  cinquième ,  dont  tous  les  éléments ,  dont  tous  les 
wagons  iront,  l'un  après  l'autre  et  sans  le  secours  de 
rails  directeurs,  suivre  exactement  la  ligne,  droite  ou 
sinueuse ,  rentrante  sur  elle-même  ou  à  branches  indéfi- 
nies, que  la  tête  du  train  aura  parcourue. 

Hâtons-nous  de  le  dire ,  ce  n'est  pas  seulement  sur  des 
modèles,  sur  un  matériel  réduit,  que  les  propriétés  des 


àiï  LES  CHEMINS  DE  FER. 

trains  articulés  ont  été  étudiées.  M.  Arnoux  et  ses  amis 
ne  reculèrent,  il  y  a  six  ans,  devant  aucune  dépense  pour 
donner  aux  ingénieurs  des  moyens  certains  de  s'éclairer. 

Dans  un  vaste  enclos  voisin  de  Saint-Mandé,  ils  établi- 
rent une  voie  de  fer  de  plus  d'un  quart  de  lieue  de  long 
(1,1/^2  mètres).  Cette  voie  formait  un  circuit  fermé,  ce 
qui  permettait  de  revenir  au  point  de  départ  sans  s'y 
arrêter,  et  ce  qui  donna  la  facilité  de  parcourir  en  un  seul 
jour  jusqu'à  120  kilomètres.  Elle  présentait  des  difficultés 
inusitées.  On  y  voyait,  dans  un  espace  resserré,  des 
pentes  et  des  contre  -  pentes ,  des  croisements  de  voies, 
des  lignes  droites  raccordées  par  des  courbes,  des  lignes 
courbes  situées  dans  des  sens  opposés  et  se  succédant 
sans  intermédiaire.  Un  petit  cercle  de  18  mètres  de 
rayon,  complètement  fermé,  se  rattachait  au  chemin 
principal  par  deux  branches  de  courbes  de  30  mètres  de 
rayon.  Une  fois  entré  dans  le  cercle,  le  convoi  pouvait 
le  parcourir  indéfiniment,  et  il  le  parcourut  souvent  à  la 
vitesse  de  trois  à  quatre  lieues  à  l'heure. 

Le  convoi  se  composait  ordinairement  d'une  locomotive 
anglaise,  du  tender,  de  quatre  ou  cinq  voitures  et  d'une 
plate-forme. 

Dans  les  essais  (  ils  ont  duré  plusieurs  années  et  occa- 
sionné une  dépense  de  230,000  fr.),  le  chemin  parcouni 
sur  la  voie  de  Saint-Mandé  s'est  élevé,  en  somme,  à  plus 
de  2,000  kilomètres. 

Pendant  les  expériences,  exécutées  sur  une  si  vaste 
échelle,  toutes  les  difficultés  qui  s'étaient  d'abord  élevées 
contre  le  système  de  M.  Arnoux  s'évanouirent  successive- 
ment. Le   système  fut  approuvé  catégoriquement  par 


LES  CHEMINS  DE  FER.  433 

l'Académie  des  sciences  (Voir  le  rapport  précédent, 
p,  393  à  417)  et  par  une  commission  composée  d'ingé- 
nieurs des  ponts  et  chaussées. 

Il  demeura  constaté  : 

Que  la  résistance,  dans  le  système  de  M.  Amoux,  est 
sensiblement  la  même  sur  les  parties  droites  et  sur  les 
parties  courbes  du  chemin,  et  que  la  convergence  des 
essieux  est  la  condition  indispensable  d'un  bon  service  de 
locomotion  sur  les  rails  courbes; 

Que,  dans  les  voitures  des  trains  articulés,  on  ne 
ressent  pas  d'une  mianière  marquée  ces  mouvements  si 
communs,  si  destructeurs,  si  incommodes,  que  dans  les 
chemins  actuels  on  appelle  les  mouvements  (Je  lacet; 

Que  les  voitures  Amoux  permettant  d'élargir,  sans 
augmentation  de  résistance,  la  voie  ou  la  distance  des 
rails,  pourront  avoir  par  cela  même  une  plus  grande  sta- 
bilité que  celles  dont  on  fait  usage  aujourd'hui  ; 

Que  les  voitures  articulées  n'offrent  pas  la  dispropor- 
tion existant  dans  les  anciennes,  entre  la  distance  des 
essieux  et  la  longueur  des  caisses,  ce  qui  constitue  un 
nouvel  élément  de  stabiKté  ; 

Que  ces  mêmes  voitures  peuvent  être  mieux  suspen- 
dues, plus  légères  et  d'un  prix  moins  élevé.  M.  Amoux 
porte  à  1,000  kilogrammes  la  différence  de  poids  et  à 
1,000  fr.  la  différence  de  prix. 

Au  point  de  vue  technique,  l'offre  de  M.  Amoux  ne 
pourra  donc  avoir  que  des  avantages.  Le  succès  du  che- 
min de  Sceaux  lèverait ,  tout  conduit  à  l'espérer,  les  der- 
niers scrupules  de  ceux  qui,  après  les  expériences  de 
Saint-Mandé,  sont  restés  encore  dans  le  doute. 


424  LES  CHEMINS  DB  FER. 

Au  point  de  vue  économique,  la  commission  a  considéré 
que  la  concession  réclamée  par  M.  Arnoux  n'engage  au- 
cune question  d'avenir,  le  chemin  de  Sceaux  ne  pouvant 
pas ,  ne  devant  pas  devenir  une  tête  de  chemin  de  quel- 
que étendue. 

Sous  le  rapport  financier,  la  question  est  encore  plus 
simple ,  car  M.  Arnoux  ne  demande  aucune  subvention  ; 
cet  ingénieux  mécanicien  devra  tout  exécuter  sur  le  che- 
min de  Sceaux  à  ses  risques  et  périls. 

En  résumé  : 

La  commission  donne  son  approbation^au  projet  de  loi 
présenté  par  M.  le  ministre  des  travaux  publics.  Si  rem- 
ploi des  voitures  articulées  sur  le  chemin  de  Sceaux ,  ne 
fait  surgir,  comme  tout  autorise  à  le  croire ,  aucune  diffi- 
culté imprévue  ;  si  les  galets  directeurs  de  la  locomotive 
fonctionnent  dans  la  plaine  d'Arcueil  et  le  long  des  co- 
teaux de  Bourg-la-Reine,  comme  à  Saint-Mandé,  il  sera 
permis  d'adopter,  pour  les  tracés  futurs  des  chemins  de 
fer,  des  règles  larges  et  comparativement  trèsréconomi- 
ques  ;  car,  on  doit  bien  le  remarquer,  dès  qu'il  sera  établi 
qu'on  peut  franchir  rapidement  et  sans  danger  des  courbes 
à  petit  rayon ,  on  aura  résolu  implicitement  le  problème 
des  grandes  pentes. 

Ainsi ,  en  votant  le  projet  de  loi ,  la  Chambre  ne  dote- 
rait pas  seulement  la  capitale  et  l'arrondissement  de 
Sceaux  d'un  chemin  utile  ;  elle  ferait  faire  de  plus  un  pas 
important,  décisif,  à  l'art  de  la  locomotion  sur  les  voies 
de  fer,  sans  imposer  aucune  charge  au  Trésor. 

La  commission  n'a  apporté  au  projet  de  loi  et  au  cahier 
des  charges,  que  des  modifications  légères  qui  s'expli- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  425 

queront  d'elles-mêmes.  Il  est  un  point  seulement ,  rela- 
tivement auquel  un  très- court  commentaire  pourra  ne 
point  sembler  superflu. 

Le  chemin  de  Sceaux  doit  être  principalement  considéré 
comme  le  moyen  de  mettre  à  jamais  en  dehors  de  toute 
discussion  raisonnable,  les  avantages  dont  les  trains  arti- 
culés sont  doués  dans  les  courbes  d'un  court  rayon.  Il 
faut  donc  que  la  Chambre  soit  assurée  que  de  telles 
courbes  se  trouveront  dans  le  tracé  définitif.  Tel  est  le 
but  de  l'amendement  que  nous  avons  fait  à  l'article  2  du 
cahier  de  charges*.  La  différence  moyenne  de  niveau,  de 
15  millimètres  par  mètre,  qui  existe  entre  Bourg-la-Reine 
et  Sceaux,  ne  pourra,  dans  aucun  cas,  être  franchie 
directement;  cette  partie  du  tracé,  comme  du  reste 
l'avant-projet  l'indique,  renfennera  plusieurs  lacets  et 
des  courbes  d'un  court  rayon. 

Les  avantages  qui  pourraient  résulter  dans  les  tracés 
de  tant  de  chemins  de  fer  qui  ne  sont  pas  encore  définiti- 
vement arrêtés ,  de  l'emploi  de  lignes  très-sensiblement 
courbes ,  doit  faire  vivement  désirer  que  la  grande  expé- 
rience de  Sceaux  soit  prochainement  en  activité.  La  com- 
mission émet  donc  le  vœu  que  le  gouvernement  abrège , 

!•  Le  projet  disait  :  «  Le  maximum  des  pentes  et  rampes  du  tracé 
n'excédera  pas  O^.OO?  par  mètre  entre  Paris  et  Bourg-la-Reine,  et 
0".011  entre  Bourg-la-Reine  et  Sceaux.  »  M.  Arago  a  fait  adopter  la 
rédaction  suivante  :  «  Le  maximum  des  pentes  et  rampes  du  tracé 
n'excédera  pas  0".007  par  mètre  entre  Paris  et  Bourg-la-Reine. 
Entre  Bourg-la-Reine  et  Sceaux,  les  pentes,  le  nombre  des  lacets  et 
les  rayons  des  courbes  de  raccordement  seront  déterminés  par 
l'administration  supérieure,  sur  les  projets  fournis  par  le  conces- 
sionnaire, de  manière  que  l'épreuve  des  voitures  articulées  de 
M.  Arnoux  soit  complètement  concluante.  » 


«26  LES  CHEMINS  DE  FEB. 

autant  que  possible,  les  formalités  qui  pourraient  empê- 
cher M.  Amoux  de  se  mettre  promptement  à  l'œuvre. 

[Sur  ce  rapport  le  projet  de  loi  de  concession  du  chemin  de  fer 
de  Sceaux  a  été  adopté  sans  discussion  dans  la  séance  de  la  Gliambr  * 
des  députés  du  19  juillet  iStiU.  ] 


VIII 

SYSTÈMES  DE  CHEMINS  DE  FER  ATMOSPHÉRIQUES  * 

Nous  répondrons  à  un  désir  qui  a  été  manifesté  sur 
divers  bancs  de  la  Chambre,  en  essayant  de  caractériser 
en  quelques  lignes  les  divers  systèmes  de  chemins  atmo- 
sphériques qui  se  disputent  aujourd'hui  l'attention  du 
public. .  Cette  introduction  aura  d'ailleurs  l'avantage  de 
séparer,  en  termes  généraux,  les  propriétés  évidentes  de 
ces  inventions,  de  celles  qu'on  leur  attribue  gratuitement, 
ou  qui,  pour  être  constatées,  exigeraient  encore  un  examen 
sérieux; 

L'atmosphère  presse  dans  tous  les  sens  avec  la  même 
intensité.  Elle  exerce  un  égal  effort  sur  une  surface  hori- 
zontale et  sur  une  surface  verticale. 

La  pression  atmosphérique,  évaluée  perpendiculaire- 
ment aux  surfaces  planes,  les  seules  dont  nous  aurons  à 
parler  ici,  a  pour  mesure,  en  chaque  lieu,  le  poids  d'un 
volume  de  mercure  ayant  pour  base  la  surface  pressée,  et 
pour  hauteur  celle  du  baromètre. 


1.  Rapport  fait  à  la  Chambre  des  députés,  le  16  juillet  i8/i/i,  sur 
un  projet  de  loi  tendant  à  ouvrir  au  ministre  des  travaux  publics 
un  crédit  de  1,800,000  francs  pour  un  essai  des  systèmes  de  chemins 
de  fer  atmosphériques. 


LES  CHEMINS  DE  FCB.  427 

Au  niveau  de  la  mer,  la  hauteur  moyenne  du  baromètre 
est  de  76  centimètres.  Si  on  se  rappelle  qu'à  égalité  de 
volume,  le  mercure  pèse  treize  fois  et  demie  plus  que 
l'eau,  on  concevra  que  la  pression  atmosphérique  sur 
une  surface  de  quelque  étendue  doive  devenir  une  force 
motrice  puissante,  partout  où  Ton  réussira  à  annuler  la 
pression  en  sens  contraire ,  provenant  de  la  môme  cause, 
qui  ordinairement  la  balance. 

Concevons  maintenant,  à  la  surface  du  sol,  un  tuyau 
d'un  demi-mètre  de  diamètre,  par  exemple,  ouvert  à  ses 
deux  bouts  et  portant  un  piston  bien  ajusté,  susceptible 
de  glisser  dans  les  deux  sens.  Ce  tuyau  a  été  appelé, 
d'après  une  dénomination  anglaise,  le  tube  de  propulsion; 
nous  lui  conserverons  ce  nom. 

L'atmosphère  poussera  le  piston  du  tube  de  propulsion, 
de  droite  à  gauche,  avec  une  force  très- considérable, 
facile  à  calculer.  Une  force  exactement  égale  le  poussera 
de  gauche  à  droite.  Le  piston  restera  donc  en  repos. 

Cela  posé,  fermons  hermétiquement  le  tube  à  son  extré- 
mité de  gauche.  Ensuite,  enlevons  tout  l'air  compris  entre 
cette  extrémité  fermée  et  le  piston ,  en  nous  servant  d'un 
système  de  pompes  et  de  soupapes,  analogue  à  celui  qui 
constitue  l'appareil  si  connu  dans  les  cabinets  de  physique 
sous  le  nom  de  machine  pneumatique. 

Enlever  l'air,  c'était  anéantir  la  pression,  qui,  s' exer- 
çant sur  le  piston,  de  gauche  à  droite,  l'empêchait  de 
céder  à  la  pression,  à  la  force  qui  le  poussait  en  sens 
inverse*  Après  l'opération ,  cette  demière  force  subsiste 
seule,  et  elle  ne  pourra  manquer  de  pousser  le  piston  vers 
la  gauche  avec  une  grande  puissance,  avec  une  grande 


as  LES  CHEMINS  DE  FER. 

rapidité,  dès  qu'on  aura  ôté  le  coin  ou  tout  autre  obstacle 
analogue  qui  le  retenait  en  place. 

Si,  au  lieu  d'enlever  la  totalité  de  Tair  contenu  dans  la 
portion  du  tube  horizontal  comprise  entre  le  piston  et 
Textrémité  fennée  à  gauche,  on  n'en  enlève  qu'une  partie; 
si,  par  exemple,  au  lieu  de  réduire,  dans  cette  même 
portion  'du  tube ,  la  pression  atmosphérique  à  zéro ,  on 
l'amène  seulement  à  être  la  moitié  de  sa  valeur  normale, 
le  piston  restera  pressé  de  gauche  à  droite,  avec  une 
intensité  égale  à  la  moitié  de  celle  qui  le  pousse  en  sens 
opposé,  et  la  force  motrice  du  piston  ^  trouvera  elle- 
même  définitivement  réduite  à  la  moitié  de  ce  qu'elle  était 
dans  le  premier  cas.  Un  vide  encore  plus  imparfait  rédui- 
rait cette  force  propulsive  au  tiers ,  au  quart ,  au  cin- 
quième, etc. 

Il  est  bien  entendu  qu'après  avoir  poussé  le  piston  de 
droite  à  gauche,  il  suffira,  si  on  veut  le  faire  marcher  en 
sens  contraire ,  de  laisser  à  gauche  le  tube  en  libre  com- 
munication avec  l'atmosphère,  de  boucher  la  section  de 
droite,  et  d'y  opérer  un  vide  plus  ou  moins  complet. 

Lions,  d'une  manière  quelconque,  des  ballots  à  l'ar- 
rière du  piston  mobile ,  et  nous  aurons  le  système  de 
transport  pour  les  marchandises,  les  lettres,  les  journaux, 
que  l'ingénieur  danois,  M.  Medhurst,  proposa  en  1810. 
Donnons  au  tube  des  dimensions  considérables,  en  telle 
sorte  qu'il  puisse  contenir  une  file  de  voitures,  et  l'on  se 
fera  une  idée  précise  de  l'expérience  que  tenta  M.  Val- 
lance,  en  1824,  sur  la  route  de  Brighton,  dans  un  tuyau 
provisoire  en  bois  de  deux  mètres  de  diamètre. 

Il  était  de  toute  évidence,  sans  même  tenir  aucun 


LES  CHEMINS  DE  FER.  429 

compte  de  diverses  considérations  économiques ,  que  le 
public  ne  consentirait  pas  à  s'enfermer,  comme  le  voulait 
le  système  de  M.  Vallance,  dans  un  tube  de  fer  indéfini  ; 
qu'il  éprouverait  une  très-juste  répugnance  à  voyager, 
quelque  grande  que  fût  la  vitesse,  dans  une  obscurité 
profonde.  Aussi ,  M .  Medhurst ,  voulant  perfectionner  ses 
premières  idées,  chercha-t-il  des  moyens  de  transmettre 
au  dehors  du  tube  la  force  motrice  dont  le  piston  inté- 
rieur peut  être  animé.  A.  ses  tentatives  succédèrent  celles 
de  l'ingénieur  américain  Pinkus,  et  ensuite  les  essais  plus 
heureux  de  MM.  Clegg  et  Samuda. 

Les  premières  expériences  des  deux  ingénieurs  anglais, 
faites  à  Chaillot  en  1838,  furent  suivies  des  épreuves 
moins  imparfaites,  exécutées  à  Worm-Wood-Scrubs,  près 
de  Londres.  Enfin ,  grâce  à  un  prêt  de  625,000  francs 
du  gouvernement  anglais ,  MM.  Clegg  et  Samuda  purent 
procéder  à  l'établissement  du  chemin  atmosphérique  de 
Kingston  à  Dalkey,  sur  une  longueur  de  2,275  mètres. 

Un  mot  maintenant  de  la  méthode  qu'on  a  imaginée 
pour  établir  une  liaison  intime  et  rigide,  entre  le  piston 
sur  lequel  s'exerce  la  force  motrice  atmosphérique  et  la 
première  voiture  d'un  train  roulant  sur  des  rails  ordi- 
naires en  dehors  du  tube. 

La  liaison  rigide  dont  il  vient  d'être  parlé,  ne  peut 
guère  s'étabHr  convenablement  qu'à  l'aide  d'une  tige 
métaUique  allant  du  piston  à  la  voiture.  Or,  comme  il 
faut  que  cette  liaison  se  maintienne  pendant  toute  la 
course  du  piston ,  le  tube  doit  être  ouvert  longitudinale- 
ment  par  le  haut.  C'est  le  long  de  cette  fente  supérieure 
que  la  tige  métallique  marche  ;  c'est  par  son  intermédiaire 


i30  LES  CHEMINS  DE  FER. 

que  le  mouvement  du  piston  se  communique  à  la  première 
voiture  du  convoi ,  et  de  là  à  toutes  les  autres.  Cette  tige 
a  donc  été  appelée  très-  légitimement  la  tige  motrice  ou 
de  connexion. 

Mais,  dira-t-on,  si  le  tube  est  fendu,  comment  y  faire 
le  vide  ?  Voici  la  réponse. 

La  fente  est  couverte,  sur  toute  sa  longueur,  d'une 
soupape  qui  la  ferme  hermétiquement  Le  vide  peut  donc 
s*opérer  successivement,  dans  la  portion  de  tube  située  à 
gauche  ou  à  droite  du  piston,  comme  dans  le  tube  non 
fendu  que  nous  considérions  d'abord.  Seulement ,  par  un 
effet  du  mouvement  sur  lequel  nous  reviendrons,  la  sou- 
pape s'ouvre  partiellement  près  du  piston,  de  manière  à 
laisser  passer  la  tige  de  connexion;  immédiatement  après 
elle  retombe  par  son  poids. 

C'est  ici  la  partie  la  plus  délicate  de  l'appareil.  La 
soupape  ferme -t- elle  rigoureusement  la  fente,  le  vide 
s'opère  exactement  dans  le  tube,  et  il  s'y  maintient  ;  on 
obtient  une  force  motrice  puissante  et  permanente.  La 
soupape,  au  contraire,  livre-t-elle  passage  à  l'air  par 
quelque  fissure,  on  ne  peut  arriver  à  un  vide  suflisant, 
qu'en  se  sei^ant  d'une  pompe  pneumatique  très-forte,  et 
encore  ce  vide  imparfait  ne  se  conserve-t-il  pas,  si  on  ne 
maintient  pas  la  pompe  incessamment  en  action.  C'est 
surtout  par  le  mode  de  fermeture  de  la  fente  longitudinale 
du  tube  de  propulsion,  que  les  systèmes  de  M.  Samuda  et 
de  M.  Hallette  diffèrent  l'un  de  l'autre. 

La  soupape  longitudinale  de  M.  Samuda ,  destinée  à 
fermer  la  fente  du  tube,  est  formée  d'une  lanière  mdéfmie 
en  cuir,  fortifiée  en  dessus  et  en  dessoius ,  par  une  série 


LES  CHEMINS  DE  FER.  431 

de  plaques  de  fer  de  30  centimètres  de  long,  et  ne  laissant 
guère  entre  elles  qu'un  centimètre  d'intervalle.  On  donne 
ainsi  du  poids  à  la  soupape  sans  anéantir  sa  flexibilité.  Le 
cuir  est  attaché  intimement,  hermétiquement,  par  l'un  de 
SCS  bords,  à  l'un  des  deux  côtés  de  la  fente.  L'autre  bord 
reste  libre,  mobile,  et  lorsque  la  soupape  est  fermée,  il 
repose  simplement  sur  la  seconde  lèvre  de  la  fente ,  re- 
couverte d'avance,  dans  toute  sa  longueur,  d'une  compo- 
sition de  cire  et  de  suif.  Quand  la  soupape  s'entr'ouvre, 
la  bordure  en  cuir  fixée,  adhérente  au  tuyau,  se  fléchit  et 
fait  ainsi  l'oflice  d'une  véritable  charnière. 

On  concevra  avec  assez  d'exactitude  la  manière  dont 
est  disposée  et  fonctionne  la  latiière  sovpape  de  M.  Samuda, 
en  étendant  sur  une  table  un  long  ruban  de  drap,  en  lai 
faisant  subir  une  tension  modérée  et  en  le  collant  ensuite 
à  la  table  par  l'un  de  ses  bords.  Le  doigt,  en  se  prome- 
nant entre  le  drap  et  la  table  le  long  du  bord  libre  du 
ruban,  produit  une  inflexion  locale,  un  soulèvement  du 
drap  partout  où  il  se  transporte.  A  quelque  distance  de  là 
le  soulèvement  n'a  pas  lieu,  ou  du  moins  il  est  insensible. 

La  soupape  de  M.  Samuda  ne  se  soulève  jamais  jusqu'à 
devenir  verticale.  Elle  ne  dépasse  pas  dans  ses  mouve- 
ments l'inclinaison  de  45°.  L'ouverture  est  alors  suffisante 
pour  donner  passage  à  la  tige  motrice,  à  la  tige  large  et 
fortement  infléchie  qui  unit  le  piston  à  la  voiture  directrice. 

Cette  tige,  chacun  en  a  déjà  compris  la  nécessité,  est 
(juelque  peu  en  arrière  de  la  première  face  du  piston,  afin 
que  jamais  l'air  ne  puisse  pénétrer  librement  dans  la  por- 
tion du  tube  que  ce  piston  va  parcourir.  En  réalité ,  le 
soulèvement  de  la  soupape  ne  s'opère  même  pas  directe- 


432  LES  CHEMINS  DE  FER. 

ment  par  la  tige  :  deux  roulettes  placées  dans  le  tube,  en 
arrière  du  piston  et  un  peu  en  avant- de  la  tige,  remplis- 
sent cet  office. 

La  soupape,  retombée  seulement  par  son  propre  poids, 
n'adhérerait  pas  au  second  bord  de  la  fente  assez  intime- 
ment pour  empêcher  l'air  d'entrer  dans  le  tube  ;  aussi,  à 
peine  revenue  à  sa  place,  est-elle  fortement  comprimée  à 
l'aide  d'une  roue  attachée  à  l'arrière  de  la  première  voi- 
ture ;  aussi ,  cette  voiture  porte-t-elle  un  cylindre  rempli 
de  charbons  incandescents,  destinés  à  liquéfier  la  compo- 
sition de  suif  et  de  cire,  dont  il  a  été  déjà  parlé. 

La  soupape  longitudinale  de  M.  Hallette  repose  sur  des 
principes  entièrement  différents. 

Le  tube  de  propulsion  de  notre  compatriote,  comme 
celui  de  M.  Samuda,  est  ouvert  longiludinalement  dans 
sa  partie  supérieure.  La  fente  est  comprise,  sur  toute  son 
étendue,  entre  deux  demi-cylindres  métalliques  creux, 
faisant  corps  avec  le  tube  principal,  coulés  d'un  seul  jel 
avec  lui,  et  se  présentant  l'un  à  l'autre  par  leurs  conca- 
vités. Dans  chacune  de  ces  concavités  longitudinales, 
M.  Hallette  loge  un  tuyau  en  tissu  épais  et  serré,  rendu 
imperméable  par  les  moyens  connus  ;  il  y  comprime  l'air 
à  l'aide  des  mômes  machines  fixes,  qui,  en  agissant  d'une 
autre  manière,  opèrent  le  vide  dans  le  grand  tube  de  pro- 
pulsion. En  se  gonflant  vers  l'extérieur,  ces  boyaux  vont 
remplir  exactement  les  demi-cylindres  métalliques;  en  se 
gonflant  vers  le  centre  du  tube,  ils  arrivent  à  se  toucher, 
disons  mieux,  à  se  presser  l'un  contre  l'autre  de  manière 
à  former,  là  aussi,  une  fermeture  hermétique., 

Dans  le  système  si  ingénieux  de  l'habile  constructeur 


LES  CHEMINS  DE  FER.  433 

d'Arras,  ce  n'est  pas,  comme  on  le  voit,  sur  les  bords 
de  la  rainure  longitudinale  que  se  ferme  le  tuyau  de  pro- 
pulsion. Cette  rainure  reste  ouverte  et  libre,  mais  les  deux 
boyaux  gonflés  empêchent  Tair  d'y  arriver  en  dessus, 
par  leur  contact  mutuel,  et  latcralement,  parce  qu'ils  s'ap- 
puient très-exactement  sur  la  surface  intérieure  des  deux 
oreilles  demi-cylindriques ,  situées  à  droite  et  à  gauche  de 
la  rainure. 

Ici,  la  tige  motrice  n'a  pas  de  soupape  à  soulever. 
Dans  sa  marche,  elle  s'insinue  entre  les  deux  boyaux 
gonflés  et  les  écarte  un  moment  l'un  de  l'autre.  Ici,  point 
de  rouleau  compresseur,  point  de  composition  à  fondre. 
L'élasticité  de  l'air  injecté  dans  les  boyaux  suffit  à  tout  ; 
après  le  passage  de  la  tige,  cette  élasticité  replace  exac- 
tement les  choses  dans  l'état  primitif. 

Avant  d'aller  plus  loin,  il  est  peut-être  bon  de  remar- 
quer qu'à  la  hauteur  des  deux  boyaux  gonflés  et  tangents, 
la  tige  motrice  a  peu  d'épaisseur;  que  sa  forme  est  celle 
d'une  lentille  étroite  ayant  sa  tranche  dirigée  dans  le  sens 
de  la  locomotion ,  en  telle  sorte  que  les  deux  boyaux  n'ont 
jamais  besoin  d'être  fortement  écartés,  et  qu'ils  revien- 
nent subitement  au  contact  dès  que  la  portion  étroite, 
lenticulaire  de  la  tige  motrice  ou  de  connexion  a  passé. 

Ces  détails  vont  faciliter  la  tache  de  la  commission. 

Au  premier  coup  d'oeil  on  se  demande  si  un  mode  de 
locomotion  dans  lequel  figure,  comme  organe  principal, 
une  bande  de  cuir  d'une  immense  longueur,  une  compo- 
sition de  cire  et  de  suif,  et  un  fer  chaud  destiné  à  liquéfier 
la  cire,  peut  avoir  de  l'avenir;  s'il  ne  vaudrait  pas  mieux 
s'occuper  du  perfectionnement  des  locomotives  ordinaires 

V.  — II.  28 


434  LES  CHEMINS  DE  FER. 

plutôt  que  de  porter  ses  efforts  et  ses  espérances  sur  des 
combinaisons  qui  exigent,  pour  toute  la  longueur  du  tuyau 
de  propulsion,  c'est-à-dire  pour  un  grand  nombre  de 
lieues,  ces  contacts  intimes,  hermétiques,  qu'on  obtient 
avec  tant  de  difficulté,  même  dans  les  petites  machines 
des  cabinets  de  physique. 

La  question  semble  grave,  mais  Texpérience  a  pro- 
noncé. Le  chemin  de  Dalkey  existe  depuis  près  d'un  an. 
Depuis  plus  de  deux  mois  il  est  en  exploitation  commerciale 
régulière,  et  pendant  cet  intervalle  de  temps  la  soupape 
longitudinale  en  cuir  a  utilement  fonctionné,  et  ce  n'est 
pas  de  ce  côté  que  des  scrupules  se  sont  élevés  dans  l'es- 
prit des  ingénieurs,  touchant  les  avantages  économiques 
que  de  pareils  chemins  pourront  offrir  dans  telle  ou  telle 
circonstance  donnée. 

La  possibilité  d'arriver  à  de  grandes  vitesses  sur  les 
chemins  atmosphériques,  ne  saurait  être  l'objet  d'un 
doute  chez  ceux  qui  savent  avec  quelle  rapidité  l'air  se 
précipite  dans  le  vide.  Cependant  il  ne  sera  pas  superflu 
de  dire  ici  qu'entre  Kingston  et  Dalkey,  le  tube  de  pro- 
pulsion n'ayant  que  39  centimètres  de  diamètre,  on  a  vu 
un  convoi  de  30  tonnes  se  mouvoir  avec  une  vitesse  de 
83  kilomètres  (21  lieues  à  l'heure). 

Les  chemins  atmosphériques  se  recommanderont  à 
ceux  qui  ont  conservé  le  souvenir  de  là  terrible  cata- 
strophe du  8  mai  1842,  par  l'absence  à  peu  près  com- 
plète de  tout  danger.  Deux  convois  ne  sauraient  y  être 
engagés  sur  le  même  tuyau  et  marcher  à  la  rencontre  l'un 
de  l'autre.  Le  déraillement  de  la  première  voiture,  de  celle 
qui  est  directement  conduite  par  la  tige  du  piston ,  ne 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i35 

pouvant  avoir  lieu,  le  déraillement  d'une  des  voitures 
suivantes  n'amènerait  pas,  en  général,  d'accident  sé- 
rieux :  les  roues  de  cette  voiture  déraillée  laboureraient 
seulement  le  sol  à  côté  de  la  voie. 

Les  convois  des  chemins  atmosphériques,  débarrassés 
des  lourdes  locomotives  du  système  actuellement  en  usage, 
pourront  être  plus  facilement  arrêtés  par  l'action  des 
freins  ;  les  rails,  quoique  plus  légers,  éprouveront  une 
détérioration  moindre  ;  sous  ce  double  rapport,  il  doit  y 
avoir  dans  le  service  plus  d'économie  et  de  sûreté. 

Énumérons  maintenant  quelques-unes  des  questions 
que  le  chemin  de  Dalkey  a  laissées  indécises.  Voyons 
quels  sont  les  principaux  problèmes  dont  les  expériences' 
projetées  pourraient  donner  la  solution. 

Les  machines  fixes  font  naître,  en  quelques  minutes 
d'action ,  une  certaine  force  motrice  au  sein  du  tube  de 
propulsion.  La  force  ainsi  engendrée  s'affaiblît  sans  cesse; 
mais  à  quel  degré  en  un  temps  donné  ?  Dans  cet  affai- 
blissement ,  quelles  sont  les  parts  respectives  des  rentrées 
d'air  par  la  soupape  longitudinale  et  par  le  contour  cir- 
culaire du  piston?  On  n'a  sur  ces  objets  que  de  grossiers 
aperçus  qui,  aujourd'hui,  rendent  tout  calcul  exact  im- 
possible. 

En  ce  qui  concerne  les  soupapes  longitudinales,  le  che- 
min de  Dalkey  ne  nous  a  éclairés  à  demi  que  sur  celle  de 
M.  Samuda.  La  fermeture  de  M.  Hallette  n'y  a  pas  été 
essayée.  A  cet  égard,  tout  est  à  faire.  Si  les  expériences 
d'Arras  réussissent  en  grand ,  si  les  deux  lèvres  artifi- 
cielles, pour  employer  Texpression  de  notre  îngénieui: 
compatriote,  constituent  une  ferrarture  très-hermétique. 


436  LES  CHEMINS  DE  FER. 

les  chemins  atmosphériques  se  présenteront  sous  un  jour 
extrêmement  avantageux  et  nouveau. 

Remarquons,  toutefois,  que  Texpérience  ne  devra  pas 
seulement  porter  sur  les  propriétés  pneumatiques  des  deux 
boyaux  gonflés.  Il  faudra  aussi  rechercher  si  les  garni- 
tures en  cuir  que  l'inventeur  a  le  projet  d*attacher  à 
rétoffe  des  deux  boyaux,  au  moins  le  long  des  parties  qui 
doivent  être  en  contact  avec  la  tige  mobile,  s'useront  très- 
vite  ;  si  les  moyens  proposés  pour  empêcher  cette  tige  de 
s'échauffer  dans  son  rapide  mouvement,  rempliront  le 
but.  Envisagé  de  ce  double  point  de  vue,  le  problème 
exigera  que  les  expériences  s'effectuent  sur  une  grande 
longueur  du  tube  de  M.  Hallette. 

On  ignore  le  rayon  d'activité  utile  des  machines  à 
vapeur  fixes  qui  sont  destinées  à  faire  le  vide  dans  le  tube 
de  propulsion,  ou  seulement  à  y  opérer  une. certaine  raré- 
faction de  l'air.  Ce  point  est  capital.  Tant  qu'il  n'aura  pas 
été  éclairci,  tant  qu'on  ne  connaîtra  pas  exactement  le 
nombre  de  machines  fixes  nécessaires  à  l'exploitation  des 
chemins  atmosphériques  de  longueurs  données,  les  valeurs 
économiques  que  le  calcul  fournit  pour  les  divers  sys- 
tèmes n'auront  rien  de  satisfaisant,  de  démonstratif; 
il  sera  impossible  de  dire  avec  certitude  quelle  activité 
dans  la  circulation  rendrait  la  locomotion  atmosphérique 
préférable  à  toute  autre. 

L'expérience  de  Dalkey  a  montré  que  les  machines 
fixes  pourraient  être  placées  avantageusement  à  3  kilo- 
mèlres  les  unes  des  autres;  mais  qu'arriverait-il  si  les 
espacements  étaient  de  5,  de  6,  de  8  ou  de  10  kilomètres? 
On  l'ignore  absolument.  Cette  question  a  besoin  d'être 


LES  CHEMINS  DE  FER.  437 

résolue,  si  on  ne  veut  pas  prononcer  en  aveugle  sur  les 
services  qu'il  faut  attendre  du  nouveau  genre  de  chemins. 

Malgré  les  efforts  très-intelligents  de  ceux  de  nos  com- 
patriotes qui  ont  étudié  le  chemin  de  Dalkey,  il  reste 
encore  beaucoup  à  faire  pour  évaluer  le  frottement  de  la 
garniture  en  cuir  du  piston ,  sur  la  couche  de  suif  dont  le 
tuyau  de  propulsion  est  revêtu  intérieurement,  couche 
qui,  pour  le  dire  en  passant,  supplée  à  l'alésage.  Dans 
le  tube  H  ailette,  il  y  aura  encore  à  mesurer  le  frottement 
de  la  tige  motrice  sur  le  cuir  des  deux  boyaux  plus  ou 
moins  gonflés.  On  peut  affirmer  que  ces  données,  si  néces- 
saires à  une  appréciation  exacte  de  la  propulsion  atmo- 
sphérique, ne  seraient  obtenues  nulle  part  avec  plus 
d'exactitude  que  par  les  soins  de  nos  habiles  ingénieurs. 

Le  tube  de  propulsion ,  dans  un  chemin  atmosphérique 
de  quelque  étendue,  présentera  souvent  des  solutions  de 
continuité.  Le  piston  aura  alors  à  passer,  en  vertu  de  la 
vitesse  acquise,  d'un  tube  dans  le  tube  suivant ,  et  le  tra- 
jet s'effectuera  à  travers  l'air  libre.  Nous  croyons  qu'on 
s'est  jeté  dans  une  exagération  manifeste,  en  assimilant 
cette  manœuvre  à  celle  du  jeu  de  bague  :  des  expériences 
faites  entre  Kingston  et  Dalkey  ont  montré,  en  effet ,  que 
le  passage  en  question  s'opère  sans  difficulté.  C'est  un 
point,  toutefois,  qui  devra  figurer  sur  la  première  ligne 
dans  le  programme  des  expériences  futures.  On  recher- 
chera avec  soin  si  la  forme  d'entonnoir  donnée  aux  extré- 
mités en  présence  de  deux  tubes  contigus ,  est  de  nature 
à  prévenir  tout  accident. 

Les  chemins  atmosphériques  fourniront  le  moyen  de 
franchir  toutes  sortes  de  pentes.  C'est  leur  propriété  la 


438  LES  CHEMINS  DE  FER. 

plus  précieuse ,  et  en  même  temps  la  plus  évidente.  A  cet 
égard  aucune  expérience  ne  sera  nécessaire.  Le  calcul 
donnera,  au  besoin,  avec  une  exactitude  rigoureuse,  les 
poids  décroissants  que  le  même  degré  de  vide  pourra  faire 
mouvoir  sur  Thorizontale  et  sur  des  lignes  inclinées  de 
10,  de  20,  de  30,  de  50,  etc.,  millimètres  par  mètre.  Il 
faudra,  au  contraire,  étudier  soigneusement  les  moyens 
de  descendre,  sans  danger,  toutes  les  déclivités  possibles, 
goit  en  recourant  à  des  freins  ordinaires,  soit,  ce  qui  est 
bien  préférable,  à  l'aide  des  freins  d'air.  Le  système  de 
M.  Hallette  offrira  de  oe  côté  des  ressources  précieuses, 
puisque  la  fermeture  de  la  fente  par  des  boyaux  gonflés 
reste  également  imperméable  à  Tair,  pour  une  pression 
dirigée  de  dehors  en  dedans,  et  pour  une  pression  s'exer- 
çant  de  dedans  en  dehors;  puisque,  dans  ce  système,  on 
peut  opérer  une  forte  compression  de  l'air  dans  le  tube 
de  propulsion ,  sans  qu'il  s'en  échappe  une  molécule. 

Tout  est  connu  et  certain ,  quant  à  la  locomotion  atmo- 
sphérique le  long  d'une  pente  unique  à  peu  près  régulière. 
Il  sQrait  imprudent  de  donner  la  même  assurance ,  tou- 
chant le  mouvement  qui  doit  s'opérer  dans  une  série 
continue  de  pentes  et  de  contre-pentes  sensibles.  L'expé- 
rience seule  pourra  éclairer  l'ingénieur  sur  les  variations 
brusques  de  vitesses  et  les  autres  inconvénients  que  de 
telles  conditions  de  tracé  amèneraient  à  leur  suite. 

Jusqu'à  quelle  limite  peut-on  faire  descendre  les  rayons 
des  courbes  dans  le  système  atmosphérique?  Certaines 
parties  du  chemin  de  Dalkey  appartiennent  à  des  cercles 
de  175  mètres  seulement  de  rayon  ;  mais  on  ne  sait  pas 
&  combien  s'y  élève  le  frottement,  mais  on  y  a  placé  des 


LES  CHEMINS  DE  FBR.  439 

contre-rails  de  sûreté,  etc.  Cette  question  offre  une  impor- 
tance extrême.  11  est  bien  désirable  qu'on  l'étudié,  en 
mariant  le  système  atmosphérique  aux  wagons  articulés 
de  M.  Arnoux. 

Si  le  piston  moteur  était  semblable  à  ceux  des  machines 
à  vapeur,  s'il  remplissait  entièrement  le  tube  de  propul- 
sion ,  s'il  reposait  de  tout  son  poids  sur  la  partie  mfé- 
rieure  de  ce  tube,  on  aurait  raison  de  se  préoccuper  des 
accidents  qui  pourraient  être  la  conséquence  de  l'excessive 
rapidité  de  sa  marche  ;  mais  la  partie  métallique  centrale 
de  ce  piston  a  un  diamètre  sensiblement  plus  petit  que  le 
tube  de  propulsion  ;  mais  elle  est  réellement  suspendue  à 
la  tige  motrice ,  et,  par  cet  intermédiaire,  à  la  première 
voiture  du  convoi,  de  telle  sorte  que  la  circonférence  du 
piston  et  la  circonférence  intérieure  du  tube,  sont  parfai- 
tement concentriques,  ne  se  touchent  nulle  part;  mais 
l'intervalle  annulaire  que  ces  deux  circonférences  laissent 
entre  elles,  est  rempli  par  une  rondelle  en  cuir,  disposée , 
à  fort  peu  près,  comme  celle  qui  entoure  le  piston  des 
presses  hydrauliques.  C'est  sur  les  bords  de  cette  rondelle 
que  s'opère,  pendant  la  marche,  tout  le  frottement  dans 
le  tube  de  propulsion.  Le  cuir  doit  s'user  et  s'use  en  effet 
rapidement.  C'est  un  point  sur  lequel  devront  se  diriger 
les  investigations  des  expérimentateurs.  La  dépense  sera 
toujours  insignifiante,  mais  les  facilités  de  remplacement 
méritent  de  fixer  l'attention.  M.  Samuda  estime  que  les 
rondelles  de  cuir  de  son  piston  devront  être  changées 
toutes  les  40  à  50  lieues. 

Alors  même  qu'il  résulterait  d'une  comparaison  expé- 
rimentale minutieuse,  que,  sur  les  grandes  lignes,  les 


440  LES  CHEMINS  DE  FER. 

locomotives  ordinaires  doivent  être  préférées  à  la  propul- 
sion atmosphérique,  ce  dernier  système  pourrait  avoir  des 
avantages  dans  tous  les  cas  où,  pour  franchir  une  forte 
rampe,  on  a  recours  à  des  plans  inclinés,  à  des  machines 
fixes,  à  des  cordages.  Ce  genre  d'application  devra  figurer 
dans  le  programme  des  ingénieurs  chargés  de  présider 
aux  essais.  Il  faudra  étudier  soigneusement  les  moyens 
de  liaison  des  deux  genres  de  véhicules,  pour  la  montée, 
et  surtout  pour  la  descente  des  trains, 

La  commission  trahirait  toutes  ses  convictions,  si  elle 
ne  plaçait  pas  le  système  atmosphérique  de  M.  Pecqueur 
parmi  ceux  qui  méritent  d'être  étudiés  expérimentalement. 
Peut-être  réussirons-nous  à  donner  une  idée  générale  de 
ce  système ,  sans  avoir  besoin  d'appeler  à  notre  aide  des 
considérations  techniques. 

La  locomotive  ordinaire  marche  par  l'action  de  la 
vapeur  d'eau ,  portée  à  quatre  ou  cinq  atmosphères  de 
pression.  Cette  vapeur  lui  est  fournie  par  une  chaudière 
tubulaire  d'un  volume  nécessairement  considérable ,  car 
la  machine  consomme  beaucoup.  L'eau  et  le  charbon  du 
tender  sont  destinés  à  fournir  à  cette  consommation. 

De  l'air  très-élastique  ferait  dans  la  machine  de  la 
locomotive  le  même  effet  que  la  vapeur.  De  là  l'idée  de 
substituer  à  la  chaudière  une  caisse  en  fer  où,  avant  le 
départ  de  la  gare,  on  aurait  comprimé  l'air  à  un  très-haut 
degré.  Cette  caisse,  déjà  presque  vidée,  devait  être  rem- 
placée, à  la  première  station  du  convoi ,  par  une  seconde 
caisse  à  air  comprimé ,  et  ainsi  de  suite. 

L'idée  était  assurément  très-plausible.  Cependant,  jus- 
qu'ici elle  n'a  pas  réussi.  De  l'air  énormément  comprimé 


LES  CHEMINS  DE  FER.  ii\ 

ferait  naître  des  dangers  d'explosion.  11  fallait  donc  em- 
ployer des  caisses  d'une  très-grande  épaisseur,  et  alors, 
du  côté  de  la  légèreté,  l'avantage  n'était  pas  aussi  consi- 
dérable qu'on  l'avait  espéré.  Nous  laissons  à  l'écart 
d'autres  difficultés  qui  ont  aussi  leur  gravité. 

A  ces  caisses  lourdes,  dangereuses,  et  qui  seraient 
inévitablement  des  causes  de  retard  à  toutes  les  sta- 
tions, M.  Pecqueur  substitue  un  tube  indéfini,  placé  sur 
le  sol  entre  les  rails,  et  dans  lequel  il  comprime  l'air  à 
l'aide  de  machines  à  vapeur  fixes,  établies  de  distance 
en  distance  le  long  de  la  voie,  comme  cela  est  aussi 
nécessaire  dans  le  système  atmosphérique,  par  le  vide, 
du  chemin  de  Kingston  à  Dalkey.  La  locomotive  de 
M.  Pecqueur,  portant  sur  les  rails  par  ses  roues,  à  la 
manière  des  locomotives  ordinaires,  puise  dans  le  tube 
intermédiaire,  au  fur  et  à  mesure  de  sa  marche,  tout 
l'air  dont  elle  a  besoin  pour  fonctionner.  Cet  air,  il  est 
à  peine  nécessaire  de  le  dire,  n'a  subi  ici,  dans  le  tube 
indéfini,  qu'une  compression  très-limitée  :  une  compres- 
sion de  quatre  à  cinq  atmosphères,  si  c'est  à  ces  degrés  ^ 
d'élasticité  qu'on  désire  marcher. 

Voil?i  l'idée  générale  ;  mais  c'est  par  les  détails,  sur- 
tout, que  brille  la  machine  de  M.  Pecqueur.  Rien  de  plus 
ingénieux,  de  mieux  entendu,  de  plus  complet,  que  les 
dispositions  des  tuyaux,  des  soupapes,  à  l'aide  desquels  la 
machine  s'alimente  en  marchant.  Sous  ce  point  de  vue , 
l'œuvre  a  répondu  à  tout  ce  qu'on  devait  attendre  de 
l'inventeur. 

Le  petit  tronçon  de  chemin  que  la  commission  a  vu , 
rue  Neuve- Popincourt,  suffira  pour  faire  apprécier  les 


442  LES  CHEMINS  DR  FER. 

divers  genres  de  soupapes  dont  M.  Pecqueur  se  sert; 
mais  il  est  d'autres  questions  qui  ne  pourront  être  tran- 
chées que  par  des  expériences  en  grand.  Nous  placerons 
au  premier  rang  de  ces  questions  la  recherche  des  effets 
des  très-grandes  vitesses  sur  le  clavier,  à  Taide  duquel 
M.  Pecqueur  ouvre  toute  sa  série  de  soupapes. 

En  ne  consacrant  pas  une  petite  somme  à  Tétude  de 
ce  nouveau  système  de  propulsion,  nous  courrions  le 
risque,  Messieurs,  de  voir,  comme  cela  n'est  que  trop 
souvent  arrivé,  une  belle,  une  très-ingénieuse  invention 
française  nous  revenir  par  l'étranger. 

La  commission  s'est  associée  avec  empressement  aux 
idées  qui  ont  déterminé  M.  le  ministre  des  travaux  pu- 
blics à  présenter  le  projet  de  loi.  Mais,  à  notre  avis,  ce 
projet  aura  peu  d'utilité,  si  les  expériences  n'étant  pas 
finies  ou  très- avancées  dans  les  premiers  mois  de  la 
prochaine  réunion  des  Chambres,  il  devenait  impossible 
de  s'éclairer  des  vives  lumières  qu'un  si  important  tra- 
vail est  destiné  à  répandre  sur  la  question  des  tracés. 

La  nécessité  de  changer  les  règles  actuelles,  ou  même, 
suivant  les  circonstances,  le  système  de  locomotion, 
semble  aujourd'hui  généralement  reconnue,  au  moins 
jsous  le  rapport  de  l'économie;  sans  cela,  nous  la  ren- 
drions évidente,  en  empruntant  quelques  chiffres  aux 
projets  de  chemins  de  fer  de  Bordeaux  et  de  Strasbourg. 

Messieurs,  faisons  les  essais  qui  amèneront  forcément 
de  grandes  diminutions  de  dépense,  mais  faisons- les 
promplement.  11  y  va  de  1^  fortune  de  la  France. 

La  Chambre  comprendra,  d'après  cet  ensemble  de 
considérations,  comment  sa  commission,  quoique  déci- 


LES  CHEMINS  DE  FEB.  443 

dée  à  n'apporter  aucun  amendement  à  la  loi,  a  cherché, 
dans  le  cercle  de  ses  informations,  en  quel  lieu  les  expé- 
riences projetées  seraient  faites  le  plus  promptement  pos- 
sible, et  dans  les  meilleures  conditions. 

Le  plateau  de  Satory,  près  de  Versailles,  ne  lui  semble 
pas  très-favorable.  Quatre  kilomètres  surpassent  seule- 
ment d'un  tiers  la  longueur  du  chemin  de  Dalkey;  dans 
cette  localité,  les  nouveaux  essais  ne  seraient  pas  même 
une  répétition  avantageuse  des  expériences  faites  en 
Irlande,  car  de  Kingston  à  Dalkey  il  n'y  a  pas,  comme 
à  Satory,  des  pentes  presque  uniformes  ;  le  chemin  par- 
court une  contrée  difficile,  et  les  ingénieurs  l'ont  plié 
presque  exactement  aux  ondulations  naturelles  du  terrain. 

Aux  environs  de  Saint-Cyr,  il  y  aurait  d'ailleurs  des 
propriétaires  à  déposséder,  et  les  formalités  légales  de 
l'expropriation  feraient  perdre  un  temps  précieux. 

Aux  portes  de  Paris,  nous  voyons,  au  contraire,  un 
terrain,  la  berge  droite  du  canal  de  TOurcq,  que  l'admi- 
nistration de  ce  canal  mettrait,  dès  demain,  à  la  dispo- 
sition du  gouvernement. 

De  la  gare  circulaire  de  la  Villettc  à  Sevran,  on  aurait 
un  intervalle  de  12  kilomètres,  susceptible  d'être  étendu 
au  besoin.  En  descendant  de  la  berge  dans  la  plaine, 
et  remontant  ensuite  de  la  plaine  sur  la  berge,  les  ingé- 
nieurs trouveraient  le  moyen  de  faire  leurs  expériences 
sur  des  pentes  de  10,  de  20  et  même  de  30  millièmes. 
A  Bondy,  on  pourrait  descendre  à  4  mètres  en  contre-bas 
du  chemin  de  halage,  et  revenir  à  4  mètres  en  contre-haut 
pour  passer  au-dessus  du  chenal  de  la  voirie.  Gravir  le 
pont  de  Sevran,  ce  serait  s'élever  presque  brusquement 


444  LES  CHEMINS  DE  FER. 

de  7  mètres.  Enfin,  en  combinant  ces  pentes  et  contre- 
penles,  avec  des  courbes  et  des  contre-courbes  d*un  petit 
rayon,  on  accumulerait,  sur  un  espace  borné,  plus  de 
difficultés  que  jamais  aucun  ingénieur  n'en  rencontrerait 
dans  un  tracé  de  chemin  de  fer  à  travers  le  pays  le  plus 
accidenté, 

M,  le  ministre  des  travaux  publics  et  M.  Legrand  se 
sont  rendus  au  sein  de  la  commission.  Ils  ont  déclaré 
de  nouveau  qu'aucune  localité  n'avait  été  définitivement 
choisie  pour  devenir  le  théâtre  des  expériences  projetées. 
La  plateau  de  Satory  leur  souriait,  parce  que  le  chemin 
de  Chartres  y  devra  nécessairement  passer,  parce  qu'en 
cas  de  complète  réussite,  les  tubes  atmosphériques  pour- 
raient être  laissés  en  place  et  devenir  le  moyen  habituel 
de  franchir  une  pente  rapide  dans  un  chemin  en  exploi- 
tation ;  parce  qu'il  y  a  quelque  chose  de  pénible  dans  la 
pensée  d'établir  à  grands  frais  des  rails,  des  tubes  de 
propulsion  et  des  machines  à  vapeur  qui,  après  les  essais, 
devraient  être  enlevés. 

La  commission,  tout  en  appréciant  la  justesse  des  vues 
et  des  impressions  de  M.  le  ministre,  a  considéré,  que 
l'expérience,  pour  être  instructive  et  concluante,  devra 
offrir,  dans  un  espace  resserré,  des  difficultés  de  pentes 
et  de  courbes  créées  à  dessein,  des  difficultés  que  le  ter- 
rain naturel  aurait  probablement  permis  d'éviter.  Le 
chemin  expérimental  ne  se  trouvera  donc  pas  dans  les 
conditions  avantageuses  qu'il  eût  été  possible  de  donner 
au  chemin  d'exploitation;  il  ne  pourra  en  général  être 
conservé. 

Par  une  exception,  le  chemin  d'épreuve  de  la  berge 


LES  CHEMINS  DE  FER.  445 

droite  du  canal  de  l'Ourcq,  échapperait,  si  on  le  voulait, 
à  une  destruction  complète.  La  commission  a  reçu,  en 
effet,  de  la  Compagnie  des  canaux  de  Paris,  un  engage- 
ment conçu  en  ces  termes  : 

«  Si  l'expérience  est  faite  par  le  gouvernement,  sur  la 
berge  du  canal,  depuis  la  gare  circulaire  jusqu'à  Sevran, 
nous  nous  engageons  à  reprendre  au  prix  d'un  million  les 
travaux  et  le  matériel  qu'il  nous  sera  peut-être  possible 
d'utiliser  pour  le  service  de  la  navigation  et  des  voiries.  » 

Cette  proposition  nous  semble  mériter  un  examen  sé- 
rieux. Une  réduction  de  moitié  sur  le  montant  de  la 
dépense  projetée,  ne  serait  pas  à  dédaigner.  Toutefois, 
des  considérations  d'économie  sont  ici  secondaires.  Mettre 
dès  les  premiers  mois  de  l'année  prochaine,  la  Chambre, 
le  pays  tout  entier,  en  mesure  de  faire  une  part  éclairée 
aux  systèmes  de  locomotion  atmosphérique,  voilà  le  prin- 
cipal. Le  meilleur  emplacement  est,  à  nos  yeux,  celui  qui 
permettra  d'entreprendre  et  de  compléter  les  expériences 
dans  le  plus  bref  délai.  C'est,  à  ce  titre,  que  la  com- 
mission verrait  avec  une  satisfaction  réelle,  M.  le  ministre 
faire  tomber  son  choix  sur  la  berge  du  canal  de  l'Ourcq. 
11  est  bien  entendu  que  ce  vœu  serait  comme  non  avenu, 
si  l'administration  découvrait,  contre  toute  probabilité, 
un  lieu  où  les  essais  pussent  être  tentés  dans  des  condi- 
tions plus  favorables,  et,  surtout ,  plus  tôt  que  le  long 
du  canal. 

Sous  le  bénéfice  des  observations  qui  précèdent,  la 
commission  propose  à  la  Chambre  d'adopter  le  projet 
de  loi. 


446  LES  CHEMINS  DE  FER. 

[Le  rapport  qui  précède  a  donné  lien  à  nne  courte  discussion  qne 
nous  extrayons  du  Moniteur  du  19  juillet  iShh*  ] 

IL  DciiON,  ministre  des  travaux  publics.  Le  gouvernement  a  en 
l^onneur  de  déclarer  devant  la  commission ,  comme  il  le  déclare 
maintenant  devant  la  Chambre,  qu'il  demandait  qu*on  lai  réservât 
une  entière  liberté  pour  le  choix  du  lieu  où  se  fera  Tessai  du  sys- 
tème atmosphérique,  et,  certainement,  si  le  choix  des  berges  du 
canal  de  TOurcq  avait  pour  résultat  d'engager  la  tête  de  ligne  du 
chemin  de  fer  de  Strasbourg,  ce  serait  pour  le  gouvernement  une 
raison  décisive  de  renoncer  à  Texpérience  sur  ce  point 

M.  DE  LA  RocHEJAQUELEiN.  Je  demande  à  présenter  une  observa* 
tion.  Nous  avons  tous  été  frappés  de  ce  que  nous  a  dit  Thonorable 
M.  Dilhan  sur  un  nouveau  système  de  chemin  qui  s'appelle  système 
Jouffroy,  Il  s'agit  d'expérimenter  en  ce  moment  toutes  les  nouvelles 
inventions  pour  les  chemins  de  fer.  J'ai  été  étonné  que  M.  Ârago, 
dans  son  rapport,  ne  nous  ait  pas  parlé  du  système  JoufTroy. 

Je  désirerais  connaître  Topioion  du  savant  M.  Arago  sur  ce  sys- 
tème, et  savoir  aussi  si  M.  le  ministre  des  travaux  publics  croit  qu*oo 
doive  prendre  en  quelque  considération  une  découverte  qui ,  aux 
yeux  de  beaucoup  de  personnes,  a  une  très-grande  importance. 

M.  Arago,  rapporteur.  Il  n'a  point  été  question  dans 
le  rapport  du  système  de  M.  de  Jouffrby,  parce  que  le 
rapport  sur  le  chemin  de  fer  atmosphérique  est  relatif  à 
une  modification  dans  la  force  motrice,  et  non  pas  dans 
le  matériel  des  chemins  de  fer. 

Le  système  de  M.  de  Jouffroy  peut  être  comparé  au 
système  de  M.  Arnoux.  Si  M.  de  Jouffroy  se  présentait 
devant  la  chambre  dans  les  conditions  de  M.  Arnoux ,  s'il 
demandait  qu'on  fît  une  expérience  sur  son  système ,  il  y 
a  assurément  dans  ce  qu'on  en  a  vu  des  choses  assez 
séduisantes ,  des  moyens  de  sûreté  assez  précieux ,  pour 
que  toutes  les  personnes  qui  désirent  voir  faire  des  pro- 
grès à  la  question  des  chemins  de  fer  s'associent  à  la  pen- 
sée qu'a  eue  M.  de  la  Rochcjaquelein  en  me  questionnant. 

Si  donc  M.  Jouffroy  se  présentait  dans  les  mêmes  con- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  Hl 

ditions  que  M.  Arnoux,  je  serais  certainement  des  pre- 
miers à  demander  que  Ton  fît  l'essai  de  son  système  ; 
mais  je  prie  M.  de  la  Rochejaquelein  de  remarquer  que 
le  système  de  M.  de  Jouffroy  consiste  en  une  modifica- 
tion dans  le  matériel ,  et  non  point  en  une  modification  de 
la  force  motrice  ;  ce  dont  il  s'agit  aujourd'hui,  c'est  d'une 
modification  radicale  dans  les  chemins  de  fer,  c'est  d'une 
modification  dans  l'essence  même  des  chemins  de  fer, 
dans  la  force  motrice  ;  elle  consiste  à  substituer  l'atmo- 
sphère à  la  vapeur,  à  substituer  des  machines  fixes  à  des 
machines  mobiles.  11  n'y  a  rien  de  cela  dans  le  système 
de  M.  de  Jouffroy. 

Au  reste,  j'ai  appris  que  l'administration  avait  hésité 
à  faire  ce  que  désire  M.  de  Jouffroy  par  une  raison  qui 
ne  subsistera  pas  longtemps.  Le  système  de  M.  de  Jouf- 
froy a  été  présenté  à  l'Académie  des  sciences;  j'ai  pris 
vis-à-vis  de  M.  le  ministre  l'engagement  de  hâter  le 
rapport  le  plus  possible.  Une  opinion  raisonnée,  com- 
plète, étudiée,  du  système  Jouffroy  ne  tardera  pas  à  être 
publiée. 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Le  systèiiic  do  M.  de  Jouf- 
froy, comme  celui  de  .M.  Arnoux,  modifie  les  conditions  auxquelles, 
pendant  longtemps,  on  a  attaché  les  garanties  de  la  sûreté  publique, 
c'est-à-dire  l'inclinaison  des  pentes  et  le  rayon  des  courl>es;  ces 
modifications  peuvent  s'opérer  sans  inconvénient,  si  l'on  substitue 
aux  anciennes  garanties  des  garanties  nouvelles  et  revêtues  d'une 
sanction  suffisante. 

Or,  le  système  de  M.  Arnoux  a  cet  avantage  d'avoir  obtenu  cette 
sanction.  Lorsque  j'ai  présenté  à  la  Chambre  un  projet  ayant  pour 
objet  l'essai  du  système  de  M.  Arnoux ,  ce  système  avait  obtenu  un 
avis  favorable  de  l'Académie  des  sciences  et  du  conseil  général  des 
ponts  et  chaussées. 

C'est  la  double  approbation  que  ce  système  avait  obtenue  de  ces 
deux  corps,  qui  m'a  déterminé  à  présenter  le  projet  à  la  Chambre. 


448  LES  CHEMINS  DE  FER. 

Mais  le  système  de  M.  de  Jouffroy  ne  réunit  pas  encore  ces  condi- 
tions ;  il  n'a  pas  été  soumis  à  TAcadémie  et  au  conseil  des  ponts  et 
chaussées,  et  tant  qu'il  n'aura  pas  leur  approbation ,  il  ne  me  sera 
pas  possible  de  proposer  à  la  Chambre  un  projet  à  cet  égard. 

Si  les  épreuves  auxquelles  sera  soumis  ce  ^stème  lui  sont  favo- 
rables, s'il  résulte  de  ces  épreuves  que  l'expérience  peut  en  être 
faite  sans  danger,  je  serai  tout  disposé  à  proposer  aux  Chambres 
d'en  autoriser  Fessai  aux  mômes  conditions  que  pour  le  système  de 
M.  Amoux. 

M.  Arago.  En  ce  qui  me  concerne,  je  dirai  à  M.  le 
ministre  qu'il  n'attendra  pas  longtemps  ^. 

M.  LE  Président.  Je  consulte  la  Chambre  pour  savoir  si  elle  en- 
tend passer  à  la  discussion  des  articles. 
(La  Chambre  passe  à  la  discussion  des  articloSi  ) 

M.  Arago.  Dans  le  projet  de  loi,  il  était  à  peu  près 
entendu  que  l'essai  serait  fait  par  le  gouvernement.  Dans 
le  rapport ,  nous  avons  indiqué  la  promptitude  de  l'expé- 
rience comme  la  chose  capitale.  Il  nous  avait  semblé  que 
l'expérience  se  ferait  le  plus  promptement  possible  par 
l'intermédiaire  d'une  compagnie  qui  aurait  des  locaux, 
mais  nous  n'avons  rien  voulu  prescrire. 

Après  avoir  examiné  le  rapport,  le  gouvernement  a 
pensé  qu'il  était  possible  de  faire  au  premier  article  une 
modification  dont  je  vais  donner  lecture. 

M.  Legrand,  sous-secrétaire  (tÉiat  des  travaux  publics.  Lue 
addition  I 

M.  Arago.  Oui,  une  addition,  afin  que  vous  ayez 
une  entière  liberté. 
En  voici  les  termes  : 

i.  Ainsi  que  M.  Arago  s'y  était  engagé,  dès  que  le  système  de 
M.  de  Jouffroy  eut  pu  être  expérimenté  sur  une  échelle  suffisante, 
un  rapport,  rédigé  par  M.  Cauchy,  a  été  fait  à  TAcadémie  des 
sciences  (séance  du  16  novembre  18/i6). 


LES  CHRM^INS  DE  FER.  U9 

€  L'essai  pourra  être  fait,  soit  directement  par  l'État, 
soit  par  une  compagnie  à  ses  risques  et  périls,  moyen- 
nant subvention  de  toute  ou  partie  de  la  somme  mentionnée 
au  paragraphe  précédent.  • 

Puis ,  viendrait  comme  art.  2  : 

«  Le  lieu  de  l'essai  sera  désigné  par  une  ordonnance 
royale. 

«  Le  ministre  des  travaux  publics  pourra ,  en  vertu  de 
cette  ordonnance,  requérir,  s'il  y  a  lieu,  conformément 
aux  titres  2  et  suivants  de  la  loi  du  3  mai  1841 ,  l'ex- 
propriation des  terrains  nécessaires  à  l'exécution  des  tra- 
vaux. » 

La  chambre  voit  qu'avec  cçtte  addition  le  Gouverne- 
ment conserve  une  liberté  entière,  et  qu'il  pourra  adopter 
la  proposition  qui  présentera  le  plus  d'avantages. 

[Après  ces  explications,  la  Chambre  des  députés  a  adopté  à  la 
presque  unanimité  le  projet  de  loi. 

Le  gouvernement  ayant  décidé  que  Tessai  des  systèmes  atmosphé- 
riques aurait  lieu  sur  le  chemin  de  fer  de  Saint-Germain,  M.  Arago 
a  prononcé  le  discours  suivant  dans  la  séance  de  la  Chambi^e  des 
députés  du  20  juin  18/i5.  ] 

Vous  avez  entendu  dans  la  séance  d'hier  la  discussion 
qui  s'est  élevée  et  à  laquelle  ont  pris  part  M.  Corne  et 
M.  le  ministre  des  travaux  publics.  Il  s'agissait  d'exa- 
miner si  le  traité  qui  a  été  passé  avec  la  compagnie  du 
chemin  de  Saint -Germain  était  conforme  à  la  loi  votée 
dans  la  dernière  session ,  concernant  des  expériences  à 
faire  sur  les.  chemins  atmosphériques. 

J'avoue  que,  malgré  tous  mes  efforts,  je  n'ai  jamais 
compris  ce  traité;  que  je  n'ai  pas  réussi  à  y  voir  une 
déduction  logique  de  la  loi.  11  me  semble  que  mon  titre 

V.— II.  29 


i50  LES  CHEMINS  DE  FSR. 

de  rapporteur  de  la  commission  qui  fut  appelée  à  s'expli- 
quer sur  des  expériences  à  tenter  relativement  aux  che- 
mins de  fer  atmosphériques,  m'impose  le  devoir  de  pré- 
senter à  la  Chambre  quelques  réflexions.  Ce  n'est  pasun 
discours  que  j'apporte  ici  ;  ce  sont  des  observations  très- 
courtes  ;  je  n'abuserai  pas  des  moments  de  l'Assemblée. 

Messieurs,  quel  était  le  but  de  la  loi  en  question?  Ce 
but  est  défini  de  la  manière  la  plus  claire  dans  on  pas- 
sage de  l'exposé  des  motifs. 

Voici  ce  passage  :  «  Nous  pensons  qu'il  convient  d'ex- 
périmenter les  deux  systèmes  :  aussi  nous  nous  propo- 
sons d'établir  un  chemin  à  deux  voies,  et  d'affecter  une 
des  deux  voies  au  système  français  et  l'autre  au  système 
anglais.  » 

Je  ne  ferai  aucune  réflexion  sur  la  critique  que  M.  le 
ministre  a  adressée  à  Thouorable  M.  Corne ,  qui  s'était 
servi  des  expressions  a  système  anglais  et  système  fran- 
çais. »  La  chambre  voit  que  M.  Corne  avait  emprunté 
cette  expression  à  M.  le  ministre  lui-même;  mais  je  dirai 
que  Ton  ne  construit  pas  deux  voies,  et,  ce  qui  est  éga- 
lement évident,  qu'on  ne  fait  pas  d'expériences.  Le  but 
manifeste  de  la  loi  est  méconnu,  éludé. 

En  votant  des  expériences,  la  chambre  entendait  qu'on 
essaierait  différents  modes  de  construction  et  d'action, 
de  manière  à  constater  ce  qui  devrait  être  préféré.  Fait- 
on  cela  sur  le  chemin  de  Saint-Germain?  En  aucune 
manière.  On  exécutje  un  chemin,  entre  cette  ville  et 
Nanterre,  d'après  des  idées  préconçues  d'ingénieurs  très- 
habiles  attachés  à  la  compagnie.  Tout  ce  qui  est  en  de- 
hors de  ces  idées  ne  sera  pas  essayé. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i5f 

Voici  quelcpie  chose  de  plus  sérieux  encore  : 

Les  chambres  avaient  décidé  que  le  système  de  M.  Hal- 
lette  offrait  d'assez  grandes  chances  de  réussite,  pour 
qu'on  dût  l'essayer  aux  frais  de  l'État.  Une  partie  des 
1,800,000  fr.  votés  devait  être  employée  à  ces  essais. 
Eh  bien ,  le  traité  passé  avec  la  compagnie  de  Saint-Ger- 
main soumet  le  système  de  M.  Hallette  à  une  expérience 
préalable. 

Pour  avoir  droit  à  une  part  des  1,800,000  fr.,  pour 
avoir  le  droit  de  faire  essayer  son  système,  M.  Hallette 
doit  préalablement  exécuter  à  ses  frais  certaines  expé- 
riences :  il  faut  que  ces  expériences  réussissent.  Est-ce, 
par  hasard,  que  cela  était  dans  la  loi?  est-que  cette  con- 
dition d'une  expérience  préalable  avait  été  prévue ,  sti- 
pulée? est-ce  que  M.  le  ministre  n'était  pas  parfaitement 
sih-,  quand  il  présenta  le  projet  de  loi,  que  le  système 
de  M.  Hallette  méritait  d'être  essayé? 

On  nous  dira  peut-être  :  Ce  n'est  pas  entièrement  à 
.ses  frais  que  M,  Hallette  essaiera  son  système.  EffLttive- 
mcnt ,  la  compagnie  de  Saint-Germain  est  tenue  de  lui 
prêter  300  mètres  de  rails. 

M.  LE  .Mlmstre  dks  travaux  publics.  Je  répondrai. 

M.  Arago.  D'après  les  conditions  du  traité ,  je  les  ai 
très- présentes  à  la  mémoire,  la  compagnie  de  Saint- 
Germain  doit  prêter  300  mètres  de  rails  à  M.  Hallette. 

On  prêtera  aussi  quelque  chose  à  cet  ingénieur  pour 
opérer  le  vide  dans  un  tube  de  propulsion  qu'il  devra 
exécutera  ses  frais;  on  lui  prêtera  quoi?  messieurs,  une 
locomotive.  Mais  a-t-on  réfléchi  que  c'est  peut-être  la 


452  LES  CHEMINS  DE  FER. 

plus  mauvaise  de  toutes  les  machines ,  quand  il  s^agit  de 
faire  le  vide  dans  une  grande  capacité  ? 

M.  le  ministre  avait  à  moitié  raison  lorsqu'il  réfutait 
hier  l'honorable  M.  Corne  sur  ce  point  particulier. 
M.  Corne ,  en  effet ,  avait  commis  une  petite  erreur.  Il 
n'avait  pas  bien  compris  quel  était  le  but  de  la  locomo- 
tive concédée.  Mais  M.  le  ministre  lui-même  n*étaitpas 
dans  le  vrai ,  ce  me  semble ,  quand  il  affirmait  qu'on  avait 
fait  à  M.  Ilallette  un  magnifique  cadeau  en  lui  confiant 
une  locomotive  comme  machine  destinée  à  opérer  le  vide. 
La  locomotive  a  une  tout  autre  destination  ;  elle  peut  être 
excellente  pour  traîner  des  convois,  et  fonctionner  très- 
mal  comme  machine  d'épuisement. 

L'expérience  préalable  qu'on  exige  de  M.  Hallette, 
contrairement  à  la  loi ,  entraînerait  de  grandes  dépenses. 

Cependant ,  ce  serait  seulement  après  que  M.  Hallette 
aurait  réussi  dans  l'expérience  préalable  qu'on  lui  impose, 
qu'on  essaierait  le  système  français  sur  une  étendue  de 
1,000  mètres,  aux  frais  de  l'État,  je  me  trompe,  aux 
frais  de  la  compagnie  de  Saint-Germain,  qui  a  touché  les 
1,800,000  fr.,  ou  doit  les  toucher. 

Qu'arriverait- il ,  Messieurs,  si  l'expérience  préalable 
de  M.  Hallette  ne  réussissait  pas,  au  jugement  d'une 
commission  nommée  par  le  ministre? 

Les  1,000  mètres  coûteraient  de  200,000  à  300,000  fr. 
Tout  le  monde  s'imagine,  sans  doute,  que  si  l'on  ne  fai- 
sait pas  l'expérience  de  1,000  mètres,  on  réduirait  de 
200,000  à  300,000  fr.  la  somme  accordée  à  la  compa- 
gnie de  Saint-Germain.  On  se  tromperait;  la  compagnie 
bénéficierait  des  200,000  à  300,000  fr.,  c'est-à-dire  de 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i53 

toute  la  dépense  qu'elle  aurait  dû  faire ,  et  qu'elle  ne 
ferait  pas,  pour  essayer  le  système  de  M.  Hallette. 

J'avoue  que  cette  disposition  me  paraît  incompréhen- 
sible. J'ai  la  plus  grande  confiance  dans  les  intentions  de 
M.  le  ministre  ;  je  suis  certain  qu'il  voulait  que  l'expé- 
rience réussît,  mais  je  ne  vois  pas  quels  motifs  plausibles 
ont  pu  l'entraîner  à  admettre  plusieurs  des  dispositions 
renfermées  dans  le  traité  conclu  avec  la  compagnie  de 
Saint-Germain. 

L'expérience  préalable  à  laquelle  on  veut  astreindre 
M.  Hallette  me  revient  toujours  à  l'esprit  ;  je  me  demande 
s'il  serait  survenu,  depuis  le  moment  où  M.  le  ministre  pré- 
senta la  loi,  quelque  renseignement  qui  l'eût  fait  douter 
de  la  bonté  du  système.  Pour  moi ,  je  puis  produire  l'opi- 
nion d'un  ingénieur  habile,  qui  est  une  autorité  en  pa- 
reille matière,  M.  William  Cubitt.  J'ai  là  une  lettre  qui  a 
été  écrite  par  M.  Cubitt  au  maire  de  Boulogne,  M.  Adam. 
Le  célèbre  ingénieur  déclare  que  le  système  de  M.  Hal- 
lette lui  paraît  très-digne  d'être  essayé. 

La  première  détermination  de  M.  le  ministre  était  favo- 
rable; nous  nous  proposons,  disait-il ,  d'établir  un  chemin 
à  deux  voies  et  d'alTecler  une  des  voies  au  système  fran- 
çais, l'autre  au  système  anglais.  C'est  après  cette  décla- 
ration formelle,  c'est  après  le  vote  de  la  Chambre,  c'est 
après  la  promulgation  de  la  loi,  que  nous  voyons  M.  le 
iiîinpistre  imposer  à  M.  Hallette  des  conditions  léonines. 
On  s'y  perd. 

Supposons  maintenant  que  l'expérience  de  M.  Hallette 
réussisse,  malgré  les  résistances  de  la  compagnie  de 
Saint-Germain,  résistances  qui  commencent  déjà  à  se 


454  LES  CHEMINS  DE  FER. 

manifester;  qu'accordera -t- on  à  ringénieur  d'Arras? 
1,000  mètres.  Je  déclare  que  ces  1,000  mètres  sont 
complètement  insuffisants  pour  résoudre  les  questions 
pendantes ,  les  questions  que  nous  avons  signalées  dans 
rapport  de  la  commission. 

Que  fallait-il  particulièrement  essayer?  Il  fallait  essayer 
l'effet  des  pentes  et  des  contre- pentes.  Il  n'y  en  a  pas 
dans  la  localité  désignée  ;  il  fallait  surtout  essayer  si  la 
pièce  destinée  à  écarter  les  deux  lèvres  de  la  fermeture 
de  M.  Hallette,  si  les  deux  boyaux  ne  s'échaufferaient  pas 
considérablement  lorsque  la  marche  des  convois  serait 
très-rapide.  Avec  1,000  mètres  de  longueur,  cette  ques- 
tion n'est  pas  même  abordable.  En  effet ,  à  peine  par- 
venu à  500  mètres  de  distance,  il  faudrait  ralentir  la 
marche  pour  éviter  les  accidents  qui  arriveraient  à  l'extré- 
mité. L'expérience  se  ferait  donc  dans  des  conditions  de 
vitesse  inefficaces.  La  commission  que  vous  avez  envoyée 
à  Arras,  la  commission,  composée  d'ingénieurs  des 
ponts  et  chaussées,  qui  s'est  transportée  chez  M.  Hal- 
lette, a  déclaré,  je  crois,  que  l'essai  du  système  français 
méritait  d'être  fait;  mais  elle  a  dit  en  même  temps  qu'en 
n'opérant  que  sur  1,000  mètres,  on  aurait  des  résultats 
insignifiants  qui  ne  prouveraient  rien,  qui  ne  résoudraient 
aucune  des  questions  sur  lesquelles  l'esprit  public  peut 
être  encore  en  suspens.  Vous  le  voyez.  Messieurs ,  cette 
affaire  n'a  pas  été  bien  conduite.  Je  ne  parle  pas  des  inten- 
tions, je  le  déclare  avec  sincérité,  je  crois  qu'elles  étaient 
excellentes;  mais  les  conditions  qu'on  a  admises,  que 
l'on  a  souscrites  au  profit  de  la  compagnie  de  Saint-Ger- 
main ,  ne  produiront  aucun  bon  résultat* 


LES  CHEMINS  DE  FEU.  455 

I>a  Chambre  a  voulu  que  la  question  pendante  entre  le 
système  anglais  et  le  système  français  fût  résolue  ;  vous 
voyez  qu'elle  ne  le  sera  pas. 

M.  le  ministre  vous  a  présenté  hier  un  exposé  très-élé- 
gant, je  m'empresse  de  le  reconnaître,  des  questions 
dont  il  s'est  préoccupé  ;  mais ,  qu'il  me  permette  de  le 
lui  dire,  il  a  pris  le  problème  par  le  petit  bout. -Que  sont, 
par  exemple,  les  passages  à  niveau  dont  on  a  tant  parlé? 
Est-ce  par  hasard  que  les  moyens  de  les  effectuer  ne  de- 
vraient pas  exister  dans  le  système  de  M.  Hallette  tout 
aussi  bien  que  dans  celui  de  MM.  Clegg  et  Samuda? 

Il  y  a ,  dans  les  vues  qui  ont  présidé  à  la  rédaction  du 
traité  que  je  critique,  une  erreur  capitale,  et  la  voici: 
M^  le  ministre  paraît  avoir  cru  que  la  véritable  question 
à  résoudre  est  celle  de  savoir  si  on  pourra  gravir  de  fortes 
pentes.  Cette  question  est  résolue ,  complètement  résolue. 
J'ai  eu  l'honneur  de  dire  à  M.  le  ministre,  dans  une  con- 
férence qu'il  a  bien  voulu  m'accorder,  que  je  ferai  tout 
ce  qu'il  cherche ,  avec  15  fr.  de  dépense,  prix  de  la  table 
de  logarithmes,  ou  même  sans  rien  dépenser,  car  les 
tables  de  Callet  existent  dans  toutes  les  bibliothèques. 
Pour  avoir  le  poids  qu'on  pourra  soulever  sous  telle  ou 
telle  pente,  on  n'a  qu'à  consulter  une  table  fort  connue, 
la  table  de  logarithmes  ;  il  suffit  de  prendre  dans  cette 
table  de  simples  cosinus ,  pour  avoir  les  effets  utiles  sous 
toutes  les  inclinaisons  possibles. 

En  résumé,  je  me  répète,  car  je  voudrais  bien  que 
la  Chambre  se  pénétrât  de  mon  objection ,  en  obligeant 
M.  Hallette  à  une  expérience  préalable ,  en  soumettant 
sen  système  à  une  des  épreuves  dont  cet  habile  ingénieur 


i56  LES  CHEMINS  DE  FER. 

devra  supporter  les  frais ,  M.  le  ministre  a  fait  une  chose 
qui  n'était  indiquée  dans  le  projet  de  loi  ni  implicitement 
ni  explicitement.  Le  système  de  M.  Hallette,  Texposé 
des  motifs  est  là ,  j'en  ai  lu  un  passage  très-catégorique, 
devait  être  examiné  concurremment  avec  le  système  de 
MM.  Clegg  et  Samuda;  ils  devaient  être  essayés  tous  les 
deux  parallèlement  sur  des  longueurs  égales ,  sur  deux 
voies  toutes  semblables  ;  cela  se  fera  tout  autrement. 

On  s'étonne  beaucoup  en  Angleterre  de  la  manière 
dont  les  expériences  sont  dirigées. 

Lorsqu'on  proposa  le  projet  de  loi ,  il  n'y  avait ,  chez 
nos  voisins,  qu'un  seul  chemin  atmosphérique  :  celui 
de  Kingston  à  Dalkey.  Ce  chemin  était  fort  court;  il 
n'avait  pas  une  longueur  développée  de  cinq  kilomètres. 
Maintenant  les  ingénieurs  anglais  construisent  des  che- 
mins atmosphériques  plus  étendue.  M.  Cubitt  en  exécute 
un  entre  Croydon  et  Epsom.  Probablement  on  procédera 
bientôt  à  celui  qui  réunira  Londres  à  Portsmouth. 

Les  Anglais  feront  sur  une  grande  échelle  l'expérience 
du  chemin  anglais  ;  il  devait  donc  suffire  d'envoyer  des 
ingénieurs  sur  l'autre  rive  du  détroit  pour  en  être  témoins. 
De  notre  côté ,  nous  aurions  fait  sagement  d'expérimenter 
le  système  de  M.  Hallette,  le  système  français. 

On  fait  précisément  le  contraire,  et  même  avec  cette 
circonstance ,  que  les  essais  grandioses  de  Saint-Germain 
ne  décideront  rien ,  n'éclaireront  aucune  compagnie. 

On  ne  veut  évidemment  rien  essayer  de  français,  et, 
cependant ,  il  y  a  eu  chez  nous  des  inventions  dignes 
d'intérêt,  celle  de  M.  Pecqueur,  par  exemple. 

Sur  cette  matière,  nos  compatriotes  ont  été  plus  fé- 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i57 

conds  en  inventions  ingénieuses  et  d'un  succès  probable, 
qu'on  ne  l'a  été  dans  aucun  autre  pays.  S'il  le  fallait,  je 
citerais  le  système  si  remarquable  de  M.  Charaeroy,  la 
fermeture  purement  métallique  du  tube,  imaginée  par 
M.  Hédiard,  et  qui  paraît  avoir  tant  d'avenir.  Résignons- 
nous,  Messieurs,  tout  cela  ne  sera  pas  essayé;  la  com- 
pagnie du  chemin  de  Saint-Germain  a  absorbé  les  fonds. 
Au  reste ,  elle  en  consacre  maintenant  une  notable  partie 
à  faire  un  pont  sur  la  Seine.  (Rires  à  gauche.)  Est-ce 
bien  là,  je  vous  le  demande,  ce  que  vous  entendiez  voter? 

La  commission  d'ingénieurs  que  M.  le  ministre  a  en- 
voyée à  Arras ,  tout  en  proposant  de  rejeter  comme  insuf- 
fisant l'essai  projeté  sur  1,000  mètres,  propose,  je  crois, 
de  faire  exécuter  aux  frais  de  l'État  et  d'après  le  système 
Hallette,  une  portion  du  chemin  destinée  à  joindre  les 
différentes  gares,  le  chemin  qui  irait  de  la  gare  de  Rouen 
à  la  gare  du  chemin  du  Nord.  La  dépense  a  été  évaluée 
à  1  million. 

Messieurs,  personne  ne  désire  plus  que  moi  qu'une 
grande  expérience  se  fasse  d'après  le  système  de  M.  Hal- 
lette. Cependant  j'hésiterais  à  voter  la  somme  que  la 
commission  propose. 

Je  le  dis  pour  la  troisième  fois  et  en  toute  sincérité , 
je  crois  que  M.  le  ministre  a  les  intentions  les  plus  loyales; 
mais  en  vérité,  après  tout  ce  qui  est  arrivé,  j'aurais  peur 
(|ue  le  nouveau  million  n'allât  aussi  s'engloutir  dans  la 
caisse  de  la  compagnie  de  Saint-Germain. 

[Le  ministre  des  travaux  publics  ayant  répondu  qu'il  s'agissait  de 
faire  non  pas  des  expériences  scientifiques,  mais  des  expériences 
exécutées  au  point  de  vue  industriel ,  M.  Arago  a  répliqué  en  ces 
termes  :  ] 


458  LES  CHEMINS  DB  FBB. 

Je  demande  la  permission  de  faire  quelqaes  observa- 
tions SOT  le  discours  que  vous  venez  d'entendre. 

M.  le  ministre  a  établi  une  distinction  perpétuelle  entce 
ce  qu'il  appelle  une  expérience  scientifique  et  une  expé- 
rience industrielle.  Je  serais  fâché  que  M.  le  ministre 
donnât  son  approbation  à  des  expériences  industrielles, 
s'il  appelle  ainsi  celles  qui  ne  sont  pas  éclairées  par  les 
lumières  de  la  science. 

M.  le  ministre  n'a  pas  répondu  à  une  considération  sur 
laquelle  j'avais  cru  devoir  insister.  Le  s^^stème  anglais  est 
maintenant  à  l'essai  en  Angleterre  sur  une  grande  échelle; 
il  semble  donc  inutile  que  nous  l'essayions  nous-mêmes: 
nous  profiterons  de  la  peine  qu'on  prend  et  de  la  dépense 
considérable  que  les  expériences  extraîneront  II  semble- 
rait, au  contraire,  très-convenable  d'essayer  chez  nous 
le  système  français,  dont  les  Anglais  ne  s'occupent  pas. 
Ne  croyez  point  qu'ils  le  dédaignent  :  M.  Cubitt,  un 
des  hommes  les  plus  éminents  en  matière  de  chemms  de 
fer,  s'est  prononcé  catégoriquement  à  ce  sujet;  il  atten- 
dait avec  impatience  les  expériences  du  système  français» 
Au  lieu  de  cela ,  nous  lui  renverrons  des  essais  du  sys- 
tème Samuda,  sur  lequel  nous  n'avons  rien  à  lui  appren- 
dre. Ces  remarques  sont  restées  sans  réponse. 

M.  LE  MINISTRE.  Les  Anglais  opèrent  sur  des  terrains  à  niveau. 

M.  Arago.  Vous  me  permettrez.  Monsieur  le  ministre, 
de  n'être  pas  de  votre  avis  sur  l'importance  des  pentes. 
Vous  avez  insisté  sur  une  condition  qui  n'est  nullement 
nécessaire ,  celle  de  monter  des  pentes  rapides  avec  une 
vitesse  égale  à  celle  du  parcours  horizontal.  Cette  condi- 
tion, je  ne  pense  pas  que  personne  y  tienne.  Je  ne  crois 


LBS  CHEMINS  DE  FEl^.  iS» 

pas  qu'on  fût  disposé  à  dédaigner  le  chemin  de  fer  de 
Saint-Germain,  alors  même  que,  dans  Tascension,  on 
aurait  gravi  la  colline  avec  une  vitesse  un  peu  atténuée. 
Dans  tous  les  cas,  des  moyens  de  donner,  le  long  des 
pentes,  de  plus  grandes  dimensions  aux  tuyaux  propul- 
seurs, ont  été  proposés  par  M.  Hallette,  et  c'est  précisé- 
iTient  cela  que  vous  n'essayez  pas/ 

M.  le  ministre  place  sans  cesse  dans  un  jour  secon- 
daire l'essai  de  la  soupape  longitudinale  ;  c'est  là  au  con- 
traire toute  la  question.  Si  la  soupape  garde  bien  le  vide, 
le  chemin  atmosphérique  aura  des  avantages  incontes- 
tables sur  les  chemins  de  fer  ordinaires.  On  dédaigne  le 
point  culminant  du  problème. 

Parmi  tous  les  essais  énumérés  dans  le  rapport,  j'avais 
placé  la  nécessité  de  s'assurer  que,  quand  on  marcherait 
à  des  vitesses  de  vingt  à  vingt-quatre  lieues,  la  navette 
qui  ouvre  les  deux  lèvres  du  tube ,  dans  le  système  de 
M.  Hallette,  ne  s'échaufferait  pas  outre  mesure.  J'ai 
affirmé  que  cette  expérience  ne  pourrait  pas  se  faire  sur 
Un  parcours  de  1,000  mètres.  Qu'a-t-on  répondu?  Rien. 

Vous  avez  dû  remarquer.  Messieurs,  que  les  deux 
Chambres,  que  les  trois  pouvoirs  de  l'État,  avaient  dé- 
cidé que  le  système  de  M.  Hallette  serait  essayé;  que 
M.  le  ministre  n'avait  nullement  parlé  de  l'obligation  qui 
pourrait  être  imposée  à  M.  Hallette  de  faire  à  ses  frais  une 
expérience  préalable.  L'objection  est  restée  sans  réponse. 

J'ai  clairement  établi ,  je  crois,  qu'on  ne  fait  pas  ce 
que  la  loi  a  voulu.  La  loi  a  voulu  une  expérience, 
et  l'on  ne  fait  pas  d'expérience;  on  exécute  un  chemin 
dans  une  idée  préconçue  qui  pourrait  bien  ne  pas  réussir, 


160  LES  CHEMINS  DE  FER. 

sans  qu'on  eût  le  droH  d'en  tirer  aucune  conséquence 
contre  les  chemins  atmosphériques  construits  plus  modes- 
tement, avec  des  machines  de  moindre  dimension,  plus 
ou  moins  espacées, 

M.  le  ministre  a  fait  allusion  à  une  idée  qui  lui  avait  été 
soumise  dans  le  sein  de  la  commission.  Cette  idée  n'éma- 
nait pas  du  rapporteur;  je  prie  M.  le  ministre  de  n'en 
plus  parler  que  comme  d'une  proposition  de  la  commission 
tout  entière.  Elle  a  été  fonnulée  dans  le  rapport  ;  je  vais 
en  donner  lecture  à  la  Chambre.  La  compagnie  dont  il 
est  question  est  celle  des  canaux  de  Paris  ;  tout  le  monde 
sait  qu'elle  est  en  mesure  de  faire  honneur  à  sa  signature  : 

«  Si  l'expérience  est  faite  par  le  gouvernement  sur  la 
berge  du  canal ,  nous  nous  engageons  à  reprendre  aux 
prix  d'un  million  les  travaux  et  le  matériel ,  qu'il  nous 
sera  peut  -elre  possible  d'utiliser  pour  le  service  de  la 
navigation  et  des  voiries,  t 

Notez ,  Messieurs ,  que  la.  compagnie  s'engageait  à 
faire  l'essai  de  tous  les  systèmes. 

Voilà  les  remarques  que  je  voulais  présenter  à  la 
Chambre.  Je  n'ajoute  plus  qu'une  réflexion. 

M.  le  ministre  affirmait  que  l'expérience  de  Saint-Ger- 
main dirait  le  dernier  mot  sur  les  systèmes  de  chemins 
de  fer  atmosphériques.  Il  aurait  été  plus  vrai  et  plus 
prudent  de  ne  parler  que  du  système  adopté  par  les 
ingénieurs  de  la  compagnie  de  Saint-Germain.  Le  sys- 
tème atmosphérique,  considéré  en  général ,  pourrait  avoir 
un  bel  avenir,  môme  après  l'insuccès  complet  de  ce  qu'on 
tente  près  de  Paris. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  i6l 


IX 

EXPLOSIONS   DES  CHAUDIÈRES   DBS  BATEAUX  A   VAPEUR 

ET  DES  LOCOMOTIVES 

[Dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés  du  2/i  juin  1837, 
^1.  Arago  a  prononcé  le  discours  suivant  où  il  a  traité  à  la  fois  des 
explosions  des  chaudières  des  bateaux  à  vapeur  et  de  celles  des 
locomotives,  et  où  il  a  aussi  mis  en  lumière  la  belle  invention  de 
M.  Séguin  sur  les  chaudières  tubulaires.  ] 

M.  LE  I>RÉsiDENT.  L'ordrc  du  jour  appelle  la  discussion  du  projet 
de  loi  relatif  au  chemin  de  fer  d'Épinac  au  canal  du  Centre. 

M.  Barbet.  Je  demanderai  à  M.  le  ministre  des  travaux  publics, 
au  sujet  des  chemins  de  fer,  une  courte  explication. 

Vous  avez  tous  entendu  parler  de  l'accident  récent  qui  vient 
d'arriver  en  Angleterre  sur  un  bateau  à  vapeur  dont  la  machine  a 
fait  explosion.  Nous  avons  entendu  M.  le  ministre  des  travaux  pu- 
blics, et  nous  croyons  avoir  la  certitude  qu'il  a  pris  toutes  les  pré- 
cautions nécessaires  pour  les  questions  d'art ,  de  courbes ,  et  pour 
tout  ce  qui  concerne  les  chemins  de  fer. 

M.  Arago.  Je  demande  la  parole. 

M.  Barbet.  Nous  ne  savons  pas,  et  nous  devons  cependant  désirer 
savoir  s'il  a  fait  faire  des  travaux  préparatoires  pour  obtenir  toutes 
les  garanties  possibles  dans  la  construction  des  machines  locomo- 
tives. 

Jo  prie  M.  l3  ministre  du  commerce  de  vouloir  bien  nous  donner 
à  cet  égard  quelques  explications ,  car  c'est  un  point  fort  essentiel 
pour  rassurer  les  esprits,  quant  à  l'usage  dos  nouvelles  voies  de 
communication. 

(M.  le  ministre  des  travaux  publics  se  dirige  vers  la  tribune; 
mais  il  cède  la  parole  à  M.  Arago.  ) 

M.  Arago.  Le  fait  cité  par  riionorable  M.  Barbet  est 
très-vrai,  Messieurs;  tout  récemment  il  est  arrivé  en 
Angleterre,  dans  le  port  de  IIuU,  un  événement  déplo- 
nible.  La  chaudière  d'un  bateau  à  vapeur  qui  était  encore 
h  l'ancre,  qui  se  préparait  seulement  à  partir,  a  fait 


462  LES  CHEMINS  DE  FER. 

explosion  :  le  bateau  a  été  partagé  en  deux  ;  cent  vingt 
personnes,  je  crois,  ont  été  tuées  ou  grièvement  bles- 
sées ;  quelques-unes  avaient  été  lancées  à  de  grandes 
hauteurs.  Le  corps  d'un  des  passagers  a  été  trouvé,  dit- 
on,  sur  le  toit  d'une  maison.  Je  ne  rappellerai  pas  toutes 
les  scènes  de  cet  événement  sinistre,  je  dirai  seulement 
que  l'administration  française  s'était  très -sérieusement 
occupée  des  moyens  d'empêcher  que  rien  de  semblable 
n'arrivât  sur  nos  bateaux  ;  que  M.  le  ministre  du  com- 
merce avait  même  préparé  à  ce  sujet  un  projet  de  loi 
qui  devait  vous  être  présenté  dans  cette  session.  M.  le 
ministre  a  cru  devoir  consulter  l'Académie  des  sciences; 
il  l'a  chargée  d'examiner  toute  la  série  de  dispositions 
que  les  besoins  de  la  sûreté  publique  réclament. 

La  commission  de  l'Académie,  j'ai  l'honneur  d'en  faire 
partie ,  s'est  occupée  et  s'occupe  encore  de  la  question 
avec  une  juste  sollicitude.  11  lui  a  paru  que  les  procédés 
de  sûreté  indiqués  dans  la  loi  n'embrassaient  pas  tous  les 
éléments  du  problème.  La  vapeur  se  présente  non-seule- 
ment dans  les  machines  ordinaires,  mais  aussi  dans  les 
machines  locomotrices ,  comme  une  sorte  de  Prêtée  ;  le 
même  moyen  de  sûreté  ne  saurait  pourvoir  à  toutes  les 
causes  possibles  d'accident;  ces  causes,  il  faut  les  com- 
battre séparément. 

Le  projet  de  la  commission  ministérielle  seraitexcellent 
si,  conune  elle  l'a  supposé,  les  explosions  n'avaient  lieu 
qu'à  la  suite  d'un  développement  graduel  de  la  force  élas- 
tique de  la  vapeur  ;  malheureusement  cela  n'est  pas. 

Il  arrive  souvent  que  les  chaudières  font  explosion  à 
l'instant  même  où  la  machine  qu'elles  alimentent  marche 


LES  CHEMINS  DE  FER.  463 

à  peine ,  à  rinstant  où  les  ouvriers  témoignent  leur  regret 
de  n'avoir  pas  à  leur  disposition  la  force  motrice  qui  leur 
permettrait  de  gagner  une  journée  ordinaire. 

11  est  arrivé  aussi ,  et  par  la  même  raison,  que  sur  les 
bateaux  à  vapeur,  la  chaudière  a  éclaté  au  moment  où 
rextréme  lenteur  de  la  marche  des  palettes  devait  faire 
supposer  que  la  vapeur  avait  pris  très-peu  de  ressort. 

Dans  tous  ces  cas  il  se  manifeste  des  changements 
subits  d'élasticité ,  et  cela  par  une  cause  que  j'indiquerai 
en  deux  mots  : 

Dans  la  chaudière,  l'eau  vaporisée  est  sans  cesse  rem- 
placée par  celle  qu'amène  une  pompe  connue  sous  le 
nom  de  pompe  alimentaire. 

Quelquefois  celte  pompe  se  dérange  ;  quelquefois  l'eau 
injectée  n'est  pas  l'équivalent  de  l'eau  transformée  en 
vapeur  et  consommée  par  le  jeu  de  la  machine;  alors  le 
niveau  baisse ,  une  portion  des  parois  de  la  chaudière 
rougit.  Si ,  ensuite ,  le  dérangement  de  la  pompe  alimen- 
taire vient  à  cesser,  il  se  forme  subitement  par  le  con- 
tact de  l'eau  et  du  métal  incandescent,  des  torrents  de 
vapeur,  à  l'écoulement  desquels  la  soupape  ordinaire  ne 
suffit  pas. 

Il  faut  donc,  il  faut  impérieusement  empêcher  que 
l'eau  baisse  dans  la  chaudière  au-dessous  du  niveau  que 
le  constructeur  lui  avait  assignée.  Plusieurs  procédés 
peuvent  conduire  à  ce  but;  des  essais  en  grand  nous 
mettront  à  même  de  choisir  le  meilleur. 

Dans  la  recherche  des  moyens  de  sûreté ,  la  France  a 
fait  de  véritables  progrès  ;  aujourd'hui  l'Amérique  s'en 
occupe  sérieusement,  si  j'en  juge  d'après  le  travail  que 


164  LES  CHEMINS  DE  FER. 

la  Franklin   institution    vient   d'entreprendre    par  les 
ordres  du  congrès. 

L'Angleterre,  enfin,  devra  entrer  aussi  dans  la  car- 
rière ,  car  toutes  les  corporations  du  Yorksbîre,  frappées 
de  stupeur  par  l'effroyable  tragédie  de  HuU ,  adressent 
des  pétitions  au  parlement. 

Quant  à  nous.  Messieurs,  il  nous  a  semblé  que  nous 
devions  attendre  pour  présenter  notre  travail  au  minis- 
tère, qu'il  eût  acquis  toute  la  perfection  que  la  science 
comporte.  Le  retard  était  d'autant  plus  excusable  que  la 
France,  je  le  répète,  est  sans  contredit  le  pays  où,  jus- 
qu'ici ,  les  moyens  de  sûreté  contre  les  explosions  ont  été 
le  mieux  établis. 

Au  reste  j'espère,  au  nom  de  mes  confrères,  pouvoir 
prendre  avec  la  Chambre  et  avec  le  ministère  l'engage- 
ment que  le  travail  de  l'Académie  des  sciences  sera  com- 
plètement terminé  d'ici  au  commencement  de  la  session 
prochaine  ^. 

On  supposait  généralement  jusqu'ici  que  les  explosions 
n'avaient  quelque  chose  de  dangereux  que  dans  les 
machines  ordinaires,  cette  opinion  doit  être  modifiée. 
Des  renseignements  qui  me  sont  arrivés  d'Angleterre 
m'apprennent  que  sur  un  des  embranchements  du  che- 
min de  Liverpool,  que  sur  le  great  jwiction  rail-way^  la 
chaudière  d'une  machine  locomotive  a  fait  une  véritable 
explosion.  L'accident  ne  s'est  pas  borné  à  la  déchirure 
de  quelques  tuyaux  ;  une  masse  d'environ  5  à  6  quin- 

1.  Voir,  sur  les  causes  qui  ont  empêché  l'Académie  de  faire  son 
rapport,  le  dernier  chapitre  de  la  Notice  de  M.  Arago  sur  les  explo- 
sions des  machines  à  vapeur,  p.  180. 


LES  CHEMINS  DE  FER.  465 

taux,  le  couvercle  de  la  chaudière  a  été  projeté  à  une 
distance  de  350  mètres.  Vous  le  voyez,  Messieurs,  la 
mission  que  nous  a  donnée  M.  le  ministre  du  commerce 
n'est  pas  seulement  de  pourvoir  aux  moyens  de  sûreté 
des  machines  ordinaires,  il  faut  aussi  que  nous  nous 
occupions  des  machines  locomotives. 

Puisque  l'interpellation  de  l'honorable  M.  Barbet  m'a 
conduit  à  parler  ici  de  machines  locomotives,  qu'il  me 
soit  permis  de  faire  descendre  de  cette  tribune  quelques 
paroles  qui  consoleront,  je  l'espère,  un  ingénieur  français 
des  attaques  peu  mesurées  qui  naguère  y  ont  retenti. 
L'honorable  M.  Jaubert  a  parlé  des  ingénieurs  civils,  et 
au  milieu  de  quelques  phrases  favorables,  il  n'en  est  pas 
moins  arrivé  à  appeler  en  masse  ces  ingénieurs  des 
condottieri.  Au  nombre  de  ces  condottieri  se  trouvait  le 
constructeur  du  chemin  de  fer  de  Saint-Étienne  à  Lyon. 
On  a  dit  que  ce  chemin  avait  été  mal  exécuté.  Je  n'ose- 
rais pas  affirmer  qu'il  ait  toute  la  perfection  désirable , 
mais  il  faut  se  reporter  à  l'époque  à  laquelle  il  a  été 
construit.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  le  pays 
qu'il  traverse  est  peut-être  le  plus  accidenté  que  jamais 
chemin  de  fer  doive  traverser.  On  a  parlé  du  mauvais 
état  des  rails  du  chemin  de  fer  de  Saint-Étienne;  mais 
se  figure-t-on  par  hasard  que  les  rails  du  chemin  mo- 
dèle ,  du  chemin  de  Manchester  à  Liverpool ,  soient  tou- 
jours restés  intacts?  Pour  moi,  je  crois  savoir  qu'ils  ont 
été  renouvelés  trois  ou  quatre  fois. 

Je  ne  m'étendrai  pas  davantage  sur  ce  sujet;  je  vou- 
lais dire  seulement  que  les  reproches  qu'on  a  adressés  à 
M.  Marc  Seguin,  fussent-ils  tous  fondés,  seraient  bien 

V.  — II.  30 


466  CES  CHEMINS  DE  FER. 

compensés  par  une  découverte  sans  laquelle  les  chemins 
de  fer  perdraient  leur  principal  avantage.  Ce  qu'il  y  a 
d'inappréciable  dans  l'invention  des  chemins  de  fer,  tient 
à  Texcessive  rapidité  des  locomotives. 

Or,  pour  que  ces  machines  marchent  avec  de  si 
grandes  vitesses ,  il  faut  que  la  chaudière  fournisse  sans 
cesse  et  sans  retard  à  la  consommation  du  corps  de 
pompe.  Une  immense  chaudière  résoudrait  le  problème, 
mais  elle  pèserait  immensément ,  et  la  machine ,  loin  de 
faire  un  travail  utile ,  loin  d'entraîner  avec  une  incroyable 
rapidité  des  files  de  wagons,  se  déplacerait  à  peine  elle- 
même. 

Eh  bien,  Messieurs,  la  personne  qui  est  parvenue  à 
imaginer  une  chaudière  de  petite  dimension,  d'un  poids 
médiocre,  et  qui  cependant  fournit  largement  à  la  con- 
sommation de  la  locomotive  la  plus  rapide,  c'est  notre 
compatriote  M.  Marc  Seguin.  Supposez  maintenant  que 
cet  ingénieur  ait  commis  quelques  fautes  sur  le  chemin 
de  Saint-Étîenne  à  Lyon,  reprochez-les-lui,  si  vous  vou- 
lez, mais  n'oubliez-pas,  de  grâce,  le  titre  de  gloire  que 
je  viens  de  rappeler  :  si  les  admirables  locomotives 
anglaises  se  meuvent  avec  une  vitesse  qui  effraie  l'imagi- 
nation ,  elles  le  doivent  à  la  belle ,  à  l'ingénieuse  décou- 
verte de  M,  Marc  Seguin, 


TÉLÉGRAPHES  ÉLECTRIQUES 


ET 


TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT 


I 

[Dès  le  2  juin  18/i2,  M.  Arago  annonça  à  la  Chambre  des  députés 
riue  les  télégraphes  électriques  remplaceraient  prochainement  tous 
les  autres  télégraphes,  et  en  conséquence  il  combattit  un  projet  de 
loi  qui  demandait  une  allocation  de  30,000  francs  pour  faire  des 
essais  d'une  télégraphie  de  nuit  A  cette  occasion,  il  prononça  le 
discours  suivant  :  ] 

Messieurs,  je  demande  à  la  Chambre  la  permîsèion  de 
lui  soumettre  quelques  remarques  :  elles  lui  prouveront, 
j*espère,  que  rexpérience  pour  laquelle  on  nous  demande 
30,000  francs  est  complètement  inutile,  que  le  problème 
des  télégraphes  de  nuit  est  résolu. 

Vous  savez ,  Messieurs ,  que  le  télégraphe  se  compose 
d'une  barre  susceptible  de  prendre  toutes  sortes  de  posi- 
tions relativement  à  Thorizon  ;  cette  barre,  qui  s^appelle 
le  régulateur^  porte  à  ses  extrémités  deux  autres  barres 
mobiles  qu'on  nomme  des  indicateurs. 

Le  régulateur  et  les  indicateurs  combinés  permettent 
défaire  des  figures  très-variées.  De  jour  ces  figures  âe 
voient  parfaitement  bien,  la  nuit  les  communications  sont 
interrompues. 


468  TELEGRAPHES  ÉLECTRIQUES 

Dès  l'origine  du  télégraphe,  on  imagina  qu'il  serait 
possible  de  transformer  les  signaux  de  jour  en  signaux 
de  nuit,  en  plaçant  des  lumières  ou  des  fanaux  aux  extré- 
mités du  régulateur  et  des  indicateurs. 

Dans  le  fait,  le  procédé  ne  réussit  pas.  D'abord  on 
employa  des  lumières  très-faibles ,  le  moindre  brouillard 
les  faisait  disparaître. 

Plus  tard,  on  eut  recours  à  des  réflecteurs  portant 
des  lampes  :  ces  lampes  s'éteignaient  à  cause  des  mouve- 
ments brusques  qu'il  fallait  leur  donner. 

C'est  dans  les  mains  de  M.  Chappe,  le  véritable  inven- 
teur du  télégraphe,  qu'eut  lieu  l'insuccès  dont  il  vient 
d'être  question. 

On  vous  propose  maintenant  de  refaire  cette  vieille 
expérience  ;  seulement  on  substituerait  à  la  lampe  d'Ar- 
gand  ou  à  double  courant  d'air,  une  lampe  dans  laquelle 
on  emploie  un  liquide  particulier ,  un  liquide  qui,  si  je  ne 
me  trompe,  est  le  résultat  d'une  réaction  particulière  de 
la  térébenthine  sur  l'alcool.  Ce  liquide  est  plus  inflam- 
mable que  l'huile  (nous  verrons  tout  à  l'heure  si  c'est 
un  avantage)  ;  aussi  la  flamme  qu'il  donne  est  moins 
influencée  par  le  mouvement,  elle  s'éteindra  moins  sou- 
vent ;  l'invention  n'est  que  cela. 

Comme  jadis ,  les  fanaux  placés  à  l'extérieur  se  trou- 
veront soumis  à  toutes  les  intempéries  de  l'air  ;  le  vent 
les  ballottera  ;  les  glaces,  car  il  faut  nécessairement  mettre 
des  glaces  devant  le  réflecteur,  seront  souvent  brisées, 
ou  par  la  violence  du  vent  ou  par  d'autres  accidents  qu'il 
11(2^1  pas  besoin  d'énumérer. 

On  a  fait  l'épreuve  de  ce  système  avec  tous  les  soins 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  469 

qiron  apporte  dans  une  expérience  délicate  ;  on  a  choisi 
les  circonstances  les  plus  favorables.  Je  crois  cependant 
pouvoir  affirmer  que,  dans  une  des  épreuves  très-peu 
nombreuses  qu'on  a  tentées,  un  contre-poids  est  parti,  et 
qu'une  autre  fois  un  fanal  est  tonibé.  Voilà  ce  qui  arrivera 
inévitablement  tant  qu'on  voudra  mettre  les  lumières  à 
l'extérieur.  Cette  difficulté  sera  invincible  dans  tous  les 
pays  où  il  règne  des  vents  violents. 

Ce  n'est  pas  tout,  il  ne  suffit  pas  de  placer  quatre 
fanaux  à  réflecteurs  aux  extrémités  du  régulateur  et  des 
indicateurs  du  télégraphe.  Pour  savoir  si  la  figure  formée 
est  en  haut  ou  en  bas ,  pour  distinguer  les  fanaux  atta- 
chés aux  extrémités  des  indicateurs  des  fanaux  qui  sont 
à  l'extrémité  du  régulateur ,  on  est  obligé  de  donner  une 
coloration  artificielle  à  deux  de  ces  lumières.  Sur  les 
(juatre  fanaux,  deux  conservent  la  lumière  que  la  com- 
bustion du  liquide  produit  ;  deux  sont  colorés  à  l'aide  de 
verres  verts. 

Ceci  est  un  défaut  capital.  De  deux  choses  l'une:  ou 
vous  emploierez  des  verres  d'un  vert  très-fonc^ ,  et  alors 
vous  détruirez  dans  une  énorme  proportion  l'intensité  de 
la  lumière  ;  ou  vous  vous  servirez  de  verres  à  peine  colo- 
rés, et  le  faisceau  transmis  sera  blanc ,  avec  une  légère 
coloration  de  vert.  Lorsqu'une  pareille  lumière  traversera 
des  brouillards,  elle  deviendra  rouge.  Le  stationnaire 
apercevra  quatre  lumières  rouges  lorsqu'il  devait  s'at- 
tendre à  en  \x)ir  deux  blanches  et  deux  vertes. 

Jamais,  lorsqu'il  s'est  agi  de  diversifier  les  phares,  on 
ne  s'est  arrêté,  en  France,  à  l'idée  de  se  servir  de  verres 
colorés,  on  s'est  toujours  défié  des  causes  de  coloration 


470  Itt^GRAPHES  ÉLBCTBIQPBft 

extrêmement  intenses  qui  existent  souvent  dans  Tatmo- 
splîère. 

Voici  un  autre  défaut  d*une  gravité  incontestable,  et 
qui  montrera  mm  que  dans  la  pratique:  ce  procédé  tant 
préconisé  ne  saurait  être  adopté. 

Le  vent  éteindra  une  ou  plusieurs  des  iSanuaes^  et  cela 
arrivera  trèsH&ouvent»  Est-ce  que  le:  stationnaire,  Tem* 
ployé  du  télégraphe  le  saura?  Nullement;  il  faudra  que 
son  correspondant  F  avertisse  de  Tinutilité  de  ses  gestes, 
il  faudra  qu'une  dépêche  du  télégraphe  voisin  lui  dise: 
Vous  agitez  en  Tair  des  lanternes  éteintes, 

L'avertissement  une  fois  reçu»  voilà  le  pauyreempkiyé, 
obligé  par  le  verglas,  par  le  plus  mauvais  temps  »  par 
des  ouragans^  de  passer  sur  le  toit  de  sa  tour»  de  grimr- 
parles  marches  de  longues  échelles  verticales  (vous 
devez  imaginer  dajos.  quel  état. elles  seront),  et  d'aller 
ainsi  attacher  de  nouvelles  lampes  à  r^xtrémité:  des 
grands  bras  de  la  mécanique. 

En  vérité»  ce  qu'on  nous  donne  pour  une  inventic»!  ne 
peut»  sous  aucun  rapport»  supporter  un: examen  sérieux. 

y  eut-on  absolument  des  télégriaphes  de  nuit?  Les 
communications  de  jour  sontrelles  devenues  insuffisantes? 
Ei^  bien,  un  télégraphe  de  nuit  existe;  c'est  une  solution 
d^  problème»  examinée  »  étudiée»  appréciée  par  les  juges 
les  plus  cpmpétenls. 

En  arrivant  à  Paris,  l'inventeur  du  système  auquel  je 
fais  allusion  n'a  rien  demandé  au  gouvernement,  il  s'est 
contenté^  la  chose  est  rare»  Messieurs»  il  s'est  contenté  de 
Insatisfaction  d'être  utile.  Je  ne  pense  pas  qu'il  en  soit 
atnej  de.  la  pei:sonne  à  qui  on  attribue  Tinvention  de 


BT  TÉLÉGRAPHES  D£  NUIT.  il4 

l'autre  télégraphe.  Je  crois  que  celle-là  demande  quel- 
que chose.  Je  dis  même  que  si  vous  votez  aujourd'hui 
des  fonds  pour  des  expériences,  vous  ferez. bien  de  vous 
préparer  à  voter  de  nouveau  dans  peu  une  somme  consi- 
dérable pour  le  prétendu  inventeur. 

Lorsque  Tinvenleur  bien  réel  de  l'excellent  télégraphe 
dont  je  donnerai  tout  à  l'heure  une  idée  abrégée,  se  pré- 
senta à  l'autorité ,  on  lui  dit  :  Votre  système  n'est  pas 
jugé.  La  réponse  fut  noblement  comprise.  L'inventeur 
s'adressa  aussitôt  à  l'Académie  des  sciences;  je  ne  serai 
pas,  je  crois,  démenti  quand  je  dirai  que  l'Académie  ren^ 
fermait  des  juges  très-compétents.  £Ue  nomma  une  com- 
mission ;  je  m'empresse  de  dire  que  je  n'en  faisais  point 
partie^  et  que  cependant  j'ai  vu  les  expériences.  La  com^ 
mission,  composée  d'hommes  parfaitement  au  courant  de 
toutes  le&  questions  d'optique,  d'astronomie,  et  de  méca- 
nique, a  formulé  ainsi  son  opinion^  :  «Le  système  de 
M.  de  Yiiallongue  donne  pour  la  télégraphie  de  nuit  une 
excellente  solution.  »  Cette  solution.  Messieurs,  on  n^  vous 
en  par-le  pas  ;  il  n'est  nullement  question  de  l'examiner. 

M*  FôT,  commissaire  du  roi.  Je  demande  la  parole. 

M.  Arago.  Je  viens  de  le  dire;  le  jugement  de  TAca- 
démie  des  sciences  a  été  des  plus  favorables.  Le  système 
présente-t-ir des  difficultés  dont  ses  juges  ne  se  soient  pas 
aperçus  ? 

Je  Taî  déjà  dît,  le  principal  défaut  inhérent  aux  télé- 
graphes à  lumière  extérieure,  c'est  que  les  lanternes  se 

1.  Là  commission  était  composée  de  MM.  Bàbinet,  Gambey, 
Séfuier,  Mathieu  rapporteur. 


Mi  TÉLÉGRAPHES  ÉLECTRIQOBS. 

briseraient,  c'est  qu'elles  s'éteindraient  sans  que  le  sta- 
tionnaîre  le  sût  ;  c'est  que  le  remplacement  des  lanternes 
ne  se  ferait  pas  sans  de  grands  dangers;  c'est  que  des 
lumières  qu'on  voudrait  rendre  blanches  et  vertes, 
seraient  toutes  rouges  dans  certaines  conditions  de  l'air. 

Dans  le  système  que  je  préfère ,  dans  lé  système  de 
M,  Vilallongue,  la  lumière  est  intérieure  et  n'a  nul  besoin 
d'être  colorée. 

Imaginez  un  cadran  opaque  et  mobile  ;  supposez  que 
dans  ce  cadran  il  y  ait  une  ouverture  diamétrale  ;  sup- 
posez qu'on  la  couvre  d'un  verre  dépoli ,  et  que  derrière 
ce  verre  existe  une  lampe  d'Argand.  L'ouverture  est  mobile 
comme  le  cadran  ;  on  pourra  donc  lui  donner  toutes  les 
positions  imaginables,  la  rendre  horizontale,  verticale, 
la  placer  dans  une  position  inclinée  à  45  degrés,  de  droite 
à  gauche  ou  de  gauche  à  droite  ;  ainsi  voilà  un  signal 
commode,  éclairé  par  une  lumière  blanche  intérieure; 
voilà  un  signal  dont  le  stationnaire  est  toujours  le  maître. 
Jamais  ce  stationnaire  n'a  besoin  d'être  averti  que  sa 
Imnière  est  éteinte  ;  il  le  verrait  parfaitement  lui-même. 
Concevez  trois  cadrans  pareils  exigeant  trois  lampes ,  et 
tout  est  dit.  Dans  le  premier  système,  sans  parler  d'autres 
défauts,  le  nombre  des  lampes  est  de  quatre. 

Mais,  dira-t-on,  le  verre  dépoli  placé  devant  l'ouver- 
ture dispersera  la  lumière  dans  tous  les  sens.  L'objection 
serait  fondée  si  l'on  employait  un  verre  dépoli  ;  je  n'en  ai 
parlé  que  comme  moyen  de  démonstration.  J'ai  eu  l'hon- 
neur de  faire  mention  devant  la  Chambre  des  lentilles 
dont  on  se  sert  dans  les  phares.  Ces  lentilles  ont  la  pro- 
priété de  rendre   parallèles  les  rayons  qui  sans  cela 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  473 

auraient  divergé.  M.  Vilallongue  emploie ,  non  pas  une 
de  ces  lentilles  tout  entières,  mais  seulement  une  portion 
de  lentille;  c'est  une  section  longitudinale  qu'il  fait  tour- 
ner pour  opérer  ses  signaux. 

Voilà  donc  un  système  rationnel,  éprouvé,  examiné, 
apprécié,  jugé  par  les  personnes  les  plus  compétentes; 
il  a  reçu  une  approbation  solennelle  ;  on  n'en  parle  pas. 
Voici,^  d'autre  part,  un  système  défectueux;  il  ne  diffère 
des  systèmes  anciens  qu'en  ce  que  les  lanternes  s'étein- 
dront moins  souvent;  c'est  pour  celui-là,  cependant, 
qu'on  demande  30,000  francs. 

S'il  est  nécessaire  de  créer  un  télégraphe  de  nuit,  vous 
trouvez  toutes  les  conditions  désirables  dans  le  système 
de  M.  Vilallongue.  Les  expériences  onk  été  faites,  elles 
n'ont  rien  coûté  à  l'État  ;  M.  Vilallongue  a  pourvu  à  tout. 
Ses  procédés  sont  très-ingénieux  sous  le  rapport  de  l'art; 
sa  conduite  a  été  de  tout  point  désintéressée. 

Si  on  me  parle  de  la  dépense  qu'occasionnerait  l'ap- 
plication de  ce  système,  je  répondrai  que  je  ne  la 
connais  pas.  Cette  question  n'a  pas  été  examinée  par 
l'Académie  des  sciences.  L'opération  de  pratiquer  des 
ouvertures  circulaires  dans  les  tours,  et  d'y  adapter  des 
segments  de  lentilles,  ne  semble  pas  devoir  être  très- 
chère.  Au  surplus,  la  dépense  dût-elle  être  un  peu  con- 
sidérable, comme  il  est  possible  de  donner  à  ces  télé- 
graphes une  puissance  indéfinie,  puisqu'on  est  le  maître 
de  l'intensité  de  la  lumière  centrale,  le  nombre  des  sta- 
tions peut  être  notablement  diminué. 

Si  le  liquide  qu'on  emploie  dans  le  système  pour  lequel 
on  vous  demande  un  crédit  de  30,000  francs,  s'éteint 


m  TËLËGRAPHES  ËLECTRIQUiBS 

moins  facilement  que  F  huile,  son  extrême  inflammabilité 
est  d'autre  part  un  inconvénient  trèfr-grave.  Je  pourrais, 
en  m' autorisant  de  l'opinion  d'un  des  plus  grands  chi- 
mistes de  notre  époque,  soutenir  que  si  on  adopte  le  nou- 
veau liquide  il  en  résultera  de  déplorables  accidenta 

Telles  sont  les  critiques  que  je  voulais  vous  présenter 
relativement  au  projet  de  loi.  J'ai  vu  dans  le  rapport 
de  la  commission  que  l'on  désirait  faire  une  expérience 
météorologique.  On  veut  savoir  combien  de  fois  des 
signaux  du  nouveau  système  se  transmettront  pendant 
l'hiver  ;  on  veut  savoir  si,  pour  des  transmissions  très- 
rares,  cela  vaut  la  peine  d'entretenir  allumées  dans  tous 
les  télégraphes  d'une  ligne  entière  une  quuitité  de  lampes 
aussi  considérable. 

Une  semblable  expérience,  si  on  veut  la  faire,  je  ne  m'y 
oppose  pas,  ce  sera  une  donnée  de  plus,  que  nous  enre- 
gistrerons dans  les  ouvrages  de  météorologie  ;  mais  exige- 
t-elle  la  dépense  qu'on  vous  propose. 

Établissez  deux  réverbères  aux  deux  stations  entre 
lesquelles  le  brouillard  interrompt  le  plus  souvent  les 
communications.  Ordonnez  aux  stationnaires  de  noter 
toutes  les  nuits^  pendant  deux  années  si  vous,  voulez, 
combien  de  fois  on  les  verra;  employez  aussi  des  feux 
blancs  et  verts;  faites  tenir  compte  du  nombre  de  fois 
que  ces  feux  aui*ont  paru  avec  leurs  teintes,  et  tout  sera. 
fmL  Une  pareille  expérience  coûtera  2^000  ou  â,000 
francs  et  non  les  30,000  francs  qu'on  vous  demande. 

Je  viens  de  plaider  en  faveur  d'un  système  très-ration- 
nel, jugé^  apprécié  et  loué  autant  que  possible,  contre  un 
système  dont  les  nombreux  défauts  sautent  aux  yeux.  Je 


ET  TÉLÉGRAPHES  DB  NUIT.  475 

dois  ajouter  maintenant  une  réflexion  :  c'est  que  nous 
sommes  à  la  veille  de  voir  disparaître  non-seulement  les 
télégraphes  de  nuit,  mais  encore  les  télégraphes  de  jour 
actuels. 

Tout  cela  sera  remplacé  par  les  télégraphes  électriques. 
Ces  télégraphes  transmettront  les  dépêches  à  toutes  les 
distances,  quelque  temps  qu'il  fasse,  et  cela  avec  une 
vitesse  incroyable.  De  Paris  à  Perpignan  les  nouvelles 
arriveront  en  moins  d'une  seconde,  car  la  vitesse  de 
l'électricité  est  plus  grande  que  celle  de  la  lumière. 

L'idée  de  ce  moyen  de  communication  remonte  à 
Franklin.  Mais  celle  d'employer  les  batteries  galvaniques, 
pour  ce  genre  de  télégraphes  a  été  présentée  pour  la  pre- 
mière fois  d'une  manière  applicable  par  notre  compa- 
triote l'illustre  Ampère.  Depuis  lors,  l'idée. a  beaucoup 
grandi.  Elle  a  reçu  des  perfectionnements  considérables. 
Nous  avons  vu  en  1838,  à  l'Académie  des  sciences,  un 
appareil  construit  par  un  physicien  américain  nommé 
M.  Morse  et  qu'on  a  pu  faire  fonctionner.  11  ne  s'agissait 
pas  seulement  d'une  communication  verbale,  d'une  des- 
cription écrite  ;  on  avait  l'appareil  sous  les  yeux. 

Dans  ce  système,  il  n'est  pas  besoin  de  stationnaires. 
La  machine  écrit  elle-même  la  dépêche,  après  avoir  averti 
toutefois  par  le  bruit  d'un  petit  timbre  qu'elle  va  entrer 
en  fonction. 

M.  Wheatstone  a  ajouté  encore  beaucoup  à  l'invention 
de  M.  Morse.  Ses  appareils  sont  admirables;  tous  les  phy- 
siciens les  ont  vus  à  Paris  et  éprouvés. 

Une  seule  difficulté  a  empêché  jusqu'ici  l'adoption  des 
télégraphes  électriques,  11  faut,  pour  qu'une  oommuni- 


476  TÉLÉGRAPHES  ÉLECTRIQUES 

cation  se  propage  par  de  tels  télégraphes,  qu'il  y  ait  un 
ou  plusieurs  fils  métalliques  qui  aillent  du  point  de  départ 
au  point  où  la  dépêche  doit  se  rendre.  11  faut  que  ce  fil 
ne  soit  pas  rompu. 

Il  faut  donc  les  placer  dans  un  tube,  quelle  qu*en  soit 
d'ailleurs  la  nature.  Si  on  ne  veut  pas  livrer  les  communi- 
cations télégraphiques  à  la  discrétion  des  malfaiteurs,  il 
faut  se  garder  d'établir  des  tubes  à  travers  champs.  Mais 
lorsque  les  chemins  de  fer  seront  établis,  qui  empêchera 
d'enterrer  les  tubes  et  les  fils  à  un  tiers  de  mètre ,  soit 
entre  les  rails,  soit  à  côté  ;  tout  sera  alors  sous  la  surveiU 
lance  active  et  continuelle  des  gardiens  de  ces  lignes. 

Si  d'ici  à  l'époque  prochaine  où  les  télégraphes  élec- 
triques remplaceront  tous  les  autres  télégraphes,  le  gou- 
vernement croit  nécessaire  d'établir  des  télégraphes  de 
nuit,  il  pourra  employer  ceux  de  M.  Vilallongue.  Ceux-là 
n'exigent  aucune  nouvelle  expérience.  On  pourrait  com- 
mencer l'installation  dès  demain. 

L'expérience  pour  laquelle  M.  le  ministre  demande  une 
allocation  de  30,000  frans  n'est  nullement  nécessaire.  Je 
rejette  le  projet  de  loi. 

[M.  Pouillet,  rapporteur  de  la  commission  de  la  Chambre  des 
disputés,  a  répondu  à  M.  Arago,  qui  a  répliqué  en  ces  termes  :  ] 

Messieurs,  je  remercie  l'honorable  préopinant  de  la 
manière  dont  il  a  parlé  du  télégraphe  déjà  examiné  et 
jugé;  jugé  par  des  commissaires  éclairés,  habiles  et  com- 
pétents, jugé  par  une  académie  où  on  a  l'habitude  do 
joindre  autant  que  possible  l'expérience  aux  calculs. 

Il  y  a  un  point  dans  lequel  l'honorable  M.  Pouillet  n'a 
pas  été  complet  :  il  a  dit  que  le  télégraphe  de  M.  Vilal- 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  477 

longue,  le  télégraphe  de  nuit,  compromettrait  le  télé- 
graphe de  jour. 

Il  est  très-vrai  que  M.  Vilallongue,  à  l'époque  où  il 
proposa  pour  la  première  fois  son  télégraphe  de  nuit, 
voulait,  pour  le  service  de  jour,  substituer  aux  évide- 
ments  chargés  d'un  fragment  de  lentille,  des  bandes 
blanches  qui  se  seraient  projetées  sur  un  fond  noir  ou 
réciproquemefit.  Je  reconnais  que,  de  cette  manière, 
il  aurait  rendu  général  ce  qui,  maintenant,  est  excep 
tionnel. 

Je  crois  que  mon  honorable  confrère  (On  rit);  je  dirai, 
si  vous  voulez,  mon  honorable  collègue  :  à  l'Académie, 
j'ai  contracté  l'habitude  d'appeler  M.  Pouillet  mon  con- 
frère  

M.  Thil.  Nous  y  sommes  en  ce  moment ,  à  TAcadémie  I 

M.  Arago.  Je  dis  donc  que  mon  honorable  collègue 
a  oublié  une  circonstance  essentielle  :  c'est  que  M.  Vilal- 
longue ne  s'en  est  pas  tenu  à  proposer  l'emploi  de  bandes 
peintes  en  blanc  ou  en  noir  pour  le  télégraphe  de  jour  : 
dans  ses  dernières  communications  avec  la  commission 
administrative  spéciale,  M.  Vilallongue  a  montré  que  son 
télégraphe  de  nuit  pouvait  se  combiner  avec  un  télé- 
graphe de  jour,  ayant  toutes  les  propriétés  de  celui  qui 
est  actuellement  en  usage. 

Messieurs,  on  a  parlé  tout  à  l'heure  avec  beaucoup 
d'agrément,  je  le  reconnais  (Ah  !  ah  !),  du  peu  de  dan- 
ger que  courront  les  stationnaires.  «  Si  votre  lampe 
s'éteint,  vous  la  rallumerez  !  »  Cela  est  spirituel ,  mais 
on  n'a  pas  dit  que,  pour  rallumer  la  lampe,  il  faudrait 
sortir  de  la  tour,  grimper  sur  le  comble,  monter  le  long 


478  TtLtORAPHES  ÉLECTMQUBS 

d'un  échelle  verticale,  et  qu'au  milieu  de  la  nuit,  par  le 
vent  le  plus  violent,  par  le  verglas,  cela  n'est  pas  aussi 
simple,  aussi  facile  qu'on  a  l'air  de  le  dire.  (Mouvements 
et  bruits  divers.  ) 

L'honorable  préopinant  vous  a  parlé  de  lumière  verte, 
de  verres  verts  qui  ne  se  colorent  pas  en  rouge. 

Sur  ce  point-là  je  ne  puis  en  conscience  être  de  son 
avis.  Si  le  verre  coloré  ne  transmet  (pie  du  vort  homo- 
gène, il  est  de  toute  évidence  qu'une  telle  lumière  ne  tra- 
versera que  des  étendues  d'air  très -peu  considérables. 
Je  ne  suppose  pas  que  M.  Pouillet,  comme  une  de  ses 
phrases  tendrait  à  le  faire  croire,  ait  l'intention  d'établir 
des  télégraphes  aussi  près  les  ans  des  autres  que  les 
omnibus  dont  il  a  parlé,  et  que  les  Parisiens  attendent 
au  coin  des  rues.  Ainsi  l'argument  tiré  des  verres  de  cou- 
leur des  omnibus  est  sans  valeur  aucune  :  il  n'est  pas 
applicable  à  la  question  des  télégraphes.  (Bruit.) 

M.  Pouillet  sait,  comme  tous  les  physiciens,  que  si  la 
lumière  blanche  se  colore  en  rouge,  c'est  que  ies  rayons 
verts  compris  dans  la  lumière  blanche  sont  arrêtés  par 
l'atmosphère.  Placez  devant  une  lampe  un  verre  qui  laisse 
passer  seulement  les  rayons  verts,  à  une  petite  distance 
toute  lumière  sera-  absorbée.  Emploie-t-on  un  verre  peu 
coloré  en  vert,  après  un  court  trajet  l'interception  des 
rayons  verts  aura  rendu  la  lumière  blanche.  Ensuite  elle 
se  colorara  en  rouge. 

L'honorable  M.  Pouillet  disait  que,  sur  ce  point,  il  ne 
voulait  s'en  rapporter  qu'à  l'expérience.  M.  Pouillet  se 
montre  trop  timide.  Lorsque  le  calcul  eut  dévoilé  le  rap- 
port du  diamètre  à  la  circonférence,  personne  ne  proposa 


ET  TÉLÉGRAPHES  DK  NDIT.  179 

d'essayer,  à  l'aide  d'un  fil  enroulé  sur  un  cercle,  si  ce  rap- 
port était  celui  que  le  calcul  avait  donné.  Tout  esprit 
éclairé  se  serait  refusé  à  une  pareille  épreuve  ;  la  géomé- 
trie a  des  privilèges  qu'aucune  expérience  au  monde  He 
saurait  infirmer. 

II 

[  l^  29  avril  iShS ,  à  propos  du  vote  du  budget  par  la  Chambre 
des  députés,  M.  Arago  a  été  conduit  à  faire  une  histoire  succincte 
de  l'invention  des  télégraphes  électriques.  Il  s'agissait  d'une  somme 
de  260,000  francs  proposée  pour  essayer  ces  télégraphes.  Nous 
extrayons  du  Moniteur  la  discussion  qui  s'engagea  à  cette  occasion.  ] 

M.  LE  MINISTRE  DE  l'intérieur.  Je  demande  à  la  Chambre  un 
changement  dans  la  répartition  même  du  crédit;  sur  les  2^0,000 fr., 
165,000  seulement  ont  été  dépensés  en  18M,  et  doivent  être  imputés 
sur  i%kk'  11  reste  une  somme  de  75,000  fr.  pour  les  dépenses  impu- 
tables sur  18/i5,  et  qui  par  conséquent  devra  figurer  sous  le  crédit 
de  1865. 

Je  voudrais  donc  demander  à  la  Chambre  de  retirer  75,000  fr. 
sur  1866,  sauf  à  les  reporter  sur  les  crédits  extraordinaires  pour 
1865.  (  Oui  !  oui  I  oui  l  cela  ne  fait  pas  de  difficulté.  ) 

M.  DE  Beaumoict  (de  la  Somme).  Il  serait  bon,  avant  de  voter  le 
crédit,  que  M.  le  ministre  de  l'intérieur  voulût  bien  donner  à  la 
Chambre  quelques  renseignements  sur  les  résultats  obtenus  dans 
rétablissement  des  télégraphes  électriques. 

M.  LE  PRtsu)EifT.  La  parole  est  à  M.  Arago.  (Mouvement) 

M.  Arago.  Je  demanderai  à  la  Chambre  si  elle  dfeire 
que  je  me  borne  à  une  simple  affirmation.  J'annoncerai 
que  les  résultats  des  expériences  de  la  commission  nom- 
mée par  M.  le  ministre  de  l'intérieur  pour  faire  l'essai  en 
grand  de  la  télégraphie  électrique,  sont  très-favorables, 
et  que  dimanche  prochain  nous  établirons,  sans  aucun 
doute,  une  communication  électrique  régulière  entre  Paris 
et  Rouen.  Si  c'est  cette  seule  affirmation  que  la  Chambre 
réclame (  Non  !  non  I  —  Parlez  I  parlez  !  ) 


480  TËLÉGRAPtIES  ÉLECTRIQUES 

Je  dirai  donc,  en  peu  de  mots,  quelles  sont  les  con- 
sidérations puissantes,  à  mon  avis,  qui  ont  amené  M.  le 
ministre  de  l'intérieur  à  demander  un  crédit  extraordi- 
naire ,  et  à  en  user  pour  faire  des  essais  de  télégraphie 
électrique. 

L'idée  d'une  télégraphie  électrique  n'est  pas  nouvelle. 
Dès  qu'on  eut  reconnu  que  l'électricité  parcourait  les  corps 
avec  une  extrême  rapidité,  Franklin  imagina  qu'on  pour- 
rait l'appliquer  à  la  transmission  des  dépêches.  Ce  n'est 
pas  cependant  ce  grand  physicien  qui  a  formulé  l'idée  en 
système  applicable.  On  trouve  pour  la  première  fois  une 
disposition  réalisable  de  télégraphie  électrique,  dans  une 
note  très-courte,  publiée  en  1774  par  un  savant  d'ori- 
gine française,  établi  à  Genève,  par  Lesage. 

Ce  télégraphe  se  composait  de  vingt-quatre  fils,  séparés 
les  uns  des  autres ,  et  noyés  dans  une  matière  isolante. 
Chaque  fil  correspondait  à  un  électromètre  particulier. 
En  faisant  passer,  suivant  le  besoin ,  la  décharge  d'une 
machine  électrique  ordinaire  à  travers  tel  ou  tel  de  ces 
fils,  on  produisait,  à  l'autre  extrémité,  le  mouvement 
représentatif  de  telle  ou  telle  lettre  de  l'alphabet.  Ce  sys- 
tème, si  je  ne  me  trompe,  fut  établi  sur  une  échelle 
restreinte,  dans  les  environs  de  Madrid,  par  M.  do 
Béthencourt. 

La  machine  électrique  ordinaire,  source  intermittente 
d'électricité,  peut  être  actuellement  remplacée  par  une 
pile  voltaïque  d'où  émane  un  courant  continu  susceptible 
d'être  transmis  par  des  fils  métalliques.  Ampère  chez 
nous,  Sœmmering  en  Allemagne,  songèrent  aux  appli- 
cations dont  ce  courant  continu  serait  susceptible  pour 


ET  XÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  481 

transmettre  des  dépêches.  Les  deux  systèmes  avaient  l'un 
et  Tautre  l'inconvénient  d'exiger  un  assez  grand  nombre 
de  fils  isolés.  Le  télégraphe  à  l'installation  duquel  nous 
travaillons,  n'aura  qu'un  fil.  C'est  avec  un  seul  fil  qu'on 
réussira  à  créer  tous  les  signaux  nécessaires  pour  la  trans- 
mission des  dépêches  les  plus  complexes. 

Les  télégraphes  électriques  semblent  destinés  à  rem- 
placer complètement  les  télégraphes  actuellement  en 
usage.  Telle  est  l'explication  naturelle  de  la  détermina- 
tion qu'a  prise  M.  le  ministre  de  l'intérieur,  de  faire  com- 
mencer les  essais  sur  un  crédit  extraordinaire. 

11  fallait  d'abord  savoir  si  le  courant  électrique  qui 
doit  engendrer  les  signes  télégraphiques,  s'afl"aiblirait 
d'une  manière  trop  notable  en  parcourant  de  très-grandes 
distances,  telles  que  la  distance  de  Paris  à  Lyon;  il 
fallait  décider  si ,  entre  ces  deux  villes,  des  stations  inter- 
médiaires deviendraient  indispensables.  Les  ingénieuses 
expériences  déjà  exécutées  en  Angleterre  au  moment  où 
la  commission  commença  ses  travaux,  les  expériences 
faites  sur  le  chemin  de  Blackwall,  par  exemple,  ne  tran- 
chaient pas  la  question. 

Notre  point  de  départ  fut  celui-ci  :  Peut-on  transmettre 
le  courant  électrique  avec  assez  peu  d'affaiblissement 
pour  que  des  communications  régulières  s'établissent 
d'un  seul  trait,  sans  station  intermédiaire,  entre  Paris  et 
le  Havre?  C'est  à  résoudre  cette  question  que  la  commis- 
sion nommée  par  M.  le  ministre  de  l'intérieur  s'est 
d'abord  attachée. 

Elle  a  établi  un  fil  de  cuivre  le  long  du  chemin  de  fer 
de  Rouen,  sur  des  poteaux  en  bois  placés  de  50  mètres 

V.— H.  31 


i82  TÉLÉGRAPHES  ÉLECTRIQUES 

en  50  mètres.  Les  moyens  d'isolement  employés  présen- 
tent peut-être  des  précautions  superflues,  mais  il  fallait 
ne  pas  échouer  dans  le  premier  essai. 

Dimanche  dernier,  nous  avons  pu  opérer  entre  Paris 
et  Mantes,  points  distants  Tun  de  l'autre  de  57  kilo- 
mètres :  le  succès  a  été  complet. 

Le  courant  passait  d'abord  par  un  certain  fil  suspendu 
dans  l'air,  et  revenait  par  un  autre  fil  semblable,  placé 
immédiatement  au-dessous.  L'intensité  du  courant  était 
accusée  et  mesurée  à  l'aide  de  la  déviation  que  ce  courant 
imprimait  à  une  aiguille  de  boussole.  La  déviation  était 
considérable.  Ceci  constaté,  la  commission  a  cherché  si, 
comme  on  l'avait  jadis  trouvé  pour  de  beaucoup  moin- 
dres distances,  en  Bavière,  en  Russie,  en  Angleterre, 
en  Italie ,  le  courant  voltaïque  était  transmis  par  le  pre- 
mier fil,  à  travers  la  terre  humide  comprise  entre  les 
deux  stations. 

Eh  bien ,  nous  avons  trouvé  que  le  courant,  né  à  Paris 
et  transmis  à  Mantes  le  long  du  premier  fil  attaché  aux 
poteaux ,  revenait  par  la  terre  beaucoup  mieux  que  par 
le  second  fil;  que  la  terre,  dans  cette  expérience,  faisait 
l'ofTice  d'un  conducteur  beaucoup  plus  utile  que  le  second 
fil  métallique. 

Avec  les  deux  fils  d'aller  et  de  retour,  la  déviation  de 
l'aiguille,  mesure  du  courant,  était  de  25°.  Quand  le 
second  fil  supprimé  se  trouvait  remplacé  par  la  couche 
de  terre  comprise  entre  Paris  et  Mantes,  la  déviation  de 
l'aiguille  s'élevait  jusqu'à  50°. 

Dimanche  prochain ,  sans  aucun  doute ,  nous  porterons 
le  courant  électrique  jusqu'à  Rouen  le  long  du  fil  métal- 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  483 

lique ,  et  il  nous  reviendra  par  la  terre  avec  toute  Tinten- 
sité  qu'exige  la  production  des  signes  télégraphiques. 

La  Chambre  désire  savoir,  peut-^tre,  comment  il  est 
possible  avec  un  seul  courant  de  produire  une  grande 
diversité  de  signes.  La  question  revient  à  celle-ci  :  De 
quelle  manière  un  courant  peut- il  donner  naissance  à 
une  force  intermittente?  Il  est  clair,  en  effet,  que  la 
reproduction  au  point  d'arrivée  d'un  signal  né  à  la  sta^ 
tion  du  départ,  ne  peut  s'opérer  qu'à  l'aide  d'une  force. 

Les  physiciens  ont  reconnu  que,  lorsqu'on  fait  circuler 
un  courant  électrique  le  long  d'un  fil  plié  en  héHce,  tout 
autour  d'une  lame  d'acier,  on  aimante  la  lame  d'une 
manière  permanente;  au  lieu  de  recourir  à  un  aimarft 
artificiel  pour  aimanter  les  aiguilles  de  boussole,  on  peut 
se  servir  ainsi  avec  avantage  d'un  courant  voltaïque. 

Lorsque  la  pièce  de  métal  autour  de  laquelle  circule 
l'électricité  est  du  fer  doux,  l'aimantation  est  momen- 
tanée. Pendant  que  le  courant  circule,  le  fer  est  aimanté, 
il  a  des  pôles  comme  une  aiguille  de  boussole.  Mais  à  peine 
le  courant  a  cessé,  que  le  fer  revient  à  l'état  ordinaire. 

Or,  personne  ne  l'ignore  :  deux  masses  de  fer  non 
aimantées,  mises  en  présence,  n'agissent  point  l'une  sur 
l'autre.  Tout  le  monde  sait  aussi  qu'une  masse  de  fer 
aimantée  attire  une  masse  de  fer  neutre.  Donc,  toutes 
les  fois  que  le  courant,  dans  l'une  des  stations,  passera 
dans  une  hélice,  autour  d'une  masse  de  fer  doux,  cette 
masse  de  fer  deviendra  momentanément  un  aimant,  et 
elle  pourra  produire  un  effet  mécanique. 

C'est  par  ce  procédé,  c'est  en  faisant  naître  et  en 
détmisaiit  suocessivement  la  force  magnétique  dans  une 


iU  TÉLÉGRAPHES  ÉLECTRIQUES 

masse  de  fer,  qu'on  peut  transmettre  au  loin  tous  les 
signaux  qu'on  a  produits  dans  la  station  de  départ 

Ce  principe  peut  conduire  à  des  systèmes  très-divers, 
entre  lesquels  la  commission  n'a  pas  encore  fait  un  choix. 
J'indiquerai  un  de  ces  systèmes  :  celui  de  M.  Morse,  par 
exemple. 

Concevons  qu'à  la  station  où  Ton  doit  recevoir  la 
dépêche  ;  on  ait  une  longue  bande  de  papier  mobile 
entre  deux  rouleaux  à  l'aide  d'une  force  mécanique  quel- 
conque. La  pièce  de  fer  dont  je  parlais  tout  à  l'heure, 
cette  pièce  destinée  à  être  successivement  aimantée  et 
non  aimantée,  est  placée  au-dessus  du  papier,  et  par  sod 
mouvement  de  bascule  entraîne  un  pinceau.  Le  courant 
passe-t^il,  la  pièce  alors  aimantée  est  attirée  par  une 
masse  de  fer  stationnaire,  elle  bascule  et  pousse  le  pin- 
ceau jusqu'au  papier;  le  courant  n'a-t-il  duré  qu'un 
instant,  le  pinceau  ne  trace  qu'un  point;  l'aimantation 
a-t-elle  eu  quelque  durée,  le  pinceau,  avant  de  se  relever 
aura  marqué  un  trait  d'une  longueur  sensible  sur  le 
papier  mobile.  Vous  pouvez  ainsi,  à  cent  lieues  de  dis- 
tance, faire  succéder  sur  le  papier  de  votre  correspon- 
dant un  point  à  un  point,  un  point  à  un  trait;  intercaler 
un  point  entre  deux  traits,  un  trait  entre  deux  points,  etc., 
engendrer  les  signaux  qui,  suivant  M.  Foy,  juge  si  com- 
pétent en  pareille  matière,  doivent  suffire  à  la  correspon- 
dance télégraphique  la  plus  variée. 

Veut-on  se  faire  une  idée  générale  de  quelques-uns  des 
appareils  en  usage  en  Angleterre? 

Concevons,  dans  la  localité  où  Ton  fait  les  signaux, 
un  cercle  gradué  rotatif  où  chaque  division  représente 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  485 

une  lettre  de  l'alphabet  :  c'est  par  exemple  la  lettre  supé- 
rieure, au  moment  des  repos  du  cercle,  qu'il  faut  lire 
pour  avoir  la  dépêche  ;  les  repos  de  la  station  du  départ 
devront  se  représenter  dans  le  même  ordre  sur  le  cercle 
de  la  station  d'arrivée. 

Pour  résoudre  le  problème,  le  cercle  de  la  station  d'ar- 
rivée est  lié  à  un  engrenage  arrêté  par  une  pièce  de  fer 
doux;  cette  pièce  est  déviée,  et  dès  lors  l'engrenage 
s'avance  d'une  dent  toutes  les  fois  que  le  morceau  de 
fer  voisin  devient  un  aimant  par  l'action  du  courant 
électrique  qui  circule  autour  de  lui  dans  une  hélice.  Le 
courant  est-il  interrompu,  la  pièce  en  question,  le  déclic 
en  fer,  reprend  sa  place.  A  cent  lieues  de  distance,  celui 
qui  envoie  la  dépêche  peut  donc  régler  le  mouvement 
du  cercle  sur  lequel  le  correspondant  devra  la  lire. 

Ces  deux  citations  suffiront.  Je  dois  le  répéter  :  la 
seule  chose  en  question,  quand  nous  commençâmes  nos 
expériences,  c'était  de  savoir  la  distance  à  laquelle  les 
signaux  pourraient  être  transmis  d'un  seul  trait.  Avec 
les  fils  multiples  et  reployés  que  porteront  nos  poteaux, 
nous  saurons  si  la  distance  de  Paris  à  Lyon  sera  franchie 
sans  recourir  à  des  stations  intermédiaires. 

Sans  craindre  de  me  compromettre,  j'ose  affirmer  que 
dimanche  prochain  les  résultats  confirmeront  toutes  nos 
prévisions;  nous  n'aurons  pas  fait  seulement  des  essais 
de  simple  expérience  de  physique  :  la  commission  aura 
posé  les  bases  d'un  télégraphe  perfectionné,  destiné  h 
rendre  d'éminents  services  au  pays.  (Très- bien  I) 

[Le  crédit  demandé  par  le  gouvernement  est  adopté  par  la 
Chambre.  ] 


186  TÊLË6RÀPHES  fiLECTRIQUES 

m 

[Un  projet  de  loi  pour  rétablissement  d'un  télégraphe  électrique 
de  Paris  à  Lille,  ayant  été  discuté  le  18  juin  i8/i6  dans  la  Chambre 
des  députés,  M.  Arago  prit  la  parole  en  ces  termes  pour  combattre 
les  doutes  des  personnes,  en  grand  nombre,  qui  ne  croyaient  pas  à 
Tefficacité  du  merveilleux  moyen  de  communication.  ] 

Il  me  semble  qu'il  y  a  eu  une  grande  erreur  dans  la 
manière  dont  on  a  considéré  les  télégraphes  électriques. 
On  a  parlé  d'expériences  en  cours  d'exécution.  Il  est  très- 
vrai  qu'on  a  fait  des  expériences  sur  la  ligne  de  Rouen; 
mais  depuis  l'établissement  de  cette  ligne ,  le  problème 
est  complètement  résolu. 

M.  B£RRY£R.  Je  demande  la  parole. 

M.  Arago.  Il  est  désormais  constant  que  le  télégraphe 
électrique  est  un  moyen  de  communication  excellent. 

Messieurs,  je  vais  vous  citer  un  fait  décisif. 

J'ai  reçu,  il  y  a  trois  jours,  un  journal  de  Baltimore, 
Oic  Suuj  avec  une  lettre  de  M.  Morse,  qui  est  à  la  tête  de 
la  télégraphie  électrique  aux  États-Unis  ;  le  message  du 
président  des  États-Unis ,  message  très-long,  qui  occupe 
dans  ce  journal,  en  très-petit  caractères,  deux  longues 
colonnes,  qui  feraient  quatre  colonnes  du  Moniteur 9  ce 
message  a  été  envoyé. 

M.  Berrter.  On  Tavait  fait  imprimer  d'avance.  (On  rit) 

M.  ÂRAGO.  Il  est  probable  que  M.  Berryer  n'est  pas 
aussi  bien  informé  de  ce  qui  s'est  passé  que  les  directeurs 
du  journal  que  je  cite,  et  que  M.  Morse,  l'un  des  hommes 
les  plus  honorables  des  États-Unis;  or,  tous  déclarent 
que  le  message  a  été  envoyé  ligne  par  ligne  de  Wasliing- 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  i87 

ton  à  Baltimore,  et  que  la  totalité  du  message  a  été  reçue 
ainsi,  et  imprimée  dans  l'intervalle  de  trois  heures. 

Une  personne,  écrivant  avec  une  rapidité  moyenne, 
irait  à  peine  aussi  vite  qu'a  été  le  télégraphe  dans  cette 
circonstance. 

M.  Berryer  a  parlé  d'expériences  qu'il  y  avait  àentre- 
prendre.  Ces^  expériences  ont  été  faites  et  elles  sont  com- 
plètement concluantes.  Il  a  dit  qu'on  était  en  doute  si 
l'on  emploierait  des  fils  de  fer  ou  des  fils  de  cuivre  ;  cette 
question  a  été  discutée  et  résolue  dans  la  commission. 

Sous  ce  rapport,  ce  qui  pouvait  être  un  sujet  d'expé- 
l'iences,  c'était,  non  pas  le  vocabulaire  dont  a  parlé 
M.  Mauguin,  mais  le  procédé  à  l'aide  duquel  on  enre- 
gistre les  signaux.  Avec  le  procédé  de  M.  Morse,  qui  a 
reçu  des  modifications  en  France,  on  est  arrivé  à  enregis- 
trer jusqu'à  84  signaux  dans  une  minute. 

Vous  savez  qu'il  faut  marcher  avec  une  certaine  rapi- 
dité pour  écrire  84  lettres  en  une  minute  la  plume  à  la 
main.  Ne  croyez  donc  pas  qu'on  en  soit  encore  aux  expé- 
riences. Le  télégraphe  électrique  peut  être  employé  actuel- 
lement pour  remplacer  le  télégraphe  aérien,  et  il  a  sur 
ce  dernier  un  avantage  que  tout  le  monde  peut  com- 
prendre. Lorsqu'il  y  a  des  brouillards,  quel  que  soit  le 
mode  d'éclairage  que  vous  employiez,  les  signaux  du 
télégraphe  aérien  ne  passent  pas  h  travers  l'atmosphère. 

Dans  l'origine,  on  avait  redouté  l'influence  des  brouil- 
lards sur  les  télégraphes  électriques  ;  on  avait  pensé  que 
les  poteaux  n'isoleraient  pas  assez  le  fil ,  et  que  la  trans- 
mission de  l'électricité  ne  pourrait  se  faire.  Eh  bien ,  cela 
est  douloureux  à  dire ,  mais  cela  arrive  presque  toujours 


iSè  TÉLÉGRAPHES  tLlCTIlQIIES 

aioâi  :  lorsqu'une  chose  peut  être  faite  de  deux  manières, 
elle  se  fait  presque  toujours  de  la  façon  qui  nous  a  paru 
la  moins  naturelle  :  la  transmission  a  lieu  plus  facilement 
par  la  pluie  et  par  les  brouillards  que  dans  le  temps  sec. 
La  pluie,  que  dans  la  langue  télégraphique  on  appelle  un 
brumaire  et  qui  est  un  obstacle  invincible  pour  les  télé- 
graphes ordinaires ,  est  loin  d'être  nuisible  pour  la  trans- 
mission des  dépêches  par  la  télégraphie  électrique. 

Il  serait  facile  d'expliquer  comment  cela  arrive.  Je  ne 
crois  pas  que  la  Chambre  soit  disposée  à  entendre ,  en  ce 
moment,  des  explications  de  cette  nature  ;  mais  vous  pou- 
vez regarder  le  fait  comme  certain  :  ce  qu'on  avait  redouté 
comme  un  inconvénient  a  été  reconnu ,  par  l'expérience , 
comme  un  avantage  :  la  transmission  se  fait  mieux  par  des 
temps  de  brouillard  et  de  pluie  que  par  des  temps  de 
sécheresse.  Ainsi  vous  pouvez  être  en  communication 
assurée,  par  la  télégraphie  électrique,  entre  les  deux 
extrémités  de  la  ligne  de  jour  et  de  nuit ,  à  tous  les  instants 
et  presque  par  tous  les  temps. 

On  a  parlé  de  l'usage  qu'on  pourrait  faire  de  la  télé- 
graphie électrique  pour  venir  au  secours  des  compagiûes 
de  chemins  de  fer  ;  on  a  aussi  émis  la  crainte  de  voir  faire 
abus  de  ce  moyen  de  communication  rapide. 

Messieurs,  ce  ne  sera  pas,  si  l'on  veut,  le  fil  du  gou- 
vernement qui  servira  aux  compagnies,  ce  sera  un  fil 
auxiliaire  et  il  y  aura  des  appiarcils  auxiliaires  auxquels 
on  pourra  interdire  des  signaux  très-variés.  Que  peuvent 
avoir  à  dire  les  compagnies  pour  le  service  de  la  ligne? 
Peu  de  choses  :  un  convoi  est  parti  ;  nous  avons  besoin 
d'une  locomotive;  tel  accident  est  arrivé;  nous  avons 


ET  TÉLÉGRAPHES  DE  NUIT.  489 

besoin  d'eau.  On  pourra  donc,  vous  le  voyez,  attacher  au 
fil  dont  se  servira  une  compagnie  un  nombre  très-borné 
de  signaux. 

Je  ne  prétends  pas  que  ce  que  je  dis  là  soit  une  solution 
définitive  ;  mais  les  diflTicultés  s'amoindriront  à  mesure 
(^u'on  étudiera  la  question. 

En  Amérique  on  se  sert  de  la  télégraphie  électrique 
pour  des  communications  particulières,  et  on  n'y  a  re- 
connu aucun  inconvénient.  Pourquoi  n'arriverait-on  pas 
à  employer  aussi  en  France  le  télégraphe  électrique  dans 
les  correspondances  particulières. 

J'ajouterai,  pour  rassurer  les  personnes  qui  doutent  de 
la  rapidité  de  la  transmission  électrique ,  qu'il  est  prouvé 
par  des  expériences  incontestables,  que  l'électricité  se 
meut  dans  les  fils  de  métal  avec  une  vitesse  de  plus  de 
77,000  lieues  par  seconde, 


SUR  LES  CHAUX 

LES  MORTIERS  ET  LES  CIMENTS  HYDRAULIQUES 

SUn  LES  POUZZOLANES  NATUllELLES 
ET  ARTIFICIELLES  • 


Messieurs,  dès  leur  première  séance,  vos  commissaires 
ont  donné  une  entière  adhésion  à  la  pensée  qui  a  inspira 
le  projet  sur  lequel  vous  êtes  appelés  à  délibérer.  Ih 
sont  restés  unanimement  convaincus,  qu'en  soumettant 
les  grandes  découvertes  de  nos  compatriotes  à  Tapprér 
ciation  attentive  des  trois  pouvoirs  constitutionnels  du 
pays,  qu'en  recourant  à  toutes  les  solennités  de  la  loi 
pour  régler  les  rémunérations  que  des  inventeurs  peu- 
vent avoir  méritées,  on  excitera  au  plus  haut  degré ,  et 
très- utilement,  le  zèle,  l'ardeur  et  la  persévérance  des 
hommes  de  génie. 

Nous  parlons  seulement.  Messieurs,  de  grandes  décou- 
vertes. Des  travaux,  quelque  estimables  qu'ils  fussent^ 
auxquels  cette  dénomination  n'appartiendrait  pas  légi- 
timement et  d'un  consentement  universel,  ne.  nous  paraî- 

1.  Rapport  fait  à  la  Chambre  des  députés,  le  26  mai  1865,  au  nom 
de  la  commission  chargée  de  l'examen  du  projet  dé  loi  tendant  à 
accorder,  à.  titre  de  récompense  nationaJe,  une  pension  annuelle 
et  viagère  de  6,000  fr.  à  M.  Vicat,  ingénieur  en  chef,  directeur  des 
ponts  et  chaussées. 


492  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

traient  pas,  en  effet,  devoir  appeler  une  délibération 
spéciale  des  Chambres  législatives. 

Ces  réflexions  jalonnaient  sans  aucune  équivoque  la 
route  que  nous  avions  à  suivre.  Nous  devions  examiner 
si  M.  Yicat  s'est  placé  parmi  les  hommes  privilégiés  dont 
la  postérité  se  souviendra  ;  si  ses  travaux,  au  moment  de 
leur  publication,  avaient  un  caractère  de  nouveauté  incon- 
testable ;  s'ils  offraient  un  intérêt  général  ;  si,  enfin,  les 
procédés  qui  en  découlent,  doivent  prendre  rang  parmi 
les  inventions  brillantes  dont  notre  pays  s'honore  à  juste 
titre. 

Ce  court  préambule  justifiera  les  développements  que 
vous  allez  entendre.  Nous  avons  cru  d'ailleurs  qu'en 
soumettant  à  l'analyse  la  plus  stricte,  la  plus  minutieuse, 
un  mérite  aussi  reconnu  que  celui  de  M.  Vicat,  nous  inspi- 
rerions une  inquiétude  salutaire  aux  médiocrités  qui  pré- 
tendraient faire  retentir  leur  nom  dans  cette  enceinte. 
Si  la  commission  avait  atteint  ce  but,  elle  aurait,  sans 
aucun  doute,  satisfait  d'avance  à  un  des  vœux  de  la 
Chambre. 

J.   FABRICATION  ARTIFICIELLE  DES  CHAUX  HTDRAUUQUES 

La  chaux,  soit  à  l'état  de  pureté,  soit,  plus  ordinaire- 
ment, mêlée  à  d'autres  matières,  est  le  moyen  dont  on 
fait  usage  depuis  les  temps  les  plus  reculés  pour  lier  entre 
elles  les  pierres,  et,  en  général,  toutes  les  parties  consti- 
tuantes des  bâtisses. 

Si  la  chaux  ne  s'offre  nulle  part  isolée  sur  l'écorce  du 
globe,  par  compensation,  les  roches  d'où  on  peut  Tex- 
traire  à  l'aide  de  simples  grillages,  les  roches  calcaiies. 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  i93 

existent  presque  partout.  Aucun  nninéral  n'est  plus  ré- 
pandu dans  la  nature. 

Il  est  rare  que  les  pierres  calcaires  soient  entièrement 
pures,  ou  exclusivement  composées  de  chaux  et  d'acide 
carbonique.  Leur  pâte  est  ordinairement  mêlée,  d'une 
manière  intime,  à  de  la  silice,  à  de  l'alumine,  à  de  la 
magnésie,  à  du  fer  oxydé,  à  de  l'oxyde  de  manganèse,  etc. 
De  là  les  dénominations  adoptées  par  les  minéralogistes, 
de  calcaires  argileux,  magnésiens,  ferrugineux,  manga- 
nésiens,  etc. 

Ces  calcaires  fournissent,  par  la  cuisson,  des  chaux 
très  -  diverses.  Les  constructeurs  en  distinguent  plusieurs 
espèces  :  les  chaux  grasses,  les  chaux  maigres,  les  chaux 
hydrauliques. 

Les  chaux  grasses  foisonnent  beaucoup  quand  on  les 
éteint  :  elles  doublent  alors  de  volume  et  au  delà.  Ce 
serait  une  propriété  très- précieuse  sous  le  rapport  de 
l'économie;  mais  les  chaux  grasses  restent  longtemps 
molles,  surtout  au  centre  des  maçonneries,  partout  où 
elles  sont  privées  du  contact  de  l'air;  mais  les  chaux 
grasses  se  dissolvent  jusqu'à  leurs  dernières  parcelles 
dans  les  eaux  fréquemment  renouvelées,  dans  les  eaux 
pures;  mais  cette  dissolution  de  la  chaux  transforme  à 
la  longue  en  monceaux  de  pierres  sèches  des  murs  de 
quai,  par  exemple,  qu'on  croyait  convenablement  ma- 
çonnés et  d'une  grande  solidité. 

Faut-il  montrer,  par  des  citations,  que  le  mortier  fait 
avec  de  la  chaux  grasse  n'acquiert  point  de  consistance 
quand  il  est  à  l'abri  du  contact  de  l'air?  Nous  dirons  que 
M.  le  général  Treussart  ayant  eu  à  reconstruire  à  Stras- 


494  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIOUES. 

bourg,  en  1822,  le  Boubassement  d*uD  bastion  qui  datait 
de  1666,  y  trouva  le  mortier  tout  aussi  frais  que  si  les 
maçons  l'eussent  posé  depuis  quelques  heures  seulement. 
Pareille  chose  fut  observée  à  Berlin  par  les  architectes 
qui  démolirent  naguère  un  des  piliers,  de  neuf  mètres 
de  diamètre,  de  la  tour  de  Saint-Pierre,  bâtie  depuis 
environ  80  ans. 

Nous  demande-t-on  de  prouver  qu'un  courant  d'eau 
vive  dissout  rapidement  la  chaux  grasse  des  maçonneries 
et  en  compromet  la  solidité?  Nous  invoquerons,  pour 
choisir  entre  mille  exemples,  la  démolition  des  restes 
des  anciennes  écluses  de  la  Vilaine.  Pendant  cette  opé- 
ration, on  reconnut  que,  par  suite  de  la  dissolution  de 
la  chaux  grasse,  il  ne  restait  plus  derrière  les  revête- 
ments que  des  masses  sans  liaison,  que  de  simples  murs 
de  pierre  sèche. 

La  chaux  maigre  a  tous  les  défauts  des  chaux  grasses, 
et,  de  plus,  comme  son  nom  l'indique,  elle  foisonne  à 
peine.  Aussi  évite-t-on ,  autant  que  possible ,  d'en  faire 
usage. 

Les  constructeurs  qui  désirent  donner  de  la  durée  à 
leurs  œuvres,  doivent  employer  exclusivement  de  la  chaux 
hydraulique,  particulièrement  lorsque  les  fondations  re- 
posent sur  un  terrain  humide. 

On  appelle  chaux  hydrauliques  celles  qui  se  solidifient 
promptement  dans  l'eau.  Cette  propriété  ne  se  montre 
pas  toujours  au  même  degré.  Les  plus  caractérisées  des 
chaux  hydrauliques  font  prise  du  second  au  quatrième 
jour  d'immersion;  au  bout  d'un  mois,  ces  chaux  sont 
fort  dures  et  complètement  insolubles;  dans  le  sixième 


CHAUX  BT  MORTIERS  HYDRAULIOITES.  495 

mois,  elles  se  comportent  comme  certaines  pierres  cal- 
caires ;  le  choc  les  brise  en  éclats ,  leur  cassure  est  écail- 
leuse. 

Les  calcaires  naturels  ne  se  distinguent  en  général  les 
uns  des  autres,  par  aucun  caractère  physique  particulier 
de  texture,  de  dureté,  de  pesanteur  spécifique,  de  colo- 
ration, qui  puisse  faire  prévoir  d'avance  quelle  espèce  de 
chaux  ils  fourniront.  Les  chaux  grasses,  maigres,  hydrau- 
liques, sont  indistinctement  blanches,  grises,  fauves, 
rousses,  etc.  C'est  dans  la  composition  intime  des  roches, 
c'est  dans  la  nature  et  la  proportion  de  leurs  principes 
constituants,  que  les  chimistes  ont  cherché  les  causes 
réelles  de  Thydraulicité. 

11  est  bien  avéré  depuis  longtemps ,  que  les  calcaires 
les  plus  purs,  les  marbres  statuaires  primitifs  ou  saccha- 
roïdes,  les  marbres  de  Paros,  de  Carrare,  donnent  tou- 
jours, par  la  calcination,  de  la  chaux  grasse;  on  a  su  de 
bonne  heure  aussi  que  la  propriété  de  durcir  sous  l'eau 
est  communiquée  à  la  chaux,  par  des  matières  particu- 
lières qui  se  trouvent  disséminées  dans  le  tissu  de  la  roche 
calcaire  d'où  la  chaux  a  été  tirée.  Mais  quelles  sont  ces 
matières,  et  en  quelles  proportions  devaient- elles  exister 
dans  la  roche  pour  que  l'hydraulicité  apparût  à  un  degré 
suffisant?  Sur  ce  point,  les  opinions  ont  été  très-longtemps 
flottantes. 

Bergman,  car  de  trèfr-grands  chimistes  s'occupèrent 
de  la  question,  attribuait  les  propriétés  caractéristiques 
des  chaux  hydrauliques  à  la  présence,  dans  ces  chaux, 
d'une  petite  proportion  d'oxyde  de  manganèse. 

Guyton  de  Morveau  adopta  les  idées  de  son  illustre  ami. 


496  CHAUX  BT  MORTIERS  HYDRAULIQUBS. 

11  était  évident,  toutefois,  que  l'hypothèse  des  deux  chi- 
mistes ne  révélait  pas,  du  moins  d'une  manière  générale, 
le  secret  de  l'hydraulicité  ;  on  connaissait,  en  effet,  des 
chaux  hydrauliques  naturelles  dans  lesquelles  n^existait 
pas  une  trace  d'oxyde  de  manganèse.  Il  a  même  été 
constaté  que  cet  oxyde  ne  possède  point  la  propriété 
qu'on  lui  attribuait.  Une  écluse  construite  en  Suède, 
d'après  les  idées  de  Bergman,  avec  un  mortier  composé 
de  chaux  grasse  et  de  manganèse,  manquait  tellement  de 
solidité,  qu'il  fallut  la  détruire  très-peu  de  temps  après 
son  achèvement. 

Les  plus  anciennes  études  que  nous  connaissions  sur 
les  compositions  des  chaux  hydrauliques,  datent  de 
l'année  1756,  c'est-à-dire  de  l'époque  où  Smeaton  se 
préparait  à  la  construction  si  difficile,  si  hardie,  du  phare 
d'Edystone.  Ce  célèbre  ingénieur  examina  alors  avec  le 
soin  le  plus  scrupuleux  la  chaux  hydraulique  naturelle 
d'Aberthaw  (comté  de  Glarmorgan).  Cette  chaux  jouis- 
sait en  Angleterre  d'une  certaine  célébrité.  Traitée  par 
les  acides,  elle  laissa  un  résidu  «  qui  paraissait  être  une 
glaise  bleuâtre,  pesant  environ  1/8  du  poids  total  de  la 
pierre.  »  La  couleur  rougeâtre  que  ce  résidu  acquit  par 
la  cuisson,  fit  croire  à  Smeaton  que  la  roche  calcaij'e 
d'Aberthaw  (on  l'appelait  déjà  du  lias)  contenait  aussi 
du  fer. 

Saussure  publia,  en  1786,  dans  le  second  volume  de 
son  célèbre  voyage,  quelques  réflexions  tendant  à  attri- 
buer l'hydraulicité  des  chaux  de  Saint- Gingolph,  en 
Savoie,  à  l'influence  combinée  du  manganèse,  du  quartz 
et  même  de  l'argile  contenus  dans  le  tissu  des  roches  cal- 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  497 

caires  de  cette  localité.  Ajoutons,  dans  l'intérêt  de  la 
vérité,  que  l'illustre  naturaliste  laissa  ses  opinions  à  l'état 
de  simples  conjectures. 

Encore  une  citation,  et  nous  aurons  parcouru  l'en- 
semble  des  recherches  qui  ont  précédé  les  travaux  de 
M.  Vicat. 

M.  l'ingénieur  des  mines  Collet-Descostils,  ayant  dé- 
couvert, en  1813,  une  quantité  notable  de  matière  sili- 
ceuse très-divisée  dans  la  chaux  de  Senonches,  attribua 
à  l'action  de  la  silice  l'hydraulicité  si  forte  et  si  renommée 
de  cette  chaux. 

Que  manquait-il  aux  conjectures  de  Smeaton,  de  Saus- 
sure, de  DescostiJs  ?  Il  leur  manquait  ce  qui  transforme 
de  simples  conjectures  en  principes  incontestables;  il  leur 
manquait  la  précision,  la  netteté,  ces  constants  attributs 
de  toute  vérité  bien  établie;  il  leur  manquait  d'être  éclair- 
cics,  rectifiées,  et  de  passer  enfin,  par  l'impulsion  d'une 
main  puissante,  de  la  région  vague,  nébuleuse  des  rêve- 
ries, dans  le  domaine  des  applications. 

Dès  ses  premiers  essais,  M.  Vicat  fit  usage  de  la  syn- 
thèse. Quiconque  avait  remarqué  combien  Tétat  cristallin, 
l'état  moléculaire  peut  modifier  les  propriétés  physiques 
de  certains  corps,  ne  devait  attacher  qu'une  confiance 
bornée  aux  conséquences  qui,  dans  l'intérêt  de  l'archi- 
tecture, semblaient  découler  de  l'analyse  chimique  des 
chaux.  Les  expériences  de  M.  Vicat  allèrent,  au  contraire, 
directement  au  but. 

La  chaux  naturelle  de  Senonches  était  le  type  de  la 
perfection;  M.  Vicat  composa  une  chaux  artificielle  supé- 
rieure à  celle  de  Senonches.  Il  obtint  ce  résultat  capital 

V.—  II.  32 


498  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

en  faisant  calciner,  dans  des  proportions  convenable- 
ment choisies,  de  la  craie  ou  de  la  chaux  pure  mêlée  à 
de  l'argile. 

Par  cette  expérience,  la  lumière  succédait  à  Tobscu- 
curité,  la  certitude  au  doute  ;  Fart  de  bâtir  venait  de  s'en- 
richir d'une  admirable  découverte. 

Nous  ne  supposons  pas  que  cette  qualification  d'admi- 
rable découverte  puisse  être  contestée.  Nous  ne  saurions 
croire  que  le  désir,  malheureusement  si  commun ,  de  dé- 
pouiller un  contemporain  au  profit  de  la  réputation  d'un 
mort,  décide  personne,  dans  cette  circonstance,  à  exagé- 
rer le  mérite  des  essais,  des  hypothèses,  des  conjectures 
qui  précédèrent  les  travaux  de  l'ingénieur  du  pont  de 
Souillac.  Sans  cela  nous  prouverions,  par  des  rapproche- 
ments sans  réplique,  que  M.  Vicat  n'a  pas  été  moins  réel- 
lement inventeur  sur  h  question  des  chaux  hydrauliques, 
que  ne  le  fut  Newton  quand  il  publia  la  théorie  de  la 
composition  de  la  lumière  blanche,  que  ne  le  fut  Frank- 
lin lorsqu'il  proposa  les  paratonnerres  au  monde  civilisé. 
Le  célèbre  Smeaton  essayant  infructueusement  de  rendre 
de  la  chaux  grasse  hydraulique  par  une  addition  d'argile 
sans  préparation  ;  Smeaton  méconnaissant,  après  ses 
essais  multipliés,  la  nécessité  de  la  cuisson  de  l'argile, 
montra  d'ailleurs,  beaucoup  mieux  que  tous  les  raison- 
nements ne  sauraient  le  faire ,  l'immense  distance  qm 
sépare  de  simples  aperçus  d'une  découverte  réalisée  et 
complète. 

M.  Vicat  a  étendu  ses  heureuses  investigations  à  tout 
ce  qui  concerne  le  rôle  que  la  chaux  peut  jouer  dans  les 
maçonneries  ;  ainsi,  l'art  du  chaufournier,  l'art  de  chas- 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  499 

scr  le  plus  sûrement  et  le  plus  économiquement  possible 
l'acide  carbonique,  un  des  principes  constituants  des 
rociies  calcaires,  est  redevable  d'importantes  remarques 
aux  travaux  de  notre  célèbre  ingénieur  ;  ainsi,  après  les 
directions  précises  que  ces  travaux  renferment,  personne 
ne  pourrait  hésiter  sur  les  essais  à  faire,  pour  prévoir  à 
coup  sûr  les  qualités  que  développeront  à  la  longue  des 
échantillons  de  chaux  donnés;  ainsi,  ceux  qui  voudront 
savoir  quel  procédé  il  importe  de  suivre  pour  éteindre  les 
chaux  de  diverses  catégories,  consulteront  avec  beaucoup 
de  fruit  les  résultats  des  expériences  de  M.  Vicat;  ainsi, 
le  choix  des  matières  qui  concourent  avec  les  chaux  de 
toute  nature  à  la  fabrication  des  mortiers,  ne  sera  plus 
livré  à  une  aveugle  routine. 

Le  besoin  d'abréger  nous  impose  l'obligation  de  faire 
seulement  mention  de  cette  partie,  d'ailleurs  si  intéres- 
sante, des  recherches  de  M.  Vicat.  Nous  supprimons 
aussi,  par  le  même  motif,  l'analyse  des  considérations 
théoriques  Irès-délicates,  à  l'aide  desquelles  notre  ingé- 
nieur explique  l'action  graduelle  et  longtemps  prolongée 
des  chaux,  sur  les  matières  qu'on  mêle  à  elles  pour  en 
faire  du  mortier. 

Nous^  regrettons  d'autant  plus  d'être  forcé  de  nous 
restreindre,  qu'il  nous  eût  été  particulièrement  agréable 
de  rendre  pleine  justice  aux  très-belles  expériences  de 
M.  Berthier,  un  des  plus  habiles  chimistes  dont  la  France 
puisse  s'honorer. 


500  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 


IL    CIMENTS. 

M.  Vicat  s'est  également  occupé  avec  succès  des 
ciments. 

Les  architectes  distinguent  les  ciments  des  mortiers 
d'après  l'aspect  physique.  Le  sable  contenu  dans  le  mor- 
tier y  existe  à  l'état  de  mélange,  sous  forme  de  gravier 
plus  ou  moins  grossier,  plus  ou  moins  apparent.  La  pâte 
du  ciment  paraît  homogène,  quoiqu'elle  renferme,  à  la 
fois,  de  la  chaux,  de  la  silice  et  de  l'alumine. 

Aucune  matière  n'a  joui  de  plus  de  célébrité  parmi  le> 
constructeurs,  que  le  produit  connu  encore  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  ciment  romain. 

Ce  ciment  qui,  à  l'origine,  s'appelait  ciment  aquatique, 
fut  fabriqué,  dès  l'année  1796,  par  MM.  Parker  et 
Wvatts.  Il  était  le  résultat  de  la  torréfaction  de  certains 
galets  calcaires  ovoïdes  qu'on  trouve,  en  assez  grande 
abondance,  à  quelque  distance  de  Londres. 

Le  ciment  romain,  gâché  en  pâte  un  peu  consistante, 
se  soHdifie  en  quelques  minutes  à  l'air  ou  dans  l'eau.  Il 
est  certains  travaux,  le  tunnel  sous  la  Tamise  par  exemple, 
qui  n'auraient  pas  pu  être  exécutés  sans  ciment  romain. 
Dans  d'autres  circonstances,  cette  solidification  très- 
rapide  devient  un  obstacle  réel.  On  remplace  alors  le 
ciment  par  du  mortier  hydraulique  dont  le  prix  est  d'ail- 
leurs beaucoup  moins  élevé. 

Parker  et  Wyatts  fabriquaient  leur  ciment  romain  et 
le  vendaient  à  toute  l'Europe;  les  constructeurs  en  fai- 
saient usage  ;  mais  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  se  rendaient 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.         504 

compte  de  la  cause  réelle  de  ses  singulières  propriétés. 
La  découverte  de  cette  cause  appartient,  ce  nous  semble, 
incontestablement  à  M.  Vicat.  Nous  trouvons,  en  effet, 
qu'après  avoir  indiqué  la  proportion  d'argile  cuite  qui 
rend  une  chaux  hydraulique,  Thabile  expérimentateur 
publiait,  en  1817,  cette  remarque  catégorique  : 

«Lorsque  l'on  force  cette  dose  (la  dose  d'argile)  jus- 
qu'à 33  ou  40  p.  0/0,  on  obtient  une  chaux  qui  ne  s'éteint 
pas;  mais  elle  se  pulvérise  facilement  et  donne,  quand  on 
la  détrempe,  une  pâte  qui  prend  corps  sous  l'eau  très- 
promptement.  » 

La  proportion  d'argile  précitée  est  justement  celle  de 
la  matière  qui  sortait  des  fours  de  MM.  Parker  et  Wyatts. 
M.  Vicat  fit  donc  de  toutes  pièces,  dès  1817,  non-seu- 
lement de  la  chaux  hydraulique,  mais  encore  du  ciment 
romain. 

La  mission  de  vos  commissaires  ne  comporterait  pas 
la  citation  de  faits  purement  scientifiques;  aussi  s'empres- 
sent-ils de  remarquer  que  la  découverte  de  notre  ingé- 
nieur sur  les  ciments  est  entrée  largement  dans  le  do- 
maine des  applications.  Ici,  comme  à  l'occasion  des  chaux 
hydrauliques,  ainsi  qu'on  le  verra  tout  à  l'heure,  la  géo- 
logie, éclairée  par  M.  Vicat  sur  l'importance  industrielle 
des  calcaires  fortement  argileux,  a  tourné  de  ce  côté  ses 
utiles  investigations,  et  les  constructeurs  français,  na- 
guère tributaires  de  l'Angleterre,  connaissent  aujourd'hui 
une  multitude  de  localités  où  ils  peuvent  préparer  du 
ciment  romain.  M.  Vicat,  pour  son  compte,  en  a  signalé 
l)lus  de  400.  Cette  nouvelle  industrie  est  exploitée  avec 
avantage  dans  beaucoup  de  nos  départements. 


502  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

Si  les  bornes  de  ce  rapport  nous  le  permettaient,  nous 
pourrions  citer  ici  plusieurs  personnes  qui  se  sont  rendues 
recommandables  par  la  découverte  de  carrières  de  ciment 
romain,  et,  entre  autres,  un  habile  ingénieur  des  ponts 
et  chaussées  que  la  Chambre  des  députés  a  compté  parmi 
ses  membres,  M.  l'ingénieur  en  chef  Lacordaire. 


III.    POUZZOLANES    ET    TRASS. 

Les  pouzzolanes  naturelles  avaient  joué  un  rôle  trop 
important  dans  les  mains  des  anciens  architectes,  le  trass 
sous  la  truelle  des  constructeurs  du  moyen  âge,  pour  que 
M.  Vicat  pût  se  dispenser  d'étudier  leur  mode  d'action. 
Malgré  toutes  les  difficultés  du  sujet,  le  succès,  au  point 
de  vue  des  applications,  a  couronné  complètement  les 
patientes  et  laborieuses  investigations  de  l'ingénieur. 

On  donne  le  nom  de  pouzzolane  à  une  matière  d'origine 
volcanique  qui  existe  en  grande  abondance  près  de  la 
ville  de  Pouzzole  et  aux  environs  de  Rome. 

Le  trass  est  un  conglomérat,  également  volcanique, 
exploité  sur  les  bords  du  Rhin,  et,  particulièrement, 
dans  les  environs  d'Andernach. 

Pour  rendre  une  chaux  grasse  hydraulique,  il  suffit  de 
la  gâcher  avec  des  proportions  convenables  de  pouzzo- 
lane ou  de  trass. 

Qu'imaginer  de  plus  shnple,  de  plus  commode?  Hais, 
dans  une  multitude  de  localités,  le  prix  du  transport 
devait  rendre  impossible  l'usage  du  trass  ^  tout  aussi 
bien  que  celui  de  la  pouzzolane.  De  là ,  nûUe  tentatives 
pour  préparer  des  matières  qui  possédassent  les  mêmes 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  503 

propriétés.  Chaptal  crut  avoir  résolu  le  problème  en 
calcinant  très -fortement  certains  schistes,  ou  quelques 
argiles  ocreuses.  Mais  en  supposant  les  propriétés  du  trass 
et  de  la  pouzzolane  reproduites  ainsi,  la  difficulté  n'au- 
rait été  que  reculée  :  les  schistes  essayés  par  Chaptal  ne 
sont  pas  communs  en  France;  il  y  avait  d'ailleurs  dans 
l'opération  recommandée,  ra^me  en  employant  l'argile 
ocreuse,  une  circonstance,  la  très -haute  température, 
qui  devait  inévitablement  faire  manquer  le  but. 

M.  Vicat  reprit  la  question  dans  ses  éléments.  Voici  la 
solution  qu'il  trouva  : 

On  peut  obtenir  des  pouzzolanes  artificielles,  supé- 
rieures ,  ou  tout  au  moins  égales  aux  meilleures  pouzzo- 
lanes d'Italie,  par  une  modification  particulière  de  l'argile 
la  plus  pure  possible.  Cette  modification  s'obtient  en  cal- 
cinant légèrement  l'argile;  en  se  bornant  à  lui  enlever 
son  eau  de  combinaison;  en  ne  portant  sa  température 
qu'entre  600  et  700  degrés  centigrades. 

L'esprit  se  repose  avec  satisfaction  sur  les  solutions 
des  problèmes  industriels,  quand  elles  ont  cette  admi- 
rable simplicité.  D'autre  part,  on  reste  émerveillé  en 
voyant  une  opération  tellement  facile  que  les  ouvriers 
l'appellent  un  taur  de  main ,  doter  un  royaume ,  disons 
mieux ,  le  monde  entier,  d'une  matière  éminemment  utile 
et  qui  semblait  devoir  rester  la  propriété  privilégiée  de 
quelques  coins  de  terre,  jadis  le  siège  d'éruptions  vol- 
caniques. 

Nous  croirions  manquer  à  un  devoir  si ,  après  avoir 
cité  les  découvertes  capitales  de  M.  Vicat  touchant  la 
question  si  délicate  des  pouzzolanes,  nous  ne  disions  pas 


504  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQVKS. 

qu'un  officier  du  génie,  M.  le  général  Treusssrt,  dont 
'armée  tout  entière  a  vivement  déploré  la  mort  préma- 
turée ,  a  laissé  sur  ce  sujet  un  ouvrage  rempli  d^utiles 
observations  et  de  remarques  précieuses. 

Les  publications  de  M.  Yicat  avaient  depuis  longtemps 
satisfait  à  tous  les  besoins  de  Fart,  pour  les  travaux  à 
exécuter  dans  Teau  douce,  le  long  des  canaux,  sur  les 
rivières  et  les  fleuves.  L'eau  de  mer  vient  de  faire  surgir 
des  difficultés  très-graves  que  personne  ne  soupçonnait 
M.  Vicat  aura  le  double  mérite  d'avoir  signalé  le  mal  et 
indiqué  le  remède. 

D'après  des  études  récentes  de  M.  Vicat,  l'eau  de  mer 
a  quelque  tendance  à  décomposer  tous  les  béions  possibles. 
Elle  peut  attaquer  indistinctement  ceux  dans  lesquels  il 
entre  des  chaux  grasses  ou  des  chaux  hydrauliques ,  des 
pouzzolanes  naturelles  ou  des  pouzzolanes  artificielles. 
Cette  tendance  résulte  de  la  présence,  dans  l'eau  de  mer, 
de  certains  acides  qui  ont  une  grande  affinité  pour  la 
chaux  et  l'enlèvent  aux  bétons.  M.  Vicat  a  trouvé  les 
moyens  de  combattre  une  action  si  funeste  et  de  la  vaincre. 
11  est  actuellement  en  mesure  d'indiquer  les  chaux,  les 
pouzzolanes ,  les  ciments  qui ,  préparés  par  ses  anciens 
procédés,  résisteront  naturellement  à  l'action  destnictive 
de  l'eau  de  mer,  et  quant  aux  autres,  de  caractériser  les 
modifications  qu'elles  devront  subir  pour  acquérir  cette 
même  force  de  résistance.  On  concevra  que,  dans  une 
question  si  délicate,  M.  Vicat  ne  se  soit  pas  hâté  de  faire 
connaître  ses  découvertes.  Nous  pouvons  annoncerqu'elles 
seront  prochainement  livrées  au  public.  Il  est  même  juste 
de  dire  qu'on  leur  est  déjà  redevable  du  rejet  d'une  nature 


CHArX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  505 

particulière  de  pouzzolane  proposée  pour  le  port  d'Alger, 
et  dont  remploi  eût  été  suivi  de  déplorables  événements.  La 
réserve  dans  laquelle  M.  Vicat  s'était  sagement  renfermé, 
lui  permettra  de  s'étayer,  en  faveur  de  ses  méthodes, 
d'une  expérience  capitale  et  décisive  :  les  pouzzolanes 
artificielles ,  employées  avec  tant  de  succès  à  Calais  par 
M.  l'ingénieur  en  chef  Néhou,  se  trouvent  satisfaire  fortui- 
tement aux  conditions  de  conservation  des  maçonneries 
dans  l'eau  de  mer,  posées  dans  le  nouveau  travail  de 
M.  Vicat. 

IV.    STATISTIQUE    DES    CHAUX    HYDRAULIQUES. 

Les  moyens  de  fabrication  recommandés  par  M.  Vicat 
n'eurent  pas  le  sort  ordinaire  des  choses  nouvelles.  Les 
avantages  étaient  d'une  évidence  palpable,  et  la  routine 
s'avoua  vaincue  du  premier  coup.  Quelques  mois  à  peine 
s'étaient  écoulés  depuis  la  publication  du  Mémoire  de 
M.  l'ingénieur  en  chef  du  pont  de  Souillac,  et  déjà  l'on 
faisait  usage  à  Paris  de  chaux  hydraulique  artificielle 
dans  l'exécution  des  quais,  aux  abords  du  pont  d'Iéna, 
dans  la  construction  des  quatre  grands  abattoirs ,  dans 
les  travaux  du  canal  Saint-Martin. 

Plus  tard,  la  chaux  hydrauhque  artificielle  a  été  moins 
employée;  on  la  remplace  aujourd'hui  par  de  la  chaux 
naturelle  dont  le  prix  est  plus  bas ,  et  qui  est  douée  des 
mômes  propriétés  ;  mais ,  hâtons-nous  de  le  remarquer, 
ici  encore ,  on  est  principalement  redevable  à  M.  Vicat  de 
nouvelles  richesses  que  les  constructeurs  mettent  journel- 
lement en  œuvre  sur  tous  les  points  du  royaume. 

Notre  ingénieur  avait  trop  de  pénétration  pour  ne  pas 


506  CUÂUX  ET  MORTIERS  HTDRÂULIOUBS. 

remarquer  que  si,  d'après  sa  découverte,  la  chaux  devient 
hydraulique  à  Tâide  d'une  simple  additioB  d'argile,  il 
devait  y  avoir  dans  la  quantité  innombrable  de  formations 
calcaires  argileuses  qui  existent  dans  notre  pays,  beau- 
coup de  gites  très-propres  à  fournir  par  la  cuisson ,  de  la 
chaux  hydraulique  naturelle.  Cette  idée  a  dominé  M.  Yicat. 
Depuis  douze  années ,  il  a  exploré ,  de  ce  point  de  vue , 
presque  tous  nos  départements.  Ses  publications ,  sous  le 
nom  modeste  de  Statistique  des  chaxix  hydrauliques ,  ont 
révélé  cette  inappréciable  richesse  dans  une  foule  de  loca- 
Utés  où  elle  n'était  pas  même  soupçonnée.  Les  départe- 
ments où  Ton  trouve  la  chaux  hydraulique  naturelle  en 
plus  grande  abondance ,  sont  :  les  départements  du  Lot, 
du  Lot-etr-Garonne,  du  Tarn,  de  la  Dordogne,  du  Gard, 
de  TArdèche,  de  la  Drôme,  du  Gers,  de  la  Charente, 
de  l'Hérault,  du  Cher,  de  l'Allier,  de  la  Nièvre,  de 
l'Yonne,  de  la  Côte-d'Or,  de  l'Ain,  de  l'Isère,  du  Jura, 
du  Doubs ,  du  Haut-Rhin ,  etc.  Sur  quatre-vingts  dépar- 
tements déjà  explorés,  il  n'en  est  que  six  ou  sept,  à 
terrains  primordiaux,  où  la  chaux  hydraulique  manque 
entièrement. 

Nous  allons  rapporter  deux  faits  qui  montreront  d'une 
manière  frappante  où  en  étaient  les  connaissances  des 
hommes  de  l'art  sur  les  ressources  de  notre  pays  en 
chaux  hydrauliques,  au  moment  où  M.  Yicat  conmiença 
ses  explorations. 

Lorsque  cet  mgénieur  se  rendit  à  Marseille,  on  y  creu- 
sait un  nouveau  bassin.  Les  entrepreneurs  se  débarras- 
saient à  grands  frais  d'une  immense  quantité  de  déblais 
calcaires.  Toute  vérification  faite,  M,  Yicat  reconnut  que 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  507 

ces  matières  auraient  pu  fournir  la  chaux  hydraulique 
nécessaire  à  l'entière  construction  du  bassin. 

Voici  un  fait  encore  plus  remarquable ,  surtout  par  les 
conséquences  qu'il  a  eues  : 

A  l'époque  de  l'exécution  des  canaux  de  Bretagne, 
l'administration  était  très -embarrassée  de  savoir  où  elle 
se  procurerait  la  chaux  hydraulique.  M.  Vicat  reçut  la 
mission  de  visiter  les  lieux,  et,  presque  immédiatement, 
il  reconnut,  dans  les  carrières  de  Pompcan,  près  de 
Rennes,  entre  les  couches  de  pierre  à  chaux  grasse 
exploitées  de  temps  immémorial,  un  banc  marneux  ver- 
dàtre,  désigné  sous  le  nom  de  brûle- mort-vert^  que  les 
chaufourniers  rejetaient  avec  le  plus  grand  soin.  Ce  banc 
dédaigné  a  non -seulement  fourni,  après  l'examen  de 
M.  Vicat,  à  tous  les  travaux  de  la  Vilaine  et  du  canal 
d'Isle-et-Rance,  mais  il  est  devenu  la  seule  ressource 
de  cette  partie  du  royaume  pour  toutes  les  constructions 
hydrauliques  qu'on  y  exécute, 

V.    CONSIDÉRATIONS    ÉCONOMIQUES. 

Le  prix  de  la  chaux  entre  presque  toujours  pour  une 
part  considérable  dans  le  prix  des  maçonneries.  Les 
chaux  ont  des  propriétés  très-diverses  qui  décident  de  la 
durée  des  constructions  et  du  mode  de  leur  exécution. 
Dans  les  contrées  où  la  chaux  est  abondante  et  de  bonne 
qualité ,  les  édifices  durent  des  siècles  sans  avoir  cepen- 
dant exigé  des  dépenses  ruineuses.  On  peut  y  construire, 
même  pour  les  habitants  les  plus  pauvres,  des  demeures 
salubres,  peu  exposées  aux  incendies;  d'une  solidité  à 


508  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

répreuve  des  ouragans,  des  pluies  diluviales  et  des 
débordements.  C'est  par  de  telles  applications  que  Ic^ 
travaux  des  ingénieurs,  des  chimistes,  méritent  surtout 
de  fixer  l'attention  des  pouvoirs  publics  et  des  législa- 
teurs. Arrêtons  un  moment  nos  regards  sur  cette  phase 
de  la  question  ;  cherchons  à  évaluer  en  nombres  les  ser- 
vices que,  sous  ce  rapport,  M.  Vicat  a  rendus  à  son  pays. 

C'est  à  Paris  que  les  procédés  de  M.  Vicat  reçurent 
d'abord  une  vive  impulsion  par  les  soins  de  M.  Bruyère; 
c'est  à  Paris  que  nous  trouverons  une  première  évalua- 
tion des  économies  que  ces  procédés  ont  amenées. 

Avant  1818 ,  les  travaux  hydrauliques  de  la  capitale 
étaient  presque  tous  exécutés  en  plâtre  ou  avec  de  la 
chaux  grasse.  De  là,  de  nombreuses  et  très  -  coûteuses 
réparations  annuelles.  Depuis  1818,  date  des  premières 
publications  de  M.  Vicat,  on  a  eu  recours  à  la  chaux 
hydraulique.  C'est  la  chaux  hydrauHque  qui  donnera  aux 
constructions  nouvelles  une  durée  à  peu  près  indéfinie. 

La  même  solidité  aurait  été  obtenue  avec  de  la  chaux 
de  Senonches;  mais  la  chaux  de  Senonches,  rendue  à 
Paris,  coûte  de  80  à  90  francs  le  mètre  cube ,  tandis  que 
la  chaux  provenant  des  carrières  à  plâtre ,  cette  chaux 
que,  avant  les  recherches  de  M.  Vicat,  on  jetait  dans  les 
décharges ,  vaut  environ  ftO  francs.  Cette  différence  de 
prix ,  appliquée  au  volume  de  37,000  mètres  cubes  de 
chaux  que  les  ingénieurs  de  Paris  ont  employés,  de  1818 
à  1841  ,  à  la  construction  des  égouts,  des  réservoirs 
d'eau ,  des  canaux ,  etc. ,  correspond  à  une  économie  de 
plus  de  1,500,000  francs. 

Un  des  membres  de  votre  commission  dirigeait  une 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  5ûd 

partie  des  travaux  de  l'enceinte  continue  de  la  capitale. 
Il  s'est  empressé  de  mettre  sous  les  yeux  de  ses  collègues 
des  tableaux  détaillés ,  desquels  il  résulte,  avec  une 
entière  évidence ,  que ,  dans  la  seule  chofferie  de  Belle- 
ville,  pendant  les  années  1840  ,  &!  ,  42 ,  AS  et  44 ,  une 
économie  de  plus  d'un  demi-million  a  été  la  conséquence 
de  l'exploitation  d'une  certaine  chaux  trouvée  sur  place, 
dont  on  n'aurait  certainement  fait  aucun  cas  avant  les 
savantes  publications  de  M.  Vicat. 

Nous  passerons  maintenant  à  des  tableaux  où  les  éco- 
nomies, résultant  innnédîatement  des  recherches  du 
célèbre  ingénieur ,  se  présenteront  sur  une  bien  plus 
grande  échelle. 

1**  Relevé  des  écluses  et  barrages  construits  en  France^  en 
vertu  des  lois  du  5  août  1821  et  du  14  août  1822. 


Noms 
des  canaux. 


Du  Rhône  au  Rhin . . . , 

De  la  Somme 

Des  Ardennes 

De  la  rivière  d*lsle. . . 
D'Aire  à  la  Bassée... . 

De  Bourgogne 

De  Nantes  à  Brest  ... 

D'Isle-et-Rance 

Du  Blavet 

D'Arles  à  Bouc 

Du  Nivernais ^,, 

Du  Berry 

Latéral  à  la  Loire.. . . 
De  la  rivière  du  Tarn 
De  roise 


Nombre 
d*écluses. 

Nombre 
des  barrages. 

162 

24 

69 

«59 .  • .  • 

t    .    .             OiJ 

it 

191 

234 

28 

^o . . • • 

...     28 

U 

114 

115 

45 

q 

/  •   ■   •    • 

...       7 

Total 1049  83 


540  CHAUX  BT  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

2*  Écluses  et  barrages  des  canaux  entrepris  en  vertu 
des  lois  des  3  juillet  1838  et  S  juillet  1 840. 

D'autre  part. . .  1069  D'autre  part.    83 

De  la  Marne  au  Rhin 180 

Latéral  à  la  Garonne 50 

Perfectionnements  de  naviga- 
tion en  rivière. 

Partie  latérale  à  la  Marne 14 

Charente ; 10 

Dordogne 9 

Tarn 6 6 

Lot 80 47 

Totaux i3li%  136 

Autrefois  une  écluse  ne  pouvait  être  solidement  fondée 
que  sur  des  grillages  en  charpente  avec  épuisements. 
On  la  bâtissait  en  totalité  avec  de  la  pierre  de  taille  ; 
encore,  après  toutes  ces  précautions,  était-elle  sujette  à 
de  fréquentes  dégradations  par  la  détérioration  des  mor- 
tiers de  l'intérieur  des  maçonneries.  A  raison  de  ce  mode 
de  construction ,  à  raison  surtout  des  épuisements ,  cer- 
taines écluses  coûtèrent  jusqu'à  trois  cent  mille  francs. 
En  moyenne,  la  dépense  n'était  pas  au-dessous  de 
100,000  francs.  Aujourd'hui ,  grâce  à  la  suppression  des 
épuisements ,  des  bâtardeaux ,  etc. ,  grâce  à  remploi  de 
petits  matériaux  que  permet  la  chaux  hydraulique,  ce  prix 
varie  entre  38,000  et  50,000  francs.  L'économie  mini- 
num  par  écluse  est  donc  de  50,000  francs,  et  sur  les 
1340  écluses,  de  67  millions. 

Un  barrage  en  rivière  coûte ,  à  cause  de  la  largeur  du 
lit  et  de  quelques  difficultés  spéciales,  autant  que  plu- 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES,  5H 

sieurs  écluses;  nous  admettrons,  en  moyenne,  que  cha- 
que barrage  vaut  deux  écluses;  à  ce  compte,  les  cent 
trente-six  barrages  cités  représenteront  une  économie 
de  13,600,000  francs. 

Nous  ne  pouvons  rien  donner  d'aussi  précis,  faute  de 
documents,  sur  les  travaux  hydrauliques  appliqués  au 
perfectionnement  de  la  navigation  des  rivières ,  consistant 
en  baiTages  isolés,  en  barrages  à  pertuis,  en  épis ,  etc.  ; 
mais  on  conçoit  sans  peine ,  d'après  ce  qui  précède  ,  que 
ces  constructions  ne  sauraient  figurer  dans  ce  résumé, 
pour  une  économie  de  moins  de  20  millions. 

Dans  les  travaux  en  projet  destinés  à  compléter  le 
système  de  navigation  intérieure,  on  compte  910  écluses 
et  41  barrages.  En  appliquant  ici  les  chiffres  précédem- 
ment établis,  on  arrive  pour  ces  futurs  travaux  à  une 
économie  de  49  millions. 

3'  Grands  ponts  en  pierre  de  taille;  ponts  moyens 

et  autres. 

Pour  établir  une  comparaison  suffisamment  exacte 
entre  ce  que  coûtaient  les  ponts  fondés  par  caissons  et 
pilotis ,  et  ce  qu'ils  coûtent  aujourd'hui  par  la  fondation 
en  bctonncment,  il  faut  prendre  une  unité  de  comparaison 
indépendante  du  nombre  et  des  dimensions  des  arches  et 
de  leur  largeur.  Ce  sera  le  mètre  carré  de  surface  com- 
prise entre  les  parapets  que  nous  choisirons. 

En  procédant  ainsi ,  on  a  trouvé  pour  les  ponts  à  cais- 
sons et  pilotis  dans  lesquels  la  substitution  de  la  nouvelle 
méthode  à  l'ancienne  eût  été  possible ,  que  le  mètre  carré 
a  coûté  en  moyenne  1,312  francs. 


542  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

Or,  pour  les  ponts  placés  dans  des  circonstances 
toutes  pareilles  sur  des  fleuves  ou  rivières  à  grands 
débouchés,  mais  fondés  par  bélonnement,  le  mètre  carré 
a  coûté  en  moyenne  625  francs.  Le  rapport  de  la  dépense 
ancienne  à  la  dépense  nouvelle  est  de  100  à  47.  A  ce 
compte,  un  pont  fondé  comme  celui  d'Iéna  ou  de  Sèvi'es, 
coûtant  moyennement  2,600,000  fr.,  un  pont  semblable, 
fondé  suivant  la  nouvelle  méthode ,  ne  coûtera  que 
1,222,000  francs.  Partant,  l'économie  par  pont  sera 
de  1,378,000  francs.  Depuis  1818,  il  y  a  eu  dix-neuf 
grands  ponts  semblables  fondés  par  bétonneinent ,  ce 
qui  représente  une  économie  de  26,182,000  francs. 

Si  des  grands  ponts  nous  passons  aux  ponts  moyens 
de  15  à  20  mètres  d'ouverture  pour  chaque  arche ,  nous 
trouvons  qu'il  faut  en  porter  le  nombre  à  trente.  Chacun, 
toute  proportion  gardée,  offre  une  économie  de  235,000 
francs,  ce  qui  fait  pour  les  trente,  7,050,000  francs. 

Quant  aux  ponts  d'une  seule  arche  de  15  à  20  mètres 
d'ouverture,  il  en  a  été  construit  plus  de  mille,  dans  l'in- 
tervalle de  vingt-cinq  ans,  tant  sur  les  routes  royales  que 
sur  les  routes  départementales.  Pour  chacun  de  ces  ponts, 
l'économie  moyenne  résultant  de  la  suppression  des  épui- 
sements et  du  remplacement  de  la  pierre  de  taille  par  le 
béton  dans  la  fondation,  s'élève  à  25,000  francs.  Le  total 
est  de  25  millions. 

4*  Ponts  smpendus. 

A  la  date  du  1"  juillet  1843,  il  avait  été  concédé  327 
ponts  suspendus,  ayant  une,  deux,  trois  et  quatre  tra- 
vées. Afin  de  rester  au-dessous  de  la  vérité  dans  nos 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  543 

calculs,  nous  ne  compterons  que  327  travées  de  100 
mètres  chacune,  coûtant  100,000  fr.  Déduisant  de  cette 
somme  30,000  francs,  prix  du  tablier  et  des  moyens  de 
suspension,  il  reste  70,000  francs  pour  les  fondations  et 
la  maçonnerie.  L'expérience  ayant  montré  que,  pour  les 
ponts  comme  pour  les  écluses,  la  dépense  a  baissé  de  plus 
de  moitié,  il  y  aurait  lieu  de  faire  ici  une  réduction  encore 
plus  considérable.  Toutefois ,  nous  ne  compterons  que 
moitié,  ce  qui  donne  pour  économie  le  montant  de  la 
dépense  actuelle,  ou  22,890,000  francs. 

5**  Rkcapitllation.  —  Économies  faites  sur 

la  construction  : 

Des  écluses 67,350,000  fr. 

Des  barrages  adjacents 13,600,000 

Des  barrages  isolés,  épis,  etc. . . .  20,000,000 

Des  grands  ponts 26,182,000 

Des  ponts  moyens 7,050,000 

Des  ponts  d'une  seule  arche 25,000,000 

Des  ponts  suspendus 22,890,000 

Total....  182,072,000  fr. 

Les  économies  qu'on  n'a  pu  apprécier  faute  do  docu- 
ments suffisants,  portent: 

P  Sur  les  ponts  en  bois  ou  en  fer  soutenus  sur  piles  en 
maçonnerie  ; 

2^  Sur  les  ponts  d'une  seule  arche  de  6  à  10  mètres 
d'ouverture; 

3°  Sur  les  quais,  digues  et  bassins,  etc.,  à  la  mer  ; 

4"  Sur  les  fondations  des  édifices  particuliers  et  publics 
dos  villes  ; 

5°  Sur  les  travaux  militaires. 

V.-n.  83 


5U  CHAUX  ÏT  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

Il  est  utile  de  remarquer  que  nous  n'avons  tenu  aucun 
compte  de  la  question  de  temps.  Or,  en  pareille  matière, 
le  temps  se  traduit  en  argent  et  devient,  financièrement 
parlant,  d'une  haute  importance.  Les  nouvelles  méthodes 
de  fondation  permettent  d'exécuter  en  un  ou  deux  ans , 
ce  qu'on  ne  pouvait  autrefois  terminer  qu'en  cinq  ou 
six.  Il  y  a  donc^  sous  ce  rapport  aussi,  un  bénéfice 
considérable. 

Une  conclusion  ressort  avec  évidence  de  tout  ce  qui 
précède  :  c'est  qu'en  supposant  l'art  des  constructions  tel 
qu'il  était  avant  1818,  tel  qu'il  était  avant  les  recherches 
de  M.  Vicat,  la  plupart  des  grandes  entreprises  en  cours 
d'exécution,  seraient  entièremçoit  paralysées  par  des 
considérations  de  temps  et  de  dépense. 

Qu'on  juge  par  les  économies  passées,  des  économies 
futures.  Celles-xi  devant  toujours  être  prcporUonnelles 
aux  masses  croissantes  des  travaux  d'art,  l'on  arrivera  à 
des  chiffres  qui  frapperont  d'étonnement  les  esprits  les 
plus  froids. 

Si  nous  ne  sentions,  Messieurs,  combien  la  récompense 
demandée  acquerra  de  prix  par  la  manière  solennelle 
dont  elle  pourra  être  accordée,  nous  aurions  vraiment 
supprimé  tous  ces  chiffres ,  toutes  cesTemarques.  Au  point 
de  vue  purement  financier,  que  sont,  en  effet  ,6,000  fr. 
de  rente  viagère,  à  côté  des  économies  colossales  dont  le 
pays  est  redevable  aux  travaux  de  M.  Vicatî 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUE^S.  515 

VL   DES  TRAVAUX  DE  M.   VICAT,  COMPARÉS 
A  CEUX  DBS  ANGIEfiS. 

Certains  érudits  professent  une  admiration  absolue, 
passionnée,  pour  les  monuments  de  F  antiquité.  Aies  en 
croire,  les  Grecs  et  les  Romains  avaient  tout  découvert 
dans  Part  des  constructions.  La  solidité  de  certains  édi- 
fices encore  debout  montre  que  les  architectes  niodernes 
sont  de  vrais  écoliers.  M.  Vicat  a  seulement  retrouvé 
des  méthodes  pratiquées  jadis  en  Egypte,  à  Athènes,  à 
Rome,  et  dont  le  souvenir  s'était  perdu  dans  les  temps  de 
barbarie. 

Quoique  nous  n'apercevions  pas  le  tort  que  ces  ré- 
flexions pourraient  faire  aux  travaux  de  M.  Vicat;  quoi- 
que la  découverte  d'une  vérité  perdue  nous  semble  devoir 
être  assimilée  à  la  découverte  d'une  vérité  nouvelle,  la 
commission  s'est  livrée  à  un  examen  minutieux  de  la  pré- 
tendue supériorité  des  anciens  sur  les  modernes  dans  l'art 
de  bâtir.  Nous  avons  cherché,  surtout,  si  cette  supério- 
rité serait  soutenable  en  présence  des  progrès  qui  sont 
dus  aux  découvertes  de  notre  célèbre  ingénieur. 

i  Des  mortiers  romains  durent  depuis  dix-huit  siècles. 
Un  grand  nombre  de  bâtisses  modernes  sont  dans  un 
état  déplorable.  » 

Ce  rapprochement  pèche  par  la  base.  Pour  lui  donner 
de  la  valeur,  il  faudrait  ne  mettre  en  parallèle  que  les 
grands  monuments  des  deux  époques.  Mais  alors  les  ré- 
sultats seraient  fort  dilTérents  de  ceux  dont  les  érudits 
prétendent  s'étayer. 

Les  remparts  de  la  Bastille  étaient  d'une  extrême  soli* 


51G  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

dite ,  rnéme  au  milieu  de  leur  épaisseur.  On  eut  recours 
à  la  mine  pour  les  détruire.  ^ 

La  poudre  devint  également  nécessaire  lorsqu'on  voulut, 
il  y  a  peu  d'années,  fuiro  disparaître  à  Agen  les  ruines 
d'un  pont  construit  vers  l'an  1200.  M.  Vicat  s'est  assuré 
lui-même  que  le  mortier  du  pont  de  Valentré,  bâti  à 
Cahors  en  IftOO,  surpasse  en  dureté  celui  du  théâtre 
antique  dont  on  voit  les  ruines  dans  la  même  ville. 

Les  architectes  anciens ,  comme  les  constructeurs  mo- 
dernes ,  bâtissaient,  suivant  la  nature  des  matériaux  dis- 
ponibles, et  aussi  suivant  des  exigences  financières,  soit 
des  édifices  inébranlables,  soit,  avec  les  mêmes  formes 
extérieures ,  des  temples ,  des  palais ,  des  niaisons  parti- 
culières sans  solidité.  Les  constructions  de  cette  dernière 
catégorie  devaient  rapidement  disparaître.  Les  autres  ont 
seules  résisté  aux  ravages  du  temps,  à  l'action  incessante 
des  Intempéries  des  saisons.  Les  admirateurs  aveugles 
des  siècles  passés  auraient-ils,  par  hasard,  oublié  ces 
paroles  si  précises  de  Pline  :  t  La  cause  qui  fait  tomber 
à  Rome  tant  de  maisons,  réside  dans  la  mauvaise  qualité 
du  ciment.  » 

Si,  comme  on  le  prétend,  les  Romains  connaissaient 
des  méthodes  certaines  pour  préparer  du  bon  mortier, 
on  devrait  trouver  cette  matière  dans  tous  leurs  monu- 
ments publics,  avec  des  qualités  à  peu  près  identiques. 
Or,  il  n'en  est  pas  ainsi,  tant  s'en  faut,  même  en  compa- 
rant les  différentes  parties  d'un  seul  édifice.  La  commision 
a  remarque  dans  plusieurs  publications  de  M.  Vicat,  des 
expériences  très-propres  à  éclaircir  ce  sujet  :  celles,  par 
exemple,  faites  avec  du  mortier  tiré  de  divers  points  du 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  517 

pont  du  Gard  ;  ces  expériences  donnent  des  résistances 
variant  dans  le  rapport  d'un  à  trois. 

Les  personnes  qui  voudront  se  livrer  à  de  senriblables 
comparaisons,  devront  se  ressouvenir  que  le  tenfips  ajoute 
sans  cesse,  dans  les  fondations,  à  la  dureté  du  mortier. 
Le  mode  d'action  par  lequel  ce  conglomérat  artificiel 
se  durcit,  acquiert  de  l'adhérence,  est  encore  un  sujet 
de  controverse  entre  les  savants  ;  mais  personne  ne  nie 
(jue,  dans  certaines  circonstances,  la  mystérieuse  ac- 
tion ne  puisse  se  continuer  pendant  une  longue  suite  de 
siècles. 

On  paraît  oublier  qu'en  ce  qui  touche  les  connaissances 
des  anciens  sur  l'art  de  bàtir,  nous  n'en  sommes  pas 
réduits  à  desimpies  conjectures.  Vitruve,  contemporain 
ot  architecte  d'Auguste,  nous  a  laissé  le  tableau  détaillé 
des  préceptes  en  usage  parmi  les  constructeurs  de  la 
Grèce  et  de  Rome.  Ces  préceptes  sont  loin  de  justifier 
l'admiration  sans  réserve  des  antiquaires. 

Les  anciens  n'étaient  en  possession,  cela  va  sans  dire, 
d'aucune  notion  exacte  concernant  la  modification  chi- 
mique qu'une  pierre  calcaire  éprouve  par  les  soins  du 
chaufournier,  modification  après  laquelle  sa  friabilité  est 
si  grande;  ils  ne  savaient  rien,  non  plus,  touchant  le 
genre  d'action  qui  restitue  aux  éléments  désagrégés  de 
cette  pierre  passée  à  l'état  de  chaux,  la  dureté  et  l'adhé- 
rence dont  le  feu  les  avait  privés.  Les  efforts  de  Vitruve 
pour  enchaîner  ces  phénomènes  dans  les  liens  d'une  expli- 
cation plausible  restèrent  sans  résultat.  Il  en  fut  de  même, 
jusqu'aux  découvertes  chimiques  de  Black  sur  l'acide 
carbonique,  des  tentatives  des  successeurs  les  plus  illus- 


618  CHAUX  BT  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

très  de  Yitruve  :  des  Scamozzy,  des  Philibert  Delorme, 
des  Perrault,  etc. 

Un  seul  mot  désabusera  tous  ceux  qui  se  persuadent 
que  les  erreurs  théoriques  de  ces  grands  architectes  étaient 
sans  conséquence.  Voyez  Philibert  Delorme  :  pour  arriver 
au  maximum  de  solidité  dans  les  édifices ,  il  croit  néces- 
saire que  la  chaux  ait  été  extraite  du  banc  même  de 
pierre  calcaire  dont  le  constructeur  tirera  les  matériaux 
de  sa  maçonnerie.  Cette  prescription ,  si  elle  était  stric- 
tement suivie,  amènerait  une  augmentation  de  dépense 
incalculable. 

Des  constructeurs  qui  se  réglaient,  dans  le  choix  de  leurs 
chaux ,  sur  la  couleur  de  la  roche  d'où  on  les  extrayait; 
qui  ne  connaissaient  aucune  chaux  hydraulique  naturelle  ; 
qui  prodiguaient  dans  leur  mortier  remploi  du  tuileau, 
des  briques  concassées ,  ne  sauraient  sans  une  profonde 
injustice  être  placés  en  parallèle  avec  les  constructeurs 
modernes.  Si  nous  mettons  à  part  de  très-belles  observa- 
tions sur  les  propriétés  des  pouzzolanes  naturelles,  sur  la 
possibilité  de  faire  usage  de  cette  matière  pour  créer 
d'énormes  blocs  factices  destinés  à  être  jetés  à  la  mer, 
nous  trouverons  que  les  Romains  ne  nous  ont  appris  rien 
d'essentiel  concernant  Fart  de  bâtir. 

Au  reste,  tout  ce  qu'on  tenterait  pour  exalter  le  mérite 
des  anciens  dans  l'art  des  constructions,  tournerait  à  la 
plus  grande  gloire  de  M.  Yicat.  Le  meilleur  mortier  extrait 
des  monuments  romains  avait,  après  deux  mille  ans 
d'ancienneté ,  une  dureté  précisément  égale  à  celle  que 
M.  Yicat  obtient  avec  ses  bonnes  chaux ,  dans  le  court 
intervalle  d'un  an  à  dix-huit  mois.  En  faisant  porter  la 


CHAUX  RT  &K)RTIEBS  HTDRAULIQtJES.  549 

comparaison  sur  les  résistances  moyennes,  l'avantage 
reste  dans  de  très-large»  proportions  au  mortier  moderne. 


VII.    OPINION   DES   CHIMISTES  ET   DES  CONSTRUCTEURS 
SUR   LES  TRAVAUX   DE  M.    ?ICAT. 

Les  découverte  de  M;  Vicat  sont  d'une  importance 
palpable.  Depuis  environ  un  quart  de  siècle,  tous  les 
constructeurs  en  font  leur  profit  ;  or,  en  pareille  matière,, 
chacun  doit  le  compr^dre ,  c'est  aux  praticiens  à  pro- 
noncer définitivement  Néanmoins,  pour  ne  négliger 
aucun  genre  d'information ,  la  commission  a  cru  conve- 
nable de  recueillir  aussi  les  opinions  des  chimistes,  des 
ingénieurs,  qui  se  sont  occupés  avec  le  plus  d'habileté 
et  de  profondeurdes  applications  des  sciences  aux  arts* 

Dans  celte  recherche,  nous  n'avons  trouvé  que  d^ 
appréciations  très-flatbeuses  des  travaux  du  célèbre  ingé- 
nieur; personne  ne  nous  a  paru  avoir  contesté  leur  nou- 
veauté. 

Le  premier  Mémoire  de  M.  Vicat  sur  la  production  de 
la  chaux  hydraulique  artificielle  est-il  présenté  à  l'Acar 
demie  des  Sciences,  ce  corps  savant  décide,  sur  la  pro- 
position de  MM.  de  Prony,  Girard  et  Gay-Lussac  y  que 
le  Mémoire  paraîtra  dans  la  collection  célèbre  intitulée  : 
Recueil  des  Savants  étrangers.  A  cette  approbation,  la 
plus  considérable  que  donnent  jamads  les  comoaissions 
académiques,  vient  se  joindre  bientôt  un  témoignage 
d'estime  fort  recherché  dans  le  monde  entier  ;  l'Aca- 
démie nomme  M.  Vicat  un  de  ses  correspondants. 

Le  conseil  des  Ponfts' et  Chaussées  appelé,  au  comh 


520  CHAUX  ET  MORTIERS  HTDRÂULIQUB& 

menceinent  de  Tannée  1818 ,  à  dire  son  avis  sur  la  for- 
mation artificielle  de  la  chaux  hydraulique ,  déclare ,  par 
Torgane  de  l'austère  et  très-habile  M.  Bruyère,  t  que  les 
avantages  des  nouveaux  procédés  seront  innombrables  ; 
qu'ils  dispenseront  de  l'emploi  ruineux  des  véritables 
pouzzolanes ,  et  de  celui  des  pierres  de  grandes  dimen- 
sions, prodiguées  dans  les  édifices  modernes,  malgré 
tant  d'exemples  contraires  offerts  par  les  Romains  et 
les  Goths.  On  peut  même  prévoir,  ajoutait  l'habile 
inspecteur  général ,  que  d'ici  à  quelques  années  il  ne 
sera  plus  permis  d'employer  d'autre  mortier  dans  les 
constructions  publiques,  i 

Lorsque  M*  Vicat  fait  connaître  la  première  partie  de. 
son  travail  statistique  sur  les  chaux  hydrauliques  de 
France ,  l'Académie  lui  décerne  une  des  médailles  fon- 
dées par  Monthyon, 

Écoutons  M,  Berthier,  le  juge  le  plus  compétent  des 
découvertes  de  M.  Vicat  qu'il  eût  été  possible  de  trouver 
dans  le  monde  entier  : 

«  Le  travail  de  M.  Vicat  sur  les  chaux  et  les  mortiers 
doit  être  placé  au  rang  des  plus  beaux  ouvrages  qui 
soient  dus  aux  membres  du  corps  des  Ponts  et  Chaus- 
sées. Sa  découverte  relative  à  la  fabrication  des  chaux 
hydrauliques  artificieHes  est  de  la  plus  haute  impor- 
tance.... En  la  rendant  publique,  M.  Vicat  a  agi  d'au- 
tant plus  noblement  qu'il  aurait  pu  en  tirer  un  parti  con- 
sidérable, soit  en  la  vendant,  soit  en  s'en  réservant 
l'exploitation  par  un  brevet  d'invention.  » 

M.  Dumas,  nous  ne  voulons  citer  que  de  très- grandes 
notabilités  scientifiques,    M#    Dumas  déclare  dans   sa 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  521 

Chimie  appliquée  aux  arlSj  que  la  solution  pratique  de 
la  question,  longtemps  débattue,  des  chaux  hydrau-- 
liques ,  est  due  tout  entière  aux  remarquables  travaux  de 
M.  Vicat.  En  parlant  des  pouzzolanes  artificielles,  l'il- 
lustre chimiste  ajoute  :  «  Ce  sont  pourtant  des  essais  de 
laboratoire  qui  ont  conduit  M,  Vicat  à  l'importante  décou- 
verte dont  il  a  enrichi  les  arts.  L'état  dans  lequel  il  avait 
trouvé  la  question ,  rend  cette  découverte  d'autant  plus 
remarquable.  » 

Nous  pourrions  emprunter  des  témoignages  également 
flatteurs  à  une  foule  d'écrits,  et  particulièrement  à  deux 
beaux  articles  de  M.  Chevreul,  insérés  dans  le  Journal 
des  Savants.  Ces  jugements,  malgré  les  sources  élevées 
d'où  ils  émanent,  ne  devaient  pas,  sans  doute,  empêcher 
la  commission  de  se  livrer  au  travail  minutieux  dont  la 
Chambre  a  entendu  les  résultats;  mais,  lorsque  par  ses 
propres  lumières,  elle  a  été  conduite  aux  opinions  pro- 
fessées à  l'Académie  des  Sciences,  et  aux  jugements  des 
Gay-Lussac,  des  Berthier,  des  Chevreul,  des  Dumas, 
des  Bruyère,  il  semblera  naturel  qu'elle  ait  désiré  se 
prévaloir  d'une  circonstance  qui  prouve  qu'elle  ne  s'est 
pas  égarée, 

VIII.    RÉSUMÉ. 

Efn  résumé  : 

M.  Vicat  a  démontré,  le  premier,  que  les  propriétés 
des  chaux  hydrauliques  naturelles  dépendent  de  l'argile 
disséminée  dans  le  tissu  de  ces  chaux ,  c'est-à-dire  d'une 
action  particulière  que  la  silice  réunie  à  l'alumine  exerce 


522  CHAUX  ET  KOBTIEBS'  H7D&jyULIQUBS. 

sur  la  chaux,  quand  ces  matières  ont  été  amenées  par  la 
cuisson  à  un  état  convenable, 

M.  Yicat  a  fait ,  le  premier,  de  la  chaux  hydraulique 
de  toutes  pièces,  non  pas  seulement  en  petit  dans  un 
laboratoire,  mais  très  en  grand  sur  ses  chantiers  du 
pont  de  Sodllac.  Les  piles  de  ce  beau  pont  reposent  sur 
des  masses  de  béton  formées  avec  de  la  chaux  hydrau- 
lique artificielle.  Depuis  les  travaux  de  M.  Vicat,  on 
peut  se  procurer  de  la  chaux  faisant  promptem^it  prfae 
dans  Teau,  partout  où  cette  nature  de  chaux  de\ient 
nécessaire. 

M.  Vicat  a  libéralement  livré  sa  découverte  au  public. 
H  est  certain  qu'en  s'assurant ,  à  Paide  d*un  brevet  d'in- 
vention ,  la  fabrication  privilégiée  de  la  chaux  hydrau- 
lique artificielle-,  cet  ingénieur  aurait  fait  une  fortune 
immense. 

La  première  découverte  de  M.  Vicat,  malgré  son 
importance ,  a  pâli ,  si  Texpression  nous  est  permise ,  h 
côté  des  conséquences  capitales  qu'elle  a  eue*.  Nous 
avons  vu  cet  ingénieur  infatigable ,  parcourant  la  France 
pas  à  pas,  recherchant  les  coucher  calcaires  marneuses, 
les  bancs  argileux  dans  lesquels  pouvaient  se  trouver 
naturellement  réunis  en  proportions  convenables ,  les  élé- 
ments constitutifs  des  chaux  hydrauliques  ;  nous  T avons 
suivi  pendant  douze  années  dans  celte  exploration  deve- 
nue tellement  fructueuse  que  l'on  connaît  maintenant  sur 
le  sol  français,  par  les  seules  indications  de  M.  Vicat, 
neuf  cents  carrières  propres  à  fournir  des  chaux  hydrau- 
liques ,  tandis  qu'auparavant  on  en  comptait  tout  au  plus 
huit  à  dix.  M.  Vicat  a  si  bien  apprécié  tout  ce  qu'il  y 


^ 


CHAUX  ET  MORTIERS  HTDRAULIQUIS.  513 

aura  de  glorieux  pour  lui  à  avoir  révélé,  à  avoir  mis  aux 
mains  des  constructeurs  tant  de  riches  matériaux  enfouis 
dans  les  entrailles  de  la  terre  ou  même  délaissés  à  la  sur- 
face, qu'afin  de  compléter  cette  œuvre ,  il  a  renoncé  à 
l'avancement  auquel  son  ancienneté  et  son  mérite  émi- 
nent  lui  donnaient  des  droits  incontestés  et  incontes- 
tables K 

Les  travaux  de  M.  Vicat  sur  les  pouzzolanes  ont  été 
également  clairs  et  décisifs.  H  en  est  résulté  que  tes 
argiles  les  plus  pures  peuvent  donner  des  pouzzolanes 
ailificielles ,  supérieures^  ou  au  moins  égales  aux  pouzzo- 
lanes d'Italie;  or,  comme  la  nature  a  déposé  de  l'argile 
avec  une  sorte  de  profusion  à  la  surface  du  globe,  rien 
n'empêchera  aujourd'hui  d'obtenir  à  bon  marché  des 
pouzzolaaes  énergiques,  en  quelque  région  du  pays  qu'on 
se  trouve. 

La  France  qui ,  avant  M.  Vicat ,  était  tributaire  de 
l'Angleterre  pour  le  ciment  romain,  pourrait  aujourd'hui 
satisfaire  à  tous  les  besoins  de  l'Europe  entière. 

Le  système  général  de  fondationi^  par  voie  de  bétoi^- 
nement  date  dfes  découvertes  que  nous  avons  analysées:, 
et  particulièrement  des  beaux  travaux  du  pont  de 
Souillac.  Les  ingénieurs  instruits  et  consciencieux  ne 
manquent  jamais  de  faire  une  large  part  à  M.  Vicat  dans 
les  succès  qu'ils  obtiennent,  alors  même  que  les  circon- 
stances leur  ont  permis  de  recourir  exclusivement  aux 
chaux  hydrauliques  et  aux  pouzzolanes  naturelles.  C'est 

1.  M,  Vicat,  nommé  inspecteur  divisionnaire  sous  le  ministère  de 
M.  Dufaure,  a  demandé  à  rester  attaché,  avec  son  grade  d'ingénieur 
en  chef,  à  l'exploration  qu'il  avait  si  heureusement  commencée. 


524  CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES. 

ainsi ,  par  exemple,  qu'à  roccàsion  de  la  réussite  com- 
plète et  vraiment  extraordinaire  du  nouveau  bassin  de 
radoub  à  Toulon,  fondé  à  13  mètres  au-dessous  du 
niveau  de  la  mer,  l'habile  directeur  de  ce  travail,  M.  Noël, 
écrivait  le  24  avril  dernier  à  M.  le  sous-secrétaire 
d'État  des  travaux  publics  :  «Au  moment  où  la  loi  rela- 
tive à  M,  Vicat  va  être  discutée ,  j'ai  pensé  qu'il  ne  serait 
pas  inutile  de  porter  à  votre  connaissance  un  fait  qui , 
en  montrant  ce  qu'on  peut  obtenir  pour  les  bétonnages, 
donne  une  nouvelle  importance  aux  travaux  de  l'illustre 
ingénieur  qui  a  fait  faire  de  si  gands  progrès  à  notre 
art.  » 

Grâce  aux  veilles  laborieuses  et  persévérantes  de 
M.  Vicat,  des  travaux  réputés  jadis  impossibles  s'exécu- 
tent aujourd'hui  à  coup  sûr  dans  toutes  les  parties  du 
royaume ,  et  sans  exiger  nulle  .part  des  dépenses  rui- 
neuses. 

Nous  ne  reproduirons  pas  les  nombres  que  nous  avons 
donnés,  concernant  les  économies  qui,  dans  les  seuls 
travaux  publics ,  peuvent  être  attribuées  à  l'invention 
principale  de  M.  Vicat.  Ces  nombres  ont  dû  se  graver 
dans  tous  les  esprits.  On  citerait,  en  effet,  difficilement, 
une  découverte  qui  dans  le  court  intervalle  de  vingt- six 
années,  ait  eu  de  si  colossales  applications,  de  si  utiles 
résultats. 

La  commission  pense,  à  l'unanimité,  qu'en  votant 
sans  aucune  modification  la  loi  qui  a  été  présentée  par 
M.  le  ministre  des  travaux  publics ,  on  ne  rendrait  pas 
à  M.  Vicat  une  justice  complète.  Elle  désirerait  que  la 
pension  viagère  de  6,000  fn  fût  accordée,  plus  explici- 


CHAUX  ET  MORTIERS  HYDRAULIQUES.  525 

tcraent,  à  titre  de  récompense  nationale.  Tel  est  le  seul 
changement  dont  le  projet  du  gouvernement  nous  ait 
paru  susceptible.  Nous  espérons  que  la  Chambre,  adop- 
tant nos  opinions  sur  les  services  rendus  au  pays  par 
M.  Vicat,  voudra  bien  donner  son  adhésion  à  Tamen- 
dement  que  nous  avons  l'honneur  de  lui  présenter.  M.  le 
ministre  des  travaux  publics  l'a  déjà  accepté. 

[Sur  ce  rapport,  le  projet  de  loi  du  gouvernement,  amendé  par 
M.  Arago,  a  été  adopté  sans  discussion  le  16  juin  1865. 

Du  reste,  dès  le  5  juin  1837,  M.  Arago  avait  appelé  l'attention  de 
la  Chambre  des  députés  sur  les  immenses  services  rendus  par 
M.  Vicat  Apr^s  avoir  été  conduit  à  reprocher  à  Tadministration  de 
la  marine  le  dédain  qu'elle  avait  manifesté  plusieurs  fois  pour  les 
hommes  de  science,  il  ajouta  les  paroles  suivantes,  relatives  aux 
travaux  de  M.  Vicat  :  ] 

Les  reproches  que  je  viens  d'adresser  à  la  marine,  je 
pourrais  les  généraliser.  11  y  a  dans  d'autres  administra- 
tions des  inventeurs  qui,  eux  aussi,  ont  rendu  au  pays 
d'éminents  services,  des  services  qui,  évalués  en  argent, 
seraient  incalculables,  sans  qu'on  ait  songé  à  les  récom- 
penser. Qu'il  me  soit  permis,  dans  un  moment  où  nous 
sommes  saisis  de  tant  de  projets  de  constructions,  de 
citer  ici,  parmi  ces  inventeurs  dédaignés,  M.  Vicat. 
Quand  on  bâtit  dans  un  terrain  humide ,  quand  on  bâtit 
sous  l'eau,  on  a  besoin  d'une  espèce  de  chaux  particu- 
lière, d'une  chaux  à  la  solidification  de  laquelle  la  pré- 
sence de  l'eau  ne  fasse  pas  obstacle.  C»  tte  chaux,  on 
l'appelle  hydraulique.  Comment  autrefois  la  faisait-on? 
En  mêlant  de  la  chaux  ordinaire  avec  de  la  pouzzolane  de 
Naples  ou  avec  du  trass  recueilli  sur  les  bords  du  Rhin. 
Ainsi  jadis,  pour  construire  solidement  en  terrain  humide, 


5i6  GHA^UX  ET  MORTIERS  HYDRAULK^fiB. 

a  fallait  aller  se  pourvoir  de  certaines  matières  à  Naples 
et  sur  les  bords  du  Rhin.  Aujourd'hui,  grâce  aux  tra- 
vaux de  M.  Yicat,  il  n'est  pas  de  pays  où  on  ne  puisse 
faire  des  chaux  hydrauliques  de  toutes  pièces  ;  il  en  est 
niême  peu  où  Ton  n'en  trouve  de  naturelles.  Dans  Part  des 
constructions  c'est  une  révolution  totale  ;  eh  bien ,  celui 
qui  a  fait  cette  révolution ,  celui  qui  procure  aux  particu- 
liers et  au  gouvernement  une  économie  que  je  n'exagé- 
rerais peut-être  pas  en  la  portant  à  50  ou  60  millions 
pour  chaque  période  de  dix  ans,  n'a  pas  même  reçu  dans 
son  corps  un  avancement  auquel  son  mérite  lui  donne 
des  droits  incontestables» 


NAVIGATION 


I 

AMÉLIORATIOîi    DU    COURS    DE    LA    SEINE    DANS    PARIS 

[Dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés  du  2  mars  18/ii6,  à 
roccasion  d*un  projet  de  loi  sur  la  navigation  intérieure  de  la 
France,  M.  Arago  a  prononcé  le  discours  suivant,  dans  lequel  il 
traite  des  moyens  d'améliorer  le  coui-s  de  la  Seine  dans  Paris.  ] 

Messieurs,  il  y  a  dans  le  projet  de  loi  sur  lequel  nous 
sommes  appelés  à  délibérer  ,  des  questions  très-diverses. 
J'admets,  sous  le  bénéfice  de  quelques  observations  par- 
ticulières, les  solutions  qui  ont  été  proposées  par  le  gou- 
vernement. Je  donnerai  mon  assentiment  à  la  plupart  des 
améliorations  qu'on  propose  pour  nos  rivières.  Mais  il  y 
a  un  point  spécial  sur  lequel  je  suis  en  désaccord  com- 
plet avec  le  projet  ministériel  :  c'est  le  système  de  tra- 
vaux qu'on  nous  propose  pour  rendre  la  Seine  navigable 
dans  l'intérieur  de  Paris.  Ces  travaux  me  paraissent 
mesquins,  insuffisants  ;  ils  ne  répondraient  pas  aux  be- 
soins du  commerce  ,  et  compromettraient  un  projet  qui., 
sans  être  très-dispendieux,  aurait  de  la  grandeur  et  pour- 
rait être  substitué  avec  avantage  à  celui  que  l'administra- 
tion a  adopté. 

Voilà  la  thèse  que  je  traiterai  ;  f  espère  rendre  mes 
arguments  assez  claire  pour  ne  pas  abuser  de  l'attention 
de  la  Chambre. 


528  NAVIGATION. 

II  y  a ,  Messieurs ,  dans  la  traversée  de  Paris ,  une 
navigation  importante  :  c'est  la  navigation  descendante. 
La  navigation  montante,  comme  on  vous  Ta  dit,  est 
beaucoup  moins  considérable  ;  c'est  donc  la  navigation 
descendante  qu'il  faut  particulièrement  encourager. 

L'honorable  M.  Temaux  vous  a  fait  une  peinture  ani- 
mée et  très-juste  des  obstacles  que  rencontre  la  naviga- 
tion descendante,  navigation  active,  car  1,700  trains  de 
bois,  1,000  bateaux  chargés  de  diverses  marchandises 
descendent  la  Seine. 

Dans  le  passage  du  Pont-au-Change  au  pont  Notre- 
Dame,  il  existe  un  véritable  danger.  Il  y  a  là  une  forte 
chute  qu'il  faut  franchir.  Far  une  négligence  impardon- 
nable de  nos  pères ,  des  ingénieurs  qui  ont  construit  ces 
deux  ponts,  l'arche  marinière  du  pont  Notre-Dame  se 
trouve  précisément  en  face  de  la  première  pile  du  Pont- 
au-Change  ;  il  résulte  de  là  que ,  dans  le  court  intervalle 
d'un  pont  à  l'autre,  on  est  obligé  de  faire  des  manœuvres 
serpentantes,  difficiles,  qui  exigent  le  concours,  les  efforts 
de  mariniers  expérimentés.  Souvent  l'expérience,  la  force 
et  rhabileté  de  ces  hommes  d'élite  ne  suffisent  pas.  Aussi 
voit-on  bien  des  fois  des  bateaux  en  travers  des  arches 
du  Pont-au-Change ,  des  trains  de  bois  rompus  sur  les 
piles  ;  tout  ce  qu'a  dit  à  Cet  égard  M.  Ternaux  est  par- 
faitement exact.  11  est  évident  qu'il  faudrait  rendre  sur 
ce  point  la  navigation  de  la  Seine  facile ,  sûre  et  écono- 
mique. 

Le  projet  de  loi  satisfait-il  à  ces  conditions  ?  Après 
l'exécution  des  travaux  qu'on  vous  propose ,  le  passage 
du  pont  Notre-Dame  au  Pont-au-change  sera-t-ii  facile, 


NAVIGATION.  529 

sans  danger,  économique?  Nullement,  Messieurs,  nulle- 
ment. On  vous  dit  dans  l'exposé  des  motifs  que  la  navi- 
gation descendante  continuera  à  se  faire  par  le  grand  bras 
droit;  ainsi  tous  les  dangers  dont  je  viens  de  parler 
subsisteront. 

J'admets,  quoiqu'on  ne  le  dise  point,  que  quelques 
bateaux  descendront  exceptionnellement  par  le  bras 
gauche.  Je  ne  sais  pas,  en  vérité ,  s'il  serait  juste  et  con- 
venable que  la  Chambre  s'occupât  de  ces  quelques 
bateaux  privilégiés  lorsque  les  inconvénients  et  les  dan- 
gers continueraient  à  subsister  pour  le  grand  nombre  et 
pour  tous  les  trains. 

On  a  beaucoup  parlé  à  la  tribune  du  conseil  municipal, 
de  ses  délibérations;  on  a  parlé  de  la  commission  d'en- 
quête ;  on  m'a  fait  l'honneur  de  me  nommer.  Oui ,  par- 
tout j'ai  entçndu  voter  pour  qu'on  améliorât  la  navigation, 
mais  surtout  la  navigation  du  bras  droit ,  la  navigation 
descendante,  si  active  et  si  dangereuse;  oui,  partout,  j'ai 
vu  émettre  le  vœu  qu'on  trouvât  le  moyen  d'effacer  le 
Niagara  de  la  Seine  qui  existe  entre  le  pont  Notre-Dame 
et  le  Pont-au-Change.  De  tout  cela  il  n'en  est  pas  ques- 
tion dans  le  projet  de  loi.  On  n'améliore  pas  ce  qu'il  faut 
améliorer  d'abord,  on  ne  cherche  pas  à  rendre  la  naviga- 
tion descendante  sûre,  facile,  économique;  on  s'occupe 
de  la  seule  navigation  montante.  Je  lui  accorde  aussi 
mon  intérêt  ;  je  ne  lui  refuserai  pas  mon  concours.  Je  ne 
demande  pas  mieux  que  de  voir  la  Chambre  voter  des 
améliorations  pour  la  navigation  ascendante,  mais  il  est 
évident  que  c'est  oar  la  navigation  descendante  qu'il  faut 

commencer. 

V. — n.  34 


530  NAVIGATION. 

Nous  demandons  avec  instance  qu*on  fasse  disparaître 
les  dangers  de  la  navigation  du  bras  droit;  Tadministra- 
tion  nous  répond  qu'elle  abattra  trois  ponts  sur  le  bras 
gauche.  En  vérité  on  ne  comprend  pas  un  tel  système. 

Si  Ton  avait  fait  un  projet  d'ensemble,  si  l'on  s'était  à 
la  fois  occupé  de  la  navigation  du  bras  droit  et  de  la  navi- 
gation du  bras  gauche,  ces  ponts  auraient  été  conservés. 
Je  sais  bien  qu'on  veut  les  remplacer  par  des  ponts  en 
fer  élégants ,  légers  ;  je  sais  toute  l'estime  que  ces  ponts 
méritent  ;  je  suis  un  des  grands  admirateurs  du  pont  des 
Saints-Pères  ;  mais,  je  l'avoue  franchement,  j*aime  encore 
mieux  les  ponts  de  pierre. 

Quelques  membres.  Voos  avez  raison. 

M.  Arago.  Ils  présentent  une  solidité  qui  les  rend  pré- 
férables aux  ponts  colifichets.  Demandez  à  M.  le  préfet  de 
police  si  les  jours  de  grande  fête  à  Paris  il  se  préoccupe 
le  moins  du  monde  de  la  circulation  qui  s'établit  sur  les 
ponts  de  pierre?  N'a-t-il  pas  au  contraire  de  grandes 
craintes  touchant  ce  qui  peut  arriver  sur  les  ponts  en  fer, 
suspendus  ou  non  ? 

En  résumé,  nous,  membres  du  conseil  municipal  de 
Paris,  nous  demandions  l'amélioration  du  bras  droit  pour 
laquelle  se  fait  presque  toute  la  navigation  ;  on  propose 
l'amélioration  du  bras  gauche.  Il  est  vrai  qu'on  fera 
remonter  les  bateaux  par  le  bras  gauche  ;  mais  de  quelle 
manière?  Par  le  halage!  avec  des  chevaux!  En  Î8ft6, 
à  côté  d'une  force  motrice  immense;  en  1846,  après  les 
perfectionnements  que  les  machines  hydrauliques  et  les 
machines  à  vapeur  ont  reçus,  l'administration  nous  pro- 
pose un  chemin  de  halage  et  des  chevaux  I 


NAVIGATION.  534 

Je  le  dis  à  regret,  Messieurs,  un^  pareille  proposition 
n'est  pas  de  notre  temps ,  elle  n'est  pas  admissible  :  ce 
genre  de  halage,  M.  le  rapporteur  l'a  appelé  presque  bar- 
bare. Je  lui  en  demande  pardon,  le  mot  presque  doit 
€tre  supprimé  ;  il  faut  l'appeler  barbare  tout  à  fait. 
(  On  rit.  ) 

L'honorable  M.  Muret  de  Bort  a  parlé  avec  beaucoup 
de  raison  du  peu  d'importance  de  la  navigation  montante. 
Mais  on  suppose  des  changements  dans  les  habitudes  du 
commerce,  et,  comme  il  vous  l'a  dit,  ces  changements 
sont  de  véritables  rêves.  M.  Muret  de  Bort  vous  a  cité 
l'entrepôt ,  il  aurait  pu  parler  aussi  de  la  gare  de  Gre- 
nelle. Voyez  quel  a  été  son  sort  :  elle  est  déserte,  entière- 
ment abandonnée. 

Avez-vous  remarqué ,  Messieurs,  comment  on  se  pro- 
pose d'obtenir  le  tirant  d'eau  de  1".6  sur  le  bras  gauche? 

Est-ce  par  quelques  grandes  retenues ,  par  des  portes 
d'écluses,  par  une  de  ces  inventions  qui  frappent  les  yeux 
de  tout  le  monde  quand  on  parcourt  les  pays  étrangers  et 
quelques  parties  de  notre  territoire?  Non;  on  veut  faire 
un  dragage  ;  on  va  faire  un  chenal. 

Qui  oserait  dire,  avec  quelque  certitude,  combien  de 
temps  Teffet  du  dragage  durera?  Les  eaux ,  sur  ce  bras, 
vont  être  rendues  presque  stagnantes.  D'après  cette 
seule  considération ,  j'ose  aflTirmer  que  la  navigation  du 
bras  gauche  sera  fort  souvent  interrompue  ;  que  la 
machine  à  draguer  y  fonctionnera  continuellement. 

Il  est  vrai  qu'on  nous  offre  un  dédommagement,  La 
navigation  du  bras  droit  restera  avec  tous  ses  dangers, 
avec  toutes  ses  difficultés,  avec  Ténormité  des  dépenses 


532  NAVIGATION. 

qu'elle  exige  ;  mais  on  ne  touchera  pas  à  la  pompe  Notrr- 
Dame.  En  vérité,  est-ce  là  une  compensation?  (Mouvo- 
ment  au  banc  des  ministres.  ) 

Cette  flatteuse  annonce  est  dans  l'exposé  des  motifs. 

M.    LE    SOUS-SECRÉTAIRE    D^ÉTAT    DES    TRAVAUX    PUBLICS.    NOUS   DO 

voulons  pas  Tacheter. 

M.  Arago.  C'est  la  plus  misérable  machine  qu'il  soit 
possible  de  citer. 

M.  LE  SOUS-SECRÉTAIRE  d'ÉTAT  DES  TRAVAUX  PUBLICS.   G^est  Vraî  ! 

nous  le  reconnaissons. 

M.  Arago.  Si  vous  voulez  la  conserver  pour  montrer 
combien,  depuis  cent  ans,  l'art  des  constructions  et  de  la 
mécanique  ont  fait  de  progrès,  à  la  bonne  heure  !  mais 
vous  ne  pouvez  la  conserver  que  comme  échantillon  de  la 
science  de  nos  devanciers,  que  comme  un  monument  his- 
torique. (On  rit.  ) 

M.    LE    SOUS- SECRÉTAIRE    D'ÉTAT    DES    TRAVAUX    PUBLICS.     Elle  e^t 

détestable  ! 

M.  Arago.  Je  puis  vous  dire,  d'après  des  expérience- 
directes,  à  quel  point  elle  est  détestable  ;  je  puis  établir 
ce  point  par  des  chiffres. 

M.  Legrand.  Je  le  sais  bien  I 

M.  Arago.  J'entre  dans  la  voie  que  vous  m'ouvrez  :  la 
machine  en  question  dépense  100  fr. ,  et  produit  7  fr. 

Voilà  la  valeur  en  chiffres  de  la  machine  que  vous  n«^ 
voulez  pas  détruire;  voilà  les  hauts  faits  de  l'appareil 
dont  la  conservation  nous  est  citée  comme  un  avantage 
attaché  au  système  de  travaux  proposé. 

La  commission  a  demandé  l'ajournement  ;  moi  je  sui> 
persuadé,  comme  le  dit  le  rapport  de  la  commission,  que 


NAVIGATION.  533 

des  travaux  sont  nécessaires  dans  Tintérieur  de  Paris.  Je 
crois  qu'il  est  indispensable  de  mettre  l'amont  et  l'aval  de 
la  Seine  en  communication  directe  ;  je  désire  aussi  vive- 
ment, aussi  fortement  que  personne,  que  des  travaux  ten- 
dant à  ce  but  s'exécutent;  mais  je  m'appuie  sur  les 
laisons  que  je  viens  de  donner  pour  solliciter  un  délai.  Je 
demande  que  d'ici  à  l'année  prochaine ,  car  je  ne  vou- 
drais pas  un  plus  grand  retard,  on  rédige  un  projet  d'en- 
semble sur  l'amélioration  de  la  navigation  de  la  Seine 
dans  la  traversée  de  Paris,  embrassant  à  la  fois  le  bras 
droit  et  le  bras  gauche. 

Ne  compromettez  pas ,  Messieurs  ,  cette  grande  ques- 
tion. Je  vais  prouver  tout  à  l'heurç  que  le  mot  grande 
dont  je  viens  de  me  servir  n'est  pas  hors  de  propos.  Ne 
compromettez  pas,  dis-je ,  cette  grande  question  par  des 
travaux  insignifiants,  je  dis  plus,  par  les  travaux  nuisibles 
qu'on  vous  propose  de  faire  sur  le  bras  gauche. 

AC  BANC  DES  MINISTRES.    NuisibleS? 

M.  Arago.  Oui ,  nuisibles ,  c'est  le  terme  dont  je  me 
sers,  et  je  vais  le  justifier.  Sans  doute  vous  n'engagez  pas 
Pavenir  par  ces  travaux ,  si  vous  entendez  qu'à  l'époque 
où  on  exécutera  le  projet  d'ensemble,  on  pourra  en 
détruire  une  partie.  (M.  le  ministre  des  travaux  publics 
fait  un  signe  de  dénégation.  ) 

M.  le  ministre  fait  un  signe  de  dénégation  ;  eh  bien  , 
j'entrerai,  sur  ce  point  tout  à  l'heure,  dans  quelques 
développements  qui,  j'espère,   le  frapperont. 

Il  y  a  une  question  d'argent  que  l'honorable  M.  Muret 
de  Bort  a  traitée  en  détail.  Il  a  dit  que  le  commerce,  je 
vais  même  ajouter  quelque  chose  à  ses  chiffres,  ne  tire- 


534  NAVIGATION. 

rait  de  la  navigation  montante  de  la  Seine  »  en  supposant 
qu'elle  fût  complètement  améliorée,  qu'une  économie 
d'une  centaine  de  mille  francs. 

J'admets  ce  résultat,  et  je  vais  le  mettre  en  présence 
des  bénéfices  immenses  qu'on  obtiendrait  pour  la  ville  de 
Paris  et  pour  le  pays,  si  l'on  exécutait  le  travail  en  tota- 
lité, au  lieu  de  le  prendre  par  parties  ;  au  lieu,  permettes- 
moi  cette  expression,  de  Vamorcer  dans  une  mam'aise 
voie. 

Pourquoi  se  presse-t-on  tant?  A-t-on  tout  calculé? 
a-t-on  tout  examiné?  Peut-on  assurer  que  la  dépense 
qu'on  vous  indique  sera  la  dépense  réelle  ? 

Messieurs,  comme  conseiller  municipal  de  Paris, 
comme  président  de  la  commission  d'enquête,  j'ai  pu 
savoir  où  l'on  en  était  pour  les  projets.  Ëh  bien,  je  le 
déclare,  il  n'y  avait  pas^  même  d'avant-projet  proprement 
dit.  On  n'avait  pas  encore  adopté  de  système  pour  la  fer- 
meture de  récluse;  on  parlait  du  barrage  à  aiguilles; 
nous  aurons  l'occasion  de  l'apprécier  plus  tard.  Je  me 
contente  de  dire  en  ce  moment  qu'il  y  a  quelque  chose  de 
très-étrange  à  vouloir  mettre  des  aiguilles  là  où  pourrait 
s'établir  une  navigation  à  vapeur.  (  Dénégations  au  banc 
des  ministres.  ) 

Je  sais  que  depuis  on  a  proposé  de  fermer  l'écluse 
avec  un  bateau^poste.  II  n'y  a  rien  d'arrêté,  il  n'y  a  rien 
de  certain;  l'emplacement  même  de  l'écluse  n'est  pas 
déterminé!  Il  a  été  question  de  la  mettre  très- près  du 
pont  des  Arts;  on  aurait  fait  une  arche  exceptionnelle, 
mais  des  difficultés  sans  nombi*e  surgirent. 

Vous  savez  combien  la^  ingénieurs  se  tiompent  dans 


NAVIGATION.  535 

leurs  évaluations,  même  lorsqu'il  s'agit  de  travaux  en 
terre  ferme.  Ici  les  travaux  seraient  tous  dans  le  lit  d'une 
rivière;  pouvez-vous  avoir  une  grande  confiance  dans  des 
évaluations  qu'on  vous  présente,  dans  de  simples  aperçus? 
Si  vous  accordez  le  crédit  demandé,  vous  courez  grande- 
ment le  risque  d'entendre  à  cette  tiûbune,  d'ici  à  peu  de 
temps,  le  raisonnement  qui,  dans  plusieurs  circonstances, 
vous  a  déjà  été  présenté.  On  vous  dira  :  Cinq  millions 
ont  été  dépensés,  il  faut  continuer  pour  ne  pas  tout 
perdre. 

On  prétend  que  les  travaux  proposés  n'engageraient 
pas  l'avenir  ;  je  dis  qu'ils  l'engagent  complètement  Je 
me  charge,  par  exemple,  de  démontrer  que,  si  on  exécu- 
tait un  plan  général,  dont  je  vais  dire  quelques  mots  tout 
à  l'heure^  un  plan  qui  embrasserait  à  la  fois  la  navigation 
du  bras  gauche  et  la  navigation  du  bras  droit,  on  n'aurait 
pas  besoin  d'abattre  un  seul  des  trois  ponts  que  l'on  veut 
détruire.  Détruire  des  ponts  sans  nécessité,  n'est^^e  pas 
engager  l'avenir? 

Vous  n'engagez  pas  l'avenir,  et  cependant  vous  allez 
construire  des  ponts  dont  la  hauteur  sera  réglée  par  un 
mouillage  qui,  j'en  ai  la  conviction,  paraîtra  insuffisant 
quand  vous  discuterez  le  projet  complet.  Ces  ponts  ne  se 
coordonneraient  en  aucune  manière  avec  le  système  gé- 
nérât 

Dans  ce  système,  vous  auriez  au  Pont-Neuf  une  ma- 
chine, une  force  mécanique  avec  laquelle  on  ferait  che- 
miner les  bateaux  depuis  le  Pont- Royal  jusqu'au  pont 
d'Austerlitz  ;  que  deviendraient  alors  les  chemins  de 
halage? 


536  NAVIGATION. 

On  prétend  ne  pas  engager  l'avenir,  quand  on  n'a  rien 
d'arrêté  sur  la  grandeur  de  Fécluse  du  bras  gauche,  sur 
son  rôle  en  regard  du  barrage  du  bras  droit.  Cela  n'est 
pas  soutenable. 

Je  dis,  Messieurs,  qu'il  faut  barrer  le  bras  droit.  11 
résultera  de  ce  barrage,  d'abord  une  navigation  facile, 
une  navigation  parfaitement  régulière  en  tout  temps  :  les 
bateaux  n'auront  plus  besoin  de  stationner  sur  les  rives 
des  ports  supérieurs;  ils  pourront  continuer  leur  route 
en  toute  sûreté  entre  l'amont  et  l'aval  de  Paris.  C'est  la 
solution  complète  de  la  question  qu'on  s'est  toujours  pro- 
posée. Voyons  les  autres  avantages  qui  se  rattachent  à 
cette  solution  :  il  me  paraît  impossible  que  la  Chambre 
n'en  soit  pas  frappée. 

Si  vous  faites  le  barrage  du  bras  droit,  comme  je  vais 
l'indiquer,  vous  aurez  au  Pont-Neuf,  en  temps  d'étiage, 
une  force  de  3,000  à  4,000  chevaux,  de  chevaux  travail- 
lant, non  pas  comme  les  chevaux  ordinaires,  seulement 
huit  heures  par  jour,  mais  de  chevaux  travaillant  vingt- 
quatre  heures  sur  vingt-quatre  heures,  de  chevaux  ne 
coûtant  rien,  auxquels  vous  pourrez  faire  exécuter  des 
travaux  immenses,  dans  l'intérêt  de  la  navigation  et  de 
la  ville  de  Paris. 

La  Seine  paraît  très-petite  pendant  l'été;  elle  semble 
alors  une  rivière  insignifiante.  Eh  bien ,  nous  l'avons  fait 
jauger  avec  le  plus  grand  soin  ;  elle  débite  par  le  bras 
droit,  de  100  à  104  mètres  cubes  d'eau  par  seconde. 
C'est  encore  un  débit  considérable. 

Faites  tomber  cette  quantité  d'eau  d'une  hauteur  con- 
venable, vous  aurez  la  force  de  4,000  chevaux  que  j'ai 


NAVIGATION.  537 

annoncée;  cette  force,  à  quoi  l'appliqucrez-vous?  Ah! 
j'avoue  que  je  ne  me  servirai  pas  d'une  roue  analogue  à 
celle  du  pont  Notre-Dame;  je  me  servirai  d'une  machine 
appréciée  par  Texpérience,  par  les  plus  grands  ingé- 
nieurs; je  me  servirai  de  la  turbine  :  oui,  Messieurs,  de 
la  turbine,  peut-être  avec  les  améliorations  que  notre 
honorable  collègue  M.  Kœchlin  lui  a  fait  éprouver. 

Je  vous  parlais  tout  à  l'heure  des  produits  de  la  ma- 
chine du  pont  Notre-Dame  :  c'était  7  p.  0/0.  Vous  vous 
rappelez  cette  grande  machine  de  Marly,  qui  faisait  plus 
de  bruit  que  de  besogne,  c'est  l'ordinaire  :  elle  donnait 
un  trente- sixième  de  ce  qu'elle  dépensait.  Savez -vous 
ce  que  vous  obtiendrez  avec  la  turbine  de  M.  Foumeyron, 
ou  avec  celle  améliorée  par  M.  Kœchlin?  Vous  obtiendrez 
de  70  à  80  p.  0/0.  J'espère  que  vous  reconnaîtrez  que 
le  bénéfice  est  considérable. 

Vous  le  voyez,  l'État,  la  ville  de  Paris,  ont  au  Pont- 
Neuf,  en  temps  d'étiage,  une  force  de  4,000  chevaux 
dont  ils  ne  tirent  aucun  parti.  Je  le  demande,  est -il  rai- 
sonnable que,  dans  Tétat  actuel  de  la  civilisation,  qu'en 
1846,  et  en  présence  de  tant  de  besoins  pressants,  on  ne 
fasse  rien  dans  la  capitale  d'une  force  de  4,000  che- 
vaux? 

Vous  avez  vu.  Messieurs,  que  le  gouvernement  vous 
propose  de  faire  le  halage  des  bateaux  avec  des  che- 
vaux. Vous  avez  vu  que ,  si  vous  votez  le  projet  de  loi , 
(|ue  si  vous  n'ajournez  pas  la  question  à  l'année  pro- 
chaine ,  il  va  construire  au  pied  des  murs  des  quais  un 
chemin  de  halage,  un  chemin  qui  recouvrira  un  égout 
(  on  rit),  un  chemin  qu'il  serait  plus  économique  de  pla- 


538  NAVIGATION. 

cer  ailleurs.  Mais  ce  chemin  est  inutile;  il  se  trouvera 
remplacé  avec  avantage  par  une  petite  dérivation  de  la 
force  considérable  que  vous  possédez  au  Pont- Neuf,  par 
une  petite  dérivation  que  vous  feiîez  sur  les  &,000  che- 
vaux de  force  qui  résulteront  du  barrage  :  remarqua 
que  cette  force  sera  disponible  quand  vous  aurez  amélioré 
la  navigation;  remarquez  que  vous  aurez  satisfait,  en 
établissant  ces  barrages ,  aux  besoins  du  commerce ,  aux 
besoins  exprimés  par  toutes  les  couunissions  d'enquête, 
que  vous  y  aurez  satisfait  complètement,  tandis  que  votre 
petit  projet  ne  satisfait  à  rien.  Remarquei  encore  qu'au 
moyen  de  cette  force  de  4,000  chevaux,  vous  pourrez 
en  temps  d'étiage,  lorsque  la  rivière  est  le  plus  basse, 
dans  la  saison  chaude,  dans  le  moment  où  Ton  a  le  plus 
besoin  d'eau,  vous  pourrez  élever  10,000  pouces  d'eau 
à  la  hauteur  de  50  mètres, 

Je  n'ai  pas  pris,  en  faisant  ce  calcul,  le  coefficient  de 
revient  qui  appartient  incontestablement  aux  machines 
de  MM.  Fourneyron  et  Kœchlin ,  placées  dans  les  meil- 
leures conditions;  j'ai  pris  un  coefficient  plus  petit,  et 
avec  un  coefficient  réduit,  nous  arrivons  aux  10,000 
pouces  d'eau  que  j'ai  annoncés.  Sachez  que  1  pouce 
d'eau,  c'est  20  mètres  cubes  par  vingt-quatre  heures, 
et  vous  verrez  quelle  masse  énorme  de  liquide  vous  pou- 
vez élever  dans  tous  les  quartiers  de  la  capitale. 

Examinez  les  ouvrages  classiques  sur  la  distribution 
des  eaux,  de  M.  Eymery,  et  vous  y  trouverez  que,  dans 
une  ville  administrée  avec  intelligence,  il  doit  y  avoir 
deux  sources  d'alimentation  distmctes.  On  a  à  Paris  une 
première  source  d'alimentation  dans  le  canal  de  l'Ourcq. 


NAVIGATION.  539 

L'été,  elle  est  bien  réduite;  or,  c'est  précisément  l'été 
que  vous  aurez  le  plus  d'eau  avec  les  machines  du  Pont- 
Neuf.  Les  deux  sources,  en  se  combinant,  fourniront 
une  quantité  d'eau  à  peu  près  constante  ;  quand  le  canal 
de  l'Ourcq  fournira  beaucoup,  la  Seine  vous  en  donnera 
un  peu  moins,  et,  réciproquement,  lorsque  le  canal 
sera  réduit  comme  le  sont  toutes  les  rivières  pendant  la 
grande  chaleur,  vous  aurez  une  quantité  énorme  d'eau 
de  Seine. 

A  Paris,  la  dépense  moyenne  d'eau  vendue  est,  dit-on, 
de  sept  litres  par  personne.  Savez-vous  ce  qu'elle  est  dans 
les  principales  villes  d'Angleterre?  soixante  à  soixante- 
dix  litres. 

11  y  a  des  personnes  qui  par  des  raisons  d'économie , 
il  y  a  bien  des  pauvres ,  qui  sont  obligés  de  réduire  ce 
chiffre  déjà  si  petit. 

A  quel  prix,  après  l'établissement  de  barrage,  pom'- 
rait-on  donner  l'eau?  Voici  ma  réponse  : 

Un  pouce  d'eau ,  à  cause  du  transport  par  porteurs, 
coûte  par  an ,  rendu  à  domicile ,  33,000  fr.  Or,  tout  le 
monde  trouvera  que  la  ville  ferait  un  bénéfice  de  2  mil- 
lions, si  elle  vendait  ses  10,000  pouces  à  200  fr.  chacun. 

Ce  qu'on  nomme  une  voie  d'eau  de  vingt-deux  litres, 
coûte  maintenant  20  centimes.  Vous  pourriez,  pour  3  cen- 
times, donner  mille  litres.  Quand  on  aura  un  barrage 
dans  l'intérêt  de  la  navigation,  le  prix  de  l'eau  pourra 
être  réduit  à  la  cent  soixantième  partie  du  prix  actuel. 

11  y  a  peu  de  jours,  un  illustre  orateur  disait  à  cette 
tribune  :  «  Messieurs ,  votons  la  vie  à  bas  prix  !  » 

Moi ,  je  vous  dis  que  vous  serez  entrés  dans  les  vues 


540  NAVIGATION. 

philanthropiques  de  M.  de  Lamartine,  lorsque  vous  aurez 
conduit  dans  Thumbie  réduit  des  pauvres  de  Teau  en 
abondance  et  à  bas  prix. 

Je  vous  en  conjure,  Messieurs,  ne  perdez  pas  cette 
occasion  de  rendre  à  la  classe  pauvre  un  si  immense  ser- 
vice. (  Approbation.  ) 

Vous  aurez  remarqué  que  je  vous  parlais  de  Teau 
comme  aliment ,  et  je  puis  vous  en  parler  aussi  au  point 
de  vue  de  la  salubrité. 

Un  grand  écrivain,  c'était  un  Père  de  TÉglise,  appe- 
lait la  propreté  une  vertu.  Un  voyageur  célèbre  disait 
qu'il  avait  pu,  presque  partout,  juger  du  degré  de  civili- 
sation des  peuples  par  leur  propreté. 

Si  vous  introduisez  de  Teau  à  bon  marché  dans  la  mai- 
son du  pauvre,  si  vous  la  faites  parvenir  jusqu'aux  étages 
supérieurs  où  il  réside  et  souffre ,  vous  aurez  rendu  un 
service  immense  à  la  population  parisienne,  à  une  partie 
de  cette  population  qui  doit  plus  particulièrement  exciter 
notre  intérêt. 

Examinons  la  nécessité  de  l'eau  sous  d'autres  points 
de  vue. 

Il  y  a  des  administrateurs  qui  se  flattent  de  cette  pen- 
sée que  la  ville  de  Paris  est  suffisamment  alimentée  par 
les  eaux  du  canal  de  l'Ourcq. 

Voici  les  faits  :  il  y  a  trente-deux  barrières  où  Teau  de 
rOurcq  ne  peut  pas  aller,  par  la  raison  toute  simple  que 
l'eau,  dans  un  siphon,  ne  peut  s'élever  plus  haut  que 
son  point  de  départ,  et  qu'elle  monte  même  un  peu 
moins  à  cause  des  frottements.  Ces  barrières  privées  de 
Peau  de  l'Ourcq,  croyez-vous  qu'elles  ne  sont  pas  cntou- 


rées  d'habitations,  de  manufactures?  Détrompez  vous  ; 
ces  barrières,  ce  sont  celles  de  l'Étoile,  d'Enfer,  de  Fon- 
tainebleau, et  beaucoup  d'autres;  il  y  en  a  trente-deux 
Toutes  ces  barrières  auront  de  l'eau,  alors  que. . .  je  me 
répète  souvent,  parce  que  je  ne  voudrais  pas  qu'on  m'at- 
tribuât des  idées  qui  ne  sont  pas  les  miennes  ;  alors  que 
vous  aurez  satisfait,  par  un  barrage  du  Pont-Neuf,  aux 
besoins  essentiels  de  la  navigation. 

Je  sais  que  l'eau  de  l'Ourcq  se  répand  tous  les  jours 
par  1,800  bornes-fontaines  ;  on  est  frappé  de  cet  écoule- 
ment ;  mais  quand  on  examine  les  choses  au  fond ,  on 
trouve  que  chacune  de  ces  bornes-fontaines  ne  coule  que 
trois  heures  par  jour.  Dans  les  rues  qui  sont  inclinées , 
les  propriétaires  riverains  ne  sont  pas  très-satisfaits  de 
cet  arrosement  ;  ils  disent ,  et  je  crois  qu'ils  ont  raison  , 
que  les  fontaines  coulent  assez  longtemps  pour  faire  de  la 
boue,  et  pas  assez  pour  nettoyer  la  rue.  (C'est  vrai  !  c'est 
vrai  !  )  Cefe  se  présente  dans  plusieurs  quartiers.  Je  crois 
qu'il  n'y  a  pas  suffisamment  d'eau. 

J^s  trente-deux  barrières  dont  je  pariais,  et  où  l'eau  de 
rOurcq  ne  fait  pas  de  boue,  ne  sont  pas  sur  des  mon- 
ticules isolés  ;  il  y  a  tout  autour  des  ten'ains  qui  sont  à 
peu  près  de  niveau  avec  elles.  Que  voulez-vous  qu'on  y 
établisse?  Des  manufactures?  Il  n'y  a  pas  de  manufac- 
ture qui  n'ait  besoin  d'eau,  qui  n'emprunte  son  moteur  à 
de  l'eau.  Tl  faut  donc  que,  près  des  trente-deux  barrières 
en  question ,  les  manufactures  aillent  chercher  leur  eau 
dans  les  puits  à  30,  40  ou  50  mètres  de  profondeur.  Mais 
l'eau  que  donnent  ces  puits  est  de  l'eau  séléniteuse ,  de 
Tenu  qui  forme  dans  les  chaudières  des  dépôts  qui  ren- 


542  NAYIGATIOIf. 

dent  les  communications  calorifiques  très-difficiles  et  les 
explosions  fréquentes.  Si  Topération  dcmt  je  parle  se  réa- 
lise ,  on  aura  de  l'eau  de  Seine  partout. 

Avez -vous  remarqué,  Messieurs,  de  quelle  manière  ae 
fait  l'arrosage  de  nos  rues,  l'arrosage  de  nos  quais,  l'ar- 
rosage de  nos  grandes  avenues?  Il  se  fait  avec  des  ton- 
neaux d'où  l'eau  s'échappe  par  des  plaques  percées  de 
trous.  Eh  bien,  on  fait  de  la  boue,  on  interrompt  la  cir- 
culation :  la  méthode  est  barbare. 

Supposez  maintenant  que  vous  ayez  une  quantité  d'eau 
suffisante,  qu'elle  soit  en  charge  dans  les  tuyaux  de 
conduite;  alors  l'arrosage  se  fera  rapidement  et  avec 
facilité  à  l'aide  d'une  simple  lance  de  pompier,  et  sans 
porter  d'entraves  à  la  circulation.  (Bruit  —  Exclama- 
tions sur  quelques  bancs.  ) 

Voici,  Messieurs,  une  considération  qui,  j'espère,  vous 
paraîtra  plus  grave,  et  que  je  livre  à  vos  méditations. 

On  dit  qu'il  y  a  suffisamment  d'eau  à  Paris;  je  prou- 
verai par  des  faits,  quand  on  voudra ,  qu'il  n'y  en  a  pas 
dans  les  hôpitaux  en  proportion  des  besoins  ;  je  citerai 
des  hôpitaux  où  l'on  n'a  pas  donné  aux  malades  les  bains 
ordonnés  par  les  médecins,  parce  qu'on  manquait  d'eau. 

Vous  avez  certainement  remarqué  de  quelle  manière 
s'opère  le  balayage  de  nos  rues?  A.  Paris,  on  ramasse  la 
boue ,  on  la  met  dans  des  tombereaux ,  et  on  la  fait  che- 
miner jusqu'aux  barrières  ;  pourquoi  cela?  C'est  qu'on 
n'ose  pas  la  jeter  dans  les  égouts,  où  il  n'y  a  jamais 
assez  d'eau ,  excepté  pendant  des  averses ,  pour  la  con- 
duire à  la  rivière.  (Réclamations).  On  le  fait  partout. 
Messieurs  ! 


NAVIGATION.  543 

Je  suis  fâché  que  ce  procédé  ne  vous  paraisse  pas  bon  ; 
il  serait  excellent  si  vous  aviez  suffisamment  d'eau. 

M.  Grandin.  Et  les  résultats  ! 

M.  Arago  Si  l'honorable  membre  qui  m'interrompt  a 
eu  l'occasion  de  passer  quelquefois  devant  les  dépôts 
boueux  près  des  barrières  de  Paris,  il  aura  certainement 
regretté  que  le  mode  d'évacuation  de  la  boue  par  tombe- 
reaux soit  adopté  à  Paris. 

Les  égouts  sont  une  excellente  chose ,  mais  à  la  condi- 
tion qu'ils  soient  lavés  régulièrement.  Vous  etes-vous  arrê- 
tés quelquefois  par  hasard,  pendant  l'été,  sur  les  trottoirs, 
près  d'une  bouche  d'égout?  Avez-vous  remarqué  quelle 
odeur  nauséabonde  s'en  échappe?  Vous  savez  d'où  pro- 
vient cette  cause  d'insalubrité. 

La  vue  de  certains  lavoirs  flottants  sur  la  Seine  ne 
vous  a-t-elle  pas  douloureusement  affectés?  Ne  souffrez- 
vous  pas  de  voir  de  malheureuses  femmes  dans  une  posi- 
tion où  elles  sont  encore  plus  certaines  de  gagner  des 
maladies  que  de  laver  leur  linge?  (Approbation.  )  Soyez 
assurés  que  les  personnes  qui ,  par  leur  misère ,  sont  obli- 
gées de  faire  un  usage  habituel  de  certains  de  ces  établis- 
sements flottants ,  figurent  souvent  dans  les  registres  des 
hôpitaux. 

Quand  la  ville  aura  une  quantité  Jeau  suffisante,  elle 
pourra  créer  des  lavoirs  intérieurs  où  la  population  pau- 
vre trouvera  le  moyen  de  laver  gratuitement  son  linge , 
sans  compromettre  sa  santé. 

Si  l'on  vous  dit  que  10,000  pouces  d'eau  sont  une 
fpiantité  trop  considérable,  répondez  qu'on  en  trouvera  un 
très-utile  emploi ,  non-seulement  en  citant  tout  ce  que  je 


544  NAVIGATION. 

viens  de  dire,  mais  en  pariant  encore  des  incendies; 
remarquez  que  maintenant  l'eau  que  les  bonies-fontaines 
fournissent  ne  s'élève  pas,  tandis  que  si  Teau  est  en 
charge  dans  les  tuyaux,  il  suffira  d'ouvrir  une  clef.  • .  Je 
ne  parlerai  pas  de  ce  qui  pourrait  de  nouveau  exciter 
l'hilarité  de  la  chambre;  il  suffira  d'un  appareil  très- 
simple  pour  projeter  l'eau  jusqu'au  troisième  étage  d'une 
maison,  même  avant  l'arrivée  des  pompiers.  Qui  pourrait 
dédaigner  de  pareils  avantages? 

Les  tuyaux  de  conduite  de  Paris  ont  été  choisis  dans 
la  supposition  d'une  distribution  mesquine  de  l'eau.  Sup- 
posez que  les  besoins  de  la  population  augmentent,  qun 
le  besoin  de  donner  de  l'eau  à  bon  marché  vous  mette 
dans  l'obligation  de  conduire  plus  d'eau  dans  les  diffé- 
rents quartiers,  vous  serez  contraints  de  renouveler  tout 
le  matériel;  il  ne  sera  plus  suffisanunent  considérable; 
à  l'aide  d'une  forte  pression,  ce  matériel  suffira  pendant 
des  siècles. 

Je  vais  aborder  une  question  délicate  (Ëlcoutez  I  écou- 
tez!) Je  sais  qu'on  n'aime  pas  ici  qu'on  parle  beaucoup 
de  cette  question ,  je  crois  même  que  la  Chambre  n'aime 
pas  à  m'en  entendre  parler.  (  Réclamations.  —  Si  !  si  ! 
parlez  !  ) 

Je  suis  bien  aise  de  la  dénégation,  je  veux  parler  des 
fortifications.  (Bruit,  — Parlez!  parlez!) 

Messieurs,  on  a  fait  autour  de  Paris  une  enceinte  con- 
tinue. 

Je  suis  très-grand  partisan  de  l'enceinte  continue,  j'en 
ai  toujours  été  partisan;  on  l'a  faite  dans  la  supposition 
qu'elle  serait  un  moyen  efficace  de  défense  contre  une 


NAVIGATION.  545 

armée  ennemie.  Ce  moyen  de  résistance  est  excellent,  à 
la  condition  que  la  garde  nationale  seule  pourra  suffire 
à  la  défense  de  tous  les  bastions. 

Je  crois,  moi,  que  la  fortification  continue  exécutée 
est  susceptible  d'une  grande  résistance,  je  le  crois;  parce 
qu'il  a  été  dans  ma  destinée  d'étudier  le  mode  d'action 
des  fortifications;  mais,  consultez  les  gardes  nationaux, 
ils  ne  croient  pas  l'enceinte  très-forte,  ils  s'imaginent 
que  la  hauteur  des  murs,  la  profondeur  des  fossés  sont 
insuffisantes;  que  des  murs  très- élevés  sont  nécessaires, 
indispensables  ;  mais  ils  conviennent  tous  que  si  Ton  fai- 
sait arriver  deux  mètres  d'eau  dans  les  fossés,  les  fortifi- 
cations acquerraient  une  puissance  énorme.  Mettons-nous 
donc  en  mesure  d'inonder  les  fossés  de  l'enceinte ,  vous 
lui  donnerez  ainsi  une  puissance  d'opinion  importante; 
en  temps  de  guerre  vous  auriez  dans  les  machines  placées 
au  Pont-Neuf,  dans  les  turbines  de  M.  Fourneyron  ou  de 
M.  Kœchlin,  le  moyen  de  remplir  les  fossés  des  fortifica- 
tions dans  un  intervalle  de  trois  jours. 

Enfin,  trouvez-vous  que  cette  immense  masse  d'eau 
dont  je  vous  entretiens  depuis  si  longtemps,  n'aurait  pas 
en  totalité  une  application  utile  dans  l'intérieur  de  la  ville 
de  Paris,  vous  pourriez  l'employer  en  arrosages.  Il  serait 
très-facile  de  faire  des  réservoirs  à  une  hauteur  consi- 
dérable, d'où  l'on  répandrait  l'eau  dans  des  terrains  qui 
maintenant  ont  très-peu  de  valeur  et  qui  deviendraient 
des  jardins  comme  ceux  des  maraîchers. 

J'arrive  au  terme  de  ma  tâche. 

M.  le  ministre  des  travaux  publics  et  M.  le  sous-secré- 
taire d'État  croient,  comme  moi,  à  la  possibilité  d'éta- 
v.— n.  35 


516  NAVIGATION. 

blir  un  barrage  6ur  le  bras  droit  de  ia  Seine  ;  ils  croient 
même  à  la  néœsaité  d'exécuter  tôt  ou  tard  ce  travail. 
Jusqu'à  présent  on  ne  s'en  est  pas  oocapé;  mais,  dit-on, 
c'est  parce  qu'on  n'a  pas  de  plan  arrêté,  parce  que  le 
conseil  des  ponts  et  chaussées  n'a  pas  d'idées  fixes  sur 
le  système  à  employer,  ni  peut-être  même  sur  les  avan- 
tages de  ce  barrage*  Je  vois  dans  l'exposé  dœ  motifs  qœ 
l'installation  des  nouveaux  appareils  hydrauliques  semble 
entourée  de  circonstances  graves  et  compliquées. 

Je  m'élève  de  toute  la  force  de  mes  convictions  contre 
ces  paroles.  Il  n'est  pas  vrai  que  l'installation  des  appareils 
hydrauliques  en  projet  soit  accompagnée  de  circonstances 
graves  et  compliquées.  Il  n'y  a  pas  de  question  plus  sim- 
ple pour  ceux  qui  se  sont  donné  la  peine  d'examiner  les 
progrès  que  l'hydraulique  a  faits  depuis  un  certain  nom- 
bre d'années. 

Je  ne  voudrais  rien  dire  de  défavorable  à  des  ingé- 
nieurs que  je  respecte,  que  j'honore  (la  plupart  ont  été 
mes  élèves);  et  cependant  je  suis  obligé  de  convenir 
qu'ils  sont  souvent  arriérés,  qu'ils  ne  se  tiennent  pas 
toujours  au  courant  des  progrès  de  la  science;  et  ce 
n'est  pas  leur  faute  :  on  les  transforme^  pour  les  besoins 
peut-être  de  l'administration  actuelle,  en  paperassiers. 

A  GAUCHE,  c'est  vrai  ! 

M.  Arago.  Ils  en  conviennent  eux-mêmes. 

Messieurs,  j'ose  affirmer  qu'il  existe  des  plans  qui, 
développés  devant  le  conseil  des  ponts  et  chaussées,  dans 
l'intervalle  de  cette  session  à  la  session  prochaîne,  seraient 
ticceptés  par  les  hommes  émînents,  par  les  très-bons 
Bsprits  dont  ce  conseil  se  compose. 


NAVIGATION.  547 

Je  croîs  que  si  M.  le  ministre  des  travaux  publics 
acceptait,  que  si  la  Chambre  votait  l'ajournement,  nous 
aurions  l'année  prochaine  un  projet  d'ensemble,  un  projet 
admirable  qui  satisferait  non-seulement  aux  besoins  de  la 
navigation,  mais  à  tous  les  besoins  de  la  ville  de  Paris  et 
de  l'État  que  j'ai  signalés. 

Je  ne  suis  pas  ici  dans  des  hypothèses;  je  veux  même 
parler  avec  une  entière  franchise.  (On  rit.) 

Ce  qui  a  arrêté  l'adoption  du  plan  général,  c'est  qu'on 
a  voulu  absolument  se  servir,  pour  faire  des  barrages, 
d'*un  système  inventé  par  un  inspecteur  divisionnaire  des 
ponts  et  chaussées,  d'un  système  qui  peut  avoir  des 
avantages  dans  des  localités  particulières  et  restreintes 
(Nous  le  discuterons  quand  il  s'agira  de  la  navigation 
entre  Paris  et  Rouen),  mais  qui,  pour  la  fermeture  des 
arches  de  Paris,  est  éminemment  défectueux.  On  a 
d'abord  projeté  de  porter  le  barrage  à  la  pointe  de  la 
cité;  on  a  ensuite  pensé  à  l'établir  au  Pont-Neuf.  Ce 
barrage  se  compose  d'aiguilles  qu'on  manœuvre  avec 
beaucoup  de  difficultés  (Je  reviendrai  sur  ces  difficultés 
plus  tard). 

On  a  trouvé  qu'au  Pont-Neuf  les  aiguilles  seraient  trop 
longues,  car  les  hommes  au  temps  présent,  dans  le 
royaume  de  France,  n'auraient  pas  été  assez  forts  pour 
manœuvrer  les  aiguilles  qu'il  aurait  fallu  employer  au 
Pont-Neuf.  On  songea  alors  à  s^établir  dans  l'intervalle 
compris  entre  le  Pont-au-Change  et  le  Pont-Neuf  ;  des 
difficultés  d'un  autre  ordre  se  présentèrent;  bref  on  a 
ajourné. 

Mais  n'y  a-t-il  pas  d'autres  systèmes  de  barrage  qui 


548  NAVIGATION. 

n'exigeraient  pas,  pour  les  manœuvrer,  des  acrobates  des 
Funambules  (On  rit);  n'y  a-t-il  pas  certaine  porte  arti- 
culée qui  s'ouvrirait  d'elle-même,  à  l'aide  de  la  seule 
ouverture  ou  fermeture  d'un  robinet? 

L'habile  ingénieur  qui  Ta  inventée  n'appartient  pas  au 
corps  des  ponts  et  chaussées,  je  l'avoue  (On  rit),  mais 
il  a  répondu  à  toutes  les  objections  ;  il  a  fait  mieux  :  sa 
porte,  exécutée  à  Gisors,  a  manœuvré  à  l'entière  satis- 
faction d'une  foule  de  mécaniciens  du  plus  grand  mérite. 
Cela  n'est  pas  aussi  compliqué  que  le  système  des  aiguilles, 
je  le  sais;  mais  la  porte  articulée  n'en  offrira  pas  moins 
de  très-grands  avantages  partout  où  les  barrages  devront 
manœuvrer  avec  beaucoup  de  rapidité. 

L'expérience,  a-t-on  dit,  ne  s'est  pas  faite  sur  une 
assez  grande  échelle  pour  qu'on  puisse  en  rien  conclure 
quant  au  barrage  de  la  Seine. 

Voici  ma  réponse  :  Je  suis  autorisé,  depuis  longtemps 
déjà ,  à  proposer  une  expérience  très  en  grand ,  consis- 
tant en  la  fermeture  d'une  des  arches  du  Pont-Neuf. 
L'inventeur  de  la  porte  articulée,  M.  Foumeyron,  fer* 
tous  les  travaux  à  ses  frais.  Si  elle  ne  réussit  pas  au 
jugement  du  conseil  des  ponts  et  chaussées,  la  dépense 
restera  à  sa  charge. 

Ne  voulez-vous  pas  vous  servir  du  système  d'un  ingé- 
nieur civil?  (Réclamations  au  banc  des  ministres.) 

Je  n'attribue  de  tels  préjugés  ni  à  M.  le  ministre  ni  à 
M.  Legrand  (On  rit);  mais  je  pourrais  citer  des  per- 
sonnes qui  ne  sont  pas  étrangères  à  de  telles  préocci- 
pations.  (Ah  !  ah  !)  Je  ne  veux  pas  porter  des  noms  à 
cette  tribune.  J'ajoute  aue  M.  le  ministre  a  reçu  avec 


NAVIGATION.  549 

bienveillance  l'inventeur  de  la  porte  articulée,  et  qu'il 
l'a  examinée  avec  intérêt. 

M.  Legranb,  sous-secrétaire  d*État  des  travaux  publics.  C'est  un 
système  très-ingénieux. 

M.  Arago.  C'est  un  système  très-ingénieux,  en  effet  : 
il  a  été  éprouvé;  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  qu'il  ne 
fonctionne  pas  et  surtout  pour  qu'on  ne  l'essaie  pas, 
puisque  l'habile  ingénieur  demande  à  faire  l'expérience 
ù  ses  frais. 

Mais  laissons  un  moment  l'ingénieur  civil  de  côté. 

11  y  a  un  autre  ingénieur,  celui-ci  appartient  au  corps 
des  ponts  et  chaussées,  qui  a  inventé  un  très-ingénieux 
barrage.  Celui-là  ne  se  manœuvre  pas  non  plus  d'une 
manière  compliquée,  ni  avec  les  dangers  que  je  signalais 
tout  à  l'heure.  11  a  été  établi  déjà  sur  une  assez  grande 
échelle,  et  l'on  a  pu  exécuter  avec  facilité  toutes  les 
manœuvres  qu'il  exige.  On  dit  que  les  dimensions  des 
portes  essayées  n'étaient  pas  aussi  considérables  que  la 
Seine  l'exigerait.  Voici  encore  ma  réponse  :  M.  le  ministre 
a  entre  les  mains  une  soumission  de  l'ingénieur  en  ques- 
tion. Il  demande  à  faire  les  travaux  à  ses  frais.  Vous  avez 
reçu  la  lettre  ;  j'en  ai  la  copie.  M.  l'ingénieur  en  chef 
Thénard,  inventeur  du  nouveau  système,  propose  de 
barrer  une  des  arches  du  Pont-Neuf,  ou  toute  autre 
partie  de  la  Seine.  Tous  les  frais  resteront  à  sa  charge  si 
l'opération  ne  réussit  pas.  | 

On  nous  parle  souvent  à  cette  tribune  d'une  grande 
et  d'une  petite  politique,  et  on  accuse  les  membres  de 
l'opposition  de  préférer  la  petite.  Je  viens  de  prouver 
que,  relativement  à  la  traversée  de  Paris,  il  y  a  auesi 


550  NAVIGATION. 

une  grande  et  une  petite  hydraulique  ;  mai&  cette  fois, 
du  moins,  personne  ne  pourra  dire  que  Topposition  ait 
donné  la  préférence  à  la  petite  hydraulique»  (Rires  et 
approbation,) 

[M.  Damon,  ministre  des  tnifanx  piibliGs,  ayaat  répondu  dans  la 
séance  du  3  mara,  IL  Arago  a  répliqué  en  ces  termes:  ] 

Je  suis,  Messieurs,  ni  peu  embarrassé  pour  com- 
battre Targument  principal  que  vient  de  faire  valoir  M.  le 
ministre  des  travaux  publics.  Cet  argument  est  en  oppo- 
sition complète  avec  Texposé  des  motifs  du  projet  de  loi. 
H.  le  ministre,  poinr  répondre  à  une  cUiBculté  très-grave, 
pour  vous  rassurer  sur  les  dangers  de  la  navigation  do 
bras  droit,  vient  de  vous  dire  que  les  bateaux  passeraient 
déscmnais  en  très -grande  partie  par  le  bras  gauche* 

Ayez  ta  bonté  de  comparer  cette  assertion  avec  le  pas- 
sage que  je  vais  lire  de  Texposé  des  motifs  ; 

ff  II  a  fait  remarquer  (le  conseil  des  ponts  et  chaus- 
sées) que  ce  système  (  le  système  de  ta  navigation  par  le 
bras  gauche  )  ne  préjugeait  en  aucune  manière  pour  le 
grand  bras  la  question  de  l'avenir ,  que  la  navigation  de 
la  Seine  supérieure,  qtii  est  essentiellement  descendante, 
emprunterait  avec  avantage  la  voie  libre  du  bras  prin- 
cipal. » 

M.    LE    SOOS-SEGRérAraE    D*<TAT    DES   TIU?^I7X  PUBLICS.    POUT  l€S 

trains  1 

M.  Arago.  Les  trains  ne  figurent  pas  dans  Texpo^ 
des  motifs  ;  vous  les  citez  maintenant  pour  les  besoins  de 
la  cause.  Vous  disiez  : 

«...  Que  la  navigation  de  la  Seine  supérieure,  qui  est 
essentiellement  descendante.  •  •  t 


NAVIGATION.  551 

M.  LK  sous-sccRiTAiRB  b'état  0e3  TRAVAUX  puBucs.  Les  traîiist 

M.  Arago.  La  navigation  de  la  Seine  supérieure  se 
compose  de  trains  et  de  bateaux.  Il  y  a  1,000  bateaux* 
Vous  pariiez  de  la  navigaticMi  de  la  Seine  supérieure  dans 
toute  sa  généralité. 

Je  suis  fâdié  de  vous  mettre  ainsi  en  opposition  avec 
vous-même;  fxmis  la  contradiction  est  évidente* 

€  Que  la  navigation  de  la  Seine  supérieure  (je  ne  sau- 
rais trop  le  répéter),  qui  se  compose  de  1,700  trains  et 
de  1,000  bateaux,  emprunterait  avec  avantage  la  voie 
libre  du  bras  principal ,  tandis  que  la  navigation  de  la 
basse  Seine,  qui  est  particulièrement  remontante,  suivrait 
le  bras  canalisé.  > 

Vit  membrs.  Ce  sont  les  trains  t 

M.  Arago.  Vous  voyez.  Messieurs,  quMl  y  a  opposîtioa 
complète  entre  ce  que  vient  de  dire  M.  le  ministre  et  ce 
qu'il  disait  dans  Texposé  des  motifs  du  projet  de  loi.  Le 
bras  gauche  était  exclusivement  consacré  à  la  navigatîon^ 
montante. 

Maintenant,  on  fera  une  portion  de  la  navigation  des- 
cendante par  le  bras  gauche!  Convenons  que  nous  ne 
tiendrons  plus  compte  des  exposés  des  motifs  des  projets 
de  loi  qui  nous  seront  présentés,  et,  à  l'avenir,  les  diffi- 
cultés de  cette  espèce  disparaîtront.  Aujourd'hui,  par- 
donnez-moi d'avoir  cru  à  vos  paroles,  d'avoir  supposé 
que  vous  vouliez'  vous  servir  de  la  navigation  du  bras 
gauche  pour  la  seule  navigation  montante  ;  cela  est  dit 
formellement ,  de  la  manière  la  plus  claire,  dans  la  partie 
de  l'exposé  des  motifs  que  je  viens  de  lire. 

J'ai  des  raisons  de  croire  qtf  on  voulait  vous  déclarer 


552  NAVIGATION. 

qu'il  n'y  aurait  plus  désormais  de  navigation  descen- 
dante que  par  le  bras  gauche  ;  on  n*a  pas  osé.  On  a 
compris  que  je  serais  arrivé  avec  des  documents  recueil- 
lis par  les  commissions  d'enquête»  et  qui  auraient  prouvé 
que  ce  bras  était  insuffisant  »  de  toute  manière  insuffisant 
pour  la  totalité  de  la  navigation  descendante. 

Les  dangers  inhérents  à  la  navigation  du  bras  droit, 
on  les  laisse  tels  qu'ils  sont  aujourd'hui.  Après  réflexion, 
on  annonce  que  les  trains  ne  viendront  plus  par  le  côté 
gauche  ;  ils  suivront  donc  le  bras  droit.  Mais  alors  on  ne 
s'occupe  pas  des  dangers  que  continueront  à  courir  les 
mariniers  qui  feront  descendre  les  trains  ;  cependant  la 
vie  de  ces  hommes  est  tout  aussi  exposée  que  celle  des 
mariniers  qui  conduisent  les  bateaux  ;  moi  je  les  tiens 
pour  tout  aussi  intéressants  les  uns  que  les  autres. 

On  dit  que  le  barrage  du  bras  gauche  n'apportera 
^ucun  dommage  à  la  navigation  du  bras  droit  On  se 
trompe  :  on  empire,  parle  projet,  la  navigation  du  bras 
droit,  on  l'empire  notablement. 

Maintenant,  une  portion  de  l'eau  passe  par  le  bras 
gauche.  Cette  eau  sera  arrêtée  par  le  barrage ,  elle  devra 
donc  passer  par  le  bras  droit. 

M.  le  ministre  des  travaux  publics  sait  aussi  bien  que 
moi  que  plus  il  passe  d'eau  dans  un  pertuis  donné,  plus 
le  niveau  s'élève ,  plus  la  rapidité  est  grande.  La  chute 
que  j'ai  appelée  le  Niagara  de  la  Seine,  quoique  je  con- 
naisse très-bien  la  hauteur  du  vrai  Niagara ,  deviendra 
plus  grande  et  plus  dangereuse  ;  ce  sera  une  conséquence 
inévitable  des  travaux  projetés. 

On  nous  parle  sans  cesse  de  notre  opposition  au  projet 


NAVIGATION.  5o3 

(lu  gouvernement...  Non;  nous  sommes  en  opposition 
avec  les  idées  du  gouvernement,  avec  les  idées  qui  ont 
été  énoncées  dans  l'exposé  des  motifs ,  mais  non  pas  avec 
le  projet;  car  il  n'y  a  pas  de  projet,  car  on  n'en  a  jamais 
produit  devant  la  commission  d'enquête. 

M.  le  ministre  m'a  accusé  de  n'avoir  pas  étudié  avec 
assez  de  soin  les  pièces  qui  avaient  été  produites  devant 
cette  commission. 

Mon  Dieu!  mes  études,  à  moi,  n'ont  pas  été  com- 
pliquées; j'ai  vu  des  ingénieurs  qui  s'exprimaient  avec 
beaucoup  d'élégance  et  de  facilité;  quant  à  des  projets, 
il  n'y  en  avait  pas.  Il  n'y  en  avait  pas,  et  cela  par  une 
bonne  raison ,  c'est  qu'il  n'y  en  a  pas  encore  aujourd'hui. 

M.  le  ministre  pourrait-il  nous  dire  dans  quelle  position 
il  voudrait  mettre  l'écluse?  Je  ne  1- ai  jamais  su. 

M.  LE  MINISTRE  DES  TRAVAUX  PUBLICS.  Les  projets  soiit  dans  les 
mains  de  M.  le  rapporteur. 

M.  d'Angeville  ,  rapporteur.  Nous  avons  ici  entre  les  mains  un 
avant-projet 

M.  Arago.  Un  avant-projet!  mais  un  projet  étudié,  je 
n'en  ai  jamais  vu  :  je  n'ai  même  jamais  vu  d' avant-pro- 
jet qui  méritât  ce  nom. 

On  nous  a  dit  qu'on  voulait  établir  une  écluse.  Où?  On 
ne  savait  pas.  On  nous  a  dit  qu'on  voulait  la  faire  descendre 
jusqu'au  pont  des  Arts,  ce  qui  amènerait  un  changement 
dans  la  forme  du  pont,  ce  qui  entraînerait  des  manœu- 
vres très-difficiles.  Il  a  fallu  abandonner  cette  idée. 

Je  ne  suis  pas  opposé  au  projet  du  gouvernement  :  je 
ne  puis  pas  être  opposé  à  une  chose  qui  n'existe  pas ,  que 
je  ne  connais  pas  :  je  suis  opposé  aux  idées  que  le  gou- 
vernement a  émises  dans  des  termes  très-vagues. 


554  NAVIGATION. 

On  dit ,  je  sais  obligé  de  revenir  sur  cette  difficulté , 
puisqu'on  Ta  trouvée  très-sérieuse,  on  dit  que  les  tra- 
vaux actuels  n'engagent  pas  Favenin  Je  dis  »  moi,  qu'ils 
l'engagent  complètement.  M.  le  ministre  m'a  fait  beau- 
coup trop  d'honneur  quand  il  a  donné  mon  nom  an  sys- 
tème des  turbines.  Je  n'y  sois  intervenu  que  pour  une 
vue  générale;  mais  te  mérite  d'avoir  étudié  complète- 
ment le  projet  pour  la  navigation  de  la  Seine  et  la  distri- 
bution des  eaux,  ne  m'appartisnt  pas..  J'«  eu  Tidée 
très-simple  de  tirer  parti  de  la  force  énorme  qui  existe 
au  Pont-Neuf.  Quant  aux  détails,  ils  «mt  Tœuvre  d'un 
ingénieur  civil.  Je  dois  donc  repousser  un  honneur  qui 
œ  me  revient  pas  légitimement 

Yoyoi»  maintenant  ai  effectiv^nent  les  projets  à  exé- 
cuter dans  le  bras  gauche  sont  aussi  inc^nsifs  qu'on 
ledit. 

D'abord  je  ferai  remarquer  que  le  rapide  de  la  Seine, 
je  ne  me  servirai  plus  de  l'expression  de  Niagara, 
deviendra  plus  considérable,  que  par  conséquent  le  dan- 
ger de  la  navigation,  qui  était  déjà  si  grand,  deviendra 
plus  considérable  encore. 

Dans  le  projet  dont  j'ai  eu  l'honneur  d'entretenir  la 
chambre ,  la  destruction  de  ponts  est  complètement  inu- 
tile. Si  vous  coordonnez  vos  travaux  avec  les  travaux 
que  la  ville  de  Paris  doit  faire  exécuter  avec  ses  fonds , 
avec  ses  ressources,  il  sera  inutile  de  détruire  ces  ponts. 
Pourquoi  les  détruisez -vous  aujourd'hui?  pourquoi,  au 
lieu  de  coordonner  les  deux  systèmes,  voulez-vous  opérer 
isolément  sur  la  partie  la  moins  importante  de  la  Seine  ? 

Beaucoup  de  personnes   craignent  la   longueur  de 


NAVIGATION.  555 

l'ajournement;  mm  aussi  je  m'en  préoccupe,  je  désire 
que  les  travaux  de  la  Seine  s-exécutent  promptement.  Eh 
bien,  j'ai  la  conviction  que  si  la  Chambre  se  prononçait 
fortement  pour  que  les  deux  projets  fussent  coordonnés, 
on  pourrait  nous  présenter  le  projet  général,  qui  est 
étudié,  qui  est  fait,  car  il  y  a  des  devis,  mémo  dans 
cette  session ,  dans  six  semaines,  par  exemple.  Je  suis 
sûr  que  si  une  discussion  complète  était  ouverte  devant 
le  conseil  des  ponts  et  chaussées,  ce  conseil  reconnaîtrait 
en  peu  de  séances  la  possibilité,  l'utilité,  la  beauté  du 
système  que  j*ai  développé  devant  la  chambre. 

J'avais  fait  remarquer  qu'on  se  proposait ,  dans  le  pro- 
jet du  gouvernement,  d'exécuter  un  chemin  de  halage. 

Ce  chemin  de  halage  ne  sera  plus  sur  les  quais.  Tout 
le  monde  le  sait,  les  quais  sont  plantés.  On  fera  ce  che- 
nûn  de  halage  au  pied  du  mur  du  quai.  M.  le  ministre 
nous  a  parlé  des  inconvénients  qui  résultaient  de  l'ancien 
système.  N'y  a-t-il  donc  aucun  inconvénient  dans  le  sys- 
tème du  projet?  Il  y  en  a  d'énormes.  Votre  corde  sera 
une  corde  rasante;  elle  attaquera,  elle  ira  frapper  tous  les 
bâtiments  en  station  sur  les  rives  de  la  Seine,  tous  les 
objets  compris  entre  le  rebord  du  quai  et  les  bâtiments 
remorqués;  les  bas  ports  sont  des  magasins.  Ces  maga- 
sins,  auxquels  le  commerce  attache  un  grand  prix,  seront 
balayés  par  votre  corde  traînante ,  c'est  incontestable. 

M.  LE  SODS-SECRÉTAIRE  D'ETAT    DES  TRAVAUX  PUBLICS.  On   lève   la 

cordai 

M.  Arago.  Vous  ne  ferez  pas  que  le  phénomène  de  la 
chaînette  n'ait  pas  lieu.  Vous  n'avez  pas  la  prétention, 
avec  la  puissance  que  vous  possédez ,  d'empêcher  que  la 


5"6  NAVIGATION. 

pesanteur  ne  produise  pas  ses  effets.  La  corde  tirée  par  les 
chevaux  placés  sur  le  chemin  de  halage  sera  une  corde 
traînante,  et  qui  vous  mettra  dans  l'obligation  d'évacuer 
tous  les  quais 9  tous  les  bas  ports,  lorsque  vous  voudrez 
faire  remonter  un  bateau. 

M.  le  ministre  a  remarqué  que  ce  mode  de  remor- 
quage était  employé  ou  proposé  pour  les  autres  parties 
du  projet  ;  cela  est  vrai ,  mais  ce  n'est  pas  dans  Tinté- 
rieur  des  villes ,  ce  n'est  pas  à  côté  d'une  force  motrice 
dont  vous  pourrez  tirer  un  parti  immense.  Vous  avez  cette 
force  motrice  au  Pont -Neuf,  vous  pouvez  en  distraire 
une  petite  portion  pour  opérer  le  remorquage.  Au  lieu 
de  cela,  vous  allez  prendre  le  système  non  pas  presque 
barbare,  mai$  barbare ,  que  le  rapport  de  la  commission 
vous  a  signalé. 

On  a  beaucoup  parlé  du  conseil  général  de  la  Seine; 
on  a  dit  qu'il  s'était  prononcé.  Mais  il  faut  faire  con- 
naître toute  la  vérité.  D'abord  sur  la  question  de  savoir 
si  on  subordonnerait  la  subvention  de  1  million  12  à 
l'exécution  du  projet  général ,  on  s'est  trouvé  partagé  par 
parties  égales.  Tout  le  monde  sait  bien  qu'un  membre 
du  conseil,  qui  était  sorti,  était  favorable  au  projet  des 
turbines. 

Au  reste,  il  faut  faire  la  part,  je  ne  me  servirai  pas 
du  mot  de  menaces ,  quoique  cela  y  ressemble  un  peu , 
il  faut  aussi  faire  la  part  des  déclarations  formelles  que 
jious  faisaient  les  ingénieurs.  Ils  nous  disaient  :  t  Si  vous 
n'exécutez  pas  le  projet  tel  qu'il  vous  est  présenté,  on  ne 
fera  rien  du  tout!  »  Les  membres  du  conseil  général  sont 
habitants  de  Paris,  ils  sont  bien  aises  qu'on  fasse  les 


NAVIGATION.  557 

quais,  quand  on  n'améliore  pas  la  navigation.  Je  crois 
que  je  ne  leur  ferai  aucun  tort,  que  je  ne  me  livre  pas 
à  des  insinuations  sans  fondement ,  en  disant  que  plu- 
sieurs d'entre  eux  ont  été  entraînés  par  cette  déclaration 
formelle  des  ingénieurs  :  t  Si  vous  n'exécutez  pas  le  pro- 
jet tel  qu'on  vous  le  présente,  on  ne  fera  rien!  »  Voilà 
ce  qu'on  nous  disait  ;  voilà  ce  que  j'ai  entendu  de  mes 
oreilles. 

Pour  éloigner  l'intérêt  du  projet  que  j'ai  eu  l'honneur 
de  développer  devant  la  chambre,  M.  le  ministre  vous  a 
dit  que  c'était  un  projet  gigantesque.  Il  est  gigantesque 
quant  aux  résultats  ;  j'espère  que  la  chambre  ne  trouvent 
pas  qu'il  soit  gigantesque  quant  à  la  dépense.  Je  n'ai  pas 
parlé  de  cette  question  hier;  il  est  peut-être  bon  que  j'en 
dise  un  mot. 

Ici ,  ce  ne  sera  pas  une  évaluation  vague ,  un  aperçu 
semblable  à  ceux  qui  ont  guidé  l'administration  lors- 
qu'elle a  fixé  à  5  millions  et  quelques  mille  francs  le  tra- 
vail actuel. 

Le  travail  dont  je  parle,  le  travail  qui  doit  donner  do 
si  magnifiques  résultats,  coûterait  à  la  ville...  rap])eloz- 
vousque  ce  serait  l'occasion  d'un  revenu  de  2  millions, 
coûterait  à  la  ville  de  Paris  6  millions,  et  la  contribution 
de  l'État  pour  la  totalité  du  travail  qui  le  concernerait, 
serait  de 7  millions.  Voilà  la  totalité  de  la  dépense  du  pio- 
jet  gigantesque. 

Ce  n'est *pas  à  la  légère  que  j'annonce  ce  chiffre;  c'o.^î 
le  résultat  d'un  devis  bien  étudié,  et  j'ai  la  certitude  qiio 
vous  trouverez  facilement  des  ingénieurs,  des  entrepre- 
neurs très-habiles  poui*  exécuter  les  travaux  à  ce  prix. 


658  IIAVIGATION. 

Je  tenais  à  circonscrire  Texpression  de  gigantesque , 
dont  ML  le  ministre  s'est  servi,  dans  ses  yéritables  limites, 
à  lui  donn^  son  vrai  sens.  Le  projet  est  gig^mtesquc, 
,  comme  vous  le  voyez,  quant  aux  résultats. 

Voilà  ce  que  j'avais  à  dire  en  réponse  aux  observa- 
tions que  M.  le  ministre  vous  a  présentées. 

Il  vous  a  dit  qui!  n'engagerait  pas  ravenir  quant  à  la 
construction  de  la  digue  longitudinale;  qu'il  la  ferait 
assez  forte  pour  qu'elle  pût  supporter  un  exhaussement 
si  la  ville  de  Paris  venait  à  vouloir  exécuter  son  grand 
travail. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  un  exhaussement  qu'il 
faudra  faire.  Avez-vous  choisi  la  machine  dont  v^ous  vous 
servirez  comme  moteur?  Voulez-vous  employer  une  tur- 
bine? La  turbine  telle  qu'elle  est  sortie  des  mains  de 
M.  Fourneyron,  ou  telle  qu'elle  a  été  perfectionnée  par 
M.  Kœchlin?  Ëh  bien ,  c'est  une  machine  qui  a  besoin  de 
fondations  spéciales  pour  lesquelles  il  faudra  faire  des 
constructions  d'une  certaine  nature.  Comment!  vous 
allez  établir  un  bàtardeau  au  milieu  de  la  Seine  pmir 
exécuter  votre  travail ,  et  vous  ne  voulez  pas  vous  pré- 
parer à  exécuter  en  même  temps,  quand  vous  avez  le 
projet  sous  les  yeux^  ou  que  vous  pouvez  l'avoir,  si  vous 
le  voulez ,  ce  qui  pourrait  servir  à  un  -futur  établissement 
hydraulique?  Ce  que  vous  exécutez  aujourd'hui  sera 
exécuté  en  pure  perte,  lorsque  la  réflexion,  le  bon  sens, 
vous  amèneront  à  reconnaître  que  les  deux  projets 
devraient  être  coordonnés.  (  Très-bien ,  très-bien  !  ) 

(  M.  d'AngeriUe,  rapporteur,  monte  à  U  trf bane.  ) 

M.  Arago,  de  sa  place.  On  prétend  que,  dans  les 


NAVIGATION.  509 

appréciations  que  j'ai  données  sur  le  produit  des  tuit)ines, 
j'ai  pris  un  coefficient  beaucoup  trop  considérable. 

Je  dois  dire  que  l'administration ,  sous  je  ne  sais  quelle 
influence,  ne  veut  faire  que  de  petits  travaux,  quand  il  y 
en  a  de  grandioses  à  exécuter.  Elle  veut  employer  une 
roue  hydraulique ,  une  roue  qui  sera  inondée ,  qui  sera, 
comme  disent  les  mécaniciens,  noyée,  qui  souvent  ne 
pourra  pas  fonctionner,,  comme  la  roue  hydraudique  du 
pont  Notre-Dame.  Moi,  je  propose  les  turbines,  non- 
seulement  parce  qu'elles  donnent  un  produit  considé- 
rable, mais  parce  qu'elles  peuvent  fonctionner  sous  l'eau, 
sous  la  glace,  dans  toutes  les  circonstances. 

J'ai  indiqué  un  coefficient;  j'ai  dit  qu'une  turbine  don- 
nait 70  à  80  p.  100.  Je  crains  de  n'avoir  pas  dit  assez, 
quoique  ce  soit  un  résultat  admirable.  Je  prends  la  liberté 
d'interpeller  M.  Kœchlin,  s'il  est  h  son  banc,  et  de  lui 
demander  si  le  chiffre  que  j'ai  cité  n'est  pas  un  chiûre 
trop  petit.  Il  a  beaucoup  d'expérience,  il  a  envoyé  des 
machines  dans  tous  les  pays  du  monde.  L'industrie 
française  a  l'avantage ,  maintenant ,  de  figurer  par  ces 
belles  machines  dans  toutes  les  contrées,  en  Turquie,  en 
Italie,  en  Allemagne,  partout.  On  a  fait  des  expériences 
nombreuses  par  les  procédés  les  plus  exacts  de  la  méca- 
nique. Je  demande  si  j'ai  cité  un  chiffre  de  revient  trop 
grand. 

M.  Kœchlin.  LMnventîon  faîte  par  M.  Fourneyron  est  tellement 
remarquable  que  j'ai  eu  longtemps  beaucoup  de  difficalté  à  croire 
ù  des  résultats  si  beaux.  Les  perfectioanefueuts  faits  h  la  turbine 
donnent  un  effet  utile  de  88  h  90  p.  0/0. 

La  machine  de  Marly  donne  2  ou  2  3/à  p.  100,  c'est-à-dire  que  si 
ToD  donae  100  litres  d'eau  au  moteur,  avec  i  mètre  de  <^ute,  il 
ôlôvera  2  litres  ou  2  litres  ZjU  d'eau  ii  1  mètre  de  bautear* 


660  NAVIGATION. 

La  turbine  donne  des  effets  tels  que,  au  liea  de  fournir  2  litres 
d/ù,  elle  donnera  88  et  90  litres,  en  même  temps  que  pour  son  éti- 
blissement  elle  coûte  infiniment  moins  que  toute  aatre  machine, 
quelle  qu'elle  soit 

Je  n'ai  jamais  osé  prononcer  ces  chiffires,  parce  qu*on  riait  C'était 
incroyable. 

M.  Arago,  il  y  a  dix  ans  déjà,  a  apprécié  cette  invention  à  sa 
juste  valeur;  et,  loin  d'avoir  exagéré  les  résultats  de  ce  moteur,  il 
avait  annoncé  beaucoup  moins  que  la  machine  ne  produit 

[Il  est  question  dans  le  discours  placé  ci-dessos  de  divers  appa- 
reils hydrauliques  dont  M.  Arago  a  conseillé  l'emploi  pour  améliorer 
le  cours  de  la  Seine  et  pour  tirer  le  meilleur  parti  possible  é» 
eaux  de  ce  fleuve.  On  a  réuni  ici  tout  ce  qu'il  a  laissé  «or  ces  divers 
sujets,  savoir  :  turbine  de  M.  Fourneyron,  barrages  mobiles  à 
aiguilles,  barrage  articulé,  barrage  mobile  de  M^  Thénard.] 


II 

TURBINE   DE   M.    FOURNETRON  * 

La  ville  de  Paris  est  alimentée,  en  eau  de  Seine,  par 
des  machines  à  vapeur  établies  à  Ghailiot,  au  Gros- 
Caillou,  au  quai  des  Ormes,  à  la  Râpée,  et  par  une 
roue  hydraulique  à  palettes  située  sous  une  des  arches 
du  pont  Notre-Dame.  Cette  dernière  machine,  quoi- 
qu'elle soit  en  très-mauvais  état,  entre  dans  le  produit 
total  d'environ  430  pouces  d'eau  de  rivière,  que  la  ville 
distribue,  pour  70  à  80  pouces  de  fontainiers,  élevé? 
à  26  mètres.  Il  me  parut  évident  que,  sans  changer  eu 
aucune  manière  les  conditions  de  la  navigation  actuelle 
de  la  Seine,  le  produit  de  la  force  dépensée  au  pont 
Notre-Dame  pourrait  être  considérablement  augmenté, 

1.  Note  écrite  en  1837  et  insérée  en  partie  dans  les  Comptes- 
rendus  de  r Académie  des  sciences^  t  IV. 


NAVIGATION.  501 

et  (lès  lors  je  regardai  comme  un  devoir  d'étudier  ce  pro- 
blème. Depuis  quelques  mois  le  cadre  dans  lequel  j'avais 
voulu  primitivement  me  renfermer  s'est  notablement 
agrandi.  Des  projets  actuellement  en  discussion  au  sein 
de  l'administration  des  ponts  et  chaussées,  m'ont  conduit 
à  penser  que  la  navigation  de  la  Seine  pourrait,  avec 
avantage,  s'établir  sur  le  seul  bras  gauche.  Dans  cette 
hypothèse,  un  barrage  mobile  serait  installé  au  pont 
Notre-Dame,  et  y  procurerait  une  chute  de  70  à  75  cen- 
timètres en  temps  de  crue,  et  de  1°\5  à  Tétiage.  Pendant 
l'élé ,  quand  la  pénurie  d'eau  se  fait  vivement  sentir  dans 
la  plupart  des  quartiers  de  la  capitale,  on  aurait  donc 
pour  pourvoir  aux  besoins  des  habitants  et  aux  divers 
services  de  propreté  et  de  salubrité,  une  force  représentée 
par  le  débit  du  bras  droit  de  la  Seine  (il  est  alors  d'en- 
viron 100  mètres  cubes  d'eau  par  seconde),  tombant 
d'un  mètre  et  demi  de  hauteur,  c'est-à-dire  la  force  de 
200  chevaux  travaillant  nuit  et  jour. 

L'immensité  de  cette  force  ne  devait  pas  me  dispenser 
de  chercher  le  moyen  d'en  tirer  parti.  Après  bien  peu 
d'hésitation ,  je  reconnus  qu'il  faudrait  adopter  les  tur- 
bines de  M.  Fournevron. 

On  appelle  turbines  des  roues  qui  ont  la  propriété 
commune  de  tourner  autour  d'un  axe  vertical.  La  pre- 
mière roue  hydraulique  connue  sous  ce  nom  fut  imaginée 
en  1824,  par  M.  Burdin,  ingénieur  des  mines;  l'eau 
arrivait,  dans  cette  roue,  à  la  base  supérieure  d'un 
cylindre  ou  tambour  vertical ,  et  se  trouvait  rejetée  à  la 
base  opposée.  L'eau  entrait  et  sortait  près  de  la  circon- 
férence extérieure,  suivant  des  canaux  plies  en  hélice  à 

V.— II.  36 


562  NAVIGATION. 

la  surface  du  tambour  qui  devait  avcnr  une  hauteur  égale 
à  la  moitié  de  la  hauteur  entière  de  la  chute  d'eau  dispo- 
nible. 

Dans  les  turbines  de  M,  Foumeyron ,  dont  la  première 
fut  construite  en  1827,  le  tambour  n'a  qu'une  petite  épais- 
seur, quelques  décimètres,  par  exemple,  quelque  grande 
que  soit  la  hauteur  de  chute.  L'eau  s'élance  obliquement 
en  jets  horizontaux  de  tout  le  contour  d'un  cylindre  inté* 
rieur  vertical  ;  pénètre  de  tous  côtés  dans  les  comparti- 
ments de  la  roue  extérieure  qui,  en  tournant,  affleure  ce 
cylindre  ;  suit ,  en  les  pressant,  des  aubes  courbes  renfer- 
mées entre  les  deux  bases  horizontales,  et  s'échappe 
horizontalement  par  la  tranche  verticale  du  tambour  exté- 
rieur. Dans  cette  roue,  l'eau  agît  sur  toutes  les  aubes  à 
la  fois,  et  ne  charge  pas  l'appareil  d'une  haute  colonne 
d'eau.  En  outre,  la  machine  pouvant  être  entièrement 
noyée  dans  l'eau,  peut  fonctionner  dans  les  temps  de 
gelée  ou  bien  lors  des  grandes  crues,  c'est-à-dire  dans 
les  circonstances  où  les  autres  roues  hydrauliques  sont 
obligées  de  s'arrôten 

On  comprend,  d'après  ces  courtes  explications,  pour- 
quoi je  m'arrêtai  à  l'idée  d'employer  les  turbines  de 
M.  Foumeyron  pour  utiliser  la  chute  d'eau  que  devait 
rendre  disponible  l'amélioralion  du  cours  de  la  Seine 
dans  le  système  que  j'avais  en  vue.  J'écrivis  à  cet  habile 
ingénieur  de  venir  à  Paris;  il  étudia  avec  moi  toutes 
les  conditions  du  problème,  et  rédigea,  d'après  mon 
désir,  un  projet  détaillé  d'établissement  hydraulique  dans 
lequel  la  machine  jouerait  le  principal  rôle. 

Les  choses  en  étaient  là ,  lorsque  je  m'en  ouvris  au 


NAVIGATION.  S63 

préfet  de  la  Seine,  à  l'honorable  M.  de  Rambutean,  dont 
Tardeur  éclairée  pour  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  l'as- 
sainissement,  à  l'embellissement  de  la  capitale  et  au 
bien-ctre  de  la  population ,  ne  sera  jamais  dépassée.  Je 
lui  demandai  de  soumettre  mes  idées  à  l'examen  d'une 
commission.  J'émis  même  le  vœu  que  diverses  personnes 
très-habiles,  mais  qui,  faute  d'expériences  directes, 
avaient  publiquement  manifesté  des  opinions  peu  favo-^ 
râbles  aux  turbines,  fussent  comprises  au  nombre  des 
juges  que  je  sollicitais.  M.  de  Rambuteau  souscrivit  à 
tous  mes  désirs  avec  une  inépuisable  complaisance.  Dès 
la  première  réunion  de  la  commission,  les  objections  que 
j'avais  prévues,  ou  plutôt  que  j'avais  provoquées,  se 
manifestèrent.  Personne,  en  présence  de  faits  authen- 
tiques, ne  pouvait  méconnaître  que,  sous  l'action  de  trèfik 
fortes  chutes,  les  tui'bincs  donnent  des  résultats  en  quelque 
sorte  inespérés;  mais  sur  la  Seine,  les  chutes  seraient 
toujours  faibles,  les  turbines  ne  sauraient  manquer 
d'avoir  de  grandes  dimensions;  de  plus,  elles  devraient 
être  constamment  immergées.  De  là  des  doutes,  des 
craintes  très-naturelles  que  des  expériences  directes  pou- 
vaient seules  dissiper. 

Malheureusement,  il  n'existait  encore  à  quelque  distance 
de  Paris  qu'une  seule  turbine,  et  elle  avait  été  construite 
pour  une  chute  de  deux  mètres  au  moins.  Cette  machine 
était  d'ailleurs  le  moteur  du  très-grand  établissement  de 
tissage  mécanique  d'Inval,  près  de  Gisors.  Si  elle  cessait 
de  marcher ,  quatre  cents  métiers  et  trois  à  quatre  cents 
ouvriers  restaient  inactifs.  Il  y  avait  là  des  difficultés  qui 
nous  paraissaient,  qui  devaient  nous  parait]:e  insunnon- 


564  NAVIGATION. 

tables.  MM.  Davillier,  propriétaires  d' In  val,  en  ont  jugé 
autrement  :  Texpérience  qu*on  désirait  tenter  devant  être 
utile  à  la  science,  à  l'industrie,  à  la  ville  de  Paris,  ils 
n'ont  plus  calculé  les  embarras  qu'elle  amènerait  à  sa 
suite ,  les  dépenses  qu'elle  nécessiterait  :  avec  une  libéra- 
lité que  je  caractériserai  toujours  trop  faiblement  si  j'en 
juge  par  la  reconnaissance  qu'elle  m'a  inspirée,  la  turbine 
et  le  cours  d'eau  qui  la  mettait  en  jeu ,  ont  été  pendant 
tout  le  temps  nécessaire  (  un  dimanche ,  mi  lundi  et  la 
moitié  du  mardi  suivant)  entièrement  à  la  disposition  des 
commissaires  désignés  par  M.  le  préfet  de  la  Seine.  Ces 
commissaires  étaient  :  M.  Mary ,  ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées,  attaché  aux  travaux  de  Paris;  M.  de 
Saint-Léger ,  ingénieur  des  mines  à  Rouen  ;  M.  Manie! , 
élève  de  troisième  année  à  l'école  des  ponts  et  chaussées, 
et  M,  Fourneyron  lui-même.  Les  divers  résultats  qu'ils 
ont  obtenus  en  opérant  avec  la  plus  scrupuleuse  atten- 
tion, montrent  que  l'on  peut  compter,  avec  la  turbine  de 
M.  Fourneyron,  sur  un  effet  utile  de  CO  à  77  p.  0/0  dans 
les  circonstances  diverses  où  ils  ont  opéré,  c'est-à-dire 
avec  des  chutes  variant  de  0™.30  à  1".17,  et  la  profon- 
deur d'immersion  du  plan  supérieur  de  la  roue  variant 
de  O"".??  à  1™.50.  Des  difficultés  qu'il  ne  m'est  pas  donné 
en  ce  moment  de  prévoir,  viendraient  faire  échouer  mon 
projet  devant  le  conseil  municipal  de  Paris,  que  les  expé- 
riences d'Inval  n'en  seraient  pas  moins  une  précieuse 
acquisition  pour  la  science,  puisqu'elles  ont  assigné  défi- 
nitivement à  la  turbine  de  M.  Fourneyron  le  rang  qui  lui 
appartient  parmi  les  meilleurs  moteurs  hydrauliques. 
M.  Fourneyron  a  obtenu  des  résultats  identiques  à 


NAVIGATION.  5G5 

Sainte-Marie,  dans  la  forêt  Noire,  à  Taide  d'une  turbine 
d'un  tiers  de  mètre  de  diamètre,  qui  fonctionnait  sous  une 
pression  verticale  de  108  mètres  d'eau,  qui  faisait  2300 
tours  par  minute,  qui  ne  dépensait  que  30  litres  de 
liquide  par  seconde,  et  qui  réalisait  cependant  la  force 
de  60  chevaux  vapeur.  Quelques  personnes  avaient  paru 
craindre  que  les  tourillons  de  Taxe  de  la  turbine  ne  pussent 
résister  à  l'extrême  vitesse  que  je  viens  de  signaler  ;  mais 
Tcxpérience  a  prouvé  que  la  madiine  n'éprouvait  aucune 
détérioration.  . 

La  turbine  de  M.  Fourneyron  a  fait  partout  une  vive 
^:ensation  :  l'Allemagne,  la  Russie,  l'Angleterre  ont  voulu 
profiter  de  cette  invention.  Puisse  la  France  entrer  elle- 
même  largement  dans  une  voie  qui  promet  de  si  utiles 
résultats  à  l'industriel 

III 

BARRAGES    A    AIGUILLES 

[Le  gouvernement  demandant  un  crédit  de  10  millions  pour  Tamé- 
Uoration  de  la  Seine  entre  Paris  et  Rouen,  principalement  à  l'aide 
de  barrages  mobiles,  M.  Arago  a  critiqué  le  système  des  barrages  ii 
aiguilles  dans  le  discours  suivant,  prononcé  le  U  mars  18/i6  :  ] 

Je  désire,  Messieurs,  adresser  à  M.  le  ministre  quel- 
r|ues  questions  sur  la  manière  dont  les  barrages  proposés 
seront  exécutés.  Je  suis  partisan  du  projet  ;  je  voterai  la 
somme  demandée  ;  mais  je  ne  voudrais  pas  voter  en 
fiveugle,  je  désirerais  savoir  de  quelle  manière  on  opé- 
rera. Depuis  quelque  temps  on  nous  dit  très-peu  de  chose 
<uv  les  travaux  proposés  ;  si  nous  encouragions  l'adminis- 
tration à  persévérer  dans  cette  voie ,  la  Chambre  finirait 


566  NAVIGATION. 

par  n'être  plus  qu'un  bureau  ^enregistrement.  Les  pro- 
jets sont  rédigés  d'une  manière  très-vague.  Il  est  impos- 
sible de  savoir  à  quel  système  l'administration  s'arrêtera. 
On  a  dit  :  Nous  ferons  un  barrage  mobile.  Mais,  Mes- 
sieurs, il  y  a  plusieurs  systèmes  de  barrages  mobiles  dans 
ce  monde ,  et  je  crois  que  ce  n'eût  pas  été  trop  que  de 
nous  dire  quel  sera  celui  de  ces  systèmes  qu'on  devra 
appliquer... 

M.  d^'Angeville,  rapporteur.  Gela  a  été  dit  t 

M.  Arago.  Cela  n'est  pas  dans  l'exposé  des  motifs. 

M.  LE  Rapporteur.  On  ne  peut  pas  tout  mettre  dans  Texposé  des 
motifs. 

M.  Arago.  Il  n'y  a  pas  de  mal  cependant  à  ce  que  les 
députés  sachent  ce  qu'ils  votent  ;  il  y  a,  au  contraire,  un 
très-grand  avantage  à  ce  que  les  renseignements  fournis 
soient  exacts  et  complets.  Pour  moi ,  je  me  suis  trouvé 
fort  embarrassé  lorsque  plusieurs  personnes  sont  venues 
me  demander  de  quelle  manière  s'exécuteraient  les  tra- 
vaux de  la  traversée  de  Paris;  j'en  ai  été  réduit  à  dire  que 
je  ne  le  savais  pas,  et  cependant  j'ai  eu  l'honneur  de  faire 
partie  de  la  commission  d'enquête  chargée  de  chercher  le 
meilleur  système  à  suivre  dans  l'intérêt  public. 

Quel  est  le  barrage  qu'on  propose  au  fond?  Quoique 
cela  n'ait  pas  été  dit,  j'espère  que  je  vais  indiquer  la  véri- 
table solution  :  c'est  un  barrage  à  aiguilles. 

Les  barrages  à  aiguilles  actuels  sont  une  légère  modi- 
fication d'un  barrage  ancien  ;  ils  sont  dus  à  des  ingénieurs 
habiles,  à  M,  Dausse  et  à  M.  Poirée  ;  il  y  en  a  plusieurs 
d'exécutés  sur  l'Yonne  et  sur  un  petit  affluent  de  la 
Loire. 


NAVIGATION.  567 

Jadis,  quand  on  voulait  barrer  les  rivières,  moins  pour 
la  navigation  que  pour  les  arrosages,  on  plantait  vertica- 
lement dans  le  lit  des  pieux ,  entre  lesquels  on  plaçait  des 
ponts  en  cas  de  besoin  ;  dans  les  intervalles  compris  entre 
les  pieux  fixes  on  mettait  des  aiguilles  mobiles  retenues 
dans  le  haut  par  ces  ponts ,  dans  le  bas  par  un  seuil.  Il 
y  a,  dans  les  nouveaux  systèmes,  cette  modification,  que 
les  pieux  fixes  sont  devenus  mobiles,  qu'ils  peuvent  être 
abattus  et  relevés  quand  on  le  veut. 

Un  barrage  à  aiguilles  n'a  été  exécuté  sur  une  certaine 
échelle,  dans  un  point  de  grande  navigation  comme  celle 
qui  doit  s'établir  entre  Paris  et  Rouen,  que  sur  le  pertuîs 
de  la  Morue. 

On  a  fait  bien  des  rapports  d'ingénieurs  sur  les  avan- 
tages de  ce  barrage  dû  à  M.  Poirée.  J'en  ai  entendu 
parler,  je  ne  les  connais  pas  officiellement.  J'ai  voulu 
savoir  au  fond  comment  le  système  se  manœuvrait.  Il  y 
aurait  eu  peut-être  des  inconvénients  pour  la  manifesta- 
tion complète  de  la  vérité  à  ce  que  je  fisse  la  vérification 
moi  -  même.  J'ai  envoyé  au  pertuis  de  la  Morue  une  per- 
sonne très -intelligente,  très-honorable,  très-véridique , 
très-exercée  en  mécanique.  Je  l'ai  priée  d'examiner  com- 
ment les  choses  se  passaient,  et  de  recueillir  surtout  les 
déclarations  des  barragistes. 

Ëh  bien ,  la  manœuvre  ne  se  fait  pas  avec  la  rapidité 
qu'on  indiquait  ;  il  s'en  faut  de  beaucoup.  La  manœuvre 
est  très-difficile,  et  elle  est  très-dangereuse. 

Je  savais,  par  les  aveux  des  ingénieurs  que  cette 
manœuvre  intéressait  le  plus,  que  deux  barragistes 
s'étaient  noyés  en  faisant  l'o  ération. 


568  NAVIGATION. 

M.  Legrand,  sous-secrétaire  cTÉtai  des  travaux  publics.  C'est 
pendant  le  cours  des  travaux. 

M.  Arago.  Ne  s'en  est-il  pas  noyé' depuis? 

^I.  LE  SOUS-SECRÉTAIRE  D'ÉTAT.   Non  ! 

M,  Arago.  En  ôtes-vous  bien  sûr?  Les  barragistes 
témoins  de  l'événement  disent  le  contraire;  ils  disent,  il 
est  vrai,  que  c'était  la  faute  des  malheureuses  victimes  : 
elles  ne  savaient  pas  nager,  (Mouvements  divers.) 

Voilà  l'explication  qu'ils  ont  donnée.  On  n'a  pas  dit 
que  c'était  pendant  la  construction,  mais  ce  que  c'était 
pendant  la  manœuvre  des  aiguilles. 

Je  dirai  plus,  la  manœuvre  est  tellement  difficile,  telle- 
ment scabreuse,  que,  pendant  six  mois  de  l'année,  on 
n'ose  pas  la  faire.  Faites-vous  la  manœuvre  des  aiguilles 
quand  vous  courez  le  risque  que  l'eau  se  gèle  au  moment 
où  vous  enlevez  l'aiguille  ?  quand  vous  courez  le  risque 
de  jeter  des  glaçons  sur  le  port  de  service?  Assurément 
non. 

Par  ce  motif,  le  barrage  reste  ouvert,  il  reste  plongé 
dans  le  fond  de  la  rivière,  il  reste  abaissé  depuis  le  mois 
de  novembre  jusqu'au  mois  de  mai. 

M.  LE  souS'SECRÉTAiRE  d'état.  Il  Test  toujours  I 

M.  Arago.  Pardon!  Si  vous  m'interrompez  à  la  fin  de 
chaque  phrase,  il  me  sera  impossible  de  rien  dire  d'utile. 
Permettez-moi  d'achever. 

Prétcndraitr-on  par  hasard  que  la  navigation  n'est  pas 
possible  dans  les  mois  d'hiver  ?  J'affirmerai  hardiment 
que,  dons  l'intervalle  que  je  viens  d'indiquer,  la  naviga- 
tion s'opère  quelquefois  merveilleusement.  Publiez  les 


NAVIGATION.  569 

travaux  de  M.  Dausse ,  et  vous  verrez  que  je  n'énonce 
rien  de  trop. 

Le  barrage  n'est  pas  soulevé,  parce  qu'il  est  difficile 
de  le  soulever,  parce  que  les  crues  sont  rapides  à  cette 
époque,  et  qu'alors  on  court  le  risque  d'être  obligé 
de  le  laisser  levé  pour  un  moment  de  crue,  et  par  consé- 
quent de  produire  l'inondation  de  toutes  les  propriétés 
riveraines  circonvoisines.  Cela  est  arrivé  il  y  a  deux  ans, 
je  crois  ;  la  crue  montait  avec  tant  de  rapidité  que  les 
barragistes,  au  nombre  de  trois,  n'étaient  pas  sûrs  de 
faire  leurs  opérations  dans  un  temps  suffisant.  On  fut 
obligé  d'appeler  tous  les  vendangeurs  qui  étaient  dans 
les  environs,  et,  sans  leur  secours,  la  Seine  aurait  été 
barrée  dans  un  moment  de  crue ,  et  vous  auriez  eu  de 
grands  désastres.  J'affirme  ce  fait ,  par  ce  qu'il  est  con- 
stant. 

Je  vais  parler  d'un  inconvénient  grave.  Il  sera  question 
ici  de  perte  d'eau,  il  sera  question  d'une  chose  ayant  une 
analogie  éloignée  avec  le  jeu  des  turbines.  Je  crains  quo 
M.  le  ministre  ne  me  réponde ,  comme  il  m'a  répondu 
hier,  par  une  plaisanterie  spirituelle,  mais  qui  était  la 
plus  étrange  erreur  hydraulique.  (Mouvement.  )  M.  le 
ministre  a  dit  que  la  turbine  avait  l'inconvénient  de  boire 
beaucoup  d'eau;  mais  savez-vous  que  c'est  précisémer.t 
là  l'avantage  des  turbines?  c'est  par  cette  propriété  la 
que  les  professeurs  d'hydraulique  commencent  toutes  leurs 
leçons  sur  les  turbines.  La  turbine,  disent-ils,  a  l'avan- 
tage sur  les  roues  ordinaires ,  l'avantage  très-considé- 
rable, très -précieux,  de  boire  beaucoup  d'eau  dans  un 
temps  très-court ,  d'agir  par  toutes  ses  palettes  à  la  fois, 


S70  NAVIGATION. 

tandis  qu*une  roae  ordioaire  n*a  que  très-peu  de  palettes 
en  prise  à  chaque  instant  Je  ne  puis  pas  vraiment  suppo- 
ser que  H.  le  ministre  ait  imaginé  que  Feau  n'était  pas 
rendue  immédiatement  L*eau  entrée  dans  la  turbine 
retombe  aussitôt  à  la  Seine,  et  la  rivière  se  trouve  être 
dans  les  mêmes  conditions  que  si  le  liquide  n'avait  pas 
passé  par  la  machine.  J'avoue  que  je  ne  comprends  pas 
le  reproche  qu'a  adressé  M.  le  ministre  aux  turbines. 

Je  vais  essayer  d'être  le  plus  clair  possible,  afin  que  si 
IL  le  ministre  me  fait  l'honneur  de  me  répondre ,  il  ne 
confonde  pas ,  comme  il  l'a  fiait  hier ,  la  quantité  d'eau 
disponible  avec  la  quantité  d'eau  vendue. 

J'ai  dit  que  la  quantité  d'eau  vendue  s'élevait  à  7  litres 
par  personne.  M.  le  ministre  a  trouvé  128  litres  en  pre- 
nant pour  base  le  débit  du  canal  de  l'Ourq  ;  je  ne  sais  pas 
pourquoi  il  n'a  pas  pris  la  quantité  totale  de  l'eau  de  la 
Seine,  il  aurait  trouvé  davantage.  (On  rit  )  J'ai  parié 
d'eau  vendue  et  non  d'eau  tiiaponible. 

Je  suis  d'autant  plus  fâché  de  cette  erreur,  que  le  rai- 
sonnement de  M.  le  ministre  a  amené  un  de  ses  défen- 
seurs à  supposer  que ,  quand  je  parlais  de  7  litres  pour 
la  consommation  moyenne  par  individu,  c'était  7  litres 
pour  la  consommation  annuelle.  (  On  rit  )  Vous  trouve- 
rez dans  le  journal  le  plus  accrédité  du  ministère  cette 
incroyable  erreur. 

Voilà  comment  on  a  commenté  votre  argumentation. 
Le  commentaire  est  mauvais,  votre  texte  était  meilleur 
(On  rit)  quoiqu'il  ne  fût  pas  irréprochable. 

Vous  fermez  la  rivière  avec  des  aiguilles  ;  vous  voulez 
empêcher  l'eau  de  couler.  Eh  bien,  avez-vous  jamais 


NAVIGATION.  571 

réussi  à  mettre  les  aiguilles  en  contact?  cette  manœuvre 
des  aiguilles  est  très -difficile,  elle  est  très -dangereuse. 
Un  homme,  placé  sur  un  pont  très-étroit,  ne  manœuvre 
pas  avec  facilité  une  aiguille  de  Sa  4  mètres,  quand  il  y 
a  un  courant  considérable. 

Vous  croyez.  Messieurs,  que  je  me  suis  trompé  dans  la 
dimension  des  aiguilles?  Vous  êtes  dans  Terreur.  11  y  a 
la  portion  plongée,  il  y  a  la  portion  comprise  entre  le 
niveau  supérieur  et  le  pont ,  il  y  a  ensuite  la  partie  que 
saisit  la  main.  Ces  aiguilles  ne  se  touchent  pas,  par  consé- 
quent vous  ne  barrez  pas,  vous  laissez  une  claire-voie, 
au  lieu  de  faire  un  barrage  complet.  11  est  évident  que  si 
vous  faisiez  un  barrage  complet,  vous  obtiendriez  le 
mouillage  voulu  dans  un  temps  beaucoup  plus  court. 
Ces  opérations  si  défectueuses,  vous  pouvez  les  faire  par 
d'autres  systèmes  sûrement  et  rapidement. 

Je  vous  demande  si  vous  êtes  complètement  résolus  à 
vous  servir  partout  du  système  à  aiguilles.  Voilà  ma  ques- 
tion ;  elle  est  claire,  et  j'espère  qu'elle  ne  donnera  lieu  à 
aucune  équivoque. 

Si  vous  êtes  résolus  à  vous  servir  d'un  système  dont 
les  défauts  sont  manifestes  et  patents ,  qui  ne  peut  pas 
être  manœuvré  dans  un  temps  très- court,  qui  devrait 
l'être  avec  rapidité  dans  une  rivière  destinée  à  recevoir  la 
navigation  à  vapeur,  je  dis  que  vous  ignorez  les  progrès 
que  l'art  a  faits. 

Ne  vous  obstinez  pas  à  n'employer  qu'un  système 
imparfait;  je  l'appelle  ainsi  et  je  n'ai  pas  dit  cependant  à 
quels  subterfuges,  à  quels  expédients  on  propose  d'avoir 
recours  pour  empêcher    l'eau   de   s'écouler   entre  les 


572  NAVIGATION. 

aiguilles  :  On  veut  mettre  de  la  toile  devant  !  On  ne  l'a 
pas  inïprimé  ;  on  Ta  dit.  Il  est  évident  que  la  manœuvre 
de  ces  aiguilles ,  que  la  manœuvre  de  cette  toile  seront 
très-difficiles.  Partout  où  vous  avez  établi  des  barrages  à 
aiguilles,  vous  êtes  obligé  de  nettoyer  le  système  jour  et 
nuit.  Il  s'insinue  entre  les  aiguilles  des  matières  qui  ne 
permettent  pas  de  les  manœuvrer.  L'homme  qui  est  dans 
la  position  du  barragiste  n'a  qu'une  puissance  très-bomco, 
et  si  vous  introduisez  dans  les  aiguilles  des  branches  d'ar- 
bres ,  d'autres  matières ,  vous  n'êtes  plus  en  mesure  de 
retirer  les  aiguilles,  et,  s'il  arrive  une  crue,  vous  inonde- 
rez toutes  les  campagnes  voisines*  C'est  à  cet  inconvénient 
que  vous  devez  parer. 

Si  vous  tenez  beaucoup  à  vos  aiguilles,  je  ne  vous 
demande  pas  de  ne  pas  les  employer  ;  mais  essayez  des 
autres  systèmes;  ne  vous  montrez  pas  ennemis  du  pro- 
grès à  ce  point  de  ne  pas  vouloir  essayer  le  système  de  la 
porte  articulée  et  le  système  de  M.  Thénard. 

IV 

BARRAGE    ARTICULÉ 

Il  existe  en  Hollande  plusieurs  écluses  qui  se  ferment 
et  s'ouvrent  par  l'effort  même  des  eaux  dont  ces  écluses 
sont  destinées  à  régler  le  cours;  le  général  Goblet  a  con- 
struit, il  y  a  peu  d'années,  une  écluse  de  cette  espèce. 
M.  Fourneyron  a  imaginé,  en  1841,  des  portes  d'écluses 
fondées  sur  ce  principe  général  mais  qui  diffèrent  com- 
plètement, pour  les  inventions  mécaniques  qui  les  carac- 
térisent, de  tous  les  systèmes  anciens.  Les  portes  propo- 


NAVIGATION.  673 

sées  par  M,  Fourneyron  étaient  destinées  à  fermer  les 
arches  du  Pont-Neuf  à  Paris,  afin  de  former  une  chute 
de  la  Seine,  qui  procurerait,  sur  ce  point,  une  grande 
force  susceptible  d'élever,  au  moyen  de  turbines,  un 
volume  d'eau  considérable  à  distribuer  dans  tous  les 
quartiers  de  la  ville. 

Tout  le  monde  a  remarqué  que  sous  l'arche  d'un  pont 
il  se  forme  toujours  une  espèce  de  chute  provenant  du 
rétrécissement  du  lit  de  la  rivière.  Eh  bien,  qu'on  sup- 
pose une  grande  porte  cochère  s' ouvrant  d'amont  en 
aval  ;  le  courant  de  l'eau  tendra  constamment  à  la  pous- 
ser et  à  appliquer  les  deux  battants  contre  chacune  des 
piles  de  l'arche  du  pont,  La  difficulté  est  donc  de  tenir 
cette  porte  fermée. 

M.  Fourneyron  a  imaginé  de  faire  articuler  les  deux 
battants,  dans  toute  la  longueur  du  bord  libre,  avec  une 
cloison  verticale  composée  elle-même  de  deux  pièces 
articulées  entre  elles,  et  dont  l'autre  extrémité  dirigée 
à  l'aval  se  rend  obliquement  à  la  pile,  et  s'y  fixe  par 
une  nouvelle  articulation.  H  y  a  ainsi  derrière  chaque 
battant  un  prisme  creux  triangulaire  dont  la  face 
d'amont  est  constituée  par  le  battant  de  la  porte,  la  face 
d'aval  par  la  cloison  articulée,  la  face  latérale  par  la  pile 
du  pont. 

Si  ce  prisme  était  vide,  ou  si  seulement  l'eau  y  était  au 
même  niveau  qu'en  amont  des  battants,  ceux-ci  céde- 
raient au  courant  en  repliant  la  cloison  contre  le  mur. 
Pour  remplir  ce  prisme  et  y  établir  le  niveau  de  l'eau  au- 
dessus  du  niveau  de  l'amont  du  battant,  on  pratique 
dans  la  pile  un  canal  latéral  qui  prend  l'eau  à  Tentrée  de 


574  NAVIGATION. 

l'arche  au-dessus  de  la  porte,  et  Tamène  dans  le  pristne 
où  elle  s'élève  plus  haut  qu'en  avant  du  battant.  La  diffé- 
rence des  niveaux  exerce  une  pression  suffisante  pour 
maintenir  la  porte  fermée. 

Pour  ouvrir  le  barrage ,  on  ferme  le  conduit  qui  ame- 
nait l'eau  dans  le  prisme,  et  on  laisse  écouler  l'eau  qui  y 
était  contenue.  Le  sens  de  l'excès  de  pression  changeant, 
il  est  évident  que  la  porte  doit  céder  au  courant. 

Un  petit  mécanisme  à  manivelle,  que  peuvent  faire 
manœuvrer  même  une  femme  ou  un  enfant,  en  faisant 
mouvoir  deux  vannes  en  sens  inverse,  ouvre  et  ferme  tour 
à  tour  Torifice  d'admission  de  l'eau  dans  le  prisme,  en 
même  temps  qu'il  ferme  ou  qu'il  ouvre  l'orifice  d'émission. 

Tel  est  l'ingénieux  système  de  portes,  pour  les  écluses 
à  large  ouverture,  qu'a  proposé  M.  Fourneyron,  et  qu'il 
serait  désirable  de  voir  appliquer. 


BARRAGE    MOBILE    DE   M.    THÉ5ABD.* 

Tous  les  moyens  de  locomotion  et  de  transport  sont, 
depuis  une  quarantaine  d'années ,  l'objet  de  recherches 
assidues  et  approfondies.  Ajoutons  que  le  succès  a  cou- 
ronné presque  constamment  les  efforts  des  ingénieurs. 

Ainsi ,  la  question  du  tracé  des  routes  a  été  définitive- 
ment soumise  à  des  principes  mathématiques.  Des  expé- 
riences nombreuses  ont  fait  connaître  le  rapport  du  frot- 

1.  Rapport  fait  à  TAcadéinie  des  sciences,  dans  la  séance  dB 
5  aoiU  IS^Zi,  au  nom  d'une  commission  composée  de  MM.  Ponceleii 
riobert,  Dufrénoy,  Aragô  rapporteur. 


NAVIGATION.  575 

tement  à  la  pression ,  sur  les  divers  terrains  naturels  ou 
artificiels  formant  en  France  la  surface  des  principales 
routes.  Les  propriétés  comparatives  des  véhicules  à 
grandes  ou  à  petites  roues,  à  jantes  larges  ou  étroites, 
sont  maintenant  nettes  et  définies.  Des  essais  métho- 
diques ,  entrepris  sur  une  assez  grande  échelle ,  éclaire- 
ront bientôt  l'administration ,  touchant  les  meilleurs  sys- 
tèmes de  pavage;  on  saura  ce  qu'il  est  permis  d'attendi'e 
du  bois  substitué  au  grès,  des  cylindrages  exécutés  à 
l'aide  des  rouleaux  compresseurs  convenablement  pon- 
dérés, de  l'emploi  de  telle  ou  telle  matière  d'aggloméra- 
tion ,  suivant  la  nature  des  cailloux  formant  les  chaussées 
d'empierrement,  etc. 

Il  faudait  un  grand  nombre  de  pages  pour  signaler  ce 
qui  a  déjà  été  réalisé  concernant  les  chemins  de  fer,  et 
les  améliorations  qui  sont  en  cours  d'expériences. 

Cédant  à  des  idées  préconçues  touchant  les  ondula- 
tions des  liquides ,  cédant  à  la  crainte  de  détru  re  les 
berges,  personne  n'exécutait  jadis  le  halage  sur  les 
canaux ,  qu'au  petit  pas.  Maintenant  les  bateaux  rapides 
les  parcourent  avec  la  vitesse  des  chevaux  de  poste. 

Chaque  jour,  la  grande  navigation  à  vapeur  fait  de 
nouveaux  progrès;  chaque  jour  apporte,  en  ce  genre, 
des  découvertes  qui  laissent  bien  loin  derrière  elles  les 
améliorations  prévues  et  même  les  espérances  des  esprits 
enthousiastes.  Les  ports  les  plus  entourés  d'écueils  sont 
maintenant  accessibles  par  tous  les  vents ,  par  tous  les 
états  de  la  mer.  Des  remorqueurs  y  conduisent  avec  faci- 
lité ,  avec  sûreté ,  de  jour  comme  de  nuit ,  les  bâtiments 
de  commerce  et  de  guerre.  Déjà  certains  steamers  riva- 


6  NAVIGATION. 


lisent  en  grandeur  avec  les  immenses  vaisseaux  à  trois 
ponts.  Bientôt,  peut-être,  ils  les  surpasseront  en  puis- 
sance militaire. 

La  navigation  fluviale  n'est  pas  non  plus  restée  sta- 
tionnaire  :  mille  bateaux  à  vapeur,  remarquables  par  leur 
commodité ,  par  leur  élégance ,  par  la  rapidité  de  leur 
marche ,  et  principalement  par  de  très-ingénieuses  ma- 
chines, sillonnent  en  tous  sens  les  rivières  des  deux 
mondes. 

Que  manque-t-il  dans  notre  pays,  pour  assurer  à  cette 
navigation  fluviale  une  supériorité  décidée  sur  les  autres 
moyens  de  locomotion  et  de  transport?  Une  seule  chose, 
peut-être,  des  rivières  à  niveau  moins  variable,  des 
rivières  qui ,  en  été ,  en  automme ,  offrent  dans  leur  che- 
nal une  profondeur  d'eau  de  plus  d'un  mètre. 

Des  barrages  peuvent  conduire  à  ce  résultat. 

Qui  ne  comprend,  en  effet,  que  si  l'on  établissait 
aujourd'hui,  en  face  d'Auteuil ,  par  exemple,  de  la  rive 
droite  à  la  rive  gauche  de  la  Seine,  un  barrage  continu, 
haut  de  2  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  rivière ,  l'eau 
ne  commencerait  à  se  déverser  par-dessus  la  crête  de  ce 
barrage,  qu'après  avoir  monté  de  2  mètres,  et  que  cet 
exhaussement  se  ferait  sentir  jusque  dans  Paris?  Un 
barrage  semblable  exécuté  entre  le  pont  des  Arts  et  le 
Pont-Neuf,  élèverait  notablement  le  niveau  de  la  rivière 
jusqu'à  Bercy,  et  ainsi  de  suite.  En  espaçant  ces  con- 
structions d'une  manière  convenable,  on  aurait  sur  la 
rivière  une  série  de  nappes  liquides  échelonnées,  où  des 
bateaux  d'un  bon  tirant  d'eau  pourraient  naviguer  même 
en  temps  de  grande  sécheresse.  Le  passage  d'une  nappe 


NAVIGATION.  5T7 

à  la  nappe  immédiatement  inférieure  ou  supérieure ,  le 
passage  d'un  échelon  liquide  à  l'échelon  voisin,  se  ferait 
commodément  par  l'intermédiaire  d'écluses  à  sas. 

Les  barrages  partiels ,  ceux  qui  au  lieu  de  s'étendre 
d'une  rive  à  l'autre  de  la  rivière  n'embrasseraient  qu'une 
partie  de  sa  largeur,  occasionneraient  aussi ,  en  amont , 
un  exhaussement  du  niveau  des  eaux;  mais  l'effet  serait 
moins  considérable  que  sous  l'action  des  barrages  com- 
plets. 

Rendre  les  rivières  navigables  en  tout  temps ,  même 
à  l'époque  des  grandes  sécheresses,  serait  une  chose 
assurément  très-utile  ;  mais  il  est  bon  de  songer  à  la  sai- 
son des  crues;  il  faut  se  rappeler  que  l'effet  inévitable 
des  barrages  permanents,  complets  ou  partiels,  est  de 
rendre  les  débordements  plus  fréquents  et  plus  désas- 
treux. Sous  ce  rapport,  les  piles  de  ponts  elles-mêmes 
sont  quelquefois  fort  nuisibles. 

Voilà,  en  peu  de  mots,  ce  qui  a  conduit  à  l'idée  des 
barrages  susceptibles  d'être  facilement  enlevés  ou  plon- 
gés au  fond  des  eaux ,  les  barrages  appelés  mobiles ,  des- 
tinés à  rester  en  place  pendant  la  sécheresse,  et  à  dispa- 
raître au  moment  des  crues. 

Le  système  de  barrage  que  M.  l'ingénieur  en  chef 
Tliénard  a  soumis  à  l'approbation  de  l'Académie,  appar- 
tient à  la  catégorie  des  barrages  mobiles.  Il  a  été  déjà 
appliqué  sur  un  des  affluents  de  la  Dordogne  ;  sur  une 
rivière,  l'isle,  dont  le  débit  est  de  dix  mètres  cubes  seu- 
lement par  seconde,  à  l'étiage;  de  85  mètres  en  eaux 
moyennes;  de  242  mètres,  quand  elle  coule  à  pleins 
bords  ;  de  500  à  600  mètres  dans  les  plus  fortes  crues, 
V.  -  u.  37 


578  NAVIGATION. 

Appelé  par  ses  fonctions  à  diriger,  à  perfectionner  la 
navigation  d'une  rivière  si  variable;  n*ayant  d^ailleurs à 
sa  disposition  que  de  faibles  ressources,  M.  Thénard 
sMmposa  ces  deux  conditions  rigoureuses  : 

Il  faudra  que  l'abaissement  et  le  relèvement  du  bar- 
rage s'opèrent  en  un  petit  nombre  de  minutes  ;  un  seul 
homme,  le  gardien  de  l'écluse,  devra  pouvoir  faire  la 
double  opération  sans  courir  aucun  danger. 

Essayons  de  caractériser  d'une  manière  générale  la 
conception  de  M.  Pingénieur  Thénard.  Nous  nous  occu- 
I)erons  ensuite ,  s'il  y  a  lieu ,  de  la  construction  du  bar- 
rage et  des  manœuvres;  nous  descendrons  aux  détails. 

Concevons,  de  nouveau,  que  la  Seine  soit  barrée  d'une 
rive  à  l'autre,  à  l'aide  d'une  porte  en  bois  verticale,  de 
2  mètres  de  haut,  liée  par  des  charnières  en  métal  (par 
des  gonds) ,  à  des  longrines  placées  les  unes  à  la  suite 
des  autres,  au  fond  de  la  rivière.  Les  longrines  seront 
fixées  au  radier  en  maçonnerie,  dont  il  faut  supposer  que 
le  fond  de  la  Seine  est  recouvert. 

La  porte,  d'après  les  dispositions  de  la  charnière,  ne 
peut  s'abattre  que  d'amont  en  aval.  Pour  la  maintenir 
dans  la  position  verticale,  pour  Pempêcher  de  céder  à  la 
pression,  au  choc  de  l'eau  d'amont,  il  faudra  évidemment 
la  soutenir  vers  l'aval  par  des  arcs-boutants ,  par  des 
jambes-de-force  prenant  leur  point  d'appui  sur  le  radier. 
On  se  fera  une  idée  suffisante  de  ce  que  peuvent  être  ces 
arcs-boutants,  en  se  rappelant  le  petit  mécanisme  dont 
les  ébénistes  font  usage  pour  soutenir,  sous  des  inclinai- 
sons variées,  certains  miroirs  de  toilette  et  certains 
pupitres. 


NAVIGATION.  679 

Veut-on  maintenant  que  le  barrage  disparaisse? 

11  suffira  de  soulever  un  tant  soit  peu  les  jambes-de- 
force,  d'ôter  leurs  extrémités  inférieures  des  entailles  au 
fond  desquelles  elles  arcs- boutaient;  aussitôt  la  pression 
du  liquide  fera  tourner  la  porte,  d'amont  en  aval,  autour 
des  charnières  horizontales  noyées,  et  la  couchera  sur  le 
radier. 

De  prime  abord,  rien  de  plus  simple,  de  plus  satisfai- 
sant que  la  manœuvre  qui  vient  d'être  décrite  ;  mais  cette 
première  impression  disparaît  quand  on  réfléchit  à  l'obli- 
gation d'aller  soulever,  une  à  une,  toutes  les  jambes-de- 
force.  Est-ce  en  bateau  qu'on  ira  faire  l'opération?  est-ce 
en  amont?  est-ce  en  aval  ?  On  ne  peut  songer  à  marcher 
sur  répaisseur  de  la  porte ,  puisqu'elle  est  recouverte  par 
la  nappe  liquide  qui  se  déverse  d'amont  en  aval.  De  quel- 
que manière  qu'on  envisage  la  question,  on  aperçoit 
difficultés  et  dangers. 

En  fait  de  difficultés,  la  principale  consisterait  à  rame- 
ner la  porte  couchée,  de  la  position  horizontale  à  la  posi- 
tion verticale  ;  à  vaincre,  par  les  efforts  d'un  seul  homme, 
l'action  impulsive  de  l'eau  sur  une  si  immense  palette  ! 
11  est  vrai  que  cette  palette  on  pourrait  la  fractionner,  la 
diviser  en  un  certain  nombre  de  parties  susceptibles 
d'être  abaissées  et  relevées  séparément.  L'expédient 
serait  assurément  très-utile;  mais  où  l'éclusier  irait-il 
prendre  ses  points  d'appui  pour  opérer  tous  les  sou- 
lèvements partiels? 

Supposons  que  d'après  la  disposition  des  charnières, 
au  lieu  de  se  rabattre  d'amont  en  aval ,  comme  nous 
l'avons  d'abord  admis,  la  porte  continue  ou  Tractionnée 


580  NAVIGATION. 

ne  puisse  tourner  à  partir  de  la  position  verticale,  ne 
puisse  tourner  pour  se  coucher  au  fond  de  Teau,  que 
d'aval  en  amont.  Les  difficultés  des  manœuvres  seront, 
pour  la  plupart ,  l'inverse  de  celles  qui  viennent  de  nous 
occuper. 

Dans  le  premier  cas,  la  porte  une  fois  couchée  au  fond 
de  l'eau  vers  l'aval,  y  restait  par  l'effet  de  la  seule  impul- 
sion de  la  masse  liquide  descendante.  Dans  le  second  cas, 
il  faudrait  l'y  maintenir  par  un  mécanisme,  lors  même 
qu'à  raison  de  se^  ferrures  elle  aurait  une  pesanteur  spé- 
cifique un  peu  supérieure  à  celle  de  l'eau  ;  sans  ce  méca- 
nisme ,  le  courant  soulèverait  la  porte  en  la  prenant  par- 
dessous. 

La  porte,  susceptible  de  se  rabattre  d'amont  en  aval, 
ne  se  maintenait  dans  la  verticale,  ne  résistait  dans  cette 
position  à  l'impulsion  de  l'eau  descendante,  qu'à  l'aide 
des  jambes-de-force  dont  il  a  été  parlé.  Rien  de  pareil 
ne  serait  nécessaire,  quant  à  la  porte  qui  se  rabattrait 
d'aval  en  amont.  Une  fois  amenée  à  la  verticale ,  l'impul- 
sion de  l'eau  tendrait  à  l'y  maintenir,  disons  mieux,  à  la 
faire  passer  au  delà.  Cette  tendance  à  dépasser  la  position 
verticale  vers  l'aval  devrait  même  être  combattue,  soit 
à  l'aide  d'une  disposition  appropriée  des  charnières,  soit, 
plus  convenablement  encore,  avec  une  chaîne  bifurqu*'o 
attachée  par  deux  de  ses  bouts  à  la  porte ,  et  par  le  troi- 
sième bout  au  radier,  en  amont. 

Après  le  soulèvement  partiel  des  arcs-boutants,  la  pre- 
mière porte  se  rabattait  d'elle-même;  il  ne  fallait  d'efforl 
que  pour  la  relever. 

La  seconde  porte,  au  contraire,  se  relèverait  d'elle- 


NAVIGATION.  581 

môme;  un  effort  ne  serait  nécessaire  que  pour  la  rabattre 
contre  l'action  du  courant. 

Ce  sont  ces  propriétés,  comparativement  inverses, 
dont  M.  Thénard  a  tiré  ingénieusement  parti  :  c'est  en 
composant  son  barrage  des  deux  systèmes  accouplés; 
c'est  en  plaçant  sur  deux  lignes  parallèles,  à  quelques 
centimètres  de  distance,  les  portes  susceptibles  de  se 
rabattre  seulement  en  amont,  qu'il  a  vaincu  les  difficultés 
très-graves  inhérentes  à  chaque  système,  pris  isolément. 

La  manœuvre  du  double  système  sera  maintenant 
facile  à  décrire. 

Le  barrage  est  entièrement  effacé;  le  gardien  de 
l'écluse,  à  l'arrivée  d'une  crue,  a  couché  toutes  les 
portes.  La  crue  est  passée;  il  faut  relever  les  portes 
d'aval,  celles  qui,  pendant  les  sécheresses,  doivent 
exhausser  le  niveau  de  la  rivière. 

Écartons  le  mécanisme  qui  fixe  les  portes  d'amont  au 
radier.  Le  courant  les  soulève  et  les  amène  à  la  position 
verticale,  position  qu'elles  ne  peuvent  pas  dépasser,  soit 
à  raison  de  leurs  talons,  soit  parce  que  chacune  d'elles 
est  retenue ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  par  une  chaîne 
bifurquée ,  alors  tendue ,  dont  deux  des  bouts  sont  fixés 
à  la  partie  supérieure  de  la  porte ,  et  le  troisième  au 
radier. 

Quand  cette  première  série  de  portes  barre  entière- 
ment la  rivière,  les  portes  d'aval  peuvent  être  soulevées 
une  à  une  sans  des  tractions  trop  considérables,  car  de 
ce  côté  et  à  ce  moment  le  courant  est  momentanément 
supprimé.  Le  gardien  du  barrage,  armé  d'une  gaffe, 
exécute  cette  seconde  opération  en  se  transportant  le  long 


582  NAVIGATION. 

d'un  pont  de  service  qui  couronne  les  sommités  des  portes 
d'amont.  Au  besoin,  il  s'aide  d'un  petit  treuil  mobile. 
Du  haut  de  son  pont  léger,  il  s'assure  que  les  jambes-dc- 
force  des  portes  d'aval  sont  convenablement  placées, 
qu'elles  arcs-boutent  par  leurs  extrémités  inférieures, 
dans  les  repères  du  radier. 

Ceci  fait,  le  moment  est  venu  d'abattre  les  portes 
d'amont  :  elles  ne  devaient,  en  effet,  servir  qu'à  rendre 
la  manœuvre  des  portes  d'aval  exécutable,  qu'à  per- 
mettre à  un  seul  homme  de  les  soulever. 

Le  gardien  introduit  l'eau  par  de  petites  ventelles, 
entre  les  deux  séries  de  portes.  Elle  s'y  trouve  bientôt 
aussi  élevée  qu'en  amont.  Or,  dans  le  liquide  devenu  à 
peu  près  stagnant,  il  doit  sufDre  d'un  effort  médiocre 
pour  faire  tourner  les  portes  d'amont  autour  de  leurs 
charnières  horizontales  immergées,  pour  les  précipiter 
d'aval  en  amont,  de  telle  sorte  qu'elles  aillent  frapper 
le  fond  du  radier  et  s'y  loqueter.  Les  chaînes  de  retenue 
dont  nous  avons  parlé  contribuent,  pour  beaucoup,  à 
faciliter  ce  mouvement. 

On  a  pu  légitimement  se  préoccuper  des  dangers  que 
le  gardien  de  l'écluse  courrait ,  en  allant  et  venant  le 
long  d'un  pont  de  service  reposant  sur  une  série  de  portes 
qui,  dans  un  certain  moment,  ne  sont  retenues,  du  côte 
d'amont,  que  par  un  courant  d'eau  d'une  très-faible 
vitesse.  Hâtons-nous  donc  de  dire,  qu'à  mesure  qu'une 
porte  d'aval  est  soulevée  et  arc-boutée  à  l'aide  de  sa 
jambe-de-force,  M.  Thénard  la  fait  lier  par  un  long  cro- 
chet à  la  porte  correspondante  d'amont,  ce  qui  donne  au 
système  toute  la  stabilité  désirable. 


NAVIGATION.  583 

Dans  la  description  qu'on  vient  de  lire,  nous  avons 
d'abord  supposé  le  barrage  rabattu  ;  nous  nous  sommes 
occupés  ensuite  des  moyens  de  le  relever  ;  il  nous  reste  à 
dire ,  en  détail ,  comment  on  revient  de  cette  seconde 
position  à  la  première. 

Les  portes  d'aval ,  nous  l'avons  déjà  expliqué ,  s'abat- 
tent par  l'aetion  du  courant,  quand  les  arcs-boutants sont 
relevés,  ou  même  seulement  quand  leurs  extrémités  ne 
correspondent  plus  aux  étroites  saillies  en  fer  sui*  les- 
quelles ils  butaient. 

Voyons  donc  de  quelle  manière  on  peut  donner  à 
rextrémité  butante  le  mouvement  latéral  qui  la  portera 
en  dehors  de  la  petite  butée  en  fer. 

Chaque  arc-boulant  est  monté  à  charnière  sur  sa  porte; 
il  peut  ainsi  être  soulevé  indéfiniment ,  et  recevoir,  de 
plus,  un  léger  mouvement  giratoire  latéral.  Ce  mouve- 
ment giratoire,  F  éclusier  le  donne  à  l'aide  d'une  sorte  de 
crémaillère  en  fer,  glissant  sur  le  radier,  un  tant  soit  peu 
en  amont  des  pieds  des  arcs-boutants,  et  pouvant,  par 
l'intermédiaire  d'une  denture  convenable,  être  manœu- 
vrée  du  rivage.  Les  redans  de  la  barre  mobile  que  nous 
avons  appelée  crémaillère ,  sont  espacés  de  telle  sorte , 
qu'ils  ne  dévient  les  extrémités  des  arcs-boutants,  qu'ils 
ne  les  font  échapper  aux  saillies  en  fer,  aux  butées,  que 
les  uns  après  les  autres  :  les  portes  s'abattent  donc  suc- 
cessivement. 

Chaque  porte  d'amont  est  retenue  au  fond  de  l'eau  à 
l'aide  d'un  loquet  à  ressort  fixé  à  sa  partie  inférieure  et 
s'accrochant  à  un  mentonnet  en  fer,  attaché  invariable- 
ment à  une  des  longrines  liées  au  radier.  Le  Jéloquelage 


5Si  NAVIGATION. 

de  ces  portes  s'effectue  aussi  par  Tintermédiaire  d'uov 
barré  de  fer  glissante,  armée  de  redans  et  roanœuvrée 
du  rivage  avec  une  manivelle  et  des  roues  dentées.  Cette 
barre,  en  comprimant  les  ressorts  qui  tiennent  les  loquets 
en  place,  les  décroche  successivement,  et  chaque  porte 
soulevée  à  son  tour  par  le  courant  va  prendre  la  position 
verticale. 

Pour  bien  apprécier  le  mérite  de  Tinvention  de  M.  Thé- 
nard,  il  faut  surtout  savoir  avec  quelle  rapidité  s'exé- 
cutent les  manœuvres  des  deux  séries  de  portes.  Voici 
ce  que  nous  trouvons,  à  ce  sujet,  dans  un  rapport  du  mois 
de  juillet  1841,  rédigé  par  MM.  Mesnager,  Thénard, 
Vauthier  et  Kermaingant. 

A  Coly-Lemelette,  sur  la  rivière  Tlsle,  le  barrage  a 
48  mètres  de  long,  et  les  portes  d'aval  80  centimètres  de 
haut. 

Eh  bien ,  16  secondes  suffirent  pour  abattre  les  portes 
d'aval,  pour  faire  disparaître  entièrement  le  barrage. 

En  20  secondes  les  portes  d'amont  furent  relevées. 

Enfin,  dans  le  court  intervalle  de  8  minutes,  deux 
hommes  abaissèrent  les  portes  d'aval,  relevèrent  les 
portes  d'amont  après  les  avoir  successivement  déloque- 
tées, redressèrent  les  portes  d'aval,  remirent  tous  les 
arcs-boutants  en  place  et  recouchèrent  les  portes  d'amont, 
ce  qui  constitue  la  série  entière  des  opérations. 

Ici ,  le  radier  se  trouvait  à  sec  après  le  relèvement  de^ 
portes  d'amont,  et  les  portes  d'aval  furent  redressées  à  la 
main  par  deux  hommes  qui ,  partis  des  deux  rives  oppo- 
sées de  la  rivière,  allaient  à  la  rencontre  l'un  de  l'autre, 
en  marchant  sur  la  maçonnerie  du  radier.  Cette  expé- 


NAVIGATION.  Sa5 

rience  ne  fait  donc  pas  connaître  ce  que  la  manœuvre 
complète  destinée  à  relever  le  barrage  peut  exiger  de 
temps,  lorsque  Téclusier  agit  sur  les  portes  d*aval  avec 
un  petit  treuil,  transporté  successivement  en  divers  points 
du  pont  de  service.  Les  documents  remis  à  la  commis- 
sion par  M.  Thénard,  nous  permettront  de  combler  cette 
lacune. 

Le  9  juillet  1843,  MM.  Mesnager,  Thénard,  Spinasse, 
Silvestre  et  Vergne,  tous  ingénieurs  des  ponts  et  chaus- 
sées, constatèrent,  au  barrage  mobile  du  Moulin- Neuf, 
sur  la  rivière  Tlsle,  que  les  sept  portes  d'aval ,  de  1".7 
de  haut  et  de  1".2  de  large,  étaient  abattues  en  une  demi- 
minute  ;  que  le  relèvement  des  sept  portes  d'amont  n'exi- 
geait pas  plus  de  temps;  qu'un  homme  armé  du  petit 
treuil  portatif  et  placé  sur  le  pont  de  service,  employait 
H  minutes  à  relever  les  sept  portes  d'aval  et  à  établir  les 
arcs-boutants ;  que  le  même  homme,  enfin,  recouchait 
et  loque  tait  les  sept  portes  d'amont  en  8  minutes. 

11  nous  serait  facile  de  trouver  dans  d'autres  procès- 
verbaux,  des  exemples  de  manœuvres  encore  plus  rapides. 

L'Académie  aura  sans  doute  remarqué  que  les  parties 
les  plus  délicates,  dans  le  barrage  mobile  de  M.  Thénard, 
que  les  charnières  des  portes,  les  loquets  à  ressorts,  les 
crémaillères  glissantes,  situées  soit  en  amont,  soit  en 
aval,  fonctionnent  au  fond  de  l'eau.  On  peut  donc  craindre 
que  ces  organes  essentiels  du  nouveau  barrage  ne  se  cou- 
vrent de  vase,  de  gravier  ;  que  souvent  ils  n'agissent  diffi- 
cilement, que  même,  dans  certaines  circonstances,  on  ne 
réussisse  pas  à  faire  glisser  les  crémaillères  destinées  à 
déloqueter  les  portes  d*amont,  et  à  pousser  hors  de  leurs 


à 


586  NAVIGATION. 

butées  les  extrémités  des  arcs-boulants  des  portes  d'aval. 

Cette  difficulté  nous  a  paru  très-grave.  M.  Tbénord ,  à 
qui  nous  T avons  soumise,  a  répradu  :  ' 

Que  les  portes  d'aval  de  son  barrage  De  sont  jamais 
soulevées  jusqu'à  la  verticale,  qu'elles  restent  an  peu  in- 
clinées, que  les  filets  du  courant  qui  vont  les  frapper  se 
relèvent  le  long  des  faces  d'amont  et  entraînent  avec  eux 
le  sable  et  même  le  gravier  ;  que  Texpérience  a  confirmé 
cette  explication  ;  que  les  chutes  rapides  de  liquide  qui 
s'opèrent  au  moment  où  la  cloison  du  barrage  disparait 
produisent  des  effets  très  -  intenses  ;  qu'elles  entraînent 
Blême  les  grosses  pierres,  de  telle  sorte  qu'il  devient  né- 
x^essaire  de  garantir  le  radier,  en  amont  et  en  aval,  contre 
les  affouillements. 

M.  Thénard  a  d'ailleurs  adapté  à  ses  portes  d'aval  de 
petites  ventelles  qui  peuvent  être  manœuvrées  à  la  main, 
et  à  l'aide  desquelles  il  fait  chasse  à  volonté  dans  la  direc- 
tion même  des  coulisses  des  arcs^boutants  et  des  butées 
dont  nous  avons  si  souvent  parlé. 

L'Académie  vient  d'entendre,  quant  aux  portes  d'aval, 
Je  résmné  des  observations  de  l'auteur  du  Mémoire.  Des 
rapports  que  nous  avons  sous  les  yeux  disent  que  les 
sables,  les  graviers,  les  herbes,  les  branchages  n'ont 
jamais  apporté  d'obstacles  sérieux  à  la  manœuvre  des 
portes  d'amont.  En  pareille  matière,  les  faits  doivent 
évidemment  tout  primer;  cependant,  nous  l'avouerons 
sans  détour,  nous  eussions  désiré  ti'ouver  dans  le  barrage, 
soit  des  dispositions  mécaniques  propres  à  empêcher  le? 
corps  étrangers  d'aller  gêner  l'action  des  principaux  or- 
ganes mobiles,  soit  des  moyens  directs  et  d*un  effet  non 


NAVIGATION.  587 

douteux  d'enlever  la  vase,  le  sable,  le  gravier  qui  pour- 
raient, dans  certaines  circonstances,  envahir  les  char- 
nières des  portes,  les  loquets,  les  deux  longues  barres 
glissantes  armées  de  mentonnets ,  les  glissoirs  et  les  bu- 
tées des  jambes-de-force,  enfin  les  engrenages.  C'est  ici , 
théoriquement  du  moins,  le  côté  un  peu  faible  du  système  ; 
c'est  la  seule  objection  qui  nous  ait  vraiment  préoccupés. 
Nous  espérons  qu'elle  disparaîtra  bientôt  :  nous  en  avons 
pour  garant  l'esprit  inventif  de  M.  l'ingénieur  Thénard. 

Les  barrages  mobiles,  essayés  jusqu'ici,  étaient  plutôt 
des  expédients  que  des  mécanismes  proprement  dits.  Per- 
sonne ne  pouvait  les  considérer  comme  des  solutions 
définitives  d'un  des  plus  importants  problèmes  de  la  na- 
vigation fluviale.  Il  serait  donc  superflu  de  les  comparer 
à  l'invention  de  M.  Thénard.  Qui  n'a  d'ailleurs  remar- 
qué ,  par  exemple ,  que  les  portes  pleines  du  nouveau 
système  procurent  une  retenue  des  eaux  presque  par- 
faite, tandis  que  la  fermeture  à  l'aide  d'aiguilles  juxta- 
posées, adoptée  jadis  dans  certaines  écluses  et  appliquée 
plus  en  grand  depuis  quelques  années,  laisse  filtrer  d'im- 
menses quantités  de  liquide;  qui  n'a  songé  encore,  qu'en 
cas  de  crue  subite,  les  portes  de  M.  Thénard  peuvent  être 
abattues  en  peu  de  secondes,  de  jour  comme  de  nuit, 
sans  que  l'éclusier  coure  aucun  risque,  tandis  que  l'en- 
lèvement des  aiguilles  juxta-posées  serait,  dans  certaines 
circonstances,  une  opération  des  plus  dangereuses,  et  ne 
saurait  vraiment  être  exécutée  avec  sûreté  que  par  d'ha- 
biles et  vigoureux  acrobates. 

Les  chemins  de  fer  ont  déjà  considérablement  réduit, 
en  Angleterre,  le  cabotage,  les  transports  par  les  canaux 


5S8  NAVIGATION. 

et  la  navigation  par  les  rivières.  Pareille  chose  arrivera 
probablement  en  France.  Il  semble  donc  que  Tinventiofl 
de  M.  Tbénard  vienne  trop  tard,  qu^elle  ne  puisse  avoir 
aujourd'hui  qu'un  intérêt  médiocre. 

Cette  opinion  serait  très-controversable,  même  au  point 
de  vue  strict  de  la  navigation  fluviale  ;  mais  ne  faut-il 
pas  considérer  que  les  barrages  rendraient  les  irrigatioDs 
faciles  dans  d'immenses  étendues  du  territoire  aujour- 
d'hui privées  de  ce  bienfait?  Doit-on  oublier  qu'à  l'aide 
d'irrigations  convenablement  dirigées  il  serait  possible, 
presque  partout,  de  doubler,  de  tripler  les  récolles;  que 
les  produits  agricoles  sont  les  éléments  les  plus  précieux, 
les  plus  constants,  les  plus  assurés  de  la  richesse  na- 
tionale? 

L'exhaussement  graduel  du  lit  des  rivières  est  une  des 
calamités  contre  lesquelles  les  hommes  ont  vainement 
lutté  jusqu'ici.  Procéder  par  curage  manuel ,  ce  serait  se 
jeter  dans  des  dépenses  sans  terme.  Les  barrages  mobiles 
sont  un  moyen  d'opérer  de  fortes  chasses,  de  les  renou- 
veler tant  qu'on  veut,  de  choisir  les  époques  les  plus  fa- 
vorables, et  nous  appelons  ainsi  les  saisons ,  les  mois ,  les 
semaines  où  les  eaux  sont  limpides  ;  ils  paraissent  donc 
appelés  à  jouer  un  rôle  important  dans  la  grande  opéra- 
tion dont  les  affreuses  inondations  du  Rhône  et  de  la 
Saône  n'ont  que  trop  bien  montré  la  nécessité  et  l'ur- 
gence. 

La  commission  peut  donc  présenter  à  l'Académie  les 
conclusions  suivantes  qui  paraissent  suffisamment  mo- 
tivées. 

Le  barrage  mobile  imaginé  par  M.  Thénard  offre, 


NAVIGATION.  580 

comme  nous  l'avons  expliqué,  des  combinaisons  nou- 
velles très -ingénieuses.  11  a  d'ailleurs  fonctionné  avec 
succès,  pendant  plusieurs  années,  sur  divers  points  de 
la  rivière  Tlsle.  La  commission  n'hésite  donc  pas  à  pro- 
poser à  l'Académie  de  lui  accorder  son  approbation. 

11  nous  paraît  bien  désirable  que  M.  l'ingénieur  Thé- 
nard  soit  mis  en  position  d'essayer  son  système  sur  un  de 
nos  cours  d'eau  les  plus  larges.  Ce  vœu  peut  être  justifié 
en  quelques  mots  : 

Les  barrages  de  l'isle  ont  laissé  plusieurs  questions 
indécises. 

Personne,  par  exemple,  ne  connaît  aujourd'hui  la  lon- 
gueur maximum  qu'il  serait  permis  de  donner  aux  cré- 
maillères glissantes  destinées  à  agir  sur  les  portes  d'amont 
et  d'aval  ;  personne  n'oserait  affirmer  catégoriquement 
que  les  plus  vastes  barrages  pourraient ,  comme  le  croit 
l'auteur  du  Mémoire,  être  partagés  en  intervalles  de 
40  à  50  mètres,  séparés  par  des  piles  fixes  en  maçon- 
nerie, et  présentant  chacune  un  mécanisme  indépendant  ; 
personne  ne  sait  à  quelle  limite  on  devra  fixer  la  plus 
grande  hauteur  des  portes,  et,  par  conséquent,  des  rete- 
nues, soit  à  raison  des  facilités  de  la  manœuvre,  soit  afin 
d'éviter  des  chocs  destructeurs  au  moment  où  les  portes 
arrivent  au  terme  de  leurs  mouvements;  personne  ne 
saurait  dire  d'avance  quels  seront  les  eiïets,  sur  tant  de 
pièces  submergées,  des  actions  calorifiques,  encore  assez 
mal  définies,  qui  donnent  lieu  dans  les  rivières  à  la  pro- 
duction des  glaces  de  fond,  etc.,  etc. 

M.  Thénard,  mieux  que  tout  autre  ingénieur,  pourra 
dissiper  ces  doutes.  Si  de  nouvelles  expériences  autori- 


590  NAVIGATION, 

saieiit  à  généraliser  ce  qjui  a  si  bien  réussi  sur  Tlsle, 
d'immenses  volumes  d*eau  que  les  nuages  versent  en 
toute  saison  sur  les  croupes  dénudées  des  montagnes 
n'iraient  pas,  comme  aujourd'hui,  se  réunir  aux  flots  de 
la  mer  sans  avoir  dans  leur  course  rien  produit  d*utile; 
le  commerçant  verrait  ses  marchandises  circuler  régu- 
lièrement jusqu'au  centre  du  royaume;  des  chômages 
périodiques  n'entraveraient  plus  ses  opérations;  le  ma- 
nufacturier trouverait  dans  des  milliers  de  cascades  arti- 
ficielles une  force  motrice  puissante  et  économique;  Fagri- 
culteur,  celui  du  midi  surtout,  serait  à  jamais  soustrait 
aux  influences  mineuses  des  sécheresses;  ses  récoltes 
deviendraient  plus  abondantes,  et,  ce  qui  doit  figurer 
peut-être  en  première  ligne ,  elles  varieraient  beaucoup 
inoins  d'une  année  à  l'autre,  quelles  que  fussent  d'ail- 
leurs les  perturi)ations  udométriques  que  le  cours  des 
mêmes  saisons  présente  dans  nos  climats. 

Avec  une  â  brillante  perspective  devant  les  yeux,  l'ad- 
ministration publique  serait  inexcusable,  si  elle  ne  se 
livrait  point  à  des  essais,  même  aventureux.  Or,  tel  n'est 
pas,  tant  s'en  faut,  le  caractère  de  l'expérience  que  la 
commission  appelle  de  tous  ses  vœux.  On  peut  conjec- 
turer, en  effet,  avec  une  grande  probabilité,  qu'è  Taide 
de  quelques  modifications,  les  barrages  éprouvés  avanta- 
geusement en  divers  points  du  cours  de  l'isle,  réussira  icîit 
également  sur  nos  plus  grandes  rivières. 


NAVIGATION.  691 

VI 

amiSlioration  du  port  du  hayre 

[  A  Toccasion  de  la  discussion  d'un  projet  de  loi  sur  Taméliora- 
tion  des  ports,  M.  Arago  prit  la  parole  en  ces  termes,  dans  la  séance 
du  10  juin  18M,  sur  les  divers  travaux  à  exécuter  au  port  du 
Havre.] 

Le  commercer  pris  dans  la  ville  du  Havre  un  déve- 
loppenient  tellement  considérable  qu'il  est  nécessaire  de 
pourvoir  à  ses  nouveaux  besoins.  Le  gouvemenient  vous 
propose  d'étendre  les  bassins ,  d'améliorer  l'entrée  du 
port.  Tout  cela  paraît  très-légitime. 

La  nécessité  d'une  extension  du  port  n'est  contestée 
par  personne.  Il  s'agit  de  savoir  si  la  solution  qu'on 
présente  est  bonne  et  surtout  si  elle  est  la  meilleure 
possible. 

J'ai  examiné  la  question  avec  toute  Pattention  dont  je 
suis  capable;  je  suis  très-disposé  à  accorder  une  allo- 
cation même  très-considérable  pour  le  port  du  Havre; 
mais  j'avoue  que,  après  les  réflexions  les  plus  sérieuses, 
après  Texaraen  le  plus  attentif,  je  n'ai  pas  trouvé  que 
les  travaux  qu'on  nous  propose  aient  été  choisis  avec  tout 
le  disc^nement  désirable.  Je  vais  soumettre  mes  doutes 
à  l'administration  et  à  la  Chambre. 

Lorsque  le  projet  d'améliorer  l'embouchure  de  la  Seine 
fut  mis  à  l'ordre  du  jour,  il  sui'git  à  l'instant  douze  à 
quinze  propositions  dilTérentes  :  parmi  ces  propositions, 
trois  devaient  surtout  exciter  l'attention  ;  elles  éma- 
liaient  d'un  ingénieur  distingué,  de  l'ingénieur  en  chef 
du  Havre. 


592  NAVIGATION. 

Ces  trois  propositions  supposaient  toutes  rexécution 
d'une  entrée  nouvelle  à  faire  au  port  du  Havre.  L'une 
de  ces  entrées,  celle  du  premier  projet,  devait  être  pra- 
tiquée en  Seine.  Les  entrées,  parties  essentielles  des  deux 
autres  projets,  auraient  eu  lieu  au  nord  de  la  ville,  c'est- 
à-dire  en  mer.  Il  paraissait  donc  qu'une  nouvelle  entrée 
était  regardée  par  les  ingénieurs  comme  une  chose  indis- 
pensable. Il  n'en  est  nullement  question  dans  le  projet 
du  gouvernement.  On  se  borne  à  demander  l'améliora- 
tion, l'élargissement  et  l'approfondissement  de  la  passe 
actuelle. 

Qu'a-t-on  conservé  du  projet  qui  paraissait  avoir  la 
prédilection  particulière  de  l'ingénieur?  Tout,  moins  l'en- 
trée en  Seine.  Avec  cette  entrée,  le  projet  était  très- 
défendable.  Sa  suppression  soulève  les  plus  graves  dif- 
ficultés. 

Quand  il  s'agit  de  l'amélioration  d'un  port  de  mer, 
il  faut  évidemment  s'éloigner  de  la  mer  le  moins  pos- 
sible. 

Les  bassins  proposés  seront  dans  le  projet  modifié  par 
le  gouvernement,  à  une  distance  considérable  de  la  passe. 

C'est  là,  suivant  moi,  une  objection  capitale. 

Je  désire  sincèrement  que  la  discussion  la  fasse  dis- 
paraître. 

Dans  les  ports  maritimes  anglais,  dans  ceux  où  la 
navigation  est  la  plus  active  et  la  plus  facile,  comment 
les  bassins  sont-ils  disposés  relativement  à  la  rade  ou  à 
Tavant-port?  Ils  sont  disposés  de  manière  qu'ils  ne  se 
commandent  pas  réciproquement;  un  navire  venant  de 
la  mer  n'est  pas  obligé  de  passer  dans  un  bassin  pour 


NAVIGATION.  593 

arriver  dans  un  autre  ;  eh  bien,  Messieurs,  dans  le  sys- 
tème qui  vous  est  proposé,  les  bassins  se  commanderont 
respectivement.  Pour  arriver  aux  docks,  certains  navires 
seront  obligés  de  traverser  plusieurs  écluses  et  de  par- 
courir un  espace  d'une  demi-lieue,  tirés  à  la  cordelle. 
Un  pareil  défaut  n'existe  pas.  dans  les  bassins  de  Liver- 
pool. 

Toute  combinaison  qui  aurait  eu  pour  résultat  de  faire 
jouir  plus  ou  inoins  complètement  le  port  du  Havre  d'un 
semblable  avantage,  aurait  dû  obtenir  la  préférence  de 
l'administration. 

Je  reconnais  que  tout  projet  tendant  à  l'amélioration 
de  l'entrée  actuelle  est  une  excellente  chose,  car  cette 
entrée  est  trop  étroite,  cette  entrée  s'envase  facilement, 
elle  n'a  pas  une  profondeur  suffisante.  Sous  tous  ces  rap- 
ports, il  faut  adopter  les  propositions  du  gouvernement  ; 
mais  ce  qu'il  y  a  de  regrettable,  c'est  qu'on  ne  réserve 
pas  suffisamment  ce  qui  est  relatif  au  creusement  d'une 
seconde  entrée,  c'est  qu'on  vous  demande,  pour  améliorer 
l'entrée  actuelle  des  sommes  assez  considérables,  tout  en 
déclarant  que  les  procédés  que  l'on  veut  mettre  en  pra- 
tique ne  réussiront  pas. 

Lisez  le  rapport,  vous  y  verrez  que  l'on  ne  compte 
pas  beaucoup  sur  la  réussite  des  chasses,  qu'on  n'es- 
père pas  d'obtenir  un  approfondissement  suffisant,  un 
approfondissement  nécessaire  aux  navires  d'un  fort  ton- 
nage. 

On  croit  au  Havre  et  sur  un  grand  nombre  de  bancs 
de  la  Chambre,  que  l'exécution  des  travaux  proposés 
amènera  inévitablement  la  création  d'une  entrée  en 
V.  —  II.  38 


594  NATIGATION. 

rivière.  On  ne  saurait  assez  s'élever  contre  ce  projet  f 
il  est  en  opposition  manifeste  avec  l'opinion  éclairée, 
consciencieuse,  de  longue  date,  des  personnes  les  plus 
compétentes  de  notre  pays.  Consultez,  sur  ce  point, 
M.  Beautemps-Beaupré,  consultez  M.  Tamiral  BaucBu, 

ê  

qui,  à  ses  grandes  et  hautes  connaissances,  joint  Favan- 
tage  d'avoir  résidé  longtemps  au  Havre  ;  ils  vous  diront 
Itm  et  r  autre  que  le  creusement  de  rentrée  en  rivière, 
cfe  cette  entrée  que  semble  devoir  amener  inévitablement 
le  projet  qu'on  vous  propose ,  serait  une  opération  fâ- 
cheuse. On  n'ouvre  pas  une  porte  qui  peut  se  fermer 
spontanément  du  jour  au  lendemain. 

Toici  ce  qui  résulte  des  belles  opérations  de  M.  Beau- 
temps-Beaupré. M.  le  rapporteur,  avec  sa  bonne  foi 
ordmaîre,  n'a  pas  manqué  d'en  faire  mention. 

M.  Beautemps-Beaupré  a  levé,  en  {83A.,  la  carte 
hydrographique  détaillée  de  Tembouchure  de  la  Seine. 
Il  a  tracé  le  contour  exact  de  ce  qu'on  appelle  le  banc 
des  Neiges,  en  face  des  terrains  de  l'Heure. 

En  1841,  cette  opération  a  été  répétée  par  un  ingé- 
nieur hydrographe  très-habile,  M.  de  Givry.  Eh  bien, 
Messieurs,  le  plan  de  1834  et  le  plan  de  1841  ne  se 
ressemblent  nullement.  Le  banc  des  Neiges  a  été  entiè- 
rement modifié;  il  a  changé  d'étendue,  de  forme,  de 
place.  Faites  une  entrée  dans  celte  région ,  les  travaux 
coûteront  des  mîlHons  ;  ils  seront  absolument  sans  utilité. 

Presque  tout  le  monde  prévoit  que  tôt  ou  tard  il 
faudra  faire,  au  nord,  en  mer,  une  deuxième  entrée  du 
port  du  Havre.  Toyons  si  le  projet  actuel  ne  compromet 
pas  l'avenir. 


NAVIGATION.  895 

Dans  le  projet  des  fortifications  qu'on  vous  présente 
pour  ce  port  important,  il  est  question  d'établir  le  genre 
de  redoute,  qu'on  appelle  une  lunette,  d^ns  rempla- 
cement désigné  au  Havre  sous  le  nom  de  mare  des 
Huguenots.  C'est  précisément  là  que  devrait  se  pratiquer 
la  nouvelle  entrée  du  port  ;  c'est  là  qu'elle  se  pratiquera 
nécessairement  le  jour  où  elle  sera  devenue  indispensable. 

Songez-y  bien,  Messieurs,  le  projet  envisagé  dans  son 
ensemble,  envisagé  surtout  d'après  les  dispositions  pré-» 
sentées  par  M.  le  ministre  de  la  guerre,  compromet  gra- 
vement, complètement,  Tavenir  du  Havre. 

On  s'est  préoccupé,  dans  le  rapport  de  la  commission, 
d'une  difficulté  qui  a  son  importance,  qui  devait  surtout 
frapper  notre  honorable  collègue,  M.  d'Angeville,  en  sa 
qualité  d'ancien  officier  de  marine. 

Les  marées,  au  Havre,  jouissent  d'une  propriété  trè&* 
remarquable.  Le  plein  s'y  maintient  à  une  hauteur  con- 
stante, non  pas  mathématiquement  bien  entendu,  mais 
sans  changement  considérable,  pendant  un  temps  assez 
long,  pendant  deux  heures  environ. 

Il  résulte  de  là  que  les  navires  ont  cte  la  marge  pour 
entrer  ou  sortir. 

Le  port  du  Havre  jouit  d'une  grande  tenue  ^  c'est  là 
Fexpression  technique.  Cette  tenue  est  une  propriété  pré- 
cieuse qu'il  est  nécessaire  de  conserver,  à  laquelle  on  ne 
doit  porter  atteinte  à  aucun  prix. 

M.  d'Angeville,  à  cet  égard,  est  parfaitement  dans  le 
vrai;  mais,  je  lui  en  dems^de  pardon,  j'ai  aperça  dans 
son  rapport  de  petites  erreurs  ;  il  me  permettra  de  les  lui 
signaler. 


596  NAVIGATION. 

II  est  dit  dans  le  rapport,  d'ailleurs  si  lucide  et  si  bien 
fait  de  M.  d'Angeville,  que  le  port  du  Havre  jouit  d'une 
propriété  unique  I  Ce  serait  par  un  bien  grand  hasard , 
il  faut  en  convenir,  que  Tembouchure  de  la  Seine,  au 
milieu  des  formes  si  variées  que  les  marées  présentent 
dans  toutes  les  régions  du  globe,  jouirait  d^une  propriété 
unique. 

M.  d'Angeville  ajoute  que  cette  propriété  est  inexpli- 
quable.  Cest  encore  là  une  assertion  hasardée. 

Sur  ce  dernier  point,  M.  d'Angeville  n*a  rien  à  se 
reprocher,  attendu  que  Texplication  véritable  du  phéno- 
mène n'a  pas  été  rendue  publique  ;  elle  appartient  à  un 
des  ingénieurs  hydrographes  qui ,  grftce  à  la  libéralité 
des  chambres,  peuvent  étudier  avec  suite,  avec  persis- 
tance, avec  succès,  les  phénomènes  si  complexes  des 
marées. 

Venons  à  la  question  de  fait. 

Le  port  du  Havre ,  conune  le  dit  le  rapport  ^  est-il  le 
seul  point  du  monde  qui  jouisse  d'une  bonne  tenue? 

Je  n'aurais  pas  besoin  de  m'éloigner  beaucoup  du 
Havre  pour  trouver  la  réponse;  je  passerai  sur  l'autre 
rive  ;  là ,  sur  la  plage  de  Merville ,  à  quelque^  distance  de 
l'embouchure  de  l'Orne,  je  rencontrerai  une  tenue  nota- 
blement supérieure  à  celle  du  Havre. 

M.  d'Angeville,  rapporteur.  Voulez-vous  me  permettre?  Je  tiens 
là  le  Pilote  français^  de  M.  Beautemps-Beaupré,  et  j'y  Ils,  page  115: 
«  Le  port  du  Havre  a,  sur  tous  les  autres  ports  de  la  Manche,  la 
propriété  extrêmement  avantageuse  que  la  haute  mer  y  reste  étale 
pendant  un  intervalle  de  temps  dont  la  durée  moyenne  est  de  cin- 
quante-sept minutes.  Le  maximum  de  cette  durée  a  été  observé 
d'une  heure  quinze  minutes  et  le  minimum  de  vingt  à  vingt-cinq 
minutes.  En  général»  dans  les  mois  de  mai ,  juin  et  juillet,  la  durée 


NAVIGATION.  697 

(le  la  mer  étale  est,  sauf  quelques  exceptions,  au-dessous  de  la 
moyenne,  et,  dans  le  reste  de  Tannée,  elle  est  presque  toujours 
d'une  heure  et  plus.  » 

Vous  voyez  que  M.  Beautemps-Beaupré  reconnaît  lui-même  que, 
de  tous  les  ports  de  la  Manche,  le  Havre  est  celui  qui  a  la  plus 
grande  tenue* 

M.  Arago.  C'est  d'un  port  et  non  pas  d'une  partie  de 
la  côte  que  parle  M.  Beautemps-Beaupré. 

M.  DE  ScHAUENBURG.  Saus  douto ,  il  s^aglt  d^un  port 

M.  Arago.  J'en  demande  bien  pardon  à  M.  Schauen- 
burg;  mais  il  importe  peu  que  la  tenue  dont  je  veux 
argumenter  ait  été  observée  dans  un  port  ou  sur  une 
plage.  Il  s'agit  de  savoir  si  la  propriété  citée  appartient 
exclusivement  au  port  du  Havre  ;  si ,  comme  on  l'ima- 
gine, elle  est  le  résultat  du  conflit  de  l'eau  de  la  Seine 
descendant  et  de  l'eau  de  la  mer  montante  ;  si  c'est  un 
phénomène  qui  puisse  être  modifié  ou  détruit  par  des 
travaux.  L'examen  de  cette  question  est  d'un  grand  inté- 
rêt ;  car  c'est  sur  l'idée  que  la  propriété  du  port  du  Havre 
pourrait  être  modifiée  par  de  certains  travaux  que  repo- 
sent les  scrupules  de  M.  le  rapporteur. 

Je  reviens  donc  à  mon  thème,  et  je  dis  qu'il  n'est  pas 
exact  de  prétendre  que  le  port  du  Havre  jouisse  d'une 
propriété  unique;  je  dis  qu'on  la  retrouve  dans  des  points 
voisins  et  à  un  plus  haut  degré. 

Si  l'on  sait  si  peu  de  chose  en  pareille  matière,  c'est 
qu'on  s'est  ordbiairement  contenté  d'observer  la  plus 
grande  et  la  moindre  hauteur  des  eaux  ;  c'est  qu'on  a 
rarement  cherché  les  lois  qui  président  à  leur  augmen- 
tation et  à  leur  diminution. 

Au  Havre ,  la  tenue  surpasse  la  tenue  moyenne  gêné- 


598  NAVIGATION. 

raie  des  ports»  conveDablement  eavisagée,  de  49  minutes. 
A  Merville ,  ifl  y  a  une  tenue  supérieure  à  cette  même 
tenue  moyenne  des  ports  de  67  minutes.  Le  phénomène 
H^est  dcmc  pas  aussi  kn^I  (pi'on  ie  supposait ,  on  phéno- 
mène que  les  travaux  des  hommes  puissent  modifier.  Une 
dîfiicuHé  qu'on  présentait  contre  fouverture  <rune  nou- 
velle entrée  disparaît  en  présence  des  faits. 

Vous  dites  que  Merville  n'est  pas  un  port  ;  je  vais  vous 
citer  un  port  véritable,  un  port  qui  est  en  face  du  Havre, 
et  dans  lequel  la  tenue ,  envisagée  convenablement ,  est 
plus  considérable  qu'au  Havre»  c'est  le  port  de  South- 
ampton,  en  Aogleterre.  Je  me  contente  d'une  affirma- 
tion ,  je  citerai  les  chiffres  si  on  les  demande. 

Il  y  a  donc  au  Havre»  non  pas  vm  phénomène  excep- 
tionnel sous  la  dépendance  de  l'ouverture  de  telle  passe, 
du  creusement  de  tel  bassin  »  mais  un  {Aénomène  général. 
L'ingénieuse  théorie  que  M.  Chazallon  en  a  donnée,  ne 
laisse  aucun  doute  à  cet  égard. 

Le  bassin  proposé  pour  les  paquebots  transatiairiiques 
prêterait  aussi  à  des  critiques  sérieuses.  La  navigatm 
transatlantique  n'a-t-elle  pas»  d'ailleurs,  été  abandonnée? 
on  l'a  déclaré  à  cette  tribune. 

Vous  savez  avec  quelle  rigueur  la  loi  sur  les  servitudes 
militaires  est  exécutée.  Vous  savez  que  le  rayon  de  ces 
servitudes  est  très^tendu,  qu'il  est  partout  invariable- 
ment maintenu  pour  la  défense  du  pays.  Au  Havre  le 
principe  a  fléchi.  Dans  quelles  localitfés?  Dans  les  loca- 
lités même  où  »  tôt  ou  tard ,  on  sera  inévitablement  obligé 
de  creuser  une  nouvelle  entrée  du  port  ;  dans  des  localités 
qui  vont  se  couvrir  d'habitations  ;  le  jour»  peut-être  peu 


NAVIGATION.  599 

éloigné^  où  vous  vous  occuperez  de  nouveau  du  port  du 
Havre,  vous  serez  forcés  d'imposer  au  pays  des  dépenses 
énormes;  il  faudra  exproprier  des  terrains  aujoui'd'bui 
DUS  et  qui  alors  seront  couverts  de  maisons. 

Les  travaux  actuels  ont  le  double  inconvénient  de 
n'être  pas  urgents  et  de  compromettre  Tavenir.  Je  disais 
tout  à  rUeure  qu'il  fallait  accorder  beaucoup  au  Havre, 
Quels  sont  donc  les  travaux  qui  paraîtraient  plus  eifi- 
caces?  qui  seraient  réclamés  par  des  besoins  moins  con- 
testables? Ma  réponse  est  toute  prête. 

Je  citerai  une  jetée  que  tout  le  monde  réclame  et  contre 
laquelle  j'ai  été  étonné  de  voir  le  rapport  se  prononcer 
d'une  manière  explicite  :  la  jetée  à  construire  sur  le  banc 
de  l'Éclat. 

Un  port  qui  n'a  pas  une  rade  sûre  est  presque  sans 
valeur;  un  port  à  l'entrée  duquel  les  navires  ne  peuvent 
pas  mouiller  en  toute  sûreté,  est  un  port  qui  manque  de 
ses  qualités  les  plus  précieuses. 

Vous  pouvez  procurer  ces  avantages  au  Havre,  sans 
une  dépense  considérable  relativement  au  but  ;  vous  pou- 
vez y  créer  une  rade  extrêmement  précieuse  en  jetant 
une  digue,  ce  qu'on  appelle  un  brise-lame,  sur  l'Éclat. 
Consultez  tous  les  marins-,  ils  vous  dir(mt  qu'en  deçà  du 
banc  de  l'Éclat  le  fond  de  la  mer  est  excellent,  qu'on  y 
peut  mouiller  avec  sécurité ,  à  moins  que  la  mer  ne  soit 
très-houleuse. 

M.  BiBRisiu  Quelle  est  la  place  de  oe  banc! 

M.  Arago.  En  face  du  cap  de  la  Bèfve. 

La  proposition  que  je  fais  d'établir  un  brise-lame,  une 
jetée  sur  le  banc  de  l'Éclat,  rappelle  naturellement  les 


600  NAVIGATION. 

travaux  si  dispendieux  exécutés  en  rade  de  Cherbourg; 
mais,  Messieurs,  remarquez  qu'à  Cherbourg  on  a  com- 
mencé par  des  profondeurs  de  15  à  17  mètres  ;  remar- 
quez que  les  parties  du  banc  de  T  Éclat  qui  ne  se  décou- 
vrent pas  dans  les  grandes  marées ,  ne  restent  couvertes 
que  de  1  à  2  mètres  d'eau  ;  que  par  conséquent  la  con- 
struction de  la  jetée  serait  très-peu  dispendieuse,  relati- 
vement aux  travaux  que  la  jetée  de  Cherbourg  a  déjà 
occasionnés. 

Ici,  Messieurs,  je  suis  obligé  d'indiquer  un  projet 
de  M.  le  ministre  de  la  guerre  qui  est  antinautique  au 
dernier  degré.  Le  banc  de  F  Éclat,  en  supposant  même 
qu'on  ne  voulût  pas  y  faire  un  brise-lame,  une  jetée,  le 
banc  de  l'Éclat  devrait  être,  dans  l'opinion  de  tous  les 
hommes  de  l'art,  de  tous  les  marins,  la  base  où  s'élève- 
rait un  fort  à  casemates  et  à  plusieurs  étages  de  canons, 
destiné  à  défendre  la  rade  du  Havre,  à  éloigner  d'une 
manière  absolue  les  dangers  que  la  ville  pourrait  courir 
en  cas  de  guerre. 

Vous  croyez  peut-être  que  c'est  le  banc  de  l'Éclat  qu'on 
a  choisi?  Pas  du  tout;  c'est  le  haut  de  la  rade ,  c'est-à- 
dire  un  banc  considéré  comme  un  écueil  dangereux ,  et 
qu'on  peut  quelquefois  difficilement  éviter  en  se  dirigeant 
vers  l'entrée  du  port.  Au  lieu  d'un  travail  qui  améliorerait 
la  rade ,  on  en  projette  un  qui  la  rendrait  dangereuse. 

Messieurs,  on  est  peiné,  lorsqu'en  réfléchissant  aux 
travaux  considérables  que  l'on  veut  exécuter  dans  le  port 
du  Havre,  travaux  qui  ne  me  paraissent  pas  considéra- 
bles quant  au  but  que  l'on  se  propose ,  car  je  voudrais 
donner  la  même  sonune  pour  des  travaux  mieux  enten- 


NAVIGATION.  604 

dus;  on  est  peiné,  dis-je,  de  voir  que  T administration  ne 
s'est  pas  occupée  de  la  navigation  de  la  basse  Seine.  Il  y 
a  là  cependant  une  question  capitale,  une  question  d'un 
intérêt  immense. 

Si  la  navigation  de  la  basse  Seine  est  extrêmement 
difficile,  c'est  que  dans  certains  parages  les  passes  que 
laissent  les  bancs  changent  de  place  ;  c'est  que  les  che- 
mins de  halage  sont  dans  un  état  déplorable. 

Ces  chemins  sont  endommagés  par  une  cause  particu- 
lière qu'on  appelle  la  barre  dans  la  Seine ,  le  pororaca 
dans  le  fleuve  des  Amazones,  et  le  mascaret  dans  la  Dor- 
dogne.  Ce  phénomène  consiste  en  une  sorte  de  muraille 
liquide  qui  se  précipite  sur  les  rives  et  y  produit  de  grands 
dégâts. 

C'est  légèrement,  suivant  moi,  que  l'on  a  admis  que 
les  forces  humaines  sont  impuissantes  contre  la  barre; 
voici  sur  quoi  je  me  fonde. 

Un  ouvrage  de  Brémontier  renferme  ce  fait  curieux  : 
«  En  1760,  le  mascaret  régnait  dans  la  Garonne;  il 
remontait  trois  lieues  plus  haut  que  Bordeaux.  Ce  bruit 
sourd  et  effrayant ,  que  les  marins  connaissent  si  bien , 
s'y  faisait  sentir  ;  aujourd'hui ,  il  n'y  a  plus  de  mascaret 
dans  la  Garonne.  Pourquoi  a-t-il  disparu?  Par  suite  des 
atterrissements  tellement  peu  considérables  qu'on  ne  sau- 
rait pas  dire  avec  certitude  :  la  cause  de  la  disparition 
est  là.  • 

En  présence  de  ce  fait,  on  peut  affirmer  qu'avec  des 
travaux  bien  entendus ,  on  fera  disparaître  aussi  de  la 
Seine  la  cause  incessante  de  dommage  que  j'ai  citée. 

Si  on  me  faisait  cette  réponse  :  Il  n'y  a  pas  de  projet 


602  NAVIGATION. 

préparé  pour  cela ,  je  répondrais  :  Ce  travail  existe,  il  a 
fixé  rattenUon  du  directeur  des  ponts  et  cfaausBées;  il  est 
de  M.  Bleschamp.  Je  ne  Tai  vu  qu^en  manoacrit;  il  m'a 
été  communiqué  par  M.  le  président  de  la  chambre  de 
commerce  de  Rouen.  Je  n'ai  rien  lu  ou  les  phénoinëoes 
produits  par  la  barre  soient  décrits  avec  plus  de  netteté, 
de  précision ,  de  savoir ,  d'intelligi^Ge.  IL  Blescfaamp 
indique  des  travaux  qui  déjà  s'étaient  offerts  à  la  p«isée 
d'un  autre  ingénieur  célèbre,  pour  anéantir  la  barre  : 
lout  fait  e^rer  le  succès. 

La  quedicm  de  la  navigation  de  la  basse  Sàat  ae  lie 
intimement  aux  intérêts  de  notre  force  maritiaie.  Le 
cabotage  sera  détruit  en  France  ou  da  moins  OQOsidénh 
blement  réduit  par  les  chemins  de  fer.  Déjà  cette  influence 
se  fait  sentir  tristement  en  Angleterre.  Le  cabotage  n'y 
existe  presque  plus  que  de  nom.  Les  caboteurs  britan- 
niques, les  charbonniers  surtout,  naviguent  aujourd'hui 
à  des  prix  qui  annoncent  une  agonie.  Voici  i'état  où  ils 
ont  réduit  le  cabotage  français  à  Rouen  : 

En  1838 ,  il  y  avait  275  navires  français  qui  portèrent 
du  charbon  de  terre  d'Angleterre  à  Rouen  ;  246  navires 
anglais  leur  faisaient  alors  concurrence.  Le  nombre  des 
navires  français  était  supérieur  de  29  à  celui  des  navires 
anglais. 

Quel  est  l'état  des  choses  en  iSftâ?  Ce  résultat  vous 
frappera  de  surprise.  Vous  sentirez  qu'il  y  a  urgence  à 
faire  quelque  chose  pour  notre  navigation. 

En  184â,  au  lieu  de  275  navires  français,  il  y  ra  a 
eu  2 ,  pas  davantage.  En  18&ft ,  au  iieu  de  Sik6  navires 
anglais.,  il  en  est  arrivé  à  fioura  72& 


NAVIGATION.  603 

Voilà  donc  une  branche  de  notre  navigation  entière- 
ment perdue  ! 

Les  Anglais  peuvent  se  résigner  à  perdre  leur  cabo- 
tage ,  cette  pépinière  de  notre  marine  ;  ne  sont-ils  pas  en 
possession  d'une  navigation  commerciale  immense?  Chez 
nous,  la  perte  du  cabotage  serait  fatale,  notre  marine 
s'en  ressentirait  profondément. 

Voyez  combien  il  y  a  d'individus  inscrits  sur  les 
contrôles  de  la  marine  dans  la  très-petite  circonscription 
de  Rouen.  Il  y  en  a  2,000.  Le  jour  où  Rouen  ne  sera 
plus  fréquenté  par  les  caboteurs ,  et  cela  arrivera  bientôt 
si  la  navigation  de  la  basse  Seine  conserve  toutes  ses  dif- 
ficultés, vous  pouvez  être  certains  que  ces  2,000  indivi- 
dus inscrits  se  jetteront  dans  les  filatures  ou  toutes  autres 
industries;  vous  aurez  perdu  ainsi  une  partie  notable  et 
intéressante  de  votre  population  maritime. 

M.  DE  VATRr.  C'est  déjà  arrivé. 

M.  Arago.  On  vient  de  faire  le  calcul  de  ce  que  coû- 
tera le  transport  d'un  tonneau  de  marchandises  par  les 
chemins  de  fer  de  Marseille  à  Paris.  Ce  transport ,  dans 
rétat  actuel  des  choses ,  est  inférieur  au  transport  par  les 
bâtiments  caboteurs  qui ,  partant  de  Marseille ,  venaient 
jusqu'à  Rouen. 

Améliorez  la  navigation  de  la  Seine,  faites  en  sorte 
qu'un  navire  n'emploie  pas  cinq,  six  jours,  et  même 
quelquefois  davantage,  pour  se  rendre  du  Havre  à  Rouen, 
et  cette  inégalité ,  qui  est  maintenant  en  faveur  des  che- 
mins de  fer,  sera  en  faveur  de  la  navigation  côtière,  en 
faveur  du  cabotage. 

Je  crois  qu'il  eût  été  bon ,  surtout  lorsqu'on  votait  des 


604  NAVIGATION. 

sommes  aussi  considérables,  lorsqu'on  votait  tant  de 
millions  pour  Marseille,  pour  Bordeaux,  pour  le  Havre, 
de  s'occuper  un  peu  de  Rouen  et  de  cette  population 
maritime  qui  nous  échappera,  et  de  T amélioration  de 
notre  cabotage,  dont  la  perte  frappera  au  cœur  notre 
inscription  maritime. 

Je  termine  par  ce  peu  de  mots  :  Si  le  gouvernement 
ne  s'occupe  pas  d'améliorer  la  navigation  de  la  basse 
Seine,  ce  qui  n'est  ni  au-dessus  des  forces  du  pays,  ni 
au-dessus  des  forces  de  l'art,  notre  cabotage,  je  le 
répète ,  sera  perdu ,  l'inscription  maritime  diminuera  dans 
une  telle  proportion  que  l'on  n'y  trouvera  même  plus 
un  personnel  suffisant  pour  armer  nos  navires  à  vapeur; 
et  dans  peu  de  temps,  si  on  n'y  prend  garde,  ces  magni- 
fiques quais  de  Rouen ,  que  tout  le  monde  admire ,  seront 
des  prairies.  Napoléon  disait  :  t  Paris,  Rouen ,  le  Havre 
sont  trois  quartiers  d'une  grande  ville,  dont  la  Seine  est 
la  grande  rue.  »  Cette  grande  rue  mérite  d'être  prise  en 
très-grande  considération  ;  il  faut  l'améliorer ,  il  faut  l'en- 
tretenir dans  l'intérêt  de  la  navigation  et  du  cabotage.  Il 
me  semble  que  la  justice  doit  être  facile,  lorsqu'elle 
s'allie  si  bien  avec  les  intérêts  d'une  grande  ville,  d'une 
ville  qui  s'appelle  Rouen,  et  avec  les  intérêts  du  pays. 
(  Très-bien  !  très-bien  !  ) 

[Après  une  réponse  de  M.  le  ministre  des  travaux  publics,  M.  Ara^ 
a  ajouté  les  explications  suivantes  :  ] 

Je  demande  la  permission  à  la  Chambre  de  faire  quel- 
ques observations  de  ma  place. 

M,  le  ministre  des  travaux  publics  s'est  mépris  (je 
m'étais  sans  doute  mal  expliqué  à  la  tribune)  lorsqu'il  a 


NAVIGATION.  605 

cru  que  j'avais  personnellement  un  projet  tout  préparé. 
J'ai  prétendu  seulement  que  les  différents  travaux  qui 
pouvaient  se  faire  autour  du  Havre,  pour  l'amélioration 
de  la  rade  et  du  port,  ne  nous  sont  pas  proposés  dans 
l'ordre  de  leur  urgence.  J'ai  dit  de  plus  que  les  travaux 
actuels  compromettront  les  travaux  futm's  dont  on  a 
reconnu  la  nécessité.  J'ai  soutenu  cette  thèse  surtout  en 
vue  d'une  annotation  écrite  en  marge  de  mon  exemplaire 
du  rapport  de  M.  d'Angeville.,  et  qui  émane  d'une  per- 
sonne dont  la  compétence  ne  saurait  être  contestée.  Elle 
est  conçue  en  ces  termes  :  «  Tenez  pour  certain  que  d'ici 
à  une  époque  peu  éloignée,  on  sera  obligé  de  faire  une 
entrée  nouvelle  du  côté  du  nord.  » 

Les  travaux  qu'on  nous  propose  compromettront  un 
jour  les  finances  du  pays  et  la  prospérité  du  Havre. 

Tel  est  le  point  de  vue  où  je  me  suis  placé. 

Dans  l'ordre  des  travaux  utiles  et  urgents,  il  en  est  un 
qui  ne  figure  pas  dans  le  projet,  et  qui  devait  marcher 
en  première  ligne  :  c'est  l'agrandissement  de  l'avant- 
port. 

11  y  a  dans  l' avant-port,  à  droite  en  entrant,  un  ter- 
rain qui  appartient  à  l'État,  à  l'aide  duquel  il  serait  pos- 
sible d'augmenter  (je  ne  l'ai  mesuré  que  de  l'œil)  l'éten- 
due de  l'avant-port  d'à  peu  près  1/5%  Où  l'inconvénient 
se  manifeste-t-il  dans  la  navigation  du  Havre?  C'est 
d'abord  dans  l'avant-port;  lorsque  les  caboteurs  ne  peu- 
vent pas  entrer  en  Seine,  lorsqu'ils  sont  menacés  par  la 
tempête,  lorsque  par  l'absence  de  brise-lame  ils  sont 
obligés  de  chercher  un  refuge,  ils  le  cherchent  dans 
l'avant-port;  ils  s'y  accumulent,  ils  s'y  entre-choquent. 


«06  NAVIGATION. 

Pourquoi  ne  pas  utiliser  le  terrain  dont  je  parle  et  qui 
appartient  à  TÉtatî 

M.  le  ministre  des  travaux  publics  a  affirmé  que  l'en- 
trée future  par  le  nord  rfétait  pas  compromise.  11  nous 
a  dit  que  dans  le  projet  de  fortification  présenté  par 
M.  le  ministre  de  la  guerre ,  il  n'y  avait  rî«i  de  proposé 
dans  la  division  où  pourra  être  creusée  cette  entrée  da 
nord,  que  tous  les  hommes  compétents  regardent  comme 
devant  être  inévitablement  creusée  un  jour.  Mais  M.  le 
ministre  des  travaux  publics  me  permettra  de  lui  faire 
remarquer  que  ce  projet  est  précédé  d*un  exposé  des 
motifs,  et  que  dans  cet  exposé  des  motifs  il  est  question 
de  construire  une  lunette  dans  ce  qu'on  appelle  la  Mare 
des  Huguenots ,  c'est-à-dîre  dans  ce  qui  doit  être  la  nou- 
velle entrée  du  Havre. 

M.  le  maire  du  Havre  est  venu  ce  matin  parler  à  M.  le 
ministre  des  travaux  publics ,  et  lui  a  dit  qu'on  adhérait 
unanimement  au  projet.  Veut-il  que  je  Itii  dî^  le  secret 
de  cette  adhésion?  Cest  qu'on  cfaint  que  si  un  amende- 
ment était  proposé ,  la  Chambre  ne  rejetât  le  tout. 

M.  LE  HnnsTHE.  Ce  n^est  pas  cela  t 

M.  Arago.  Et  le  brise-lame,  vous  n'en  parlez  pas, 
monsieur  le  ministre ,  vous  n'en  dites  rien.  Renoncez- 
vous  à  répondre  sur  ce  point  ;  n'est-ce  pas  là  ma  princi- 
pale difficulté? 

M.  le  ministre  a  assuré  que  la  nouvelle  entrée  que  je 
ne  propose  pas  maintenant ,  mais  que  je  regarde  comme 
une  nécessité  future,  devrait  exiger  des  bassins  de  chasse. 
Il  n'en  est  rien.  Cette  portion  de  la  rade  jouit  de  pro- 
priétés très-précieuses.  Le  plan  de  M.  de  Gaule,  fait  en 


NAVIGATION.  607 

Î787,  ressemble  parfaitement  à  celui  dressé  par  les  ingé- 
nieurs hydrographes  en  1834.  La  rade  est  parcourue  par 
des  courants  qui  la  maintiennent  dans  un  état  perma- 
nent; vous  n'avez  rien  à  craindre  de  ce  côté,  et  je  vou- 
drais pouvoir  en  dire  autant  de  la  passe  actuelle. 

Mon  système,  vous  le  voyez,  est  bien  simple.  Il  con- 
siste à  dire  que  les  projets  ne  sont  pas  proposés  dans 
Tordre  de  leur  utilité,  de  leur  urgence;  je  dis  qu'ils  ne 
seront  pas  les  plus  immédiatement  utiles  :  j'insiste  sur 
Félargissement  de  l'avant-port ,  il  ne  se  fait  pas,  et  je  ne 
m'explique  pas  pourquoi  il  n'est  pas  proposé.  On  en 
donne  une  raison  à  laquelle  je  ne  puis  ajouter  foi  ;  je  ne 
croirai  jamais  que  ce  soit  pour  ne  pas  démolir  aux  yeux 
de  la  population  un  mur  de  quai  très -peu  ancien.  Ce 
serait  une  futilité ,  car  personne  n'avait  pu  prévoir  que 
le  commerce  du  Havre  prendrait  un  développement  si 
énorme. 

[M.  d'Angevllle,  rapporteur  de  la  commission,  ayant  soutenu  que 
la  construction  d'un  brise-lame  altérerait  la  tenue  de  la  mer  an 
Havre,  M.  Arago  a  ajouté  les  explicatipns  suivantes  :  ] 

Je  ne  peux  pas  laisser  passer  sans  y  répondre  les  cri- 
tiques de  M.  d'Angevillc.  Mes  assertions  reposent  sur 
des  chiffres  catégoriques.  J'ai  dit  dans  quelles  localités  la 
t^nue  était  plus  considérable  qu'au  Havre,  dans  quel 
rapport  elle  était  plus  considérable.  J'ai  cité  Tauteur  du 
travail  qui  a  démontré  les  faits  que  j'ai  avancés,  M.  Cha- 
zallon.  Je  ne  saurais  donc  concevoir  comment  la  citation 
de  quelque  ouvrage  que  ce  puisse  être  infirmerait  mes 
affirmations. 

Malgré  tout  mon  désir  d'évitertme  discussion  technique, 


608  NAVIGATION. 

il  faut  bien  que,  pour  effacer  Timpression  qu^ont  pu  pro- 
duire les  paroles  de  M.  d'Ange  ville,  je  dise  à  quoi  tient  la 
tenue  ;  je  serai  court. 

Peu  de  personnes  se  font  une  idée  exacte  des  marées. 
La  marée  est  une  onde  qui  vient  du  large  et  qui  se  pro- 
page avec  une  certaine  rapidité;  mais  cette  onde  est 
complexe.  La  théorie  et  l'expérience  ont  montré  que 
Tonde  générale  qui  produit  la  marée  observée,  est  la 
résultante  de  plusieurs  ondes  distinctes  qui  tantôt  s'ajou- 
tent et  tantôt  produisent  l'action  inverse*  La  principale 
de  ces  ondes  produit  son  évolution  entière  en  un  demi- 
jour  lunaire  ;  une  autre  onde  se  développe  dans  un  quart 
de  jour,  une  troisième  «  beaucoup  plus  petite,  dans  un 
sixième  de  jour,  etc. 

Dans  toute  masse  liquide,  les  ondes  s'ajoutent  ou  se 
soustraient,  comme  les  chiffres  dans  l'addition  et  la 
soustraction.  Si  les  parties  saillantes  de  deux  ondes  se 
correspondent,  l'onde  totale  est  très-élevée;  quand  la  par- 
tie basse  d'une  onde  correspond  à  la  partie  haute  d'une 
autre ,  il  en  résulte  une  dénivellation  qui  est  égale  à  la 
différence  de  leurs  hauteurs.  Eh  bien ,  il  arrive  au  Havre 
que  l'onde  qui  se  développe  dans  un  quart  de  jour  est 
basse  quand  l'onde  du  demi-jour  est  h  son  maximum  de 
hauteur.  L'onde  qu'on  y  observe  est  donc  moins  élevée 
que  dans  les  localités  où  les  parties  saillantes  des  deux 
ondes  se  superposent  :  la  partie  creuse  de  l'onde  d'un 
quart  de  jour  affaisse  d'autant  l'onde  d'un  demi-jour. 

L'onde  d'un  quart  de  jour  se  développant  avec  rapi- 
dité, quoiqu'elle  soit  moins  considérable  que  l'onde  d'un 
demi-jour,  elle  contre-balance  pendant  quelque  temps, 


NAVIGATION.  609 

dans  son  mouvement  ascendant ,  le  mouvement  contraire 
plus  lent  de  Tonde  d'un  demi-jour. 

Voilà  l'explication  réelle  de  la  tenue  de  la  mer  au 
Havre. 

Les  travaux  que  vous  pouvez  exécuter  en  rade  n'exer- 
ceraient une  influence  sensible  sur  le  phénomène,  que 
s'ils  changeaient  notablement  les  temps  des  arrivées -des 
deux  ondes.  Ne  nous  occupons  donc  pas  des  diflicultés 
sur  lesquelles  se  fondait  M.  d'Angeville;  les  travaux  que 
vous  exécuteriez  au  large  du  Havre  n'altéreraient  en 
aucune  manière  les  propriétés  précieuses  que  possède  ce 
port ,  et  qui ,  je  le  répète ,  ne  lui  appartiennent  pas  exclu- 
sivement. 

Quand  vous  aurez  un  brise-lame,  la  rade  sera  cou- 
verte de  navires.  Rendez  l'accès  du  Havre  facile,  aisé, 
la  rade  sûre,  les  autres  améliorations  viendront  à  leur 
tour. 

M.  LE  SOUS-SECRÉTAIRE  d'ÉTAT  DES  TRAVAUX  PUBLICS.   Si   Ton  COïl- 

struisait  le  briso-Iame  sans  agrandir  et  approfondir  l'entrée,  les  bâ- 
timents n'en  resteraient  pas  moins  en  rade:  seulement  ils  y  seraient 
plus  en  sûreté  ;  mais  ils  ne  pourraient  pas  entrer  dans  le  port. 

Si,  au  contraire,  vous  élargissez  et  approfondissez  le  chenal,  les 
bâtiments  en  seront  pas  obligés  de  rester  dans  la  rade.  C'est  surtout 
au  point  de  vue  militaire  que  l'établissement  d'une  rade  serait  tr<>s- 
utile  :  c'est  aussi,  comme  je  l'ai  dit,  au  point  de  vue  des  intérêts 
commerciaux  de  Rouen  et  de  Honfleur;  mais  nous  n'avions  pas, 
nous,  département  des  travaux  publics,  à  nous  préoccuper  des 
intérêts  militaires,  et  nous  ne  nous  occupons  pas  en  ce  moment  des 
ports  de  Rouen  et  de  Honfleur. 

M.  Arago.  11  y  a  beaucoup  de  navires  qui  entrent  au 
Havre  pour  se  réfugier,  et  qui  n'auraient  pas  besoin 
d'y  entrer  s'ils  trouvaient  un  refuge  derrière  un  brise- 
laino  ;  s'ils  trouvaient  un  abri  derrière  la  ligne  tronçonnée 

V.  —  II.  39 


6fO  NAVIGATION. 

dont  on  parlait  tout  à  Theure.  Mais  songez  à  Tavcnir, 
à  la  nécessité  de  défendre  le  Havre  ;  songez  à  la  néces- 
sité de  créer  sur  l'Éclat  une  forteresse  formidable  avec 
des  casemates,  avec  plusieurs  étages  de  canons.  Alors, 
mais  seulement  alors,  vous  n'aurez  rien  à  craindre  de 
l'ennemi. 

VU 

AMËLIORATIOR   DE   LA  PARTIE   MARITIME   DE  1.A   SEI5E 

[  La  commission  de  la  Chambre  des  députés  proposait  le  r^t  du 
crédit  de  3  millions  demandé  par  le  gouvernement  pour  Tarnébora- 
tion  de  la  parUe  maritime  de  la  Seine ,  entre  Villeqaier  et  Quille- 
bœuf.  M.  Arago  prit  la  parole  en  ces  termes  pour  défendre  le  projet 
du  gouvernement  dans  la  séance  du  U  mars  1866:  ] 

Messieurs,  je  viens  combattre  l'opinion  de  la  com- 
mission et  soutenir  le  projet  du  gouvernement.  (Mou- 
vement. ) 

On  a  présenté  différentes  objections;  elles  ont  été  dis- 
cutées par  M.  le  sous-secrétaire  d'État  des  travaux  pu- 
blics. 

Je  crois  que  plusieurs  réponses  peuvent  être  ajoutées 
à  celles  .que  vous  avez  déjà  entendues. 

On  vous  a  dit  que  la  destruction  du  barrage  de  Vil- 
lequier,  de  la  traverse  de  Villequier,  pour  me  servir  de 
l'expression  consacrée,  pourrait  empirer  le  mouillage  de 
la  rivière  en  amont.  On  a  dit  que  le  barrage  de  Ville- 
quier était  un  seuil  qui  empêchait  l'eau  descendante  de 
se  déverser  en  quantité  suffisante  pour  que  le  niveau  en 
amont  s'abaissât  d'une  manière  fâcheuse;  il  me  semble 
qu'on  a  oublié  une  chose  essentielle. 


NAVIGATION.  611 

Il  n'y  a  pas  seulement  à  Villequier  une  marée  descen- 
dante, fl  y  a  aussi  une  marée  montante  ;  par  conséquent 
le  seuil  qui,  dit-on,  doit  empêcher  l'eau  de  descendre , 
l'empêchera  aussi  de  monter;  lorsque  vous  aurez  détruit 
le  seuil,  si  l'eau  descend  avec  plus  de  rapidité,  elle  aura 
monté  avec  plus  d'abondance  pendant  la  marée  mon- 
tante. Par  conséquent  le  problème  n'est  pas  aussi  simple 
que  la  conmiission  l'a  cru.  Il  y  a  là  plus  de  difficulté  que 
M.  d'Angeville  ne  Ta  dit. 

Il  est  évident  qu'un  barrage  qui  empêche  l'eau  de 
descendre,  empêchera  Teau  de  monter;  que  la  des- 
truction de  la  barré  permettra  à  une  plus  grande  quan- 
tité d'eau,  pendant  la  marée,  de  monter  en  amont  de 
la  traverse.  Vous  ne  pouvez  donc  pas  dire  d'emblée  que 
vous  aurez  empiré  l'état  de  la  Seine  en  amont  de  Ville- 
quier, après  avoir  détruit  la  traverse.  La  traverse,  par  le 
mouvement  dirigé  de  Rouen  vers  le  Havre,  empêche 
l'eau  de  descendre  en  très-grande  abondance;  mais  la 
destruction  de  la  traverse  permettra  à  une  plus  grande 
masse  de  la  marée  ascendante  de  monter. 

11  n'est  pas  possible  sans  calculs,  sans  faire  des  expé- 
riences, sans  discuter  des  faits,  de  dire  que  la  destruction 
de  la  traverse  ne  peut  avoir  aucun  inconvénient.     ^ 

Que  le  phénomène  d^un  obstacle  opposé  à  la  marche 
de  l'eau  de  l'amont  en  aval  soit  produit  par  un  seuil  ou 
par  un  rétrécissement,  le  raisonnement  est  le  même.  On 
a  rétréci  TAdour;  on  sait  quel  est  l'effet  que  ce  rétrécis- 
sement a  produit.  Il  est  Téquivalent  d'un  seuil,  quant  à 
la  variation  du  niveau  de  Teau. 

M.  LE  Rapporteur.  U  est  mauvais. 


C42  NAVIGATION. 

M.  Arago.  U  est  mauvais  à  d'autres  égards,  mais 
non  pas  à  votre  point  de  vue  :  il  est  certain  qu'il  a  été 
créé  un  obstacle  au  mouvement  descendant,  lequel  est 
devenu  aussi  un  obstacle  au  mouvement  ascendant  de  la 
marée.  Eh  bien,  la  tenue  des  eaux  est  plus  considérable 
en  amont  du  rétrécissement  que  par  le  passé. 

Le  genre  de  défauts  que  M.  le  rapporteur  attribue 
à  la  destruction  de  la  traverse  de  la  Seine  est  complète- 
ment opposé  au  raisonnement  et  aux  faits. 

Quand  il  s'est  agi  pour  moi  de  prendre  un  parti  dans 
la  question,  j'ai  été  préoccupé  d'une  difficulté,  c'est  celle 
de  la  barre  ;  je  me  suis  demandé  quel  serait  l'effet  des 
travaux  actuels  relativement  à  la  barre.  La  barre  a  été 
présentée  comme  un  phénomène  redoutable  par  l'hono- 
rable M.  d'Angeville  ;  il  en  a  fait  tout  à  l'heure  une  pein- 
ture effrayante. 

M,  LE  Rapporteur.  C'est  M.  Beau  temps-Beaupré  qui  a  fait  cette 
peinture. 

M.  Arago.  A  quelques  égards  la  peinture  est  vraie, 
mais  je  crois  cependant  que  vous  avez  confondu  deux 
choses. 

On  ne  sait  pas  bien  expliquer  la  barre.  C'est  un  phé- 
nomène plus  commun  qu'on  ne  le  croit,  on  Ta  obsené 
dans  la  Garonne,  dans  la  Gironde,  dans  la  Seine,  dans 
le  Gange,  dans  l'Amazone,  dans  toutes  les  branches  du 
Gange,  et  particulièrement  dans  un  fleuve  que  l'on  con- 
sidère comme  une  branche  du  Gange,  mais  qui  est  une 
rivière  à  part,  et  qui  mérite  de  prendre  un  nom  spécial, 
le  Burrampooter  (Brahmapoutra).  La  barre  dans  li 
Seine  n'atteint  pas  une  hauteur  supérieure  à  1  mètre  1  i; 


NAVIGATION.  613 

dans  le  Bunrampooter,  la  barre  atteint  jusqu'à  une  hau- 
teur de  4  mètres,  dans  T Amazone  de  6.  Eh  bien,  Mes- 
sieurs, est-ce  que  la  navigation  est  empêchée,  est-ce 
qu'elle  est  difficile  ?  mais  tous  les  approvisionnements  de 
Calcutta  et  des  autres  villes  qui  sont  placées  sur  les  rives 
du  Gange  se  font  avec  de  très-petites  barques,  pourvu 
qu'on  ait  l'attention  de  se  tenir  dans  le  milieu  de  la 
rivière ,  et  de  ne  pas  s'approcher  des  rives.  Alors  le 
danger  est  nul.  Ce  phénomène  a  été  étudié  avec  le  plus 
grand  soin  dans  la  rivière  des  Amazones,  en  1744,  par 
Lacondamine  ;  c'est  la  plus  ancienne  mention  que  l'on  en 
trouve.  Là  des  radeaux,  des  bateaux  non  pontés  ne  cou- 
rent aucun  danger  quand  ils  se  mettent  au  milieu  du 
fleuve,  et  cela  par  deux  raisons  :  la  première,  c'est  que, 
dans  le  milieu  de  la  rivière,  la  barre  a  une  moindre  hau- 
teur; la  seconde,  c'est  que  là  la  hauteur  est  régulière.  On 
pense  que  la  barre  est  un  transport  d'eau ,  un  courant  ; 
on  se  trompe,  la  barre  n'est  pas  un  courant,  c'est  une 
ondulation. 

Le  navire  qui  rencontre  la  barre ,  monte  et  descend 
et  ne  change  pas  de  place  ;  il  est  comme  un  corps  flot- 
tant sur  une  nappe  liquide  en  oscillation.  Quand  vous 
voyez  une  onde  se  promener  sur  une  nappe  liquide  avec 
beaucoup  de  rapidité,  aucune  molécule  d'eau  n'a  de 
mouvement  latéral  :  elles  montent,  elles  descendent  ;  il  se 
produit  là  un  mouvement  oscillatoire  et  non  pas^  un  mou- 
vement de  transport.  C'est  là  le  mascaret;  c'est  ce  que 
sur  la  rivière  des  Amazones  on  appelle  pororoca  :  c'est  la 
barre  de  la  Seine. 

Si  ce  mouvement  ondulatoire  prend  par  le  travers  un 


644  NAVIGATION. 

bâtiment  qui  est  échoué  sur  le  rivage,  le  bateau  est  ren- 
versé. Sous  ce  rapport,  M.  d' Angeville  disait  VTai  ;  mais 
quand  le  bâtiment  monte  et  descend  avec  Tonde,  quand 
il  n'est  pas  échoué,  au  moment  même  où  Tonde  lui 
donne  le  mouvement  oscillatoire,  il  ne  court  aucun  dan- 
ger, pourvu,  je  le  répète,  qu'il  se  tienne  vers  le  milieu 
de  la  rivière. 

Les  travaux  qu'on  se  propose  d'exécuter  auraient  pour 
résultat  d'augmenter  la  barre,  que  cela  ne  devrait  pas 
vous  empêcher  de  détruire  la  traverse  de  Villequier, 
paixe  que  la  barre,  quand  on  Tattaque  de  front,  dans 
son  milieu,  n'est  pas  très-dangereuse.  Mais  est-il  vrai 
que  la  barre  de  la  Seine  produise  les  effets  désastreux 
dont  on  vous  a  fait  une  peinture  si  animée?  Je  savais 
que  j'aurais  à  m'occuper,  comme  député,  de  cette  ques- 
tion. J'ai  eu  la  curiosité  de  descendre  la  Seine  et  de  la 
remonter  avec  un  navigateur  qui  la  descend  et  la  remonte 
tous  les  jours,  c'est  le  capitaine  Bambine  ;  je  Tai  prié  de 
m'indiquer  pendant  toute  la  course  quels  étaient  les  ra- 
vages extraordinaires  que  la  barre  produisait.  Eh  bien, 
j'ai  vu  près  de  Villcquier  des  jardins,  des  prés,  séparés  de 
la  Seine  par  des  murs  de  pierres  sèches.  Il  était  évident, 
par  la  couleur  des  pierres  et  la  natui'e  des  herbes  qui 
les  recouvraient,  qu'elles  étaient  là  depuis  longtemps;  ses 
effets  ne  sont  évidemment  dangereux  sur  les  bords  que 
pour  un  bâtiment  échoué  ;  mais  quand  la  barre  rencontre 
un  bâtiment  flottant,  le  danger  n'existe  pas. 

Maintenant,  avons -nous  à  redouter  que  les  digues 
submersibles,  le  rétrécissement  proposé ,  augmentent  la 
barre?  Je  ne  le  crois  pas.  Je  le  répète,  la  science  ne 


NAVIGATION.  645 

sait  pas  donner  une  explication  satisfaisante,  complète, 
du  phénomène  dont  j'ai  eu  l'honneur  d'entretenir  la 
Chambre. 

Mais  la  science  recueille  les  faits  et  les  discute  ;  elle 
examine  ce  qui  peut  modifier,  augmenter  ou  diminuer  la 
barre.  Or,  il  est  évident  qu'elle  n'est  dangereuse  que  là 
où  il  y  a  peu  de  profondeur  d'eau. 

Il  y  a  un  fait  certain  qui  résultera  des  digues  longi- 
tudinales :  c'est  Tapprofondissement  du  chenal  ;  par  con- 
séquent, la  barre  y  perdra  sa  hauteur. 

Qu'a-t-il  pu  se  passer  dans  la  Garonne  depuis  1780? 
Un  rétrécissement  de  la  rivière.  Je  ne  vois  pas  d'autres 
modification  possible,  d'autre  modification  acceptable 
que  celle-là.  Eh  bien,  cette  modification  a  changé  com- 
plètement l'état  de  la  rivière,  relativement  au  mascaret. 

On  citait  tout  à  l'heure  Brémontier,  un  homme  de 
mérite,  un  observateur  fidèle,  exact,  qui  ne  se  laissait 
pas  aller  à  son  imagination.  11  a  été  chargé  de  surveiller 
la  navigation  de  la  Garonne  très-longtemps,  et  voici  ce 
qu'il  rapporte  dans  un  ouvrage  que  j'ai  consulté  encore 
ce  matin. 

Brémontier  dit,  dans  cet  ouvrage  de  1829,  que, 
trente  ans  auparavant,  le  mascaret  remontait  beaucoup 
au-dessus  de  Bordeaux,  jusqu'à  Langon,  et  qu'il  faisait 
tant  de  bruit  en  remontant,  qu'on  l'entendait  à  une  lieue 
de  distance.  Maintenant,  on  ne  l'entend  plus  :  il  a  même 
complètement  disparu.  Il  ne  reste  plus  de  traces  de  ce 
phénomène  redoutable. 

Quelle  peut  en  être  la  cause?  Voyons,  cherchons  par 
la  pensée  des  modifications  qui  ont  pu  amener  ce  ré- 


616  NAVIGATION. 

sultat  :  je  ne  vois  pas  qu'on  puisse  s'arrêter  à  autre  chose 
qu'à  un  rétrécissement  de  la  rivière.  C'est  un  rétrécisse- 
ment qu'on  vous  propose. 

Messieurs,  je  ne  crois  pas  que  les  travaux  qu'on  veut 
faire  soient  des  travaux  dangereux  ;  je  crois  que  c'est  un 
essai  important  ;  je  crois  que  vous  approfondirez  la  rivière 
dans  un  passage  difficile  et  qui  intéresse  au  plus  haut 
point  la  navigation. 

Je  crois  que  vous  n'ajoutez  pas  aux  dangers  de  la 
barre.  Je  crois  que  la  barre  diminuera  dans  son  ampli- 
tude; je  crois,  d'ailleurs,  qu'elle  doit  diminuer  par  la 
profondeur,  comme  toutes  les  expériences  le  montrent 

Par  conséquent,  il  n'y  a  pas  de  dangers  dans  le  tra- 
vail que  propose  le  gouvernement,  et  il  y  a  des  avantages 
manifestes. 

Je  ne  voulais  parler  que  de  la  question  technique  que 
j'ai  étudiée.  Il  me  semble  que  les  arguments  que  j'ai 
avancés  sont  décisifs;  mais  qu'on  me  permette  d'ajouter 
un  mot ,  un  seul  mot ,  relativement  &  une  considération 
qu'a  fait  valoir  l'honorable  M.  d'Angeville. 

M.  d'Angeville  vous  a  dit  :  c  Si  vous  améliorez  la 
Seine,  les  navires  remonteront  jusqu'à  Rouen;  si  vous 
ne  l'améliorez  pas,  les  navires  ne  remonteront  pas  jus- 
qu'à Rouen;  ils  s'arrêteront  au  Havre.  Voilà  toute  la 
différence.  • 

Cette  différence  m'a  paru  énorme.  Dans  le  voyage 
dont  je  parlais  tout  à  l'heure»  j'ai  consulté  à  Rouen  les 
personnes  les  plus  instruites ,  les  plus  au  courant  des 
affaires  maritimes.  Elles  m'ont  fait  remarquer  que  le 
transport  des  marchandises,  par  un  chemin  de  fer  entre 


NAVIGATION.  617 

Marseille  et  Rouen,  sera  un  peu  supérieur,  avec  tous  les 
prix  que  vous  connaissez,  au  transport  des  marchandises 
par  le  cabotage,  si  Ton  n*est  pas  obligé  de  rompre  charge 
au  Havre  ;  elles  ont  ajouté,  au  contraire,  que  le  cabotage 
«ntre  la  Méditerranée  et  Rouen  pourra  conserver  toute 
^n  activité  si  les  navires  vont  directement  de  Mai*seille 
à  Rouen  (C'est  cela  !  c'est  cela  !  );  tandis  que  si  on  est 
obligé  de  débarquer  au  Havre ,  le  cabotage  ne  pourra  pas 
être  conservé,  il  sera  tué  par  le  chemin  de  fer. 

Eh  bien,  je  regarde  comme  une  chose  d'une  importance 
extrême  que  vous  conserviez  le  cabotage  comme  un  des 
éléments  de  l'inscription  maritime.  (C'est  cela  ! — Très- 
bien  !  très-bien  !  ) 

Vlll 

SUR  DES  TRAVAUX  A  ENTREPRENDRE  POUR  AMÉLIORER 

LA  NAVIGATION 

[Dans  la  séance  du  30  mai  1833,  M.  Arago  a  signalé  la  nécessité 
d^achever  divers  travaux  publics  ;  nous  plaçons  ici  la  partie  de  son 
discours  relative  aux  travaux  d*amélioration  de  la  navigation.] 

M.  LE  Président.  La  suite  de  Tordre  du  Jour  est  la  discussion  du 
projet  de  loi  sur  la  demande  de  100  millions,  pour  travaux  à  conti- 
nuer ou  à  entreprendre.  La  parole  est  à  M.  Arago,  premier  orateur 
inscrit  contre  le  projet 

M.  ÂRAGo.  Le  rapport  de  la  commission  ne  nous  ayant 
été  remis  que  lundi ,  il  nous  a  été  impossible  en  trois 
jours  d'en  faire  une  étude  approfondie.  Je  ne  cite  au 
reste  cette  circonstance  que  pour  obtenir,  s'il  est  pos- 
sible, l'indulgence  de  la  Chambre. 

Je  m'associe  sans  aucune  réserve  à  l'idée  qu'a  eue 
M.  le  ministre  de  consacrer  une  partie  des  fonds  de 


618  NAVIGATION, 

ramorlissement  à  des  travaux  d'utilité  publique,  et  sur- 
tout à  des  travaux  d'achèvement.  Je  m'associe  également 
de  grand  cœur  à  la  pensée  qu'a  eue  la  commission  de 
proposer  quelques  travaux  nouveaux.  Je  désire  seulement 
que  nous  ne  fassions  pas  le  deuxième  tome  des  canaux. 
U  me  semble  qu'il  serait  nécessaire  que  des  projets  nous 
fussent  remis  avec  des  plans,  des  devis  et  des  études 
approfondies ,  de  manière  qu'on  pût  juger  retendue  de 
la  carrière  dans  laquelle  on  va  s'engage.. 

Parmi  les  travaux  commencés  qu'on  propose  d'ache- 
ver, il  en  est  quelques-uns  très -importants;  mais  il  en 
est  d^autres  non  moins  utiles  qui  ont  été  oubliés.  11  eût 
été  désirable  que  le  minisire  présentât  un  travail  général, 
complet,  appuyé  de  pièces  détaillées  ;  et  je  crois  qu'alors 
il  aurait  trouvé  dans  la  Cbanibre  très-peu  d'opposition, 
non-seulement  pour  les  projets  qu'il  a  proposés,  mais 
encore  pour  d'autres  travaux  que  je  vais  signaler. 

M»  le  ministre  sollicite  l'achèvement  des  monuments 
de  Paris  et  plusieurs  canaux.  Je  demande  à  mon  tour 
pourquoi,  dans  le  projet  de  loi,  il  n'a  pas  été  question 
des  ports,  qu'il  serait  aussi  important  d'achever. 

M.  L£  HLNisTRX  DE  L'INTÉRIEUR.  Gela  coûceroe  la  marine. 

M.  Arago.  Il  en  est  plusieurs  qui  "ne  concernent  pas 
la  marine;  il  s'agit,  au  surplus,  d'un  projet  général.  Il 
serait  désirable  qu'on  achevât  le  port  de  Cherbourg,  qui 
est  commencé  depuis  1786.  Les  Anglais  ont  terminé  un 
travail  de  même  nature  en  très-peu  d'années,  je  veux 
parler  du  Breakwater  de  Plymouth. 

Vous  savez  que,  dans  le  département  de  la  Gironde, 
les  dunes  gagnent  chaque  année  beaucoup  de  terrain. 


NAVIGATIOK.  619 

Le  problème  de  les  arrêter  est  complètement  résolu; 
mais  à  la  condition  d'agir  activement  et  avec  ensemble. 
Les  travaux  que  Ton  fait  aujourd'hui,  par  leur  peu  d'im- 
portance, sont  presque  de  l'argent  perdu.  Le  port  de 
Bayonne  a  une  barre  qui  avance  tous  les  ans.  On  est 
arrivé,  tout  porte  à  le  croire,  à  une  époque  où  ce  mou- 
vement de  progression  deviendra  trèsr-lent  ;  il  serait  donc 
important  que  M.  le  ministre  consacrât  les  fonds  néces- 
saires à  r achèvement  de  ce  porL 

J'arrive  au  golfe  de  Lyon  :  ce  golfe  forme  un  demi- 
cercle.  En  temps  de  guerre,  l'entrée  d'un  des  trois  ports 
que  ce  golfe  renferme,  l'entrée  de  Marseille,  est  très- 
difficile.  Je  puis  en  parler  par  expérience,  car  j'ai  été 
pris  trois  fois  sur  des  bâtiments  de  commerce  en  voulant 
m'y  réfugier.  Eh  bien,  à  l'extrémité  du  diamètre  de  ce 
golfe,  il  existe  un  port  excellent,  un  port  qui  serait  sans 
prix,  si  Ton  consacrait  à  l'améliorer  quelques  parcelles  du 
budget. 

Je  vais  citer  à  l'appui  de  ce  que  j'avance,  l'opinion  4e 
l'illustre  Vauban.  Voici  ce  qu'il  disait  dans  un  mémoire 
manuscrit  que  j'ai  entre  les  mains  : 

«  Pour  conclusion,  je  trouve  pour  la  France  tant  d'avan- 
tage à  améliorer  Port- Vendre,  que  je  vivrais  cent  ans  et 
qu'on. me  fît  faire  cent  voyages  en  Roussillon,  je  me 
ferais  toujours  un  point  de  conscience  de  proposer  une 
chose  qui  importe  tell^nent  au  service  du  roi  et  de  la 
France,  qu'on  ne  peut  sans  indignation  concevoir  la 
nonchalance  qu'on  a  eue  pour  ce  port  jusqu'à  présent.  » 
{Mémoire  de  Vauban  du  2  mai  1679.) 

Si  l'on  trouvait  quelque  exagération  dans  les  paroles 


€20  NAVIGATION. 

de  Yauban,  je  dirais  qu'aujourd'hui  que  nous  possédons 
Alger,  elles  sont  d'une  vérité  incontestable.  Le  PorU 
Vendre  rendra  très-facile,  mênje  en  temps  de  guerre, 
nos  communications  avec  l'Afrique;  cinq  ou  six  heures 
après  être  sorti  de  ce  port,  on  se  trouve  dans  les  parages 
des  lies  Baléares. 

Ainsi,  sans  étendre  mon  énumération  plus  loin,  je  orois 
pouvoir  reprocher  au  ministre  de  n'avoir  pas  présenté 
un  plan  général  des  travaux  commencés,  et  qui  auraient 
pu  être  achevés  avec  fruit;  de  ces  travaux  qui  finissent 
par  rapporter  au  centuple  ce  qu'ils  ont  coûté. 

On  a  proposé  d'améliorer  la  navigation  de  la  Saône- 
Personne,  plus  que  moi,  n'applaudirait  à  un  pareil  tra- 
vail; mais  sur  quel  point  porteront  les  améliorations? 
^A-tron  des  projets  étudiés,  arrêtés?  Et,  dans  ce  cas, 
/4Bait-on  si  la  somme  demandée  est  suffisante?  N'est-il  pas 
vraiment  étrange,  quand  on  parle  à  la  Chambre  de  la 
canalisation  des  rivières,  qu'on  ait  oublié  la  Seine?  H.  le 
rapporteur  sait  mieux  que  personne  que  cette  rivière  est 
dans  un  état  déplorable,  qu'il  serait  très-urgent  de  s'en 
occuper. 

Dans  les  demandes  de  la  commission,  il  est  question 
de  500,000  ou  600,000  fr.  destinés  à  des  études  de 
chemins  de  fer  ;  mais  on  a  cité  presque  exclusivement  le 
chemin  de  Paris  à  Marseille. 

Je  ne  doute  pas  que  ce  chemin  ne  soit  très-utile  ;  tou- 
tefois il  en  est  un  autre  qui  serait  probablement  plus 
important  encore.  Je  me  rappelle  avoir  vu  jadis,  dans 
les  mains  d'un  de  nos  ingénieurs  les  plus  distingués,  d'une 
des  plus  hautes  notabilités  dont  le  corps  des  ponts  et 


^ 


NAVIGATION.  624 

chaussées  puisse  se  glorifier,  dans  les  mains  de  M.  Bris- 
son,  le  dessin  détaillé  d'un  canal  entre  Paris  et  Stras- 
bourg. Au  moyen  de  ce  canal  et  d'après  des  études  qui 
n'étaient  pas  seulement  un  avant-projet  grossier,  mais 
bien  un  système  complet  et  étudié,  si  j'ai  bonne  mémoire, 
le  transport  des  marchandises ,  entre  la  France  et  Stras- 
bourg, entre  ki  France  et  le  Rhin,  serait  moins  coûteux 
que  par  la  voie  de  la  Hollande.  Ce  serait  peut-être  là 
une  solution  définitive  de  la  question  de  TEscaut;  ce 
serait  le  plus  définitif  de  tant  de  protocoles  dont  on  a 
parlé  à  cette  tribune.  Je  le  recommande  à  l'esprit  ingé- 
nieux de  M.  le  ministre  du  commerce  ;  il  y  aurait  quel- 
que chose  de  piquant  à  terminer  la  question  belge ,  au 
profit  de  la  France,  avec  un  chemin  de  fer  ou  avec  le 
canal  Brisson. 

Je  dirai ,  à  l'égard  des  chemins  de  fer,  que  le  rappor- 
teur me  paraît  avoir  commis  une  erreur  :  peut-être  était- 
elle  inévitable  lorsqu'il  a  fait  son  travail  ;  mais  de  nou- 
veaux renseignements  sont  arrivés  depuis.  M.  de  Bérigny 
insinue  que  les  longs  chemins  de  fer  ne  seront  utiles  que 
pour  le  transport  des  voyageurs.  Voici  les  faits  :  j'ai  eu, 
ces  jours  derniers,  sous  les  yeux,  un  document  qui  prouve 
que,  sur  le  chemin  de  fer  de  Manchester  à  Liverpool,  la 
valeur  du  transport  des  marchandises,  pendant  le  dernier 
trimestre,  a  correspondu  à  un  revenu  annuel  de  û  pour 
cent;  le  transport  des  voyageurs  a  donné  à  peu  près  le 
même  résultat.  Ainsi,  les  actionnaires  auront  8  pour  cent 
de  leurs  fonds. 

Je  dirai  quelques  mots  de  la  construction  des  machines 
à  vapeur.  11  y  a  là  une  question  importante ,  qui  se  rat- 


62Î  NAVIGATION. 

tache  aux  plus  grands  intérêts.  Nous  nous  vantons  sou- 
vent de  l'état  prospère  de  notre  industrie.  Cette  prospé- 
rité ne  s'étend  pourtant  pas  jusqu'à  nos  manufactures  de 
grandes  machines  ;  ces  manufactures  sont  très-arriérées. 
Ce  n'est  pas  que  nos  ingénieurs  manquent  de  mérite  ;  au 
contraire,  nous  en  avons  d'extrêmement  distingués  :  f  en 
connais  personnellement  sept  ou  huit  tout  aussi  habiles 
certainement  que  ceux  dont  l'Angletere  ise  glorifie.  Ils 
ne  sauraient  cependant  exécuter  de  grandes  machines 
au  même  prix  que  nos  voisins.  La  raison  en  est  bien 
simple  :  quand  on  commande  une  machine  unique  à  un 
mécanicien ,  il  est  obligé  de  trouver  dans  les  bénéfices 
de  la  construction  les  dépenses  que  la  confection  de  tous 
les  outils  occasionne. 

J'ai  eu  sous  les  yeux  un  marché  que  le  célèbre  Maadiay 
contractait  avec  le  gouvernement  anglais  ;  il  pourrait  se 
traduire  ainsi  :  «  Les  objets  que  vous  me  commandez  coû- 
teront cent  francs  si  vous  ni' en  demandez  dix,  cinquante 
francs  si  vous  m*en  demandez  cent,  et  dix  francs  si 
vous  m'en  demandez  mille.  »  Tout  le  monde  comprend 
maintenant  le  problème.  Nos  constructeurs  exécuteront 
des  machines  de  la  plus  grande  dimension  aussi  bien 
que  les  constructeurs  anglais,  dès  qu'ils  seront  outillés. 
Il  fauidonc  que  le  gouvernement  leur  donne  la  facilité 
de  se  procurer  les  moyens  mécaniques  dont  la  plupart 
manquent  encore  ;  je  veux  éire  qu'il  doit  payer  la  plus- 
value  des  premières  machines  de  nos  artistes,  plus-value 
que  les  simples  particuliers  n'entendent  pas  supporter. 
(  >ucl  est  le  moyen  ?  le  voici  : 

On  a  dit,  en  rendant  compte  des  besoins  de  la  marine. 


NAVIGATION.  023 

dans  la  dernière  session,  que  le  gouvernement  anglais 
avait  très-peu  de  bateaux  à  vapeur.  On  a  dit  vrai,  mais 
lu  conséquence  qu'on  en  tirait  n'est  pas  tout  à  fait  exacte. 
L'amirauté  anglaise  n'a  pas  dans  ses  arsenaux  des  bateaux 
à  vapeur  tout  préparés  pour  l'éventualité  d'une  guerre  ; 
mais  a-t-on  oublié  qu'elle  pourrait  disposer  sur-le-champ 
de  la  multitude  de  grands  bateaux  qui  sillonnent  la 
Tamise,  le  canal  de  Saint-Georges  et  toutes  les  mers 
environnantes?  j'ajouterai,  et  je  crois  être  bien  informé, 
que  chez  nos  voisins,  le  gouvernement  a  fait  faire  d'im- 
menses machines;  que  ces  machines  sont  en  magasin, 
prêtes  à  être  transportées  sur  des  navires  si  la  guerre 
venait  à  éclater.  Eh  bien ,  ce  que  l'Angleterre  a  fait,  il 
faudrait  que  le  gouvernement  français  le  fît  également.  Il 
fournirait  ainsi  à  nos  artistes  principaux,  les  moyens 
d'exécuter  pour  le  commerce  les  plus  grandes  machines, 
qu'aujourd'hui  il  va  chercher  en  Angleterre.  Dans  ce 
genre  de  choses.  Messieurs,  imitons  nos  voisins,  nous 
nous  en  trouverons  bien. 

Il  y  a  des  industries  dont  le  gouvernement  ne  doit 
point  se  mêler.  L'horlogerie,  par  exemple,  sauf  le  cas 
tout  particulier  des  chronomètres,  lui  est  nécessairement 
étrangère;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  grandes 
machines.  Il  a  un  intérêt  immense,  un  intérêt  national  à 
ce  que  les  constructeurs  soient  placés  par  une  commande 
suffisante  dans  le  cas  de  se  pourvoir  des  moyens  puissants 
à  l'aide  desquels  on  exécute  des  machines  à  vapeur  de  la 
force  de  cent  à  deux  cents  chevaux. 

[  M.  Arago  passe  à  la  discussion  de  la  question  de  la  Bibliotlièquc 
royale  et  à  celle  des  phares.  Nous  placerons  ailleurs  ces  parties 
«le  son  improvisation.  ] 


624  NAVIGATION. 

J'arrive  maintenant  aux  travanx  réclamés  par  M.  le 
ministre  da  commerce.  Je  demanderai  d^abord  la  per- 
mission de  lui  soumettre  quelques  doutes.  M.  le  ministre 
veut  faire  exécuter  sur-^le^ champ  tous  les  travaux  qui 
sont  à  Paris  en  cours  d'exécution  :  c'est,  je  croîs,  Texpres- 
sion  dont  il  s'est  servi  dans  l'exposé  des  motifs.  Reste  à 
s'entendre  sur  sa  portée. 

M.    LE    MINISTRE    DE    L'iNSTRUGTIOIf   PUBLIQUE.    NOUS    aVODS    TOUlU 

parler  de  trois  ans. 

M.  Aaago.  L'observation  que  j'ai  voulu  faire  n'en  sub- 
sistera pas  moins.  Je  ne  voudrais  point  que  les  monuments 
fussent  achevés  dans  un  temps  trop  court.  D'abord,  les 
carrières  actuelles  pourraient  à  peine  fournir  aux  besoins 
réunis  des  constructions  entreprises  par  des  particuliers, 
des  grands  travaux  du  gouvernement  et  de  ceux  de  la 
liste  civile.  Il  en  résulterait  une  augmentation  exorbitante 
dans  le  prix  des  matériaux.  Les  ouvriers  de  Paris  ne 
pouvant  suffire  à  tous  ces  travaux,  vous  seriez  obligés 
d'en  faire  venir  un  nombre  considérable  des  départe- 
ments. 

Que  le  passé  nous  serve  de  leçon.  Peu  après  la  révo- 
lution de  juillet,  j'étais  membre  du  conseil  général  du 
département  de  la  Seine,  et  je  n'ai  pas  pu  oublier  com- 
bien nous  éprouvâmes  d'embarras  pour  satisfaire  aux 
besoins  de  tant  d'individus  étrangers  à  la  ville  de  Paris 
et  qui  n'avaient  pas  d'ouvrage.  Qui  ne  se  rappelle  le 
Champ -de -Mars  gâté  au  prix  de  tant  d'argent?  Je  le 
répète,  Messieurs,  si  vous  donnez  un  développement 
exagéré  à  vos  travaux,  vous  nuirez  d'une  manière  grave 
aux  entreprises  particulières  ;  vous  verrez  augmenter  tous 


NAVIGATION.  62o 

les  matériaux,  la  chaux,  le  moellon,  le  plâtre  d'une  ma- 
nière effrayante. 

Vous  élèverez  outre  mesure  le  salaire  des  ouvriers;  si 
cet  état  de  choses  pouvait  durer  longtemps,  je  m'associe- 
rais à  vos  vues,  car  toutes  mes  plus  vives  sympathies,  jo 
le  déclare  franchement,  sont  pour  la  classe  ouvrière; 
mais  au  bout  de  trois  ans,  presque  tous  vos  travaux 
cesseront,  vous  serez  obligés  de  renvoyer  de  Paris  une 
population  factice  que  vous  aurez  créée  inconsidérément. 

Beaucoup  d'ouvriers  qui ,  aujourd'hui ,  ont  abandonné 
l'état  de  maçon  ou  de  tailleur  de  pierres,  qui  sont  devenus 
tisserands,  laboureurs,  gardes  champêtres,  surveillants 
dans  des  usines,  quitteront  ces  positions  modestes,  car 
la  prévoyance  n'est  pas  notre  qualité  distinctive;  ils 
viendront  en  foule  à  Paris ,  ne  voyant  que  le  bénéfice  du 
moment.  Eh  bien,  dans  trois  ans,  ils  n'auront  plus  d'oc- 
cupation. Qu'en  ferez-vous  alors?  N'auront-ils  pas  le  droit 
de  dire  que  vous  les  avez  trompés?  Je  crois  qu'il  est 
utile,  je  crois  qu'il  est  nécessaire,  non  de  faire  dix  bâti- 
ments sur-le-champ,  mais  de  porter  tous  vos  moyens, 
toutes  vos  forces,  d'abord  sur  un  monument,  et  après 
l'avoir  achevé,  sur  un  autre.  C'est  ainsi ,  je  crois,  que 
Napoléon  gagnait  des  batailles.  En  l'imitant,  vous  vain- 
crez l'inertie,  la  persistance  et  les  caprices  des  archi- 
tectes. Cette  marche,  que  j'approuve,  peut  très-bien  se 
concilier  avec  la  répartition  des  travaux  sur  plus  de  trois 
années. 


V.— II.  ZiO 


6i6  NAVIGATION. 


IX 

AyÉLIORATIOIf  DU  PORT  DE  CHERBOURG  ET  DE  CELCI 

DE   PORT-VENDRE  ' 

Personne  ne  s'associe  plus  vivement  que  je  ne  le  fais 
au  désir  de  la  Chambre,  de  la  France  entière,  de  voir 
les  grands  travaux  commencés  à  Cherbourg  entièrement 
achevés.  Je  désirerais  cependant  que  M.  le  ministre  de 
la  marine  se  décidât  à  faire  examiner  par  une  commis- 
sion ad  hoc  une  question  de  la  plus  haute  importance, 
celle  de  savoir  si  la  digue  de  Cherbourg  doit  être  conti- 
nue ou  si  plutôt  il  ne  faudrait  pas  la  tronçonner.  Je  sais 
qu'on  pourra  me  répondre  que  des  décisions  formelles 
existent  et  qu'elles  sont  toutes  favorables  au  genre  de 
travaux  qu'on  exécute  en  ce  moment.  Mais  les  travaux 
hydrauliques  doivent  être  rangés  parmi  les  plus  difficiles 
dont  les  ingénieurs  aient  à  s'occuper  ;  il  est  impossible  de 
prévoir,  sans  les  études  les  plus  sérieuses,  ce  qui  se  ma- 
nifestera dans  une  localité,  en  argumentant  de  ce  qui  est 
arrivé  dans  une  localité  différente.  Et  d'ailleurs.  Messieurs, 
les  travaux  exécutés  à  Cette  avec  T assentiment  du  con- 
seil général  des  ponts  et  chaussées,  n'ont-ils  pas  eu  des 
résultats  déplorables?  Le  port  de  Cette  s'envase  journelle- 
ment, et  si  l'on  n'y  porte  un  prompt  remède,  il  sera  ccnn- 
plétement  perdu. 

Eh  bien ,  je  ne  suis  pas  sans  crainte  sur  la  rade  de 
Cherbourg.  Vous  le  savez,  Messieurs,  les  eaux  que  les 

i.  Discours  prononcé  dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés 
du  9  juin  1835. 


jîavïgation:  627 

courants  transportent  dans  les  ports,  y  arrivent  ordinal 
rement  fort  troubles,  fort  bourbeuses.  Si,  par  des  con- 
structions artificielles ,  vous  amenez  ces  eaux  à  être  par- 
faitenient  tranquilles,  elles  déposeront  du  sable,  et  le 
fond  de  la  mer  montera  graduellement.  Les  anciens 
avaient  déjà  étudié  cette  question  avec  un  grand  soin. 
En  pai'courant  dernièrement  les  côtes  méridionales  de 
ritalie,  des  ingénieurs  napolitains  ont  reconnu  que  par- 
tout où  les  Romains  construisirent  des  môles  à  arceaux , 
l6S  ports  ont  conservé  une  grande  profondeur  d'eau  ;  par- 
tout, au  contraire,  où  les  môles  étaient  continus,  les 
eaux  bourbeuses  des  courants  ont  déposé  les  sables 
qu'elles  charriaient ,  et  les  ports  n'existent  plus  ou  sont 
inabordables.  Je  crains  beaucoup,  je  le  répète,  que  des 
effets  de  ce  genre  ne  se  manifestent  à  Cherbourg ,  si  la 
digue  est  continue.  Peut-être  vaudrait-il  mieux  qu'elle 
fût  tronçonnée.  Je  demande  donc  que  cette  question  soit 
examinée  avec  le  plus  grand  soin. 

J'entends  quelques  personnes  s'écrier  :  Une  digue  tron» 
çonnée  laissera  aux  vagues  venant  de  la  haute  mer  toute 
leur  puissance  ;  je  réponds  que  c'est  une  erreur.  Une 
vague  est  comme  une  voûte  :  opérez  une  forte  solution 
de  continuité  en  quelques-uns  de  ses  points  et  la  vague 
entière  s'abat 

Sans  doute,  il  resterait  alors  dans  le  port  une  certaine 
agitation  ;  mais  c'est  là  précisément  ce  que  je  désirerais  ; 
je  voudrais  que  la  mer  fût  constamment  clapoteuse  ;  que 
les  eaux  y  troubles  à  leur  entrée  ^  sortissent  nécessaire^ 
ment  troubles;  j'appelle  sur  cet  objet  toute  l'atteiïbion  de 
M.  le  ministre  de  la  marine  ;  il  ne  faut  pas  que  le  û:uit 


6i8  NAVIGATION. 

des  énormes  dépenses  qu'on  a  faîtes  et  qu'on  fait  encore 
à  Cherbourg  soit  un  jour  perdu. 

J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  parler  à  cette  tribune  d'un 
port  situé  sur  la  Méditerranée  (voir  p.  619)  ;  j'ai  fait 
sentir  combien  il  serait  important  de  s'en  occuper.  Ce 
port,  le  Port'Vendre,  situé  à  l'extrémité  d'un  des  diamè- 
tres du  golfe  de  Lyon,  a  été  récemment  examiné  par  une 
commission  nommée  par  M.  l'amiral  Duperré  ;  personne 
ne  peut  maintenant  douter  des  avantages  qu'il  offrira  au 
commerce  et  à  la  marine  militaire  ;  tout  le  monde  com- 
prendra combien ,  en  temps  de  guerre ,  les  communica- 
tions de  ce  port  aveo  Alger  seront  plus  faciles  que  celles 
de  Toulon  et  de  Marseille.  Mes  anciennes  observations 
furent  favorablement  accueillies  par  M,  l'amiral  de  Rigny; 
a  voulut  bien  déclarer  que  le  Port -Vendre  avait  une 
grande  importance,  et  qu'il  hâterait  de  tous  ses  efforts  le 
moment  où  l'administration  s'en  occuperait  activement. 
(M.  de  Rigny  fait  un  signe  d'adhésion.)  Eh  bien,  Mes- 
sieurs ,  à  cette  époque  on  ne  croyait  pas  que  le  Port- 
Vendre  pût  recevoir  des  vaisseaux  de  ligne  ;  cette  possibi- 
lité est  aujourd'hui  établie  sur  des  preuves  irrécusables. 
Des  travaux  qui  ne  seront  ni  d'une  grande  difficulté  ni 
d'une  dépense  qui  doive  effrayer,  nous  doteront  d'un 
second  port  militaire  dans  la  Méditerranée. 

Je  prie  donc  M.  le  ministre  de  la  marine  de  vouloir 
bien  au  plus  tôt ,  je  veux  dire  l'année  prochaine ,  faire 
figurer  le  Port-Vendre  parmi  les  travaux  hydrauliques 
qui  s'exécutent  sur  les  fonds  de  son  budget.  Je  le  prie 
aussi  de  ne  pas  perdre  de  vue  la  commission  dont  je  sol- 
licite  la  formation ,  et  qui  aurait  pour  mission  d'examiner 


NAVIGATION.  629 

définîtivement  si  la  rade  de  Cherbourg  peut  être  fermée 
par  une  digue  continue ,  sans  qu'il  en  résulte  des  envase- 
ments rapides. 

[  Après  la  réponse  de  M.  Tupinier,  coramissaire  du  roi ,  M.  Arago 
a  ajouté  :  ] 

Dois-je  répéter,  Messieurs,  que  c'est  avec  rassentimcnt 
du  conseil  des  ponts  et  chaussées  et  contre  l'avis  d'un 
ingénieur  qui  était  sur  les  lieux,  qu'ont  été  exécutés  les 
travaux  du  port  de  Cette?  Je  n'entends  pas  induire  de  là 
qu'il  faille  en  toute  circonstance  se  méfier  des  avis  de  ce 
conseil  pour  lequel  je  professe  la  plus  grande  estime; 
mais  les  travaux  hydrauliques,  ceux  surtout  qu'on  exé- 
cute dans  les  ports ,  exigent  une  expérience  et  des  con- 
naissances dont  des  ingénieurs,  fort  habiles  d'ailleurs  à 
d'autres  égards,  peuvent  être  dépourvus.  J'ose  donc  prier 
M.  le  ministre  de  la  marine  de  bien  peser  les  observations 
que  j'ai  eu  l'honneur  de  lui  soumettre.  Il  n'y  aurait  au- 
cune honte  à  revenir  sur  d'anciennes  décisions;  ce  n'est 
que  depuis  quelque  temps,  en  effet,  qu'on  a  senti  combien 
il  est  important  de  laisser  aux  eaux  dans  les  ports  une 
certaine  agitation  ;  il  y  a  là,  pour  Cherbourg,  j'ose  l'aflir- 
mer,  matière  à  un  examen  très-sérieux. 


AMÉLlORATIOiS    DU    PORT    d'ALGER 

l  Dans  la  séance  du  27  mai  18/i2,  AI.  Arago  a  prononcé  le  discours 
suivant  :  ] 

Messieurs,  le  port  d'Alger  était  extrêmement  mauvais 
lorsque  j'avais  le  malheur  d'être  embarqué  sur  des  bAti- 


m  NAVIGATION. 

menls  algériens,  en  1808  et  1809.  (Exclamation  aux 
centres.  )  C'est  un  malheur  dont  je  n'ai  pas  à  rougir,  je 
remplissais  une  mission  que  le  gouvernement  français 
m'avait  confiée,  lorsque  je  tombai  dans  les  mains  des  Algé- 
riens. Le  port  d'Alger  était  alors  très-mauvais.  Il  y  avait 
par  certains  vents  un  ressac  considérable  vivement  qua- 
lifié par  un  dicton  africain  qui  ne  s'est  jamais  effacé  de 
ma  mémoire.  (Bruit.)  Toutes  les  fois  que  le  vent  du 
nord ,  le  vent  venant  de  Mayorque  commençait  à  souffler, 
les  Algériens  s'écriaient  :  «  Voilà  le  charpentier  mayorcain 
qui  va  travailler.  »  Effectivement,  les  bâtiments  du  port, 
jetés  les  uns  sur  les  autres,  étaient  mis  en  pièces. 

Depuis  les  travaux  de  M.  Poirel,  depuis  que  la  digue 
a  été  un  peu  prolongée  par  les  moyens  extrêmement  ingé- 
nieux que  la  Chambre  connaît ,  les  résultats  ont  été  très- 
favorables. 

Je  ne  m'en  fie  pas  à  mes  lumières  personnelles  pour 
décider  quelle  sera  dans  l'avenir  la  valeur  du  port  d'Al- 
ger. On  a  cité  tout  à  l'heure,  et  avec  beaucoup  de  raison, 
l'opinion  d'un  de  nos  collègues  actuellement  absent ,  de 
M.  Le  Ray  ;  je  puis  m'étayer,  moi,  d'une  opinion  qui  n'est 
pas  au-dessous  de  celle  de  M.  Le  Ray,  de  l'opinion  de 
M.  le  capitaine  de  vaisseau  que  l'administration  a  chargé  de 
la  carte  hydrographique  de  la  côte  d'Afrique,  de  l'opinion 
de  M.  le  capitaine  de  vaisseau  Bérard,  de  celui-là  même 
enfin ,  auquel  M.  le  ministre  de  la  marine  vient  de  donner 
le  commandement  de  la  station  de  la  Nouvelle-Zélande. 
M.  le  capitaine  Bérard  m'a  formellement  autorisé  à  dé- 
clarer, ayant  eu  l'occasion  d'entrer  dans  le  port  d'Alger 
et  d'en  sortir  par  tous  les  temps  possibles,  que  la  largeur 


NAVIGA^TION.  €34 

de  200  mètres,  conservée  au  musoir  par  M.  Poirel,  est 
complètement  suffisante. 

M.  le  ministre  des  finances  disait  tout  à  Tbeure  que 
cette  entrée  de  200  mètres  mettrait  les  navires  qui  vou- 
draient entrer  à  Alger  dans  l'obligation  de  longer  la  côte 
de  trop  près  ;  cela  n'est  pas  exact  :  j'en  appelle  au  meil- 
leur juge  en  pareille  matière,  à  l'officier  qui  a  fait  la  carte 
de  l'Algérie.  L'entrée  projetée  est  parfaitement  suffisante, 
et ,  quand  on  sort  du  port ,  il  est  facile  de  doubler  le  cap 
Caxine  par  une  seule  bordée. 

Jetons  un  coup  d'oeil  sur  des  ports  célèbres.  Quelle  est 
l'entrée  du  port  de  Marseille?  100  mètres.  Des  rochers  la 
réduisent  considérablement.  Quelle  est  l'entrée  du  port 
du  Havre?  Une  cinquantaine  de  mètres.  Quelle  est  l'en- 
trée du  port  Mahon,  ce  port  si  célèbre?  300  mètres,  avec 
notable  réduction  par  des  roches. 

Comment,  en  présence  de  tous  ces  chiffres,  pourrait- 
on  soutenir  que  200  mètres  ne  suffiront  pas  à  Alger  ? 

Messieurs,  on  a  parlé  de  rade.  Il  n'y  a  qu'à  regarder 
un  atlas  pour  voir  que  ni  le  projet  Raffeneau  ni  le  projet 
Bernard  ne  procureront  de  rades  proprement  dites. 

Une  rade,  c'est  un  espace  immense. 

Le  projet  Raffeneau  donnerait  au  port  d'Alger  une 
étendue  de  34  hectares  ;  le  projet  Bernard  de  18  hectares. 

La  surface  de  la  rade  de  Qierbourg  est  de  500  hec- 
tares; celle  de  la  rade  de  Toulon  de  plusieurs  milliers 
d'hectares.  Voilà  des  rades  véritables;  à  Alger,  vous  n'au- 
rez jamais  rien  de  pareil. 

Messieurs,  il  y  a  entre  les  trois  projets  des  différences 
immenses ,  mais  elles  tiennent  seulement  à  la  profondeur 


6)2  NAVIGATION. 

de  la  mer  dans  les  points  où  Ton  se  propose  de  travailler. 
Cette  profondeur,  pour  peu  qu'on  s'écarte  de  la  direction 
tracée  par  M.  Poirel,  devient  très-grande,  et  Ton  se 
trouve  tout  à  fait  en  dehors  du  cadre  des  travaux  exécu- 
tés jusqu'ici. 

Dans  le  projet  Poîrel,  la  profondeur  de  l'eau,  au  mu- 
soir,  serait  de  20  mètres  ;  le  long  de  la  jetée  de  15  à  17. 
C'est  déjà  énorme,  et  si  M.  Poîrel  n'avait  pas  employé 
des  procédés  de  fondation  par  blocs  en  béton  extrêmement 
ingénieux ,  de  son  invention,  et  pour  lesquels  l'Académie 
des  sciences,  sur  un  rapport  de  M.  Coriolis,  lui  a  rendu 
pleine  justice,  il  n'aurait  pas  réussi. 

Dans  le  projet  Bernard,  vous  avez  des  profondeurs 
de  20,  de  23  et  probablement  de  30  mètres.  Le  projet  de 
M.  Raffeneau  vous  offrira,  dans  la  longueur  de  la  jetée, 
22,  27  et  33  mètres.  Vous  voilà  dans  l'inconnu  ;  vous 
allez  désormais  tenter  des  aventures. 

Il  y  a  une  considération  dont  la  chambre  ne  fait  jamais 
abstraction,  c'est  celle  de  la  dépense.  M.  Bernard,  au 
mérite  duquel  tout  le  monde  rend  hommage,  a  bien  senti 
que,  si  l'on  voulait  faire  sa  jetée  économiquement,  on 
serait  obligé  d'employer  des  pierres  de  petit  échantillon. 
Ce  noyau ,  on  le  revêtirait  ensuite  de  gros  blocs,  d'après 
le  procédé  de  M.  Poirel.  Mais  ne  serait-il  pas  possible 
qu'avant  l'opérotion  du  revêtement,  le  noyau  fût  enlevé, 
et  toutes  les  pierres  dispersées  dans  le  port  et  dans  la 
rade?  (Dénégations  au  banc  des  ministres.)  Les  déné- 
gations qui  m'arrivent  du  banc  des  ministres  m'imposent 
le  devoir  de  montrer  que  mes  préoccupations  ne  sont  pas 
sans  fondcmci  t. 


NAVIGATION.  633 

La  plupart  des  ingénieurs  croient,  je  le  reconnais,  que 
la  mer  n'est  jamais  agitée  à  une  grande  profondeur. 
L'expérience  de  Saint-Jean-de-Luz  aurait  dû  cependant 
les  détromper.  J'affirme ,  en  tous  cas ,  que  la  mer  est 
agitée,  que  même  elle  éprouve  de  grands  déplacements 
à  des  profondeurs  énormes. 

Les  courants  n'étaient  jusqu'ici ,  aux  yeux  des  naviga- 
teurs, que  des  rivières  superficielles.  Il  y  avait  dans  cette 
opinion  une  immense  erreur.  En  discutant  les  observa- 
tions recueillies  pendant  le  voyage  de  la  VémiSy  sous  le 
commandement  de  M.  Dupetit  -  Thouars ,  nous  avons 
reconnu,  M.  de  Tessan  et  moi,  que,  sur  la  côte  du  Chili, 
la  mer  tout  entière ,  la  mer  jusqu'aux  plus  grandes  pro- 
fondeurs, s'avance  majestueusement  du  midi  au  nord. 

La  Méditerranée  a  des  courants  du  même  genre.  Je 
vais  le  prouver  par  un  fait. 

Nous  étions  sous  Louis  XIV  en  guerre  avec  la  Hol- 
lande. (  Interruption  au  centre.  )  Je  ne  comprends  pas 
l'interruption.  Je  me  propose  de  prouver  que  M.  Bernard, 
malgré  son  talent,  malgré  son  mérite  reconnu  de  tout  le 
monde,  a  pu  se  tromper  essentiellement  dans  les  évalua- 
tions d'après  lesquelles  il  a  peut-être  entraîné  l'opinion 
du  conseil  d'amirauté.  Je  veux  prouver  que  le  projet  de 
fonder  la  digue  sur  de  petites  pierres  peut  être  extrême- 
ment dangereux  ;  que  la  mer  pousse  quelquefois  devant 
elle  des  corps  d'un  poids  énorme  qui  reposent  sur  son 
fond  ;  je  m'appuierai  sur  un  fait  que  j'ai  trouvé  dans 
un  des  plus  anciens  volumes  des  Traiisactions  philoso- 
phiques de  la  Société  royale  de  Londres. 

Je  reprends  :  nous  étions  en  guerre  avec  la  Hollande. 


634  NAVIGATrON. 

Un  corsaire,  sorti  de  Marseille^  poursuivait  un  bâtiment 
hollandais  chargé  d'huile,  et  qui  marchait,  toutes  voiles 
dehors,  vers  Tanger.  Le  corsaire  atteignit  le  bâtiment, 
brisa  sa  poupe  et  le  coula  à  fond.  Le  corsaire  ayant  eu 
des  avaries,  marcha  à  Touest  et  entra  à  Tanger  pour  se 
radouber.  Remarquons  ceci ,  Messieurs  :  la  prise  coulée 
lui  arriva  un  jour  après.  Un  courant  sous-marin  l'avait 
portée  de  Test  à  T ouest  jusqu'à  Tanger. 

Je  pourrais  citer  bien  d'autres  preuves  à  Tappoi  de 
mon  opinion;  mais  je  m'en  abstiendrai,  puisque  la 
chambre  est  fatiguée  et  impatiente. 

J'ajouterai  une  seule  remarque  :  quand  on  a  comparé, 
^us  le  rapport  de  la  grandeur,  le  port  de  M.  Poirel  au 
port  de  ses  concurrents,  on  n'a  tenu  compte  que  de 
rétendue  superficielle  géodésique;  &ï  comparant  deux 
ports,  il  faut  cependant  donner  une  grande  attention  à 
l'état  de  la  mer.  Si  la  mer  est  tranquille,  comme  à  Mar- 
seille, les  bâtiments  peuvent  se  toucher  sans  inconvé- 
nient; si  la  mer  est  agitée,  il  est  évident  que  l'on  doit 
les  espacer. 

Eh  bien,  Messieurs,  si  l'ouverture  du  port  d'Alger 
n'est  que  de  200  mètres,  comme  le  veut  M.  Poirel ,  l'éten- 
due sera  suffisante  d'après  les  calculs  de  Thomme  le  plus 
compétent  sur  cette  question,  de  M.  le  capitaine  Bérard  ; 
vous  aurez  dans  le  port  une  mer  tranquille  ;  donnez  à 
l'ouverture  des  largeurs  de  400  ou  de  600  mètres,  et 
comptez,  comme  disent  les  Algériens.,  que  le  charpentier 
mayorcain  se  montrera.  Malgré  une  étendue  superficielle 
en  apparence  plus  considérable,  vous  aurez  en  réalité 
une  étendue  utilQ  beaucoup  moindi*eu 


NAVIGATION.  635 

Si  la  Chambre  était  appelée  à  voter,  je  n'iicsiterais  pas 
un  instant ,  d'après  toutes  ces  considérations ,  à  deman- 
der la  contiuuation  du  travail  de  M.  Poirel. 


XI 

ORGANISATION  DU  CORPS  DES  INGÉNIEURS  HYDROGRAPHES   '. 

Messieurs,  parmi  les  corps  entretenus  par  TEtat,  il  en 
est  un  qui  a  pris  pour  devise  la  contre-partie  d'un  adage 
vulgaire  ;  il  fait,  lui ,  beaucoup  de  besogne  et  tris-peu  de 
bruit.  Le  corps  dont  je  veux  parler  est  celui  des  ingé- 
nieurs hydrographes  ;  et  cependant  à  son  occasion  ,  il  y  a 
dans  le  rapport  de  la  commission  du  budjet  un  passage 
qui  me  paraît  devoir  frapper  de  découragement  toutes 
les  personnes  dont  il  est  composé. 

Je  demande  à  la  Chambre  la  permission  de  lui  en  don- 
lier  lecture. 

«  Votre  commission  a  dû  voter  -le  crédit  sans  hésiter  ; 
mais  elle  s'est  préoccupée  de  la  question  de  savoir  si , 
après  l'achèvement  de  la  reconnaissance  hydrographique 
des  côtes  de  France,  la  marine  devrait  entretenir,  au 
dépôt  des  cartes  et  plans ,  un  personnel  aussi  nombreux 
que  celui  qui  vous  est  aujourd'hui  proposé. 

«  Elle  considère  que ,  dès  à  présent,  nul  accroissement 
de  ce  personnel  ne  serait  admissible ,  le  dépôt  pouvant 
s'aider,  et  s'aidant  en  effet  avec  succès,  de  la  capacité 
spéciale  de  ceux  des  officiers  de  la  marine  qui  se  sont 

1.  Discours  prononcé  dans  la  séance  de  la  Cbambre  des  députés 
du  5  juin  1837. 


636  NAVIGATION. 

adonnés  plus  particulièrement  à  la  levée  des  cartes  et  des 
plans. 

«  Elle  s'étonne  que  l'organisation  du  corps  des  ingé- 
nieurs hydrographes  soit  telle,  que  le  dernier  élève  doive, 
avec  l'aide  du  temps,  arriver  infailliblement  à  remploi 
d'ingénieur  en  chef.  » 

Vous  le  voyez ,  Messieurs ,  d'après  le  sens  littéral  de  ce 
passage,  aussitôt  que  la  carte  des  côtes  de  France  sera 
terminée,  le  corps  des  ingénieurs-hydrographes  devra  être 
réduit.  Je  ne  veux  pas  m' arrêter  à  une  pensée  pénible  ; 
la  commission  n'a  pas  pu  vouloir  dire  que  la  réduction 
([u'elle  suggère  s'opérerait  par  voie  de  congé ,  elle  a 
entendu  sans  doute  qu'il  faudrait  attendre  -  l'effet  des 
extinctions  naturelles. 

M.  LE  Rapporteur.  Sans  doute. 

M.  Ar/Vgo.  Ëh  bien,  je  dis,  moi,  que  les  nécessités  du 
service  ne  doivent  pas  conduire  à  ce  résultat  ;  et  j'ajoute 
(jae  la  phrase  du  rapport,  contre  laquelle  je  réclame, 
aura  pour  conséquence  nécessaire  de  faire  abandonner  ce 
corps  par  les  personnes  les  plus  capables  ;  je  dis  qu'elle 
portera  le  découragement  dans  l'esprit  de  toutes  celles 
qui  le  composent. 

Voyons,  au  surplus ,  quel  est  l'effectif  du  corps  des 
ingénieurs-hydrographes;  il  doit  être  bien  nombreux, 
puisqu'on  en  propose  la  réduction.  Voyons  s'il  est  inutile 
aujourd'hui  ou  s'il  le  deviendra  dans  la  suite. 

Il  y  a  en  France  vingt  ingénieurs  hydrographes  ou 
élèves.  Dans  ce  nombre  figurent  un  ingénieur  en  chef  et 
un  ingénieur  en  chef-adjoint.  Je  les  nommerai  ;  car  ce 
sont  des  notabilités  dans   la  marine  et  dans  le  monde 


NAVIGATION.  637 

entier  ;  l'ingénieur  en  chef  est  M.  Beautemps-Beaupré  ; 
ringénieur-adjoint ,  M.  Daus6y.  Vous  avez  ensuite  quatre 
ingénieurs  de  première  classe,  quatre  de  seconde,  six  de 
troisième,  deux  sous-ingénieurs  et  deux  élèves,  au  total 
vingt  personnes  ;  c'est  donc  sur  vingt  personnes  qu'on 
fait  planer  une  menace  de  réduction  qui  n'est  vraiment 
justifiable  à  aucun  titre. 

Vous  avez  maintenant  le  personnel  sous  les  yeux  ;  fai- 
sons un  pas  de  plus,  et  voyons  à  quelle  dépense  annuelle  il 
donne  lieu.  Cette  dépense  est  de  67,000  fr.  L'ingénieur 
en  chef,  M.  Beautemps-Beaupré,  reçoit  7,000  fr.;  l'ingé- 
nieur adjoint,  5,000  fr.;  les  ingénieurs  de  1"  classe,  ont 
4,500  fr.  ;  les  ingénieurs  de  2'  classe,  3,500  fr.  ;  les 
ingénieurs  de  3*  classe,  2,500  fr.  ;  les  sous-ingénieurs, 
2,000  fr.;  les  élèves,  1,500  fr.;  vous  le  voyez,  les  ingé- 
nieurs-hydrographes ne  sont  pas  richement  rétribués. 

Examinons  maintenant  si  les  ingénieurs-hydrographes 
sont  inactifs  ;  car  s'ils  n'avaient  rien  à  faire,  malgré  le 
peu  qu^ls  coûtent,  on  devrait  les  supprimer.  Eh  bien, 
en  peu  d'années  ils  ont  publié,  non  pas  comme  com- 
pilations, mais  comme  résultat  de  leurs  propres  travaux, 
quatre-vingt-dix-neuf  grandes  cartes,  cent  soixante-douze 
vues  de  côtes  prises  sur  les  dangers,  quatre-vingt-onze 
tableaux  d'observations  des  marées.  Tous  ces  travaux  sont 
exécutés  avec  une  précision  extrême  et  par  des  méthodes 
nouvelles.  Je  ne  crois  pas  que ,  parmi  les  corps  les  plus 
privilégiés,  aucun  puisse  présenter  de  meilleurs  titres  à 
la  reconnaissance  publique. 

On  a  dit  que  les  ingénieurs  hydrographes  n'auront 
plus  rien  à  faire  aussitôt  que  les  cartes  qu'ils  exécutent  en 


638  NAVIGATIOH. 

ce  moment,  les  cartes  de  nos  côtes  occidentales  seront 
terminées  ;  il  paraîtrait,  en  effet ,  que  d'après  l'activité 
qu'on  y  apporte,  cet  oavrage  sera  fini  dans  deux  ans. 
Mais  M.  le  rapporteur  de  la  commission  sait  aussi  bien 
que  moi  que  les  travaux  hydrographiques  sont  la  toile  de 
Pénélope,  que  c'est  toujom*s  à  recommencer.  Sans  doute 
les  gisements  des  caps,  des  rochers,  des  écueils,  resteront 
toujours  les  oiêmes  ;  mais  n'y  a-tril  pas  des  bancs  de  sable 
continuellement  changeants?  Ainsi  le  cours  de  l'Adour 
et  son  embouchure,  le  cours  de  la  Gironde  et  son  embou- 
chure, l'embouchure  de  la  Seine,  nos  côtes  depuis  Fécamp 
jusqu'à  Dunkerque,  auront  besoin  d'être  sondées  d'année 
en  année.  Veuillez  considérer,  Messieurs,  que  dans  l'état 
présent  des  choses,  l'administration  est  souvent  amenée  i 
entreprendre  certains  travaux  hydrauliques  sans  avoir 
recueilli  sur  leur  utilité  des  données  suffisantes.  Supposez, 
par  exemple,  qu'un  ingénieur-hydrographe  eût  étudié 
l'effet  des  courants  et  des  tempêtes  autour  du  port  de 
Cette  et  à  l'embouchure  de  la  Somme ,  croyez-vous  que 
l'administration  des  ponts  et  chaussées  serait  alors  tom- 
bée dans  les  fautes  que  tout  le  monde  lui  r^roche  ?  Assu- 
rément non.  11  serait  utile,  très-utile  de  faire  toujours 
précéder  les  travaux  exécutés  dans  nos  ports,  des  recher- 
ches auxquelles  la  vieille  expérience  des  ingénieurs^ 
hydrographes  les  rend  éminemment  propres. 

Ainsi,  Messieurs,  quand  on  a  parlé  du  très-court  inter- 
valle dans-  leqod  serait  terminé  le  travail  de  la  carte  de 
France,  on  s'est  fait  illusion,  puisque  j.e  viens  de  signaler 
la  nécessité  d'en  reprendre  certaines  parties  en  sons- 
œuvre,  presque  chaque  année  ;  n'est-il  pas  étrange,  au 


NAVIGATION.  639 

surplus,  qu'on  ait  oublié  la  Méditerranée?  est-ce,  par 
hasard,  que  sur  cette  nier  des  cartes  hydrographiques 
seraient  inutiles? 

Permettez,  Messieurs,  que  j'ajoute  que  les  ingénieurs- 
hydrographes  ne  sont  pas  seulement  chargés  du  levé  de 
nos  côtes.  Leur  mission,  aussi,  est  de  pourvoir  la  marine 
de  cartes  générales,  qui  soient  à  la  hauteur  des  connais- 
sances. Les  cartes ,  qui  mieux  que  nos  ingénieurs 
pourrait  les  rédiger?  ne  confiez  jamais  un  pareil  travail 
à  ces  dessinateurs  qui,  de  leur  propre  autorité,  s'intitu- 
lent géographes,  car  ils  ne  savent  pas  faire  un  choix 
éclairé  entre  les  différentes  observations  qu'on  leur  four- 
nit ;  ceux-là  seulement  qui  ont  observé  en  mer  peuvent  ne 
pas  s'égarer  dans  le  dédale  presque  inextricable  de 
chiffres  au  milieu  duquel  un  géographe  est  obligé  d'opé- 
rer. Quand  nos  ingénieurs  seront  déchargés,  en  partie  du 
moins,  des  observations  pénibles  qu'ils  font  actuellement 
à  la  mer,  pendant  cinq  ou  six  mois  consécutifs;  quand 
ils  pourront  travailler  toute  l'année  au  dépôt  de  la 
marine,  ils  publieront  un  plus  grand  nombre  de  cartes 
générales  à  l'usage  des  bâtiments  de  guerre  et  du  com- 
merce. Aujourd'hui,  ces  publications  sont  très-arrié- 
rées et  laissent  beaucoup  à  désirer.  11  faut  les  amener  au 
niveau  des  connaissances  actuelles. 

J'ai  parlé  seulement,  jusqu'ici,  des  travaux  exécutés 
sur  nos  côtes  et  que  tout  le  monde  connaît.  Traversons 
les  mers,  et  partout  nous  rencontrerons  encore  des  ingé- 
nieurs hydrographes  se  signalant  par  leur  xèle  et  par  leur 
habileté. 

Quand  l'amiral  Roussis  exécutait  ses  belles  cartes 


€40  NAVIGATION. 

hydrographiques  du  Brésil,  son  excellent  travail  sur  la 
côte  occidentale  d'Afrique,  il  avait  pour  collaborateur 
un  hydrographe,  M.  Givry,  qui  lui  était  du  plus  grand 
secours. 

Ces  jours  derniers ,  il  a  été  longuement  question  ici  de 
la  Martinique  et  de  son  sucre  ;  eh  bien ,  l'autorité  aussi 
s'est  occupée  du  commerce  de  cette  île ,  car  elle  en  a  fait 
dresser  la  carte  hydrographique;  ce  travail  plein  de 
mérite  est  l'œuvre  de  deux  ingénieurs  hydrographes, 
MM.  Mounier  et  Bourguignon-Duperré. 

La  BmitCj  qui  est  récemment  partie  pour  un  très- 
grand  voyage ,  compte  dans  son  état-major  un  ingénieur 
hydrographe  dont  les  travaux,  j'en  ai  la  conviction  pro- 
fonde ,  ne  resteront  pas  en  arrière  de  ceux  de  ses  devan- 
ciers. Naguère,  je  le  dis  avec  une  vive  satisfaction,  la 
marine  a  fait  faire  avec  une  rare  perfection  la  carte 
hydrographique  de  toute  la  côte  de  l'Algérie;  le  bâtiment 
consacré  à  cette  grande  opération  était  commandé  par 
M.  Bérard.  Un  ingénieur  hydrographe,  M.  de  Tessan,  le 
même  qui  vient  de  s'embarquer  avec  le  capitaine  Dupetil- 
Thouars,  le  secondait.  Au  besoin,  je  trouverais  encore 
les  higénieurs  hydrographes  avec  M.  Barrai,  dans  le  Rio 
de  la  Plata  ;  avec  M.  Vanhello ,  travaillant  à  la  grande 
carte  des  atterrages  de  nos  côtes.  Je  pourrai  enfin  vous 
les  montrer  faisant  face  partout  aux  justes  exigences  de 
notre  marine  militaire  et  marchande. 

Il  doit  donc  m' être  permis  de  regretter  que,  contre  la 
véritable  pensée  de  la  commission  et  de  son  organe,  il  se 
soit  glissé  dans  le  rapport  une  phrase  qui,  si  elle  n'était 
expliquée ,  porterait  le  découragement  dans  un  corps  qui 


NAVIGATION.  .  644 

est  digne  de  toute  l'estime  du  gouvernement,  de  la 
Chambre  et  du  pays. 

Messieurs,  je  viens  de  rendre,  autant  que  cela  dépendait 
de  moi ,  un  hommage  sincère  aux  travaux  des  ingénieurs 
hydrographes.  Si  cela  était  nécessaire,  je  pourrais  for- 
tifier tout  ce  que  j'ai  articulé,  par  l'opinion  des  étrangers. 
11  est  bien  rare,  dans  l'état  actuel  du  inonde,  qu'un  pays 
puisse,  en  quoi  que  ce  soit,  dire  sans  hésiter  qu'il  est  au 
premier  rang.  Prétendez-vous  à  ce  privilège  en  chimie, 
vos  adversaires  citeront  un  savant  Suédois;  parlez-vous 
de  mathématiques,  on  vous  oppose  des  noms  allemands, 
et  ainsi  de  suite  pour  chaque  branche  des  connaissances 
humaines. 

Eh  bien,  ce  premier  rang  si  envié,  si  contesté,  vous 
pouvez  vous  l'attribuer  hardiment  en  hydrographie;  les 
étrangers  eux-mêmes  vous  l'accordent. 

J'ai  reçu  naguère  du  chef  si  distingué  du  bureau  hydro- 
graphique de  l'amirauté  anglaise,  de  M.  le  capitaine 
Beaufort  une  lettre  dans  laquelle  il  proclame  hautement 
que  les  travaux  hydrographiques  exécutés ,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Beautemps-Beaupré ,  par  le  corps  des  ingé- 
nieurs hydrographes  sont  les  plus  parfaits  qu'on  con- 
naisse ;  M.  Beaufort  ajoute  que  tous  les  hydrographes  du 
monde  sont  maintenant  les  élevés,  je  rapporte  ses  propres 
expressions,  les  élèves  des  hydrographes  français. 

Je  me  suis  flatté.  Messieurs,  qu'en  vous  entretenant 
d'un  corps  distingué,  composé  de  vingt  individus,  et  qui 
ne  figure  d'ailleurs  au  budget  que  pour  la  somme  si 
minime  de  67,000  francs;  d'un  corps  qui  s'est  déjà 
rendu  si  utile,  et  qui  pourra  encore  l'être  davantage  si 

V.  — II.  Ui 


Ui  NAVIGATION. 

on  sait  Toccoper  convenablement;  faî  pensé,  qu'en  le 
défendant  devant  vous  quand  il  «e  croyait,  quand  il 
devait  se  croire  menacé ,  la  Chambre  ne  trouverait  pas 
mes  réclamations  inopportunes.  (Très-bien  !  très-bien  !  ) 

A  la  tête  du  corps  des  ingénieurs  hydrographes,  figu- 
rent aujourd'hui  quatre  ou  cinq  personnes  qui  ont  con- 
quis cette  position  élevée  par  une  longue  oxpérience, 
par  des  voyages  de  long  cours ,  par  des  études  profondes. 
Le  reste  du  corps  se  compose  d'élèves  sortis  de  TÉcole 
polytechnique*  Le  passage  du  rapport  contre  lequel  f  ai 
réclamé,  auquel  on  a  attribué,  je  me  plais  à  le  croire, 
un  sais  qu'il  n'avait  pas ,  a  produit  un  fâcheux  effet  dans 
une  certaine  classe  d'élèves  de  la  marine.  J'appelle  Tat- 
teutioB^de  M.  le  ministre  de  k  marine  sur  ce  fait  qui  me 
parait  très-grave* 

Vous  avez  décidé,  Messieurs ,  que  tous  les  otis  quatre 
élèves  de  l'École  polytechnique  pourraient  entrer  dans  la 
marine.  Ceux  qui  dioisissent  cette  carrière  sont  «ouvent 
au  premier  rang  dans  les  listes  générales  du  mérite  ;  leur 
zèle  ne  saurait  être  mis  en  doute  ;  leur  instruction  est 
peut-être  plus  étendue ,  sous  le  rapport  scientifique ,  que 
la  marine  ne  l'exige.  Mais,  en  ce  genre,  ce  qœ  abonde 
ne  vicie  pas;  les  services  qu'ils  rendent  ne  sont  pas  con- 
testés, et  cependant  on  les  traite  plus  déforablement  que 
s'ils  étaient  entrés  dans  l'artillerie  ou  dans  le  génie.  Dans 
ces  deux  armes,  après  deux  ans  d'études  à  TÉcole  d'ap- 
plication de  Metz  et  l'examen  de  capacité  qui  les  ter- 
mine, un  élève  est  de  droit  lieutenant  en  second;  dans  la 
marine,  il  faudrait,  pour  l'égalité  d'avantages,  qu'après 
deux  ans  de  navigation  et  l'examen  de  capacité,  l'élève 


NAVIGATION.  643 

de  première  classe  sortant  de  TÉcolc  polytechnique  fut, 
de  droit,  enseigne  de  vaisseau.  Cela  se  pratiquait  ainsi 
jadis  ;  maintenant  on  a  changé. 

M.  Le  Ray.  Je  prie  Thonorable  orateur  de  me  permettre  une 
observation.  Les  élèves  sortant  de  FÉcole  polytechniqae  au  moment 
où  ils  sont  élèves  de  première  classe  sont  faits  lieutenants  ;  ils  ne 
sont  pas  plus  maltraités  que  les  élèves  sortant  de  l'École  d'applica- 
tion de  Metz. 

M.  Arago.  Jusqu'ici,  je  le  répète,  les  élèves  de 
l'École  polytechnique,  après  deux  ans  de  navigation  et  un 
examen  de  capacité,  recevaient  immédiatement  le  titre 
d'enseigne  de  vaisseau  ;  dans  la  dernière  promotion  on 
les  a  traités  plus  défavorablement. 

M.  LE  Ministre  de  la  maaixe.  Il  y  a  eu  trop-plein. 

M.  ÂRAGO.  Je  l'accorde  ;  mais  les  rangs  ont  été  inter- 
vertis; des  élèves  de  TÉcole  polytechnique  sont  restés 
élèves,  tandis  que  des  candidats  plus  jeunes  qu'eux  ont 
été  élevés  au  grade  d'enseigne. 

M.  le  Ministre  de  la  marine.  U  n'y  a  pas  eu  la  moindre  injustice, 
je  puis  le  certifier  ;  tous  ont  été  placés  à  leur  rang.  11  n'y  a  pas  eu 
d'injustice,  Je  le  répète. 

M.  Arago.  Je  suis  bien  aise  d'entendre  cette  déclara- 
tion de  M.  le  ministre.  Il  en  résulte  que  si  l'injustice  que 
je  signale  est  réelle,  comme  j'ai  tout  lieu  de  le  croire, 
elle  a  été  le  résultat  d'une  erreur  et  qu'elle  sera  réparée. 

M.  LE  Ministre  de  la  marine.  Il  y  a  un  trop  grand  nombre 
«l'élèves  pour  remplacer  le^  vacances  dans  le  cadre  des  officiers. 
Gela  provient  de  ce  que  pendant  quelque  temps  on  a  pris  à  TÉcole 
navale  au  delà  du  nombre  nécessaire.  Maintenant  on  n'admet  plus 
que  ce  qu'on  doit  supposer  nécessaire  à  remplacer  les  extinctions. 
Depuis  quatre  ans  on  n'a  admis  que  quarante-cinq  à  cinquante 
jonnos  gens  à  rÉcolo  navale  de  Brest,  et  c'est  à  peu  près  ce  qui 
"litre  dans  le  corps  dos  officiers.  Et  lorsque  ce  que' J'appellerai  le 


644  NAVIGATION. 

trop-plein  sera  sorti ,  je  puis  assurer  que  les  élèves  arriveront  au 
bout  de  trois  ans  au  grade  d'enseigne  de  vaisseau. 

M.  Arago.  Je  me  répète  :  en  voyant  pour  la  première 
fois  que,  après  deux  ans  de  navigation  et  un  examen  de 
capacité,  ils  n'étaient  plus  admis  de  droit  au  grade  d'en- 
seigne de  vaisseau,  les  élèves  de  la  marine,  anciens  élèves 
de  l'École  polytechnique,  s'étaient  abandonnés  à  un  dé- 
couragement qui  disparaîtra,  j'espère,  après  les  explica- 
tions et  les  promesses  de  M.  le  ministre. 


XII 

SUR  l'antipathie  contre  la  science  d*dne  partie 

DE  l'administration  DE  LA  MARINE  ' 

Il  y  a  dans  l'administration  delà  marine  (remarquez, 
Messieurs,  que  je  ne  dis  pas  chez  les  ministres),  une 
antipathie  contre  la  partie  savante  du  service  nautique 
qui  est  vraiment  inexplicable. 

Je  pourrais  ajouter  que  cette  antipathie  est  une  ingra- 
titude. Que  seriez-vous  donc  sans  ce  que  les  sciences  ont 
produit?  La  forme  de  vos  instruments,  c'est  la  science  qui 
vous  l'a  donnée  ;  les  admirables  bâtiments  avec  lesquels 
on  peut  faire  à  bord  d'un  navire ,  au  plus  fort  de  la  tem- 
pête, des  observations  presque  aussi  exactes  que  si  Ton 
était  à  terre  sur  un  sol  immobile,  à  qui  les  devez-vous? 
Si  vous  garantissez  vos  bâtiments  des  ravages  du  ton- 
nerre; si,  aujourd'hui,  vous  conservez  l'eau  pure  dans 
les  voyages  de  long  cours  ;  si  vous  emportez  des  aliments 

1.  Discours  prononcé  dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés 
du  5  juin  1837, 


NAVIGATION.  645 

sains,  délicats,  pour  vos  tables,  et,  ce  qui  est  plus 
important,  pour  vos  malades,  à  qui  en  êtes-vous  rede- 
vables? Et  les  bateaux  à  vapeur,  cette  merveilleuse 
invention ,  destinée  à  changer  toutes  les  relations  mari- 
times, et  qui  nous  rendra  si  puissants  si  nous  savons  en 
cirer  parti,  à  qui  le  devez-vous?  Il  faut  bien  vous  rési- 
gner à  l'entendre,  vous  les  devez  exclusivement  aux 
hommes  de  science. 

J'ai  dit,  Messieurs,  que  l'administration  de  la  marine 
montrait  une  antipathie  incroyable  contre  les  services 
scientifiques  de  l'art  naval.  L'accusation  est  grave,  je 
pense  devoir  la  justifier  par  quelques  faits. 

J'ai  entendu  de  mes  oreilles  M.  le  ministre  de  la  marine 
(ce  n'est  ni  l'amiral  Rosamel  ni  son  honorable  prédéces- 
seur) dire ,  dans  une  occasion  solennelle  :  t  La  marine 
est  empestée  de  science  !  »  et  cela ,  quoiqu'il  fût  lui-même 
une  preuve  éclatante  du  contraire.  (  On  rit.  ) 

La  Chambre  s'est  occupée  avec  une  sollicitude  dont  la 
France  et  l'Europe  entière  lui  ont  rendu  grâce,  du  sort 
du  malheureux  Blosseville.  Ce  n'est  pas  dans  les  mers 
polaires  que  cet  excellent  officier  avait  débuté.  Fort  jeune, 
il  avait  fait  un  voyage  autour  du  monde;  plus  tard,  il 
s'était  embarqué  pour  l'Inde  sur  la  corvette  le  Loiret. 
Dans  le  cours  de  ce  dernier  voyage ,  après  avoir  satisfait 
chaque  jour  avec  une  exactitude  scrupuleuse  à  tous  les 
devoirs  de  sa  position,  au  lieu  de  rester  inactif,  au  lieu 
de  fumer  sa  pipe ,  au  lieu  de  jouer  aux  échecs  ou  aux 
dames ,  il  se  livrait  avec  ardeur  à  des  recherches  nauti- 
ques ou  météorologiques,  à  des  recherches  de  physique 
générale  et  même  d'histoire  naturelle.  Les  médecins  ou 


64e  NAVIGATION. 

pbarmaciena  du  bord,  de$  timoniers,  de  simples  matelots, 
s'associèrent  à  ce  travail»  Le  candide  jeune  homme  revint 
en  France,  tout  glorieux  de  la  riche  moisson  qu'il  avait 
faite.  A  la  marine  on  n'en  fit  aucun  cas  :  on  ne  l'invita 
même  pas  à  la  déposer  aux  archi^ies.  Lain.de  là ,  on  porta 
la  franchise  jusqu'à  lui  dire  :.  «  Vous  êtes  perdu  si  vouî^ 
continuez  vos  observations;  voulez^vous  avancer,  faites 
oublier  votre  voyage  du  Loiret.  • 

Blosseville  me  confia  les  registres  de  son  voyage  de 
l'inda^  lorsqu'il  partit  pour  la  déplorable  expédition  du 
Nord,  mais  à  la  condition  expresse  (de  laquelle  sou 
avancement  semblait  dépendre)  que  je  ne  les  ferais  cour- 
laiire  que  dans  le  cas  oit  il  lui  arriverait  malheur.  Si 
je  peux  les  publier,  le  monde  savant  appréciera  tout  ce 
qu'il  y  avait  d'avenir  dans  cet  excellent  oilicier. 

Blosseville  suivit  le  conseil  qu'on  lui  avait  donné;  il. 
alla  à  Toulon ,  et  cette  fois  il  ne  fit  pas  la  plus  légère 
observation  scientidque.  Cela  commença  à  le  réhabiliter. 
(  Mouvement.  ) 

Plus  tard,  Blosseville  partit  pour  la  Grèce;  là,  le  désir 
de  se  rendre  utile  l'emporta  sur  la  prudence.  11  descendit 
dans  quelques  îles  sur  plusieurs  points  de  l'Asie  Mineure, 
et  y  détermina,  en  cachette,  les  divers  éléments  du 
magnétisme  terrestre.  Les  documents  obtenus  n&  furent 
point  communiqués  à  la  marine  ;  j'en  suis  le  dépositaire. 

Je  regrette  d'être  amené  à  divulguer  de  si  tristes 
choses;  mais  il  faut  bien  les  faire  connaître  pour  que 
l'opinion  publique  puisse  les  frapper  de  sa  réprobation* 
N'eslr-il  pas  étrange,  en  vérité,  que  certaines  personncÉ» 
soient  armées  à  croire  qu'on  n'est  plus  en  état  de  jouev 


NAVIGATIOFT.  647 

im  rôle  convenable  dans  Ie&  batailles  dès  qu'on  s'est 
occupé  de  science?  Eh!  Messieurs,  les  anciens  travaux 
hydrographiques  de  M.  Tamiral  Rous^'n  Pempêchèrent- 
îls  donc  de  forcer  rentrée  du  Tage?  (Très-bien  î  très- 
bien  !  ) 

Si  on  le  désire,  j'envisagerai  la  question  par  une  autre 
face*  Demandez  à  la  marine  de  citer  les  expéditions  dans 
lesquelles  l'intervention  des  savants  a  été  nuisible.  Qui 
saurait,  en  ce  moment,  qu'il  existe  un  bâtiment  de  l'État 
qui,  sous  le  nom  de  Bonite^  fait  un  voyage  de  circum- 
navigation, si  l'Académie  des  sciences  ne  lui  avait  donné 
des  instructions,  si  elle  ne  lui  avait  tracé  un  cadre  de 
recherches? 

N'est-il  pas  d'ailleurs  arrivé  souvent  que  Tadministra- 
tion  de  la  marine  a  organisé  ses  expéditions  d'après  ses 
propres  idées,  sans  aucune  intervention  des  corps  aca- 
démiques? A-t-on  fait  alors  des  merveilles?  Tout  le  con- 
traire; ces  expéditions  n'ont  produit  que  de  très-minces, 
de  très-insignifiants  sésultats. 

Voyez ,  par  exemple ,  le  voyage  de  la  Favorite  par  le 
capitaine  Laplace ,  ce  voyage  est  certainement  très-amu- 
sant, très-curieux;  mais  quant  aux  renseignements  nau- 
tiques, on  n'y  trouve  presque  lîen.  J'ai  parcouru  avec  le 
plus  grand  soin  les  quatre  volumes  dont  il  se  compose,  et  je 
n'y  ai  pas  aperçu  une  seule  observation  sur  la  température 
de  la  mer;  et  cependant  la  température  de  la  mer  n'est 
pas  seulement  une  donnée  scientifique,  elle  intéresse  au 
plus  haut  degré  la  navigation.  C'est  par  des  observations 
de  la  température  de  la  mer  que  l'on  résoudra  tôt  ou  tard 
le  problème,  jusqu'ici  inextricable,  des  courants;  c'est 


648  NAVIGATION. 

par  là  qu*on  arrivera  à  savoir  d^où  ils  partent  et  où  ils 
vont. 

De  tous  les  instruments  nautiques,  celui  qui  rend  les 
plus  grands  services  est  certainement  la  boussole  ;  mais 
la  boussole  n'est  guère  employée  aujourd'hui  que  pour 
s'orienter  :  un  jour  on  la  verra  employée  dans  un  autre 
but.  Il  suffira  d'un  mot  pour  qu'on  puisse  comprendre 
mon  idée.  Une  aiguille  aimantée  suspendue  par  son  centre 
de  gravité  s'incline  à  l'horizon  ;  cette  inclinaison  change 
avec  les  lieux.  Les  variations  de  l'inclinaison  pourront 
donc  servir  à  découvrir  de  combien  un  navire  aura  mar- 
ché, et  cela  par  un  temps  couvert,  sans  que  les  astres 
aient  besoin  d'être  visibles.  L'inclinaison  jouera  tôt  ou 
tard  un  rôle  important  dans  la  navigation.  Eh  bien ,  par- 
courez le  voyage  de  la  Favorite ,  et  vous  n'y  trouverez 
pas  une  seule  observation  de  cette  espèce.  Cela  n'a  certai- 
nement pas  tenu  à  un  manque  de  capacité  des  officiers; 
cela  vient  de  ce  que  l'expédition  a  été  préparée  à  huis 
clos  dans  les  bureaux  de  l'administration  de  la  marine  ; 
cela  vient  de  ce  qu'elle  est  partie  sans  recevoir  de  l'Aca- 
démie des  sciences  des  instructions  qui  eussent  certaine- 
ment ajouté  à  sa  renommée. 

J'entends  d'ici  ceux  qui  ne  peuvent  nier  l'exactitude 
de  mes  critiques ,  s'écrier  que  je  fais  de  l'histoire  an- 
cienne :  cela  était ,  dira-t-on ,  mais  cela  n'est  plus  ! 

Ma  réponse  est  toute  prête  :  cela  est  aujourd'hui  autant 
et  peutrêtre  plus  que  jamais.  Ne  vient-on  pas  d'envoyer 
deux  grands  bâtiments  parcourir  le  monde?  Eh  bien, 
leur  départ  a  été  tenu  secret;  il  ne  fallait  pas  éveiller 
l'attention  des  savants.  Le  commandant  d'une  des  deux 


NAVIGATION.  6i9 

frégates  n'a  pas  soufflé  mot  ;  aussi  est-il  parti  sans  emme- 
ner d'ingénieurs  hydrographes  :  l'avenir  montrera  les 
conséquences  de  cette  négligence.  L'autre  est  venu  me 
consulter;  il  demandait  un  programme.  Je  parlai  aussi- 
tôt de  l'Académie  des  sciences  :  t  Ah  !  gardez-vous  bien 
de  la  consulter ,  repartit-il ,  vous  me  feriez  peut-être  enle- 
ver mon  commandement.  » 

L'antipathie  dont  je  vous  ai  déjà  si  longuement  entre- 
tenus se  fait  jour  à  l'occasion  de  tous  les  genres  de  tra- 
vaux. En  voici  un  nouvel  exemple. 

Vous  savez  qu'il  arrive  rarement  qu'on  puisse  alimenter 
les  chaudières  à  vapeur  avec  de  l'eau  pure  ;  l'eau  alimen- 
taire est  ordinairement  séléniteuse ,  elle  renferme  du  sul- 
fate et  du  carbonate  de  chaux.  L'eau  pure  s'évapore 
seule;  les  sels  se  précipitent,  s'attachent  à  la  chaudière, 
et  forment  intérieurement  une  enveloppe  pierreuse, 
épaisse  *.  Ce  que  je  viens  de  dire  est  plus  vrai  encore 
quand  on  se  sert  de  l'eau  de  mer.  En  très-peu  de  temps 
c'est  dans  une  chaudière  de  pierre  que  se  fait  l'évapora- 
tion,  et  cela  avec  une  énorme  perte  de  calorique;  à 
chaque  relâche,  il  faut  y  introduire  un  ouvrier  qui,  à 
grands  coups  de  marteau,  détache  la  croûte  pierreuse. 
C'est  une  opération  chère,  pénible,  et  qui  détruit  bientôt 
la  chaudière. 

Je  viens  de  parler  de  la  déperdition  du  calorique  ;  il  y 
a  un  inconvénient  plus  grave  encore.  Quand  la  chaudière 
est  revêtue  d'une  enveloppe  pierreuse ,  elle  rougit  exté- 
rieurement;  dans  cet  état,  supposons  qu'il  se  fasse  une 

1.  Voir  sur  cette  question  la  Notice  sur  les  explosions  des  machines  ' 
à  vapeur,  p.  173  de  ce  volume. 


«50  NAVIGATION. 

fissure  dans  la  couche  pierreuse ,  Teau  froide  alimentaire, 
en  tombant  sur  le  métal  incandescent,  produit  subitement 
des  torrents  de  vapeur  à  l'écoulement  desquels  la  sou- 
pape de  sûreté  ne  saurait  suffire  :  de  là  des  explosions , 
et  tous  les  malheurs  qui  en  sont  la  conséquence  inévi- 
table. Empêcher  qu'il  se  fornve  une  croûte  solide  dans 
une  chaudière ,  ce  serait  donc  un  service  immense  rendn 
à  l'industrie  et  surtout  à  la  navigation  à  vapeur.  Ce  pro- 
blème vient  d'être  résolu.  Dans  Tintérêt  de  l'inventeur, 
la  solution  a  un  seul  défaut  :  elle  est  trop  simple.  Le  bre- 
vet  quMl  a  pris  n'empêchera  personne  de  se  servir  de  sa 
méthode» 

ML  LE  l^timsTfa  DE  LA  MARiiTE.  Je  ferai  observer  à  M.  Arago  que 
j*aî  acheté  ce  brevet 

M.  Arago.  Je  le  sais,  Monsieur  le  ministre,  mais  la 
transaction  ne  m'a  pas  paru  satisfaisante. 

Pour  empêcher  une  croûte  pierreuse  de  couvrir  inté- 
rieurement une  chaudière  de  machine  à  vapeur,  il  suffira 
désormais  de  mêler  à  l'eau  de  l'argile  en  poussière,  de 
l'argile  très-divisée.  C'est  en  cela  que  consiste  la  décou- 
verte de  M.  Chaix  -  de  -  Maurice.  Que  lui  proposait  la 
marine?  Elle  consentait  à  acheter  l'argile  au  prix  de 
fabrique;  en  d'autres  termes,  elle  aurait  donné  25  cen- 
times pour  chaque  voyage  de  bateau  à  vapeur  de  Toulon 
à  Alger.  Je  le  demande,  n'était-ce  pas  dérisoire?  Heu- 
reusement quelques  personnes  très-haut  placées,  et  si  j(* 
ne  me  trompe,  le  duc  d'Orléans  lui-même,  ont  porte 
intérêt  à  l'inventeur.  La  marine  s'est  amendée,  elle  a 
oflert  20,000  francs  une  fois  donnés.  Je  trouve,  moi,  que 
ce  n'est  pas  assez. 


NAVIGATION.  m 

M.  LR  MINISTRE  DE  LA  MARINE.    U  a  RCCepté. 

M.  Aaago.  M*  Ghaix  a  accepté,  parce  que,  à  côté  de 
la  première  proposition,  celle-ci  était  très-favorable. 
Mais  20,000  francs  une  fois  donnés  pour  une  découverte 
qui  influera  sur  toute  notre  industrie,  je  le  répète,  ce 
n'est  pas  suffisant»  Je  devine  votre  réponse ,  Monsieur  le 
ministre;  vous  direz  que  vous>  n'aviez  pas  de  fonds  pour 
cet  objet;  mais  n'àviez-vous  la  ressource  d'une  demande 
directe  à  la  Chambre?  Pour  moi,  j'ai  la  conviction  qu'elle 
ne  voua  eût  pas  refusé  les  moyens  de  récompenser 
dignement  une  aussi  utile  découverte. 


XIII 

OBSERVATION    DES    MARÉES 

[  M.  Arago,  dans  les  séances  de  la  Chambre  des  députés  des  5 
et  9  juin  1837,  s'est  occupé  de  la  manièi*e  dont  étalent  faites 
les  observations  des  marées;  les  paroles  qu'il  a  prononcées  sur  co 
sujet  sont  réunies  ici.  ] 

1^  Séance  du  5  juin. 

M.  le  rapporteur  du  budget  déclare  que  les  observa- 
tions des  marées,,  dont,,  au  reste,  il  reconnait  la  nécessité, 
coûtent  trop  :  quelques  cadrans  solaires,  dit-il,  et  quel- 
ques mâts  divisés  ne  sont  pas  ^  dispendieux.  Il  est  vrai. 
Messieurs,  qu'à  une  certaine  époque  les  mâts  divisés  et 
les  cadrans  solaires  suffisaient  à  l'observation  des  marées. 
Il  n'en  est  pas  ainsi  aujourd'hui  :  la  science  est  devenue 
plus  exigeante  ;  il  lui  fa«t  des  fractions  de  minutes  que 
les  cadrans  solaires  ne  peuvent  pas  déterminer  ;  il  faut 
des  aK)ntre&dont  la  marche  soit  assez  régulière  pour  don* 


652  NAVIGATION. 

uer  l'heure  de  Tobservation  avec  exactitude,  quand  le 
soleil  ne  se  montre  pas,  et  vous  savez  combien  cela 
arrive  souvent  dans  plusieurs  de  nos  ports ,  et  surtout  à 
Brest* 

J'arrive  à  faire  des  remarques  analogues  relative- 
ment aux  mâts  divisés.  Sans  doute,  si  la  surface  de  l'eau 
était  constamment  tranquille,  sa  hauteur  pourrait,  à  cha- 
que instant ,  être  facilement  déterminée  ;  mais  la  mer  est 
souvent  très-agitée,  on  est  alors  obligé  de  procéder  par 
voie  de  moyennes,  ce  qui  n'est  ni  commode  ni  exact  ;  et 
le  ministère  de  la  iparine  a  l'intention  de  faire  faire  à 
l'avenir  les  observations  dont  il  s'agit  avec  des  machines 
ingénieuses  d'une  invention  récente,  et  qui  d'elles-mêmes 
enregistreront  les  hauteurs  successives  du  niveau  de  l'eau. 

Je  termine  par  une  autre  considération  bien  propre  à 
faire  voir  combien  l'emploi  de  ces  nouvelles  machines  est 
désirable.  Là  où  des  observations  de  marées  ont  été  insti- 
tuées, les  observations  de  jour  sont  faites  assidûment;  celles 
de  nuit ,  au  contraire ,  manquent  ;  cependant  la  science 
en  aurait  le  plus  grand  besoin.  Eh  bien ,  il  ne  faut  pas 
mettre  aux  prises,  la  nuit  et  par  un  très-mauvais  temps, 
la  paresse  et  le  devoir,  car  la  paresse  l'emporterait,  et 
l'on  aurait  des  observations  supposées,  fabriquées;  la 
machine  coupera  court  à  cette  grave  difficulté. 

2"  Séance  du  9  juin. 

Je  présenterai  à  la  Chambre  quelques  observations 
succinctes  sur  les  travaux  scientifiques  importants  qui 
pourraient  être  exécutés  par  divers   employés   de   la 


NAVIGATION.  653 

marine.  Le  corps  enseignant  maritime  renferme  cinq 
professeurs  d'hydrographie  de  première  classe ,  cinq  de 
deuxième,  six  de  troisième,  vingt- huit  de  quatrième. 
Ces  professeurs ,  je  crois,  ne  sont  pas  aussi  activement 
occupés  qu'on  pourrait  l'imaginer;  je  viens  donc  propo- 
ser à  M.  le  ministre  de  la  marine  de  vouloir  bien  les 
charger  d'un  travail  qui  leur  ferait  honneur  et  pourrait 
être  d'une  grande  utilité ,  je  veux  parler  de  l'observation 
des  marées.  On  ne  fait  aujourd'hui  ces  observations  d'une 
manière  régulière  qu'à  Brest.  Il  serait  très-utile  qu'on  les 
suivît  dans  un  plus  grand  nombre  de  ports;  vous  procu- 
reriez ainsi  aux  navigateurs  des  données  importantes  sur 
l'heure  de  Y  établissement  ^  et  vous  fourniriez  au  géomètre 
et  au  physicien  des  éléments  d'un  grand  intérêt  et  féconds 
en  curieux  résultats.  Il  est  d'ailleurs  une  circonstance  du 
moment  qui  me  fait  vivement  désirer  que  M.  le  ministre 
de  la'marine  prenne  en  grande  considération  l'observation 
que  j'ai  l'honneur  de  lui  faire  :  nos  voisins,  les  Anglais, 
s'occupent  maintenant  de  ces  observations  des  marées 
avec  un  soin,  une  suite,  une  exactitude,  dignes  des  plus 
grands  éloges.  J'ai  dans  la  main  deux  lettres.  Tune  de 
M.  Whewhel,  de  Cambridge,  l'autre  de  M.  Lubbgck,  de 
Londres,  par  lesquelles  j'apprends  que  l'amirauté  a 
ordonné  que  des  observations  fussent  faites  dans  cinq 
cents  points  des  îles  britanniques.  Ces  observations,  com- 
parées avec  celles  des  côtes  de  France,  conduiraient  à 
des  résultats  également  utiles  à  la  marine  et  aux  sciences 
spéculatives. 

IVl.  LE  MINISTRE  DE  LA  MARINE.  Je  ferai  observcr  à  M.  Arago  que 
les  Français  contribuent  à  ce  travail 


6o4  NAVIGATION. 

M.  Arago.  Je  cannais  la  nature  de  la  demande  qui 
vous  a  été  adressée  récemment.  Il  tf  était  question  que 
d'observations  simultanées  faites  à  certains  jours  choisis; 
tandis  que  je  réclame  des  observations  continues,  per- 
manentes. 

M.  LE  xnnsTEE  DE  LA  ifABT!fE.  Où  les  fût  SOT  UD  très -grand 
nombre  de  points.  Je  réponds  à  Tonteur  qne  je  m^oocopeni  de 
donner  suite  à  son  idée.  Je  ne  lui  garantis  pas  de  quelle  manière 
je  le  ferai. 

XIV 

RIDAGE   ITES    HATS 

[Le  2!i  mai  1836,  M.  Arago  a  signalé  les  avantages  du  s^rstème  de 
rjdage  des  mâts  à  crémaillère,  imaginé  par  M.  Painchaut,  dans  le 
discours  suivant  :  ] 

Les  mets  des  navires  sont  maintenus  dans  la  position 
verticale  sur  les  bâtiments  à  Taîde  de  cordages  dont  le 
point  d'attache  est  sur  le  bord.  On  se  sert,  pour  les 
mettre  dans  cette  position ,  d'une  machine  qui  est  encore 
dans  Tenfance  de  Fart,  et  qu'on  appelle  cap  de  mouion. 

Un  artiste  français  a  imaginé  un  procédé  à  l'aide 
duquel  on  peut  tendre  les  cordages,  quand  les  effets 
hygrométriques  ou  le  vent  les  ont  détendus,  plus  com- 
modément que  par  l'ancienne  méthode.  Avec  un  beau- 
coup moins  grand  nombre  de  matelots,  et  dans  des  cir- 
constances beaucoup  plus  difficiles,  on  arrive  à  rider  le 
mût.  M.  le  ministre  de  la  marine  a  donné  toute  son  atten- 
tion à  ce  procédé,  il  l'a  fait  examiner  avec  soin,  et  tous 
les  rapports  ont  été  favorables.  Par  suite,  M.  le  ministre 
de  la  marine  a  conclu  un  marché  avec  l'inventeur, 
M.  Painchaut;  mais  on  est  convenu  qu'on  coratmanderait 


NAVIGATION.  655 

ce  nouveau  moyen  de  ridage,  beaucoup  supérieur  à 
l'ancien ,  de  manière  que  le  maximum  de  la  dépense  de 
chaque  année  fût  de  60,000  fr. 

Je  demanderai  à  M.  le  ministre  de  vouloir  bien  nous 
dire  pourquoi,  malgré  l'opinion  favorable  qu'il  a  de  ce 
procédé,  on  commande  cependant  d'anciennes  méca- 
niques; pourquoi  dans  les  bâtiments  neufs,  on  ne  se  sert 
pas  exclusivement  du  système  de  ridage  qu'a  imaginé 
M.  Painchaut. 

Ce  procédé  a  surtout  une  propriété  dont  la  Chambre 
comprendra  l'importance  au  premier  mot. 

Dans  le  système  ancien ,  on  était  obligé  d'éloigner  les 
canons  des  caps  de  mouton ,  parce  que  le  feu  pouvait  y 
prendre.  Le  mécanisme  nom^au  étant  en  métal ,  on  n'a 
plus  à  craindre  ce  danger.  Il  est  beaucoup  plus  com- 
mode, d'une  manœuvre  plus  facile,  et  de  plus,  si  vous 
comptez,  non  pas  les  frais  de  premier  établissement, 
mais  si  vous  comparez  ce  que  coûte  le  ridage  par  l'an- 
cienne méthode,  avec  ce  qu'il  coûte  par  la  méthode 
nouvelle,  vous  trouverez  une  économie  énorme. 

Ainsi ,  je  constate  dans  les  résultats  qui  nous  ont  été 
soumis ,  qu'au  bout  de  vingt  ans  la  dépense  de  ridage 
pour  une  frégate  de  troisième  rang  est  de  98,000  fr., 
par  l'ancienne  méthode;  tandis  que  par  la  nouvelle 
méthode,  cette  dépense  n'est  évaluée  qu'à  25,000  fr. 
Vous  voyez  que  sur  une  frégate,  il  y  a  une  économie 
de  72,000  fr.  dans  un  espace  de  vingt  ans.  Je  le  répète , 
M.  le  ministre  a  donné  toute  son  attention  à  ce  perfec- 
tionnement; mais  il  est  extraordinaire  que,  malgré  tous 
les  avantages  qu'il  a  reconnus  au  système  du  ridage  à 


666  NAVIGATION. 

crémaillère ,  on  exécute  encore  dans  nos  ports  des  bâti- 
ments neufs  auxquels  on  applique  l'ancienne  méthode, 
qui  véritablement  appartient  à  l'enfance  de  Tart. 

Voici  ce  que  disait  du  système  de  ridage  de  M.  Pain- 
chaut,  M.  le  ministre  de  la  marine  lui-même  :  «Si  à  ces 
avantages  (ceux  d'une  manœuvre  plus  facile)  se  joint 
celui  de  l'économie ,  il  ne  faudrait  pas  balancer  à  l'étendre 
immédiatement  à  tous  les  vaisseaux.  »  Puisque  la  ques- 
tion d'économie  est  aujourd'hui  résolue,  pourquoi  per- 
siste-t-onà  employer  l'ancien  système?  Je  ne  m'oppose 
pas  à  ce  qu'on  fasse  des  essais  pour  chercher  à  perfec- 
tionner le  système  de  M.  Painchaut,  mais  je  ne  comprends 
pas  que  quand  on  a  à  choisir  entre  un  système  reconnu 
mauvais  et  un  autre  reconnu  meilleur,  on  ne  choisisse  pas 
le  dernier  en  attendant  d'autres  améliorations.  Il  est  de 
mauvaise  administration  de  continuer  à  fabriquer  des 
caps  de  mouton  dont  l'infériorité  par  rapport  aux  cré- 
maillères est  manifesta. 

XV 

EMPLOI    SIMULTAKÉ    DES    VOILES    ET    DE    LA    VAPEUR    ' 

Je  demanderai  à  M.  le  ministre  de  la  marine  s'il  a 
l'intention  de  faire  répéter  l'expérience  que  M.  le  capi- 
taine de  corvette  Béchameil  vient  de  terminer? 

Vous  siavez,  Messieurs,  que,  dans  l'état  actuel  de? 
machines  à  vapeur,  un  bâtiment  à  vapeur  ne  peut  pas 
entreprendre  de  très-longs  voyages,  à  moins  qu'il  ne 

1.  Paroles  prononcées  dans  la  séance  de  la  Chambre  des  députés 
du  18  juiUet  1839. 


NAVIGATION.  C57 

trouve  sur  sa  route  les  moyens  de  renouveler  son  charbon. 
l^e  plus  grand  voyage  qu'on  eût  réalisé  jusqu'ici  d'un 
seul  trait,  en  partant  d'Europe,  était  la  traversée  de 
Liverpool  à  New- York.  La  marine  française  a  eu  l'hon- 
neur de  faire  plus;  un  de  ses  navires  à  vapeur  est  allé  sans 
s'arrêter  de  Rochefort  à  la  Havane.  Le  charbon  embar- 
qué à  Rochefort  a  suffi  à  tout  le  trajet. 

Ce  curieux,  cet  important  voyage  s'est  réalisé  par  la 
combinaison  des  deux  systèmes  de  navigation. 

Si  vous  entrepreniez  de  faire  marcher  à  la  vapeur  un 
bâtiment  destiné  à  porter  ordinairement  une  vaste  voi- 
lure ,  vous  perdriez  une  grande  partie  de  votre  force  par 
la  résistance  que  l'air  exercerait  sur  la  mâture,  sur  les 
vergues,  sur  les  cordages,  sur  les  haubans.  Eh  bien,  il 
s'est  trouvé  dans  notre  marine  mi  officier  qui  a  conçu  la 
possibilité  de  se  débarrasser  de  tous  ces  obstacles  à 
volonté,  et  en  trcs-pcu  de  temps,  qui  a  obtenu  de  l'ad- 
ministration de  la  marine  la  permission  d'installer  son 
nouveau  système  sur  un  grand  bateau  à  vapeur,  qui  a 
montré  aux  marins  de  Rocliefort  étonnés  un  mâture  qui 
descend  tout  entière  sur  le  pont,  des  vergues  à  articula- 
tion qui  se  reploient  sans  difficulté,  enfin  un  navire  qui 
marche  à  la  voile  quand  le  vent  est  favorable,  et  à  la 
vapeur  dès  qu'il  y  a  calme  ou  vent  contraire. 

Le  bateau  à  vapeur  installé  par  M.  Béchameil ,  est  allé 

de  Rochefort  à  la  Havane  en  naviguant  tantôt  comme 

bâtiment  à  voile,  tantôt  comme  bateau  à  vapeur.   Sa 

vitesse  moyenne  a  été ,  dit-on ,  de  près  de  quatre  lieues 

à  l'heure.  Si  ces  faits  sont  exacts,  ils  ont  de  l'importance 

et  font  honneur  à  notre  marine.  Je  demande  à  M.  le 
V.— u.  42 


658  NAVIGATION. 

ministre  de  donner  suite  à  cette  expérience.  Je  désire 
qu'elle  soit  continuée,  complétée,  dans  le  triple  intérêt 
des  sciences,  de  la  marine  et  de  Tbonneur  national. 


XVI 

CJir.0501lf:TRES  ET  CBRCLBS  A  BÉrLUIO!!  PESmis 

A   LA    MAAUIE  ' 

Le  chapitre  \  du  budget  est  ainsi  conçu  :  «Travaux 
el  dépenses  pour  le  progrès  des  sciences  maritimes, 
685,700  fr.  t 

Je  propose  d'ajouter  à  ce  chapitre  une  somme  de 
30,000  fr,  pour  la  construction  de  chronomètres  et  de 
cercles  à  réflexion  destinés  à  la  marine. 

Il  faut  distinguer,  dans  le  service  de  la  marine,  trois 
branches  entièrement  distinctes  :  le  combat,  la  manœuvre, 
le  pilotage.  Je  ne  parlerai  pas  des  deux  premières  ;  je 
serais  incompétent.  Et  d'ailleurs,  il  faut  le  dire ,  sous  ce 
rapport  le  glorieux  combat  de  Navarin ,  la  mémorable 
expédition  du  Tage,  ont  montré  au  pays ,  d*une  manière 
éclatante,  que  les  marins  de  notre  époque  sont  les  dignes 
successeurs  de  ceux  qui  jadis  illustrèrent  à  un  si  haut 
degré  notre  pavillon  ;  et  dans  ce  nombre  je  comprends 
les  marins  de  la  République  et  de  TEmpire,  lesquels, 
placés  dans  les  circonstances  les  plus  défavorables,  avec 
un  matériel  imparfait,  avec  des  équipages  inexpérimen- 
tés, ne  succombèrent  qu*après  avoir  coulé  bas  aux  Anglais 
trente -deux  vaisseaux  de  premier  rang,  sept  vaisseaux 

1.  Discours  prononcé  dans  la  séance  de  la  Gbambre  ito  dépotés 
du  22  mai  1833. 


NAVIGATION.  659 

de  50  canons,  quatre-vingt-six  frégates,  et  une  multitude 
(le  bâtin)ents  de  moindre  dimension* 

La  seule  question  dont  je  veuille  vous  entretenir  est 
une  question  de  pilotage;  c'est  une  question  qu'un  de  nos 
honorables  collègues,  auquel  j'avais  communiqué  mes 
idées  à  ce  sujet,  a  appelée  une  question  scientifique. 
«Votre  amendement,  m'ft-t-il  dit,  serait  certainement 
adopté  dans  une  académie;  mais,  dans  une  assemblée  des 
mandataires  du  pays,  dans  une  assemblée  qui  ne  doit 
s'occuper  que  de  pratique ,  le  succès  de  cet  amendement 
me  paraît  incertain.  » 

Ces  paroles  ont  tracé  la  route  que  je  dois  suivre  en 
développant  mon  amendement  J'ai  rassemblé  des  faits 
importants,  à  chacun  desquels  j'ai  donné  la  date  et  un 
nom  propre ,  afin  de  prouver  que  l'amélioration  que  je 
propose,  c'est-à-dire  la  présence  à  bord  de  chaque  bâti- 
ment d'un  chronomètre  et  d'un  cercle  de  réflexion,  sera 
suivie  d'importants  résultats  et  préviendra  de  grands 
matbeurs. 

Je  demande  à  la  Chambre  la  permission  d'entrer  dans 
quelques  détails  techniques  sur  la  méthode  qu'on  appelle 
l'e^^ime;  je  tâcherai  de  ne  pas  fatiguer  son  attention. 

On  se  sert,  ^n  mer,  de  la  boussole,  qui  indique  la 
direction  snivant  laquelle  on  navigue  ;  on  se  sert  encore 
d'un  autre  petit  instrument  appelé  ioch^  qui  se  jette  à  la 
mer,  pour  déterminer  la  vitesse  du  navire. 

Je  parlerai  tout  à  l'heure  des  erreurs  grossières  qui 
peuvent  résulter  de  l'emploi  exclusif  du  premier  instru- 
ment. Je  vais  dire  quelques  mots  dee  erreuns  produites 
par  l'emploi  do  hck 


C60  NAVIGATION. 

Quel  est  celui  de  vous,  Messieurs,  qui  n'a  pas  vu  sur 
a  Seine  un  batelet  poussé  par  un  vent  d'ouest  rester  tout 
à  fait  immobile  relativement  au  quai  ?  Cela  vient  de  ce 
que  la  force  du  vent  suflQt  tout  juste  pour  contre-balancer 
le  mouvement  descendant  du  courant. 

Comment  détermine-t-on ,  en  mer,  le  chemin  qu'on  a 
parcouru?  On  jette  une  planche,  on  la  suppose  immobile  ; 
or,  souvent  elle  ne  Test  pas;  souvent  elle  est  entraînée 
par  les  courants.  Vous  croyez  marcher,  et  vous  ne  mar- 
chez pas  ;  vous  êtes  comme  l'homme  qui  monte  le  petit 
bateau  dont  je  parlais  tout  à  l'heure;  car  celui-ci,  quoi- 
qu'il soit  arrêté,  croirait  qu'il  remonte  le  courant  avec  la 
vitesse  dont  ce  courant  est  doué,  si ,  comme  le  naviga- 
teur, il  jetait  une  planche  à  l'eau  et  y  prenait  son  repère. 

Mais,  dira-t-on ,  existe-t-il  en  mer  des  courants?  N'est- 
ce  pas  une  considération  théorique  qui  fait  supposer  qu'il 
y  a  au  milieu  de  l'Océan  de  véritables  rivières,  marchant 
ici  du  nord  au  sud  ;  là,  du  sud  au  nord  ;  ailleurs,  de  l'est 
à  l'ouest?  Or,  de  tels  courants  existent,  sans  aucun  doute, 
et  les  erreurs  qui  en  résultent  sont  souvent  énormes. 

Ainsi,  je  trouve  dans  le  voyage  du  capitaine  Marchand, 
si  savamment  discuté  par  M.  Fleurieu ,  qu'il  règne  au 
nord  de  l'océan  Atlantique  des  courants  de  neuf  et  de 
dix-sept  lieues  par  jour. 

Ailleurs,  dans  l'hémisphère  sud,  je  trouve  que  le  même 
capitaine  Marchand ,  qui  était  au  courant  de  toutes  les 
méthodes  scientifiques,  s'était  trompé  de  soixante-seize 
lieues  dans  un  espace  de  quinze  jours.  Dans  le  même 
hémisphère  sud,  j'aperçois  une  erreur  de  l'estime  de 
quatre  •  vingt  -  neuf  lieues  dans  l'espace  de  dix  jours.  A 


NAVIGATION.  CCI 

quels  accidents  épouvantables  des  incertitudes  de  cette 
nature  ne  peuvent-elles  pas  conduire?  Eh  bien,  les  bâti- 
ments de  l'État  naviguent  presque  tous  par  cette  méthode 
défectueuse  de  l'estime  ;  ils  ne  se  servent  que  de  la  bous- 
sole et  du  loch. 

Je  viens  de  parler  du  voyage  du  capitaine  Marchand; 
on  me  répondra  sans  doute  qu'à  cette  époque  les  mé- 
thodes nautiques  n'étaient  pas  perfectionnées,  et  qu'il  y  a 
eu  erreur  dans  les  observations.  Eh  bien,  je  trouve  dans 
les  livraisons  déjà  publiées  du  voyage  du  capitaine  Frey- 
cinet  que ,  dans  la  Méditerranée ,  il  a  traversé  dès  cou- 
rants qui  avaient  une  vitesse  de  quatorze  lieues  par  jour  ; 
que,  dans  l'océan  Pacifique,  il  en  a  rencontré  dont  la 
marche  correspondait  à  vingt-une,  et  môme  à  vingt-trois 
lieues  dans  le  même  intervalle. 

Je  vous  le  demande.  Messieurs,  n'êtes-vous  pas  effrayés 
des  catastrophes  que  de  telles  erreurs  doivent  entraîner? 
La  conséquence  n'est  pas  toujours  un  naufrage ,  sans 
être  moins  fâcheuse.  Vous  croyez  être  fort  loin  de  la  côte, 
vous  manquez  de  profiter  du  vent  qui  devait  vous  faire 
entrer  dans  le  port,  et  vous  êtes  obligé  de  l'attendre 
quinze  jours. 

On  éviterait  complètement  ces  erreurs,  si  les  bâtiments 
étaient  munis  d'un  chronomètre  et  des  instruments  à 
réflexion.  Je  prendrai  un  dernier  exemple  dans  la  ma- 
rine anglaise  pour  épuiser  la  question.  Un  bâtiment ,  le 
Blossom ,  destiné  à  une  expédition  scientifique ,  ayant  h 
bord  un  officier  du  plus  rare  mérite,  le  capitaine  Beckey, 
a  fait,  par  l'estime,  dans  le  passage  de  Ténériffe  au  Bré- 
sil, une  erreur  de  quatre-vingt-une  lieues.  S'il  n'avait  pas 


ee^  NAVIGATION. 

eu  à  son  bord  des  moyens  d'observation  de  la  nature  de 
ceux  que  je  réclame,  il  aurait  pu  manquer  le  port  de  Rio- 
Janeiro ,  et  aventurer  le  succès  de  son  intéressante  expé- 
dition. 

Il  existe  une  autre  cause  d'erreur  que  j'ai  signalée  tout 
à  riieurc.  Cette  cause  tient  aux  imperfections  de  la  bous- 
sole. Je  le  dis  à  regret  :  sous  ce  dernier  rapport,  la  ma- 
rine ne  s'est  pas  élevée  à  la  hauteur  des  connaissances 
actuelles. 

On  se  dirige  en  mer  au  moyen  de  Taiguile  aimantée. 
Dans  chaque  lieu,  Taiguille  forme  avec  le  méridien  un 
angle  déterminé;  mais  à  bord  d'un  navire,  il  y  a  des 
masses  de  fer  considérables,  il  y  a  des  ancres,  des  canons, 
des  boulets ,  des  caisses  en  fer  remplies  d'eau.  Or,  tout 
cela  altère  la  position  de  l'aiguille.  Je  reconnais  qu'avant 
de  sortir  du  port,  on  peut  déterminer  numériqu^xient  la 
valeur  de  cette  déviation  locale  ;  mais  malheureusement  il 
a  été  constaté,  par  des  expériences  que  la  théorie  est 
venue  éclaircir  depuis,  que  la  quantité  de  cette  déviation 
qui  résulte  de  la  présence  des  masses  de  fer  répandues^ 
dans  le  navire  n'est  pas  la  même  dans  toutes  ses  positions, 
dans  toutes  ses  orientations  ;  ainsi  les  ancres ,  les  câbles 
en  fer,  les  canons,  altèrent  d'une  certaine  quantité  la  po- 
sition de  l'aiguille  quand  vous  marchez  au  nord ,  et  ils 
altèrent  cette  position  d'une  quantité  tout  autre  quand 
vous  marchez  au  midi.  La  différence,  même  sans  qu'on 
s'élève  par  de  très-grandes  latitudes,  est  quelquefois  de 
10,  de  15,  de  25  degrés. 

Dans  la  crainte  qu'on  ne  dise  encore  ici  que  je  fais  de 
la  théorie ,  je  vais  citer  quelques  événements  fâcheux  qui 


NAVIGATION.  663 

sont  résultés  de  l'ignorance  oii  l'on  était  jadis,  relative- 
ment aux  changements  de  ces  déviations  accidentelles  de 
l'aiguille  aimantée  suivant  les  diverses  positions  du  navire. 
Je  les  emprunte  à  un  navigateur  dont  assurément  per- 
sonne ne  contestera  l'autorité,  au  capitaine  Scoresby. 

En  1804,  69  navires  marchands  font  voile  de  Cork  le 
26  mars,  sous  l'escorte  de  deux  vaisseaux  de  ligne  an- 
glais, le  Carysfort  et  r Apollon.  Le  2  avril,  dans  la  nuit, 
pendant  que  l'Apollon^  d'après  l'estime,  était  à  100  milles 
(  33  lieues  de  terre  ) ,  il  se  brise  sur  la  côte  de  Portugal , 
près  du  cap  Mondego  ;  29  des  vaisseaux  marchands  qui 
avaient  réglé  leur  route  sur  celle  de  l Apollon  firent  éga- 
lement naufrage.  11  périt  dans  cette  catastrophe  près  de 
300  matelots.  On  a  longtemps  attribué  ce  terrible  nau- 
frage à  l'action  des  courants;  mais  il  paraît  constaté, 
d'après  la  discussion  de  M.  Scoresby,  qu'il  a  été,  en 
grande  partie,  occasionné  par  une  erreur  accidentelle  de 
la  déclinaison  magnétique  qui  trompa  le  capitaine  de 
r  Apollon ,  sur  la  marche  duquel  tous  ces  navires  mar- 
chands dirigeaient  leur  marche. 

Dans  l'hiver  de  1811  à  1812,  le  Héro,  de  74,  se  perd 
au  Texel,  en  venant  du  Cattegat,  avec  plusieurs  des 
bâtiments  marchands  qu'il  escortait.  Il  ne  se  sauva  que 
8  matelots.  Le  Saint-Georges  de  98,  amiral  Reynolds, 
et  la  Défiance  de  74,  éprouvent  le  même  sort  sur  la  côte 
du  Jutland.  L'amiral,  le  capitaine  de  la  Défiance  y  près 
de  2,000  matelots  furent  noyés. 

En  1810,  le  Minotaure^  de  74,  fait  naufrage  à  l'em- 
bouchure du  Texel,  le  22  décembre;  860  matelots  pé- 
rissent. 


664  NAVIGATION. 

M.  Scoresby  regarde  comme  très-probable  que  ces 
quatre  naufrages  n'auraient  pas  eu  lieu  si  les  capitaines 
avaient  connu  les  moyens  de  tenir  compte  de  la  déviation 
locale  de  la  boussole. 

Est-il  possible  de  se  garantir  de  cette  cause  d'erreur  ? 
Oui ,  Messieurs,  on  peut  s'en  garantir  très-facilement  ;  et 
je  ne  propose  pas  d'allocation  pour  cela ,  car  la  dépense 
dans  chaque  bâtiment  ne  sera  que  de  10  à  12  fr.  La  mé- 
thode de  correction  dont  je  veux  parler  est  due  à  M.  Bar- 
low.  Elle  consiste  à  compenser  la  déviation  par  une  petite 
plaque  de  fer  placée  près  de  la  boussole.  Le  magnétisme 
terrestre ,  qui  est  la  cause  des  changements  de  déclinai- 
son ,  modifie  également  les  masses  troublantes  et  la  pla- 
que de  correction ,  en  sorte  que  tout  se  compense  à  peu 
près  exactement  en  tout  lieu  et  dans  toutes  les  orientations 
du  navire. 

Je  prends  la  liberté  de  recommander  cette  ingénieuse 
méthode  à  M.  le  ministre  de  la  marine.  Je  le  prie  de  vou- 
loir bien  engager  les  officiers  sous  ses  ordres  à  l'étudier. 
La  navigation ,  par  de  hautes  latitudes  surtout ,  en  tirera 
de  grands  avantages ,  sans  aucune  augmentation  de  dé- 
pense. 

On  ne  manquera  sans  doute  pas  de  s'écrier  :  En 
admettant  l'existence  de  tant  de  causes  d'erreur,  il  doit 
en  résulter  la  perte  d'un  très-grand  nombre  de  bâtiments; 
or,  est^il  vrai  qu'il  s'en  perde  beaucoup?  Quoique  dans 
la  marine  anglaise  les  méthodes  que  je  recommando 
soient  plus  répandues  que  dans  la  marine  française,  il 
se  perd  trois  navires  chaque  deux  jours,  plus  de  cinq 
cents  bâtiments  par  an.  Je  suis  très-loin  d'affirmer  que 


NAVIGATION.  665 

tous  les  naufrages  proviennent  de  l'absence  de  chrono- 
mètres et  d'instruments  à  réflexion;  mais  une  bonne 
partie  peut  être  attribuée  à  cette  cause.  Sur  la  côte  de 
France,  depuis  Dunkerque  jusqu'à  Saint-Jean-de-Luz, 
il  se  perd  quatre-vingt-huit  bâtiments  par  an.  En  suppo- 
sant que  le  tiers  seulement  de  ces  naufrages  tienne  aux 
erreurs  de  l'estime ,  ce  serait  porter  remède  à  un  mal 
très-grave  que  de  donner  aux  marins  les  moyens  de  s'en 
garantir.  Au  reste,  les  méthodes  nautiques  communes, 
auxquelles  je  voudrais  voir  substituer  des  moyens  plus 
scientifiques ,  ont  été  caractérisées  comme  elles  le  méri- 
tent par  des  marins  dont  le  nom  ne  peut  manquer  d'avoir 
une  grande  autorité  dans  cette  Chambre. 

Voici  de  quelle  manière ,  par  exemple ,  M.  Fleurieu 
parle  de  l'estime. 

«  Puissent  mes  comparaisons  faire  sentir  à  nos  naviga- 
teurs que  Yestime  n'est  qu'un  moyen  subsidiaire  dont  il 
n'est  plus  permis  de  faire  usage  que  lorsqu'il  n'est  pas 
possible  de  chercher  dans  le  ciel  la  position  qu'occupe  le 
vaisseau  sur  la  terre. 

«  Ce  n'est  que  par  le  secours  des  observations  astro- 
nomiques qu'on  peut  parvenir  à  rectifier  les  erreurs  iné- 
vitables de  Yestime  de  la  route;  estimation  arbitraire  qui 
n'est  fondée  sur  aucun  principe  solide. 

«  Les  méthodes  vulgaires  de  pilotage  sont  le  tûtonnc- 
nement  des  aveugles. 

«  On  ne  saurait  trop  inviter  les  navigateurs  français  à 
abandonner  enfin  la  vieille  routine  et  à  employer  les  nou- 
velles méthodes  quil  nest  plus  permis  d'ignorer  sans 
honte.  » 


666  NAVIGATION. 

Ainsi  y  après  avoir  cité  des  faits  positifs,  je  montre,  par 
Tautorité  d'un  navigateur  dont  le  savoir  et  rexpérience 
ne  sont  ignorés  de  personne,  que  la  méthode  ordinaire 
de  pilotage  ne  saurait  être  trop  vivement  combattue  : 
j'arrive  maintenant  à  la  méthode  que  les  navigateurs 
instruits  ont  substituée  aux  tâtonnements  de  restime.  Ils 
décomposent  la  route  que  Ton  fait  en  deux  portions  :  la 
première  dirigée  du  nord  au  sud,  s'évalue  sans  diflîculté, 
et  par  une  observation  à  la  portée  de  tout  le  monde  ;  la 
portion  placée  de  l'est  à  l'ouest  est  l'objet  d'un  problème 
qu'on  a  appelé  le  problème  des  longitudes,  et  dont  on 
s'est  occupé  avec  une  grande  constance  depuis  deux 
siècles. 

A-t-on  jamais  considéré  ce  problème  comme  pure- 
ment spéculatif,  comme  un  problème  de  théorie?  Déjà, 
en  1603,  Henri  IV  accordait  une  forte  pension  à  un 
auteur  qui  avait  trouvé  une  méthode  de  détennination 
des  longitudes  un  tant  soit  peu  plus  exacte  que  les  mé- 
thodes alors  employées. 

En  160/i,  Philippe  III  d'Espagne  s'engage  à  donner 
un  prix  de  100,000  écus  à  celiii  qui  résoudra  ce  pro- 
blème d'une  manière  satisfaisante. 

En  1606,  les  États  de  Hollande  oOrent  100,000  flo- 
rins pour  le  même  objet 

En  1634  9  Richelieu  fait  étudier  une  méthode  de  Morin. 
par  une  commission  composée  de  l'intendant  général  de 
la  marine ,  de  trois  capitaines  de  vaisseau ,  et  de  cinq 
savants,  au  nombre  desquels  se  trouvait  Pascal. 

En  1668,  Louis  XIV  promet  100,000  fr.  à  un  Alle- 
mand qui  prétend  avoir  trouvé  une  méthode  des  longi- 


NAVIGATION.  667 

ludesw  Je  trouve  dans  la  liste  des  commissaires  :  Colbert, 
Il uy gens,  Roberval,  Picard,  et  Duquesne,  le  vainqueur 
de  Ruyter. 

En  1714,  sous  la  reine  Anne,  un  acte  du  parlement 
d'Angleterre  promet  20,000  livres  sterling  (près  de 
500,000  fr.)  à  celui  qui  donnera  une  méthode  propre  à 
déterminer  les  longitudes,  après  un  délai  de  six  semaines, 
à  un  demi-degré  près. 

Je  passerai  sous  silence  les  épreuves  nombreuses  faites 
par  ordre  de  l'Académie  des  sciences,  afin  qu'on  ne 
m'impute  pas  de  me  jeter  dans  des  spéculations. 

Le  gouvernement  anglais  ne  s'en  est  pas  tenu  à  de 
simples  promesses;  il  a  accordé  des  sommes  considéra- 
bles à  tous  ceux  qui  ont  fait  faire  quelques  progrès  au 
problème  des  longitudes.  Ainsi,  en  1714,  le  parlement 
donna  50,000  francs  à  Whiston  pour  de  simples  essais; 
en  1765,  il  décerna  une  sonmie  de  250,000  francs  à 
Harrison,  d'abord  charpentier  de  village,  et  ensuite 
très-habile  horloger,  pour  avoir  exécuté  une  montre  avec 
laquelle  des  officiers  de  la  marine  avaient  déterminé 
assez  exactement  la  longitude  de  la  Jamaïque.  En  1800, 
je  vois  figurer  Arnold  et  Earnshaw,  chacun  pour 
75,000  francs,  parmi  les  récompenses  données  pour  le 
perfectionnement  de  la  même  question.  Auparavant ,  en 
1766,  il  avait  alloué  à  la  veuve  du  célèbre  asti'onomc 
ïobie  Mayer  une  somme  de  75,000  francs.  Je  ne  crois 
point  me  tromper  en  affirmant  que  le  gouvernement 
anglais  a,  je  ne  dis  pas  promis,  mais  donné  près  d'un 
million  pour  le  problème  des  longitudes. 

Aujourd'hui,  les  moyens  de  déterminer  cet  élément  de 


668  NAVIGATION. 

toute  navigation  exacte  sont  d'une  extrême  précision. 
J*en  citerai  seulement  deux  exemples,  que  j'emprunterai 
aux  navigateurs  anglais.  J'aurais  pu  en  puiser  également 
dans  la  marine  française ,  surtout  dans  les  voyages  de 
découvertes,  parce  que  les  bâtiments  chargés  de  ces 
expéditions  ont  à  bord ,  pour  se  diriger ,  des  moyens  qui 
nVxistent  pas,  du  moins  au  même  degré ,  dans  les  autres 
navires  de  l'État 

Voici  les  deux  exemples  dont  je  veux  parler.  La  navi- 
gation des  bâtiments  de  la  compagnie  des  Indes ,  de  ces 
bâtiments  qu'on  appelle  en  Angleterre  indiamen,  se  fait 
par  les  moyens  perfectionnés  dont  je  demande  l'applica- 
tion plus  générale  dans  notre  marine.  Un  convoi  de  ces 
bâtiments  partit,  il  y  a  quelques  années,  de  l'île  de 
Madère ,  ne  rencontra  pas  une  seule  voile  dans  toute  sa 
traversée ,  ne  vit  pas  un  seul  coin  de  terre ,  et  arriva  à 
Bombay  assez  sûr  de  sa  position  pour  y  jeter  l'ancre  au 
milieu  de  la  nuit* 

Voici  mon  second  exemple.  Le  capitaine  Basilhall, 
commandant  d'un  bâtiment  de  l'État,  partit  de  San-Blas, 
sur  la  côte  occidentale  du  Mexique ,  doubla  le  cap  Horn 
sans  apercevoir  la  terre;  parvenu  à  cinq  journées  de 
distance  de  Rio-Janeiro,  il  détermine  sa  longitude,  ne 
commence  5  diminuer  sa  voilure  qu'à  cinq  lieues  de 
distance,  mais  sans  changer  sa  route.  Le  jour  commence 
h  poindre;  un  coup  de  vent  dissipe  le  brouillard,  et  tout 
l'équipage  reconnaît  avec  enthousiasme  que  le  cap  da 
navire  est  exactement  dirigé  sur  le  Pain  de  sucre  qiii 
marque  l'entrée  de  Ria-Janeiro. 

Le  problème  des  longitudes,  je  le  répète,  est  aujour- 


NAVIGATION.  6G9 

d'iiui  complètement  résolu.  Il  n'y  a  plus,  quant  au  Levant, 
dans  la  détermination  de  la  place  d'un  bâtiment  en  pleine 
mer,  que  des  erreurs  extrêmement  légères  et  sans  aucune 
importance  réelle. 

Malgré  ces  immenses  progrès,  le  Anglais  ne  sont  pas 
restés  inactifs.  Ils  ont  établi  des  prix  graduels  pour  les 
chronomètres;  le  prix  est  d'autant  plus  considérable  quf 
le  chronomètre  marche  avec  plus  de  précision.  Ils  sor-^- 
arrivés  ainsi  à  une  précision  vraiment  étonnante. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  ces  mêmes  résultats 
ne  puissent  être  obtenus  en  France.  Il  y  a  à  Paris  des 
horlogers  d'une  grande  habileté  qui  vous  fourniront  des 
instruments  au  moins  aussi  parfaits,  si  vous  les  leur  com- 
mandez. 

Je  regrette  vivement  que  le  défaut  d'allocations  suf- 
fisantes ne  permette  pas  à  M.  le  ministre  de  la  marin(» 
d'acquérir  un  assez  grand  nombre  de  chronomètres  pour 
pouvoir  en  placer  au  moins  un  à  bord  de  tous  les  navires 
qui  doivent  faire  des  voyages  un  peu  longs. 

Je  terminerai  par  une  réflexion  qui  montrera  à  quel 
point  nous  sommes  arriérés  sous  ce  rapport. 

J'ai  demandé  au  constructeur  qui  fait  à  Paris  des 
instruments  à  réflexion,  dont  la  réputation  est  euro- 
péenne, combien  il  avait  vendu  de  cercles  à  réflexion. 
Il  m'a  répondu  qu'en  1831 ,  ce  nombre  ne  s'était  élevé 
qu'à  quatre.  Or,  il  est  à  ma  connaissance  personnelle 
que  quatre  cercles  à  réflexion  ont  été  achetés  par  les 
ordres  de  la  reine  pour  être  donnés  en  cadeau  aux  offi- 
ciers de  la  frégate  sur  laquelle  le  prince  de  Joinvillc 
s'embarqua. 


«70  NAVIGATIGK 

En  1832  y  le  même  artiste  n'en  a  vendu  que  deux. 

J'ai  visité  à  Londres  les  ateliers  de  Troughton  et  de 
âims,  et  je  les  ai  vus  remplis  de  piles  d'instruments  à 
réflexion  que  les  officiers  de  marine  y  avaient  déposés. 
Quant  aux  dironomètres,  je  sais  que  de  1822  à  1832,  on 
«n  a  déposé  500  à  Tobservatoire  de  Greenwich  pour  y 
être  essayés. 
•  '  11  résulte  d'un  document  officiel ,  qu'à  la  date  de  1818, 
un  seul  constructeur,  M.  Earnshaw,  avait  déjà  vendu, 
pour  sa  part  mille  chronomètres. 

Nous  ne  devons  pas  espérer  de  pareils  sucoès  en 
France;  maïs  je  crois  que  si  vous  adoptez  l'amendement 
que  je  propose,  la  direction  favorable  que  vous  impri- 
merez aux  études  nautiques  aura  cet  heureux  résultat, 
que  les  officiers  de  la  marine  marchande,  astreints  par  nos 
lois  à  s'embarquer  sur  les  navires  de  TÉtat,  prendront 
généralement  le  goût  des  bonnes  méthodes,  et  sortiront 
bientôt  de  l'ornière  profonde  dans  laquelle  nous  nous 
traînons  depuis  trop  long  temps.  (Marques  générales 
d'adhésion.) 

[  Après  la  réponse  de  M.  le  ministre  de  la  marine,  M.  Arago  a 
répliqué  en  ces  termes:] 

Je  me  serais  bien  mal  expliqué  si  Ton  pouvait  induire 
de  mes  paroles,  que  je  regarde  notre  marine  comme 
n'étant  pas  à  la  hauteur  de  la  marine  anglaise.  Je  con- 
nais personnellement  un  grand  nombre  d^ofïîciers  de 
notre  marine,  et  mille  part  je  n'ai  vu,  je  le  déclare  hau- 
tement, plus  de  talent,  plus  d'instruction,  plus  de  zèle 
que  chez  ces  jeunes  gens.  Ce  qfue  je  demande ,  c'est  que 
ce  zèle  soit  bien  dirigé  ;  c'est  qu'on  mette  dans  des  mains 


NAVIGATION.  G7I 

aussi  habiles,  des  moyens  d'arriver  aux  importants  résul- 
tats que  nous  pouvons  en  espérer. 

1\1.  le  ministre  de  la  marine  a  dit  qu'il  est  arrivé  très- 
rarement  qu'un  bâtiment  de  l'État  soit  parti  sanschrono- 
mùlre.  Je  suis  fûché  d'être,  à  cet  égard,  mieux  instruit 
que  M.  le  minisire  lui-même.  (On  rit.)  Je  ne  prétends  pas 
(pie  cela  ait  lieu  piir  l'effet  d'une  mauvaise  volonté;  mais 
il  est  cedain,  je  le  répète,  que  des  bAtimcnls  partent 
souvent,  môme  pour  l'Amérique,  sans  s'être  pourvus  des 
moyens  de  déterminer  leur  longitude.  Ces  jours  derniers, 
par  exemple,  un  bâtiment  de  l'État,  commandé  par  le 
capitaine  Louvel,  est  revenu  du  Sénégal.  Sur  le  parallèle 
des  Açores ,  cet  officier  a  vu  ou  cru  voir  un  écueil.  Eh 
bîwi ,  il  n'a  pu  en  déterminer  la  position ,  faute  d'avoir  un 
chronomètre.  Il  y  a,  je  le  répète,  dans  la  marine  fran- 
çaise ,  tous  les  éléments  de  succès  possibles.  J^es  officiers 
qui  sortent  de  l'école  navale  sont  pleins  d'instruction  et 
de  zèle.  Ce  que  je  demande,  c'est  qu'on  mette  dans  leurs 
mains  les  moyens  de  naviguer  avec  sûreté,  (Aux  voixl 
aux  voix!) 

[  L'amendement  proposé  par  ^l.  Arago  a  été  adopté.  ] 


FC<  DU  TOME  DEUXIEME  DES  KOTICES  SCIENTIFIQUES 


TABLE  DES  FIGURES 


Fig.  fag<i. 

1.  Principes  des  machines  à  réaction 5 

2.  Mode  d'action  de  la  vapeur  dans  la  machine  d*Iléron. .        8 

3.  Explication  de  Tascension  de  Peau  dans  la  machine  de 

Salomon  de  Gaus 15 

II.    Explication  de  Pélévation  du  piston  dans  la  machine  de 

Papin 2& 

5.  Descente  du  piston  arrivé  &  l'extrémité  de  sa  course 

dans  la  machine  de  Papin 26 

6.  Fac-similé  du  dessin  de  la  machine  de  Salomon  de  Caus.      86 

7.  Fac-similé  du  dessin  de  la  machine  de  Savery  (vue  de 

face) 89 

8.  Fac-similé  du  dessin  de  la  machine  de  Savery  (vue  de 

côté) 89 

9.  Machine  hydraulique  de  Papin  pour  transporter  fort 

loin  la  force  mouvante  des  rivières 92 

10.    Machine  à  vapeur  de  Papin  de  1690 97 

n.    Machine  de  Porta lo:) 

12.    Appareil  d'Héron  pour  l'emploi  de  la  force  élastique  de 

Pair 111 


FIN    DE    LÀ    TABLE    DES    FICTRES 


TABLE   DES  MATIÈRES 

DU  TOME  CINQUIÈME 


TOME    II    DES   NOTICES   SCIENTIFIQUES 


NOTICE  HISTORIQUE 

SUR    LES   MACHINES    A   VAPEUR 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Introduction 1 

CHAPfTRE  II.  —  Machines  atmosphériques  ou  à  basse  pres- 
sion   5 

S  1.  Héron  d'Alexandrie 5 

S  2.  Blasco  de  Garay 10 

$  3.  .Saloraon  de  Caus. 14 

S  l\.  Branca 16 

S  5.  Le  marquis  de  Worcester 17 

S  6.  Sir  Samuel  Moreland 22 

S  7.  Denis  Papin 24 

S  8.  Le  capitaine  Savery. 31 

S  9.  Newcoraen,  Cawley  et  Savery 38 

S  10.  James  Watt 42 

a.  Du  condenseur 44 

b.  Machine  à  double  effet 49 

c.  Machine  à  détente 52 

d.  Enveloppe  ou  chemise  du  corps  de  pompe 54 

CHAPITRE  m.  —  Machines  à  haute  pression 55 

§  1.  —  Machines  à  haute  pression  sans  condensation.  — 

Machines  locomotives 55 

S  2.  —  Machines  à  haute  pression  et  à  condensation 57 

CHAPITRE  IV.  —  Bateaux  à  vapeur 59 

CfLVPITRE  V.  —  Invention  des  principaux  organes  des  ma- 
chines à  vapeur 67 

§  1.  —Artifices  qui  donnent  à  la  machine  à  vapeur  la  pro- 
priété de  marcher  d'elle-même  et  sans  aucun  ouvrier. .  67 
V.  —  II.                                                                     43 


6Yi  TABLE  DES  MATIÈRES. 

§  2.  —  Manivelles  et  volants GO 

§  3.  —  Moyens  do  diriger  vertic^dement  la*  tigo  du  piston 

et  de  la  lier  au  balancier 70 

S  A.  —  Régulateur  à  force  centrifuge 72 

§  5.  —  Soupape  de  sûreté. 75 

CIJAPITIŒ  VI.  —  Résumé  et  conclusions 78 

CHAPITRE  VII.  —  Examen  des  observations  critiques  dont  la 

'.       notice  préoédente  a  été  lV)bJet 81 

EXPLOSIONS  DES  MACHINES  A  VAPEUR 

CHAPITRE  PREMIER*  ^  Avantrprgpûft. , 117 

CHAPITRE  II.  —  Variation  de  la  force  élastique  do  la  vapeur 

d'eau  avec  la  température ,  •  ^ , , 118 

CHAPITRE  IIL  —  Séparation  en  deux  parties  d'une  chaudière 

et  projection  d'une  de  ses  parties  à  uae  grande  hauteur. .    130 
CHAPITRE  IV.  —  Explosion  simultanée  de  plusieurs  cliau* 

dières 123 

CHAPITRE  V.  —  Explosions  occasionnées  par  une  «urchange 

de  la  soupape  de  sûreté , I9& 

CHAPITRE  VI.  —  Explosions  précédées  d'un  grand  affaibllsM- 

ment  dans  le  ressort  de  la  vapeur i% 

CHAPITRE  VIL  —  Explosions  Immédiatemeat  (Précédées  de 

Touverture  de  la  soupape  de  sûreté. . . . , , 128 

aiAPITRE  VIIL  —  Écrasements  Intérieurs  des  chaudièrei. , .    129 
CHAPITRE  IX.  —  Accidents  particuliers  ^u^ç  cbaudières  à 

foyer  intérieur , , , . . .    lai 

œAPITRE  X.  —  Explosion  précédée  d'un  grand  éob^affeinept 

des  parois  de  la  chaudière «    132 

CHAPITRE  XI.  —  Explosion  d'une  chaudière  en  Taîr 133 

CHAPITRE  XII.  —  Nécessité  des  soupapes  de  sûreté  ;  soupapes 
de  Papin;  leurs  défauts;  accidents  qu'ellçs  peuvent  pré- 
venir     13^ 

CHAPITRE  XHI.  —  Plaques  fusibles 1A3 

CHAPITRE  XIV.  —  Lames  minces 1^5 

CHAPITRE  XV.  —  Soupape  manoraétrique UG 

CHAPITRE  XVL  —  Soupapes  intérieures  ou  à  air;  leur  objet.     i!x9 
CHAPITRE  XVII,  —  Exiîlication  des  explosions  qui  sont  pré- 
cédées de  l'ouverture  de  la  soupape  de  sûreté  ou  d'un 

afTalblissement  dans  le  ressort  de  la  vapeur 151 

§  J.  — Comment  arrive-t-il  qu'une  chaudière  éclate  &  l'in- 
fitant  même  où  l'oa  ouvr^  la  iifMipape  de  sOre^?  Oooh 


TABIE  DES  MATIËaBS.  675 

Pages. 

ment  se  fait-il,  en  outre,  que  cet  accident  ait  été  tou- 
jours précédé  d'un  affaiblissement  apparent  dans  le  res- 
sort de  la  vapeur  ? 151 

§  2.  —  Comparaison  de  Texplication  de  M.  l^rkins  avec  les 
théories  que  d'autres  ingénieurs  ont  proposées;  nouvelles 
causes  d'explosions 164 

CHAPITRE  XVill.  —  nemarques  relatives  aux  prétendus  dan- 
gers des  machines  à  haute  pression ,  • .    177 

CHAPITRE  XIX.  —  Nécessité  de  la  surveillance  des  machines 

à  vapeur , 178 

NÉCESSITÉ     d'£NCOLRAG£R    EN     FRANCE     LA    CONSTRUCTION    DES 

MACUII(£S  A    VAPEUR 185 

LES  CHEMINS  DE  FER 

I.  Nécessité  d'empêcher  les  compagnies  de  relever  leurs 

tarifs  immédiatement  après  les  avoir  abaissés. 233 

II.  Sur  les  inconvénients  de  l'établissement  de  deux  chemins 

de  fer  de  Paris  à  Versailles 388 

III,  Sur  la  nécessité  de  faire  exécuter  les  chemins  do  fer 

par  des  compagnies 251 

Section  première.  —  Considérations  techniques 254 

Section  deuxième.  —  Sur  les  résultats  à  attendre  des 

chemins  de  fer 264 

Section  troisième,  —Du  rôle  do  l'État  et  des  compagnies 

dans  la  construction  des  chemins  de  fer 271 

Section  quatrième,  —  Du  budget  de  l'État  en  matière  de 

travaux  publics  extraordinaires. ...   209 

Conclusions 295 

V.  Impossibilité  de  l'exécution  du  réseau  des  chemins  de 

fer  français  par  le  gouvernement  dans  un  délai  rapide.    301 

IV.  Sur  les  pentes  des  chemins  de  fer 357 

VI.  Nécessité  de  soumettre  à  l'expérience  les  nouveaux  sys- 
tèmes de  chemins  de  for 360 

VU.  Système  de  chemin  de  fer  à  trains  articulés 393 

Rapport  à  l'Académie  des  sciences. 393 

Rapport  à  la  Chambre  des  députés, 619 

VI ir.  Systèmes  de  chemins  de  for  atmosphériques /|2G 

IX.  Explosions  des  chaudières  des  bateaux  à  vapeur  et  des 

locomotives , , , ÛGI 

TÉLÉGRAPUi^S  ÉLECTRIQUES  ET  TÉLÉGRAPUES  PE  MIT 467 


676  TABLE  DRS  MATIÈRES. 

SUR  LES  CHAUX 

LES  MOUTIEHS  ET  LES  CIMENTS  IIYDRAULIQLES 

SUR  LES  POUZZOLANES  NATURELLES  ET  ARTIFICIELLES 

L  Fabrication  artificielle  des  chaux  hydrauliques /ii92 

IL  Ciments 500 

IIL  Pouzzolanes  et  trass 502 

IV.  Statistique  des  chaux  hydrauliques. 505 

V.  Considérations  économiques 507 

VI.  Des  travaux  de  M.  Vicat,  comparés  à  ceux  des  anciens.  515 

VIL  Opinion  des  chimistes  et  des  constructeurs  sur  les  tra- 
vaux de  M.  Vicat 519 

VlïL  liésumé. 521 

NAVIGATION 

L  Amélioration  du  cours  de  la  Seine  dans  Paris 527 

If.  Turbine  de  M.  Fourneyron 560 

m.  Barrages  à  aiguilles 565 

IV.  Barrage  articulé. 572 

V.  Barrage  mobile  de  M.  Thénard. 574 

VL  Amélioration  du  port  du  Havre 591 

VIL  Amélioration  de  la  partie  maritime  de  la  Seine 610 

VIIL  Sur  des  travaux  à  entreprendre  pour  améliorer  la  navi- 
gation    617 

ly.  Amélioration  du  port  de  Cherbourg  et  de  celui  de  Port- 

Vendre 626 

X.  Amélioration  du  port  d'Alger 629 

XI.  Organisation  du  corps  de,s  ingénieurs  hydrographes. . . .  635 
XII.  Sur  l'antipathie  contre  la  science  d'une  partie  de  l'admi- 
nistration de  la  marine. 6^/i 

XIIL  Observation  des  marées 6,11 

XIV.  Ridage  des  mats, 65 'i 

XV.  Emploi  simultané  des  voiles  et  de  la  vapeur 650 

XVI.  Chronomètres  et  cercles  à  réflexion  destinés  à  la  marine.  058 

FIN    M   LA   TABLE   DES   MATIÈRES    DU  TOME  CINQriàME 
TOMB   DEUXIÈME  DRS   NOTICES  SCIENnFIQt'ES 


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